mercredi, octobre 28, 2009

NOUS COMMENCONS NOTRE DESCENTE (James Meek)

Il doutait désormais que la rencontre de deux regards, et même de deux regards amoureux, pût être autre chose qu'une forme sophistiquée de cécité......Il s'efforçait de rester à l'écart d'Astrid. Il avait abandonné une fois pour toutes son vieil espoir que deux personnes puissent former un couple. Il se souvenait avoir cru un jour que deux êtres sont capables de faire ensemble l'expérience d'une communion avec le monde, expérience à laquelle une âme solitaire accède facilement, ça, il pouvait l'imaginer. Il l'avait vécu. La première fois qu'il était tombé amoureux d'une fille, dans sa jeunesse, il ne lui avait pas adressé la parole. Il était alors parvenu à faire ce qu'il n'aurait jamais pu entrevoir s'ils étaient sortis ensemble: il avait partagé l'extase de la solitude. page 30

-Chaque pays envoie ses voyageurs à l'étranger comme des paroles échangées entre deux personnes. Comme je te parle à toi, maintenant. Le pays voit ses voyageurs partir, j'entends les mots sortir de ma bouche et pénétrer en moi. Mais le pays ne voit pas ce qu'il advient de ses voyageurs quand ils sont arrivés sur une terre étrangère et je n'ai aucun moyen de savoir comment tu accueilles mes paroles....Je ne saurai jamais ce qu'il est advenu des mots. Et le voyageur ne revient jamais. Il devient un autre homme, qui appartient un peu aux lieux dans lesquels il se rend. C'est justement cet aspect-là, cette appartenance, que je ne parviens jamais à rendre aux gens qui sont restés à la maison. Peut-être parce que je n'arrive pas à l'exprimer clairement. Ou peut-être parce qu'ils ne veulent pas savoir. page 82
Le prêtre n'est pas là pour raconter des histoires, et pour les blagues, il est très mauvais . Lui, il essaie de vous vendre des idées. Du point de vue du prêtre, la vérité est plus importante que le bonheur, le passé et le futur sont plus importants que le présent, et les grands idées sont plus importants que vous et moi ou que lundi prochain. Les gens prennent le prêtre au sérieux, même s'ils ont du mal à se concentrer sur ce qu'il dit. Il est plus à l'aise pour s'adresser à un million de personnes qu'à dix, mais n'en a que rarement l'opportunité. page 99

samedi, octobre 17, 2009

UN LEOPARD SUR LE GARROT (J. C. Ruffin)

Et voilà qu'à travers ce lent voyage (en Afrique) que nous accomplissions, chaque horizon franchi faisait surgir devant nous de nouveaux peuples, des hommes dissemblables dans toute leur santé. En coupant vers le Golfe de Guinée, nous traversions des zones de peuplement , disposées en bandes horizontales. Ethnies, langues, coutumes, religions, tout changeait en quelques kilomêtres. Touaregs, Haoussas, Peuls, Bambaras, Yorubas, nous écoutions le devisement du monde, selon la formule de Marco Polo. Et pour la première fois, il ne me parlait pas le langage de la souffrance. Moi qui ai étudié l'être humain abstrait, isolé, l'individu, celui qui sert de support à la science médicale, seul et nu au fond d'un lit, je découvrais l'être en société, fortement déterminé par son groupe, relié aux autres dans l'enceinte de la maison, la clôture du village, le territoire de la tribu, les frontières de la nation. page 133
Et, confusément encore, je compris que je voulais , moi aussi, avoir affaire à tout l'homme...L'être humain qui m'intéressait était celui qui vivait en société, interagissait avec les autres, capable, certes de maladie mais aussi de génie créateur, de révolte, de courage, de foi, de partage et d'affrontement....Je ne serais pas le médecin d'un organe ou d'une maladie. je serais le médecin du tout. page 134
Mais le plus grand mérite de cette mission sans gloire (faire en sorte que Médecins sans Frontière n'existe pas aux USA) fut de m'ouvrir les yeux sur la véritable nature de l'action humanitaire. J'étais venu avec mon idéal, un peu flottant , un peu naïf. Voilà qu'à l'épreuve de l'action, je découvrais autre chose: une guerre de clans, un domaine hautement politique, les jeux d'intérêts et de pouvoir. Mieux valait le savoir tout de suite. page 173
"L'humanitaire est la poursuite de la diplomatie par d'autres moyens que la guerre". (Clausewitz)

mercredi, octobre 14, 2009

EL GUANACO (Francisco Coloane)

"J'ai appris le système des Européens, croyant que j'allais devenir civilisé comme eux. Autrefois, les ONA (tribu indienne) vivaient seuls sur cette île et n'avaient de contact avec personne; ils étaient plus heureux qu'aujourd'hui, parce qu'ils étaient libres de leurs mouvements. Ils disaient "je vais à tel endroit" et ils partaient; s'ils voulaient manger du guanaco, ils mangeaient du guanaco; s'ils voulaient un oiseau, ils mangeaient un oiseau; ils n'avaient pas besoin de tourner autour du pot pendant des heures. A cette époque, j'étais heureux de porter une cape de guanaco, avec la laine à l'extérieur, ça ne tenait pas très chaud mais j'étais propre et plus fort pour affronter le froid,; je ne portais pas la laine du guanaco blanc (le mouton), comme aujourd'hui. Les ONA vivaient longtemps, pleins de santé, robustes, fiers et heureux. Je n'aime pas la civilisation, il y a trop d'inconvénients, on n'est jamais propriétaire de son toit, de sa maison, parce qu'il faut acheter la terre à l'Etat. L'Etat dit que la terre lui appartient, mais la terre appartient aux ONA, alors comment peuvent-ils la vendre? Faut-il être civilisé pour posséder une terre? L'ONA est propriétaire de son arc, de ses flèches, de ses mocassins, de sa cape et de tout ce qu'il y a dans l'air, dans les plaines et au bord de la mer. Autrefois, l'ONA allait partout, personne ne lui demandait: D'où tu viens? Où tu vas? Qu'est-ce -que tu fais? c'était mieux avant les barbelés. L'Indien n'aime pas les barbelés...Pages 19, 20
"Le problème quand on s'arrête, c'est de trouver un point d'appui pour rester debout". page 71