lundi, juillet 14, 2008

ZOLI (Colum McCann)

L'univers des Tsiganes et les persécutions. 1930 et les années qui suivent
Grand-Père nous disait que nous étions faits pour le ciel, pas pour les plafonds.
Le soir, Grand-Père s'asseyait pour lire - c'était la seule personne que je connaissais qui pouvait lire et écrire et compter. Il tenait beaucoup à un livre dont je ne savais pas le nom et , à dire vrai, cela m'était égal, ç'avait l'air curieux, ridicule , plein de mots trop grands - rien qui ressemble aux histoires qu'il me racontait. Il disait qu'un bon livre a besoin d'une bonne oreille, et je m'endormais vite en l'écoutant. C'est le seul livre qu'il possédait et pour couper court aux questions , il avait cousu une seconde reliure par-dessus, en cuir marron, avec des lettres en or comme un missel. J'ai découvert des années plus tard que c'était Das Kapital. page 30
La mémoire a des fulgurances, mais on ne revient jamais précisément à l'endroit dont on est parti. page72
Il a écrit (Stransky) un jour, que la vie d'un homme ne comporte vraiment un début, un milieu et une fin qu'au moment où il la quitte. Jusque là, nous restons incomplets, inachevés, impossible de sauter le point médian. C'est donc le dernier mot qui place une phrase au centre et qui , dans un sens, articule toute la strophe- la mort nous définit. page 121
Une vieillle chanson rom a pour refrain que nous partageons avec les autres des bouts de notre coeur, et plus , nous avançons, moins il en reste en nous. Le moment vient où il n'y en a plus assez pour tout le monde, et cela s'appelle voyager, cela s'appelle aussi la mort. Il n'y a rien de plus banal puisque cela arrive à tous. page 222

samedi, juillet 05, 2008

LA REVOLTE DES PENDUS (Traven)

(le roman se passe au Mexique, au début du XXè siècle)
(Candido a dit à son fils d'aller acheter du maïs pour les 2 porcelets qu'il vient d'acheter)
Angelino obéit et revint quelques minutes plus tard, les poches emplies de maïs. En effet, bien que les pesos des Indiens aient exactement la même valeur que ceux des Ladinos, jamais on ne leur fournit ni papier, ni sac pour envelopper leurs achats. A quoi bon pareille générosité? Ils n'ont qu'à fourrer leurs emplettes dans leur chapeau, ou dans leurs poches, ou encore à mettre le sucre, le café et le sel qu'ils viennent d'acheter dans les jambes de leur pantalon après en avoir ficelé le bas. L'Indien n'a nulle attention à attendre des boutiquiers, et pourtant, sans le spetits paysans indiens, tout le commerce de la ville serait ruiné, les marchands n'auraient qu'à fermer leurs portes. Car les Indiens qui viennent à Jovel toutes les semaines ou tous les quinze jours pour y commercer sont vingt ou vingt-cinq mille, c'est-à-dire qu'ils sont deux fois plus nombreux que la population citadine qu'ils font vivre. page 47
(Candido a des dettes après le décès de sa femme et a été obligé de quitter sa petite ferme et d'aller travailler dans une "monteria" pour abattre des arbres, le travail est dur , il faut couper 4 tonnes par jour). Le patron n'est pas content du peu de rendement , aussi fait-il la leçon à un surveillant:
-Je t'avais pourtant déjà dit que le fouet, quand on en abuse, ne sert à rien du tout. Ils se butent (les ouvriers), se couchent et ne font plus rien. Pourquoi ne les as-tu pas pendus plus souvent? C'est comme cela que nous opérons dans notre camp. Il n'y a rien de tel, ça les effraye et les dompte.
-Mais nous n'étions que deux. El Gusano et moi. En pendre une demi-douzaine, ce n'est pas si commode. Ils résistent et se débattent. Pour cela, il faudrait être au moins trois hommes par muchacho. page 77
La troupe des Indiens était rompue de fatigue et s'était accroupie par petits groupes, sur le terre-plein. Quand Don Felix et Don Severo s'approchaient d'un groupe, ceux qui le composaient se levaient aussitôt. Don Severo palpait leurs bras, les muscles de leurs jambes et leur nuque, comme il aurait palpé du bétail avant de l'acheter. page 82
Don Felix avait déjà repris sa conversation avec Modesta (la soeur du principal personnage du livre, Candido, celui-ci vient d'être frappé en pleine figure par Don Felix). Frapper un Indien au visage ,était pour lui, un événement sans importance auquel il ne pouvait s'arrêter une minute. L'assommer ou l'abattre d'un coup de feu équivalait à un simple incident qu'il oubliait une heure plus tard. Il se souvenait plus facilement d'une chasse à l'antilope ou d'un tigre tué d'une balle bien ajustée que du meurtre d'un pauvre péon. page 86
-Des bêtes, de pauvres bêtes! Non, ce ne sont pas des animaux qu'on tourmente et qui crient, bande d'ânes! Ce sont vingt bûcherons , vingt hacheros qui hurlent. On les a pendus pour trois ou quatre heures, parce qu'ils n'ont produit, ni aujourd'hui, ni hier, ni avant-hier, les tonnes de caoba qui leur étaient commandées. page 90
Cette coutume barbare de la pendaison était efficace et coûtait rarement des vies humaines., parce que l'Indien est incroyablement robuste et si résistant qu'il est capable de travailler, le plus souvent, le jour même où on l' a supplicié. Au cours de leur longue expérience, les frères Montellano avaient appris que la pendaison produisait autrement terrifiant que le fouet sur les "feignants" . La pendaison et l'ensablement ne laissaient point de blessures susceptibles d'empêcher le travail. Ce qui restait, par contre, et donnait un résultat, c'était la peur de revivre des heures aussi effroyables, des heures qui paraissaient une éternité et qui terrorisaient d'autant plus les malheureux que dans l'obscurité, ils ne pouvaient distinguer aucun danger et ne pouvaient , par conséquent, s'en défendre. page 107
Pendant toute la journée, ils n'avaient qu'une idée dans la tête...:"Par tous les saints du ciel, mon Dieu! fais que je puisse abattre mes quatre tonnes et que je ne sois pas pendu. Mais Dieu qui est venu sur terre il y a deux mille ans, a sans doute oublié les Indiens. Leur pays, il est vrai, était encore inconnu. Et quand il fut enfin découvert, la première chose que firent les conquérants, fut de planter une croix dans le sable du rivage et de dire une messe: c'est encore de cette cérémonie que souffrent les Indiens.....
-Pourquoi attendre la venue du Sauveur? Sauve-toi toi-même, frère et alors ton sauveur arrivera. page 109
Du coup, Urbano oublia tout. Il avait une telle habitude de l'obéissance que sa rêverie (de se noyer) s'évanouit dès l'instant où retentit la voix de son maître.
-Je suis à vos ordres, patron. page 137
Martin Trinidad était instituteur:
-Maître d'école , et à présent, te voici bûcheron dans une monteria.
-Que veux-tu? J'ai trop ouvert ma grande gueule , ou, si tu préfères, j'ai propagé la vérité parmi les mineurs, qui, pour la plupart, étaient les parents de ceux que j'enseignais à l'école.
-La vérité, demanda Celso subitement méfiant. Quelle vérité?
-J'ai dit la vérité sur le Dictateur (Porfirio Diaz président dictateur de 1876 à 1880, puis de 1884 à 1911) et sur les droits du peuple. Je leur ai dit qu'un homme, aussi habile soit-il, aussi persuadé puisse-t-il être qu'il a le droit de diriger tout un peuple, n'a pas celui d'opprimer l'opinion, la parole, la pensée, la volonté des autres hommes. Car chaque homme a le droit de dire ce qu'il pense, et chaque homme a aussi le devoir d'enseigner , d'expliquer aux autres hommes qu'ils sont mal gouvernés et qu'ils sont lésés. Et même si l'homme se trompe, même s'il a tort, il doit cependant lui rester le droit de dire ce qu'il pense et comment il croit que les choses pourraient aller mieux. page 174
Si vous voulez faire la révolution, alors, faites-la et faites-la jusqu'au bout, sinon, c'est elle qui se dressear contre vous et vous mettra en pièces. page 238
Ceux qui n'appartenaient pas au groupe du Dictateur devaient obéir, sans plus. Les ouvriers, les paysans et les petites gens avaient un seul devoir, et ce devoir se nommait : l'Obéissance. On leur inculquait une obéissance aveugle, à coups de fouet, jusqu'à ce qu'elle soit devenue leur seconde nature. Partout où quelques-uns ont tous les droits et où la masse n'a que des obligations qu'il n'est même pas permis de critiquer, le résultat est toujours le même: le chaos inévitable. page 278
En faisant travailler les artisanos, les muchachos apprirent quelque chose dont ils n'avaient, jusqu'alors , pas eu la moindre idée: ils apprirent qu'ils étaient capables de donner des ordres, eux aussi. Jusqu'à ce jour, ils s'étaient toujours imaginé que, pour savoir commander, il fallait être né ladino (blanc)ou cachupin (espagnol).page 290
"Nous voulons la terre et la liberté! Tierra y Libertad! Et si nous voulons la terre et la liberté, il nous faut aller les chercher là où elles se trouvent. Il n'est pas besoin d'autre programme, car, si nous avons la terre et la liberté, nous aurons ce dont l'homme a besoin en ce monde, puisqu'elles contiennent même l'amour.!" page 316