mercredi, septembre 29, 2021

TOUT CE QU'ON NE TE DIRA PAS, MONGO. Dany LAFERRIERE 2020

 Dany Laferrière nous propose un dialogue entre l'homme mûr vivant au Québec et un jeune immigré , Mongo.

 Un après-midi d'été, l'écrivain croise sur la rue Saint-Denis, un jeune homme, Mongo, qui vient de débarquer à Montréal. Il lui rappelle cet autre jeune homme arrivé dans la même ville en 1976. Le même désarroi et la même détermination. Mongo demande:" Comment faire pour s'insérer dans cette nouvelle société?" Ils entrent dans un café et la conversation débute comme dans un roman de Diderot.  C'est ce ton léger et grave que le lecteur reconnaît dès le début d'un livre de Laferrière: " Tout nouveau-né est un immigré qui doit apprendre pour survivre les codes sociaux. Unr société ne livre ses mystères qu'à ceux qui cherchent  à la comprendre, et personne n'échappe à cette règle implacable, qu'on soit du pays  ou non". Au  jeune Mongo, Laferrière raconte quarante années de vie. Une longue lettre d'amour au Québec. 

Il m'arrive d'écrire sans penser à ce que j'écris. je suis une caméra. Je balaie l'espace. Cela m'a pris beaucoup de temps avant d'arriver à cette simplicité. Avant, je croyais que les choses, comme les êtres, ne se révélaient que dans leur profondeur . En fait, tout se passe à la surface. page 10

Quand on quitte son pays, on ignore qu'on ne reviendra plus. Il n'y a pas de retour possible, car tout change tout le temps. Les lieux, les gens, les usages. Même notre façon d'appréhender la vie. Si on ne change pas, les autres, eux, changent, et de cette manière nous changent. Perpétuel mouvement. Mais on ne sait pas ce que le temps fera de nous.  page 13

Chaque individu qui arrive ici croit que sa présence aura une influence , si minime soit-elle, sur le cours des choses. Il ne sait pas qu'il faudra toute une vie pour qu'on l'appelle par son nom. On ne verra en lui qu'un immigré. Comment avoir un impact sur une société quand on  n'est même pas nommé? page 14

L'année est divisée, au Nord, en saisons. ...Au Sud, on n e regarde le ciel que s'il va pleuvoir. C'est simple: il fait beau ou il pleut. ....Alors, qu'au Nord, la vie est rythmée par des saisons très contrastées où tout se joue. pages 18, 19..En Haïti, les pauvres prient le matin pour que la vie soit douce, ici, on s'informe de la température pour la même raison. page 20

La question la plus brûlante ici, est  celle de la langue. Elle s'accompagne de l'héritage de la colonisation....Je viens d'un pays où l'on s'est battu contre l'hégémonie de la langue française.  pages 22, 23

Pour faire face à la montée de l'islam, on commence à remettre la religion au goût du jour. page 25..Pour sauver la culture québécoise, dans le années 50, l'Eglise avait pris en charge la démographie. Elle a donc mis les femmes au travail, en exigeant d'elles un certain nombre d'enfants. Au-delà du raisonnable. ...Les femmes ont hurlé: ça suffit" L'Etat a compris qu'on allait manquer de lait, d'écoles....et il ordonné d'arrêter la machine à bébés. page 26

L'immigration, c'est la seule chance de renouveau d'une société démographique épuisée. page 32

La parole a deux sources: le père et la mère. Je dis le père et la mère, car à cette époque, ( 1950)l'homme et la femme n'existaient pas encore. Un homme était un religieux ou un mari. La société ne voyait en eux que des agents de la reproduction. page 41

(Mongo) "Ils me font pitié, tous ces gens avec une  montre au bras. On est en train de causer et après cinq minutes, ils se mettent à regarder leur montre. C'est ça la civilisation: se faire régler par une montre." page 47

On ne comprend pas un pays, même si on y est né, si on ne l'a pas étudié. Ce n'est qu'en écrivant à Mongo que je réalise que j'avais compris beaucoup de choses de travers. page 56

La famine peut pousser tout un peuple à vouloir vivre dans un nouvel espace. L'identité aussi. On rêve d'une dérive des continents pour sauver des identités fixes.  page 59

Les gens qui aiment lire sont jaloux de leur liberté.  page 63

De religion québécoise: on n'est plus religieux depuis la Révolution tranquille, mais dès qu'une autre religion s'approche, on devient catholique radical.  page 100

Je préfère les livres à la littérature. page 115

En Haïti, on est passé d'une monoculture catholique, avec le vaudou en arrière-plan, à un trop plein religieux. Les églises protestantes, à cause de leur caractère populaire, se sont vote multipliées dans le pays. La misère exaltant la foi, on finit par croire qu'aucune solution humaine n'est envisageable. On attend alors ce messie capable de sauver le pays. Si ce n'est Duvalier, ce sera Aristide...page 125

Je crois que la vie humaine mérite ce geste simple qui consiste à enjamber  la fenêtre pour tomber dans un autre monde. Tout homme y a droit au moins une fois dans sa vie, même si cette cavale ne dure qu'un mois.  C'est suffisant pour trouver sa dignité. page 126

Moi, je travaille en ce moment. Je suis payé pour observer les gens et leur remettre sous les yeux des choses qu'ils croient naturelles et qui ne sont que des habitudes particulières à une société donnée. C'est ainsi qu'on devient intolérant quand on pense que notre comportement est juste et universel. Alors qu'il est le fruit d'une dure adaptation faite de compromis constants. page 142

Un Français, c'est quelqu'un qui accueille dans sa langue tous les mots anglais qu'on refuse ici (au Québec) page 161

Morale de l'histoire: quand vous jetez à la porte une il y a au moins, cinq autres  qui rentrent par la fenêtre. page 169

On quitte souvent quelqu'un par peur de la routine. page 179 ...Quand des gens de cultures différentes se retrouvent  dans une certaine intimité, il y a toutes sortes d'attractions possibles: le coeur, le sexe et l'esprit. C'est ce qui rend  la chose la plus excitante, sinon les gens se contenteraient de rester dans leur culture. page 181

Les enfants.....sont capables  d'apprendre, en moins de quatre ans, une langue étrangère, sans accent.  Cette langue qu'on appelle si joliment langue maternelle alors qu'il s'agit  de celle de la communauté . page 192

Remarquez, il y a toutes sortes de ghettos. Le ghetto des riches qui se trouve forcément dans un quartier bourgeois où les résidents ont les mêmes préoccupations, ou le ghetto d'intellectuels où les discussions sont souvent orientées vers une conclusion où tout est réglé. Tous les endroits où s'agglutinent des gens de même culture et de mêmes intérêts des ghettos page 195....Si on séjourne trop longtemps dans un ghetto de riches, de Noirs ou d'intellectuels, on risque de s'encroûter. Cette chaleur humaine risque de ramollir l'esprit. page 196

Notre vision de nous-mêmes est une mythologie partiale et subjective. C'est notre monologue. page 200...On n'aime pas les gens qui cherchent à remplacer la coutume de l'autre pour la remplacer par le leur.    page 200

On accorde beaucoup d'importance au regard. Si vous ne regardez pas la personne à qui vous vous adressez, c'est que vous êtes en train de mentir. Vous êtes un fuyant.  Alors que dans certaines cultures du Sud, c'est manquer de respect à quelqu'un de plus âgé ou de plus important dans la hiérarchie sociale que de le regarder dans les yeux. Une attitude  considérée souvent comme agressive  dans ces contrées chaudes. page 209

Si vous êtes un intellectuel, pourquoi toujours citer les écrivains d'ailleurs quand vous êtes ici?  Comme partout, on aime ici, ceux qui se donnent la peine de s'intéresser à la culture du pays. C'est la moindre des choses. page 212

Danger! On peut parler de politique internationale si on veut. Toujours dans un sens humaniste. Contre l'exploitation, la justice.  Contre les dictateurs, pour lez peuples. restez dans le vague. Quant à la politique nationale, ne jamais dire ce qu'on pense vraiment avant de savoir dans quel groupe on se trouve. page 221..Le cimetière dévoile tout.  C'est le grand roman d'une société. C'est là qu'on enfouit les secrets, croyant naïvement qu'ils sont, comme les humains, biodégradables Après un certain temps, ces secrets remontent à la surface...Historiquement , le Québec est vierge. Sauf par rapport aux Amérindiens. Mais c'est tabou. page 229

Ce qui est encore bien avec le mot paysan, c'est qu'il est universel. Partout, on trouve des paysans. C'est un peuple. Ils défendent la même chose :la terre et les bêtes. ...Ils vivent loin de l'abstraction. la terre les pénètre de partout; Ils ont l'accent et l'odeur. Ce sont des paysans. page 236....C' est terrible de ne pas bien connaitre^ sa langue maternelle. C'est un handicap comme la perte d'un membre. ..;On se méfie de celui qui parle bien- beau parleur....La langue, c'est le bien le plus précieux d'un peuple, car elle appartient aux riches comme aux pauvres, mais surtout à celui qui en prend soin. page 245

....C'est cela, le plaisir de la lecture: se retrouver dans la vie de l'autre sans perdre sa lucidité. La littérature est là pour dire que nous ressentons les choses de la même manière quels que soient les climats, les paysages, les classes, les races, les sexes et les religions.  L'émotion pure est interchangeable. et unique après tout. page 248

ON ne gagne jamais seul. Toujours partager la victoire. Alors que dans d'autres cultures, c'est parfois différent. On aime applaudir le surdoué qui fait croire qu'il a agi seul. ..IL n'y a pas ici la notion de génie. On veut s'occuper de tout le monde. Plutôt niveler par le bas plutôt que d'en laisser un seul dans l'ombre. On préfère que la forêt cache l'arbre. page 250

C'était l'hiver. je cherchais une chambre à louer. J'arrivais toujours trop tard. ..Il m'a fallu du temps pour comprendre que c'était un refus poli. Je repassais deux jours plus tard pour voir  toujours à la même place la petite pancarte qui annonçait qu'une chambre était à louer....page 251

Les gens les plus haut placés d'ici ne rêvent que d'être perçus comme quelqu'un d'ordinaire. ...Cet idéal trouve sa source dans l'idée que personne n'est au-dessus d'un autre.  Tous égaux page 252...L'homme ordinaire existe, j'ai lis un certain temps à le repérer. L'homme ordinaire n'a ni réussi, ni échoué. Il a tenu sa vie au milieu de  la route. Une vie tendue comme une corde  de violon. Toujours au milieu, sans  excès, afin de passer pour invisible. page 253

Etre noir n'est pas une identité. ON est noir dans le regard de l'autre. Le pire, c'est qu'on finit de construire sa personnalité autour de cette fiction. page 254...Le problème avec la couleur, comme avec l'accent, c'est que votre couleur apparaît dès que vous voyez celle de l'autre. Page 254

La Révolution tranquille a remplacé l'Eglise par l'école. La foi, oubliée. On vivait dans une tranquillité toute laïque quand les premiers musulmans sont arrivés. Et, depuis, tout est chambardé. ...Ce n'est plus l'argent le grand moteur des choses humaines, mais la religion. page 272

On se plaint de la fuite des cerveaux vers les Etats-Unis. On connaît le principe: une meilleure offre. les individus s'achètent et se vendent comme des produits....Les Etats-Unis se taillent la part du lion en attirant chez eux les esprits les mieux formés des autres pays riches. Et les puissances à faible résonance s'entre-dévorent.  page 274

lundi, septembre 20, 2021

NOS FRERES INATTENDUS (Amin MAALOUF) 2020

 Alec, dessinateur d'âge mûr, et Eve, romancière à succès d'un unique livre mythique, sont les seuls occupants d'un minuscule ilôt de la côte atlantique. Ils ne se fréquentent pas jusqu'au jour où une panne inexplicable de tous les moyens de communication les contraint à sortir de leur jalouse solitude. Comment s'explique ce ce black-out? La planète aurait-elle été victime d'un cataclysme? Qu'en est-il de l'archipel tout proche? Et du pays? Alec va peu à peu dénouer le fil du mystère. Grâce à son vieil ami Moro, devenu l'un des proches conseillers du Président des Etats-Unis, il parvient à reconstituer le déroulement précis des événements. 

Je demeurai un long moment étendu sur mon lit, dans une obscurité d'encre. Contre mon oreille, le téléphone muet. Et , à la radio, ce sifflement modulé. Dehors,  la tempête s'était quelque peu assagie. La pluie ne pianotait plus sur les tuiles de mon toit, ni sur la baie vitrée que la nuit avait transformée en un miroir tenté. Soudain, l'envie me prit de parler à quelqu'un, tout de suite. Plus qu'une envie, une exigence impérieuse. Comme  si ma solitude s'était mise à peser physiquement sur ma poitrine.  Et pour la première fois depuis douze ans, j'ai regretté de ne plus résider dans une ville ou dans un village comme l'ensemble des mortels. page 24

(Il se rend chez la femme qui habite sur l'île) "Je m'appelle Alexandre, je suis votre voisin et je voulais  seulement vous souhaiter la bienvenue sur l'île. Voilà qui est fait." Puis, j'ai salué légèrement de la tête, je m'étais retourné dignement.  J'avais fait trente pas quand je l'entendis marmonner dans mon dos un mot bref que je voulus bien prendre pour un " Merci! " la porte se referma aussitôt.  Nous ne vivons pas la même solitude, me dis-je pour me calmer. Elle fuit les humains,, qu'elle a manifestement en horreur; je le suis, quant à moi, écarté du monde pour l'observer plus sereinement. Et pour mieux le comprendre, mieux l'embrasser. page 28

Quoi qu'on en dise, " l'insupportable doute" vaut mieux que l'atroce certitude. Page 57

Je n'ai pas terminé la lecture de ce livre. La fiction? je n'en suis pas fan. 

mercredi, septembre 15, 2021

LE TRAIN DES AUTRES ( Viola Ardone) 2021

 Naples , 1946. Amerigo quitte son quartier pour monter dans un train. Avec  des milliers d'autres enfants du Sud, il traversera toute la péninsule et passera quelques mois dans une famille du Nord: une initiative du parti communiste vouer à arracher les plus jeunes à la misère après le dernier conflit mondial. Loin de ses repères, de sa mère Antonietta et les ruelles de Naples, Amerigo découvre une autre vie. Déchiré entre l'amour maternel et sa famille d'adoption, quel chemin choisira-t-il?  S'inspirant de faits historiques, Viola Ardone raconte l'histoire 'un amour manqué entre un fils et sa mère. Immense succès en Italie et en cours de traduction dans 29 pays, ce roman remarquable révèle une auteure d'exception. 

Le Train des enfants est une histoire qu'il fallait absolument raconter, et Viola Ardone le fait avec passion et maestria. ( Il corriere della Sera) 

Moi, des chaussures neuves, je n'en ai jamais eu, je porte celles des autres et elles me font toujours mal. Maman me dit que je marche de traviole. C'est pas ma faute. C'est à cause des chaussures des autres. Elles ont la forme des pieds qui les ont utilisées avant moi. Elles ont pris leurs habitudes, elles faisaient d'autres trajets, d'autres jeux.  Et, quand elles m'arrivent, elles ne peuvent pas savoir comment je marche et où  je veux aller. Elle doivent s'habituer petit à petit , mais entre -temps, mes pieds grandissent , mes chaussures deviennent trop serrées et c'est reparti pour un tour. page 11

Maddalena  parle dans un entonnoir en fer qui lui fait une grosse voix. " Quand il a fallu chasser les Allemands, nous autres femmes, on a fait notre devoir. Mère, filles, épouses, jeunes et vieilles: on es toutes descendues dans la rue et on s'est battues. Vous y étiez, j'y étais moi aussi.  Maintenant, c'est une autre bataille, mais contre des ennemis les plus dangereux: la faim et la pauvreté. Et si vous vous battez,  vos enfants seront victorieux." Chaque mère regarde les siens. " Ils vous reviendront  plus en chair et plus beaux. Et vous serez récompensés  des innombrables efforts que vous aurez dû fournir jusque-là. .."page 43

(A la gare) Chacun reçoit une paire de chaussures marron toutes neuves, brillantes, avec des lacets, mais trop petites. "Comment elles te vont? Tu te sens bien? " J'ai fait quelques pas et j'étais à l'étroit. " Bien, bien! Elles me vont très bien" j'ai dit, parce que j'avais peur qu'ils me les reprennent, et je les ai gardées. page 54 Je regarde maman par la fenêtre. Elle se serre dans son châle, en silence. Le silence, c'est sa spécialité. Puis, le train se met à hurler...page 58

Soudain, dans la nuit, une lumière me brûle les yeux. Le train est sorti du tunnel et une grosse lune éclaire tout en blanc. On dirait de la mie de pain. " La neige! je m'exclame pour me convaincre. la neige! la neige" ! je répète de plus en plus fort. page 72

(Amerigo est dans sa famille - chez Derna, à Modène) J'ouvre les yeux, c'est le matin....La dame est dans la cuisine, au fond du couloir. Je l'observe de dos. Elle prépare à manger en écoutant la radio. Des radios je n'en avais vu que dans les maisons de certaines dames qui me donnaient leurs chiffons. Sur la table, il y a une tasse de lait, du pain, un petit pot de confiture, un gros morceau de fromage. ..Et puis, un couteau, une fourchette, une petite cuillère, des tasses et des petites assiettes toutes pareilles, de la même couleur. ..."Tu as fail? J'ai préparé plusieurs choses, je ne sais pas ce que tu aimes. - J'aime tout" je réponds. page 104

On les a fait venir ici, ces pauvres petits.. ;toutes ces heures de voyage, le manque de confort. Et quand ces belles vacances seront fin ies, il leur faudra retourner dans leur misère. Ce n'aurait pas été mieux de leur donner de l'argent à leurs familles, plutôt que de les faire venir ici? " page 131

(Dans une fête) ...maintenant, ils sont tous beaux et élégants, et on ne sait plus qui sont les gosses du Sud et ceux qui étaient déjà dans le Nord.  page 159

(Les enfants doivent rentrer chez eux, le train est en partance de Bologne) Tout ce que j'avis, je ne l'ai p déjà plus: le gâteau pour mon anniversaire, le dix sur dix en mathématiques e M Ferrari, le signaux lumineux à la fenêtre, l'odeur des pianos, le goût du pain qui sort du four, les chemisiers blancs de Derna. J'attrape mon violon (cadeau ) , j'ouvre l'étui, je passe mes doigts sur les cordes et je mis mon prénom sur le rectangle de tissu: Amerigo Speranza....Tommasino a raison. On est coupés en deux , maintenant. page 180

(Arrivée chez lui avec sa maman) Elle pose un verre de lait et du pian d'hier sur la table. " Tu veux manger quelque chose? Tu dois avoir faim après ce voyage " C'est ce que je mangeais avant le partir, mais maintenant, ça m'a l'air d'être un goûter de bric et de broc. Ma vie est redevenue toute petite. J'ouvre la valise et je sors les pots de confiture, le fromage mou et le fromage sec, le jambon et la mortadelle, les friands enveloppés dans le torchon à rayures blanches et jaunes qui sent encore l'odeur de la cuisine de Rosa, les pâtes fraîches qu'elle a faites hier matin: je l'ai aidée à casser les oeufs et à pétrir, j'avais de la farine jusqu'aux coudes. J'ai l'impression que c'était il y a des siècles.....Elle fait le tour de la pièce et ramasse tout ce que j'ai apporté. les habits, les cahiers, la nourriture. je ne vois pas ce qu'elle en fait.  " Tout ça, ça ne sert à rien, ici. Le violon, l'étui, et mon nom dedans disparaissent sous le lit . Je ne dis rien...page 186

(Amerigo travaille chez un savetier) Je ne vois que ça toute la journée. Celles qui sont usées au bout, celles au talon tordu, celles aux lacets cassés, celles qui ont changé de forme au contact des pieds qui les portaient .Les miennes me font mal. C'est Alcide qui me les a achetées, toutes neuves, et maintenant , elles me serrent au talon. Elles sont encore en bon état , c'est mes pieds qui ont grandi et qui ne vont plus.  page 197

(Amerigo se rend chez Maddalena qui a organisé le séjour à Modane) Elle me donne le paquet de lettres. Dedans, il y a les mots de Derna, de Rosa, de mes frères, de là-haut, d'Alcide. Leurs voix, leurs vid=sages, les odeurs explosent dans ma tête. je me lève d'un bond, les lettres tombent par terre. " Ils t'avaient des colis de nourriture, comme personne ne venait les chercher, je les ai distribués à des gens qui en avaient besoin. C'aurait été dommage de gaspiller.......Elle ne t'a rien dit" finit par dire Maddalena...;" - Maman est méchante" Je pars en courant....page 204 (Il se rend chez sa mère) "Où est mon violon? " je demande sans bouger du lit. Elle ne répond pas...Je ne bouge pas. " Je veux savoir où est mon violon" J'ai la voix qui tremble. " Un violon, ça ne donne pas à manger. Un violon, c'est pour les gens qui ont déjà tout ce qu'il leur faut.- Il était à moi! Où est-il? " Cette fois, je crie. Il est là où il doit être...Avec l'argent du violon, j'ai acheté à manger et tes nouvelles chaussures...."page 207

1994 ( page 217) Amerigo a quitté sa mère et s'est enfui à Modane, il est devenu un violoniste réputé. Il revient chez lui à la mort de sa mère). Chacun perfectionne sa méthode pour ne pas mourir et tout le monde se trompe. On se trompe quand on pense échapper à la mort en se préparant une sauce genovese pour le lendemain. On se trompe quand on s'enfuit dans une autre ville à la recherche d'un destin différent. On se trompe quand on pense que la musique nous protègera. Il n'y a pas de refuge. la mort vient chercher tout le monde et peut-être que moi aussi, je mourrai ici, de peur, de chaud et de mélancolie. page 240

" Tu as connu tout ça. Tu as été aidé, tu as fait des études, tu es devenu un musicien reconnu. Tuas eu ta chance, tu es devenu quelqu'un de bien, et tu sais que ça vaut toujours la peine d'essayer, même si parfois on se trompe. ..On doit faire tout ce qu'on peut faire" Maggalena à Amerigo.page 253

Je conserve mes doutes, je les porte en moi, ils me tiennent compagnie. Je n'ai rien résolu et ça n'a aucune importance.  page 89

lundi, septembre 06, 2021

BILLY WILDER ET MOI ( Jonathan COE ) 2021.

 Dans la chaleur exaltante de l'été 1977, la jeune Calista quitte sa Grèce natale pour découvrir le monde. Sac au dos, elle traverse les Etats-Unis et se retrouve à Los Angeles , où elle fait une rencontre qui bouleverse sa vie: par le plus grand des hasards, la voici à la table du célèbre cinéaste hollywoodien, Billy Wilder, dont elle ne connaît absolument rien. Quelques mois plus tard, sur une île grecque, transformée en plateau de cinéma, elle retrouve le réalisateur et devient interprète le temps d'un fol été, sur le tournage de son avant-dernier film, Fedora.  Tandis que la jeune femme s'enivre de cette nouvelle aventure, dans les coulisses du septième art, Billy Wilder vit ce tournage comme son chant du cygne. Conscient que sa gloire commence  à se faner, rejeté par les studios américains et réalisant un film auquel peu de personnes croient vraiment, il entraîne Calista sur la piste de son passé, au coeur de ses souvenirs familiaux les plus sombres.

Roman de formation touchant et portrait intime d'une des figures les plus emblématiques du cinéma, Billy Wilder et moi  reconstitue avec une fascinante précision, l'atmosphère d'une époque. Jonathan Coe raconte, avec tendresse, humour et nostalgie les dernières années de carrière d'une icône, et nous offre une histoire irrésistible du temps qui passe, la célébrité , la famille et le poids du passé. 

Les jeunes gens  ne remarquent pas les sentiments de leurs parents, ne se rendent pas compte qu'ils en ont, la plupart du temps.  Pour eux, tout ce qui touche aux émotions de leurs parents, ce sont de bienheureux sociopathes. page 29   

Je (Calista) ne savais rien à l'époque, des Anglais et de leur besoin compulsif de dissimuler leurs sentiments. page 33 (Calista et Gill sont à Los Angeles, elles se rendent à un restaurant invitées par un ami du père de Gill) Bien sûr, si j'avais su que ce repas allait marquer dans ma vie un changement de cap majeur, j'aurais sûrement vu les choses autrement, mais je n'en avais pas la moindre idée. page 35 Ce fut ma première impression de Monsieur Wilder. Il portait également des lunettes à verre épais, et malgré son air abattu, ses yeux ne purent s'empêcher de s'illuminer en nous voyant approcher de la table, Gill et moi, avec nos tee-shirts minables et nos shorts en jean effilochés. page 38

Les gens que ne connaissent  la Grèce que de l'extérieur,  et savent que nus vivions alors sous une junte militaire s'interrogent parfois:  " Comment pouviez - vous être heureux? " Ce à quoi, je répondrais simplement : Ma vie continue. IL faut que la situation soit vraiment, vraiment  terrible pour empêcher la vie de continuer. Il y avait le monde extérieur, celui de la politique et de l'histoire, et puis, il y avait le monde intérieur, celui de la musique et de la famille et ces deux univers ne se croisaient jamais. page 75

Et je pris conscience que, pour un homme comme lui, un homme fondamentalement mélancolique, un homme pour qui la marche du monde ne serait jamais qu'une source de regrets et de déceptions, l'humour n'était pas seulement beau mais nécessaire, que raconter une bonne blague, pouvait naître un moment fugace, mais délicieux, où la vie prenait un sens particulier et ne semblait plus arbitraire,  chaotique ni inexplicable. page 124

L'ombre du veuvage l'avait quittée depuis longtemps, pour être remplacée par l'excitation de se retrouver grand-mère. L'énergie de ces fillettes , leur fraîcheur, leur enthousiasme pour la vie avaient pénétré en elel comme par osmose. page 226

...C'est curieux comme parfois, les  idées les plus importantes et les plus lourdes de vérité vous viennent pendant l'accomplissement d'un geste routinier, alors qu'une partie de votre esprit est focalisée sur tout autre chose. page 227

" Tu sais, j'ai soixante et onze ans maintenant, je sais ce que c'est d'être vieux et je peux te dire que c'est sacrément casse-pieds. Tout se met à se  déliter, olus rien ne fonctionne comme avant. page 262.