Antoine Choplin est né en 1962 à Châteauroux dans l'Indre. J'ai déjà lu un de ses livres "Le Héron de Guernica". Voici en autre "Radeau". Petit livre facile à lire, écrit avec délicatesse.
1940. En pleine débâcle, Louis au volant d'un camion, fuit devant l'arrivée prochaine des Allemands. Sa cargaison est précieuse. Il transporte des tableaux du Louvre qu'il faut mettre à l'abri. Sur la route, il dépasse une femme. Les consignes sont strictes: il ne doit pas s'arrêter. Et pourtant...
Antoine Choplin conte son histoire d'amour avec beaucoup de délicatesse, de retenue, de pudeur comme s'il ne voulait pas importuner ses personnages. Il les observe, s'attache à des détails, avec une économie de mots comme si cette "bulle amoureuse "les protégeaient d'un danger potentiel.
"Pour vous, Sarah, c'est quoi les choses qui comptent dans la vie? Elle le regarde. Elle dit: c'est curieux comme question. C'est curieux de dire dans la vie parce que je ne vois rien d'autre qui compte vraiment que la vie elle-même."
Où étiez-vous, lui demande Louis. Elle hésite avant dire: Je ne sais pas très bien au juste. Quelque part où tout était un peu sombre et entrelacé. Louis a dit que c'est vrai, les rêves sont des lieux pour faire des entrelacements.
Elle dit qu'elle vient de marcher aux alentours, que c'est un beau pays, aux couleurs douces, aux pierres qui racontent , que c'est un pays de poètes."
vendredi, août 30, 2013
lundi, août 19, 2013
MAN (Kim Thuy)
"Kim Thuy , née à Saigon pendant l'offensive du Têt, a fui le Vietnam avec d'autres boat-people à l'âge de dix ans. Ru son premier roman a enthousiasmé les lecteurs de vingt pays.
Voici son deuxième roman. Man, la narratrice, a quitté Saigon, pour rejoindre son mari, un restaurateur vietnamien, exilé au Québec Mariage arrangé, bien sûr, l'époux ayant été choisi par sa mère. Elle s'installe dans cette nouvelle vie sans véritables espoirs, ni regrets, semblant ne rien attendre de précis dans cette existence entièrement dévouée au travail. Elle s'investit en cuisine, concoctant des plats qui, parfois, tirent es larmes aux clients. C'est sa meilleure amie, Julie, qui va l'ouvrir au monde et lui faire trouver le juste équilibre entre le rigidité de son éducation vietnamienne et les postures démonstratives propres aux Occidentaux: prendre ses enfants dans ses bras, les embrasser, chanter à voix haute...Et puis, il y a Luc, rencontré en France après la parution d'un ouvrage culinaire devenu un best-seller. Luc, l'homme marié, qui deviendra l'amant passionné, celui dont elle gardera en mémoire , chacune des parcelles de la peau. Celui , grâce auquel elle osera " se regarder nue longuement dans un miroir". Une histoire d'amour aussi brûlante qu'impossible."
Maman et moi, nous ne nous ressemblons pas. Elle est petite, et moi, je suis grande. Elle a le teint foncé, et moi, j'ai la peau des poupées françaises. Elle a un trou dans le mollet, et moi, j'ai un trou dans le cœur. Ma première mère, celle qui m'a conçue et mise au monde , avait un trou dans la tête...Ma deuxième mère, celle qui m'a cueillie dans un potager au milieu des plants d'okra, avait un trou dans la foi. Elle ne croyait plus aux gens, surtout quand ils parlaient...Ma troisième mère, celle qui m'a vue tenter mes premiers pas, est devenue Maman, ma maman...Elle m'a donné une nouvelle naissance. page 9
(le jour de son mariage) Je suis restée debout à le regarder et je regrettais qu'il ne puisse se voir entouré de toutes ces fleurs. A cet instant précis, j'ai su que je resterais toujours debout, qu'il ne penserait jamais à me faire une place à côté de lui parce qu'il n'était qu'un homme seul et esseulé. page 17
Maman a vu sa vie se renverser au son du premier tir d'une embuscade entre deux rives, entre l'Est et l'Ouest, entre la résistance qui réclamait l'indépendance et le régime en place qui enseignait aux élèves aux yeux bridés à dire : "nos ancêtres, les Gaulois" sans y voir d'incohérence. page 27
Maman s'est réveillée dans le coin d'une hutte en paille, entourée de sons familiers. Tout près, les crépitements du charbon, le bruissement des feuilles de palmiers d'eau...Elle a ainsi cessé d'avoir peur. Dans ce village, il n'y avait plus de "femme" ou "homme" , ni de "tante" ou "grand-oncle", seulement des camarades. Elle est devenue camarade Nhan, un nom qu'elle s'est donné avant d'ouvrir les yeux pour la première fois, un nom qui n'avait ni bagage ni de famille. (Elle a jeté par-dessus bord ses papiers d'identité à l'arrivée des communistes)...Elle a vécu cinq ans dans ce village...Elle aurait pu, peut-être, s'échapper et retourner chez elle...Personne ne l'avait torturée. Personne ne l'avait interrogée. On avait seulement exigé d'elle des dissertations et des présentations sur le patriotisme, le courage, l'indépendance, le colonialisme, le sacrifice. Elle avait honte de rester à l'intérieur de ces frontières invisibles parce qu'elle voulait épargner à sa famille des soupçons et des accusations de trahison si elle retournait habiter avec eux après avoir vécu sur l'autre rive, chez l'ennemi. Elle y est restée aussi pour elle, pour éviter de vivre. dans ce village, il n'y avait qu'à suivre. pages 29, 30
Moi, je n'ai jamais su qui était mon géniteur. Les mauvaises langues prétendent qu'il est blanc, grand et colonisateur puisque j'ai le nez fin et la peau diaphane...Je m'appelle Man, qui veut dire "parfaitement comblée" ou "qu'il ne reste rien à désirer" ou que "tous les voeux ont été exaucés". page 34
Une fois, j'ai entendu dire... qu'il ne faut poser que des questions auxquelles on a déjà des réponses...Je ne trouverai jamais de réponses à mes questions, et c'est peut-être pour cette raison que je n'en ai jamais posé. page 37
Dès que j'ai su écrire, Maman m'a imposé des dictées tous les soirs, qu'il y ait une panne d'électricité ou non. Elle me lisait le livre de Maupassant à la lueur d'une lampe à huile de la taille d'un verre. Nous alternions pour avoir la lumière de la flamme...Avant de se coucher, Maman remettait le livre au fond de sa boîte métallique et l'enterrait dans une cachette. C'était le plus grand des secrets puisque les livres étrangers étaient bannis, surtout les romans, plus précisément la frivolité de la fiction. page 45
(des fiancés)) On ne leur souhaite pas l'amour mais le bonheur; et en double: le mot est écrit deux fois... Les jeunes mariés ne s'encombrent pas des inquiétudes de ceux qui ont vécu l'épreuve avant eux...Et croient que le bonheur vient immanquablement avec le mariage ou l'inverse. page 49
Quand les Vietnamiens se rencontrent, le village d'origine et l'arbre généalogique sont les deux sujets qui ouvrent la plupart des conversations, parce que nous croyons fermement que nous sommes ce que nos ancêtres ont été, que nos destins répondent aux gestes des vies qui nous ont précédés. les moins vieux se souvenaient des frères et des sœurs de Maman et savaient que je ne leur ressemblais pas. On enviait mes jambes effilées mais on craignait l'histoire irrégulière dissimulée derrière mes courbes trop prononcées. page 53
Beaucoup de livres en français et en anglais avaient été confisqués pendant les années de chaos politique On ne connaîtra jamais le sort de ces livres, mais certains avaient survécu en pièces détachées...page 57
Julie m'a fait découvrir un lieu en dehors de mon quotidien afin que je voie l'horizon, afin que je désire l'horizon. Elle voulait que j'apprenne à respirer profondément et non plus suffisamment...Elle faisait mon éducation en langues, en gestes, en émotions. A plusieurs reprises, elle m'a placée devant un miroir en m'obligeant à converser avec elle tout en nous regardant afin que je puisse constater l'immobilité de mon corps par rapport au sien. page 65
...Le visage de Maman, comme celui de mon mari, ne laissait transparaître ni la peine ni la joie, et encore moins le plaisir, alors que je pouvais tout lire sur celui de Julie. page 67
Il est dit que le bonheur ne s'achète pas. Or, j'ai appris de Julie que par lui-même le bonheur se multiplie, se partage, s'adapte à chacun d'entre nous. page 74
La Palanche ( un livre de recettes écrit pas Man) séduisait Paris, où bon nombre de lecteurs avaient entretenu une relation intime avec le Vietnam. page 82
Luc (un Français né au Vietnam) m'a entraînée dans ces contes de fées en me couvrant de son manteau de duvet, dont les manches m'arrivaient aux genoux. Je suis montée maladroitement derrière lui sur le scooter et nous avons traversé Paris jusqu'à la résidence de sa mère.pages 93, 94
Sur le chemin du retour, Luc m'a pointé du doigt les coquelicots qui coloraient le bord des autoroutes...Quant à moi, je vivais un rêve éveillé dans lequel je n'osais pas cligner des yeux de peur que tout disparaisse. page 97
J'ai proposé que nous mangions à la table des enfants afin de recréer l'ambiance des restaurants de rue ...Luc a voulu les faire rire en attrapant un cube ( de mangue) qui leur était destiné. Son mouvement brusque l'a fait glisser, alors par réflexe, nous l'avons tous les deux attrapé au vol. Je me suis retrouvée à un iota de ses lèvres. Jusqu'à ce moment précis, je n'avais jamais ressenti le désir d'embrasser sur la bouche de qui que ce soit. page 101
Mon mari et moi n'avions pas adopté les baisers que les couples se donnent en guise de salutation ou de préliminaires...Il suffisait de dire "être proche" pour comprendre qu'il y avait eu relation sexuelle. Il suffisait que mon mari se tourne vers moi pour que je comprenne mon devoir d'épouse. page 102
Comme Luc, j'avais fait un mariage parfait jusqu'à ce qu'il dégage mes cheveux avec le dos de ses mains et hume le côté de mon cou en me demandant de ne pas bouger, sinon il tomberait et hurlerait. ...J'étais restée immobile devant lui, dépassée par cette secousse d'émotions qui m'était si étrangère. Il m'avait regardée traverser la ligne de sécurité, partir sans date ni promesse de retour. page 104
L'intimité entre mes enfants et Julie m'a toujours rassurée. Ils s'embrassaient, s'enlaçaient, se murmuraient des secrets et des mots doux...Je remerciais aussi Philippe (qui travaille aux cuisines) de leur avoir répété, sans cesse les mots: "je t'aime" avec ses cœurs dessinés, modelés, écrits sur des tuiles aux amandes, des guimauves, des jujubes, des mousses au chocolat...De toutes les lettres que j'avais écrites à Maman, aucune ne contenait ces trois mots : "Tu me manques", et pourtant chacun des détails racontés souffrait de cette absence. page 109
A mon retour de Paris, mon visage m'avait peut-être trahie. Maman avait tout de suite saisi ma fébrilité, malgré le déferlement des cadeaux sur la table du salon. Page 114
Au fil des semaines suivant mon retour, Luc m'a construit un nouvel univers avec des mots inusités, dont "mon ange", devenu exclusivement mien. Dans ma tête, je n'entendais plus que sa voix qui prenait de mes nouvelles tous les matins à 8h06, heure à laquelle je commençais ma journée de travail. page 115
Luc s'est endormi à côté de moi alors qu'il n'avait jamais pu s'abandonner au sommeil dans les bras d'une maîtresse. Pour ma part, j'avais appris à m'endormir rapidement, sur commande, afin que mes paupières servent de rideaux descendant sur les paysages ou les scènes dans lesquels je préférais m'absenter...Etrangement, pendant cette journée volée au temps, je n'ai pas pu fermer l'œil. Je gravais dans ma mémoire chacune des parcelles de la peau de Luc. page 125
Il est reparti le lendemain après-midi en me demandant de coudre un de mes cheveux dans le tissage de son veston et un autre dans le fond de la poche droite de son jean. page 132
La dernière fois que nous nous sommes vus à Paris, alors que nous fermions ma valise à la hâte, Luc m'a demandé: " Si je me présentais à ta porte la semaine prochaine, que dirais-tu? " Par réflexe, sans même avoir pris le temps de suspendre mes gestes, j'ai répondu par un seul mot: "Catastrophe", en l'embrassant. C'était une réelle question et je ne l'ai pas comprise. page 134
J'ignorais que beaucoup de larmes avaient coulé chez lui, que des mots indicibles avaient été lancés et des blessures, infligées. Quand j'ai finalement saisi l'étendue de sa question et la portée de ma réponse, il était déjà trop tard. page 135
J'ai retenu mon souffle pour me couper en deux, m'amputer de Luc, mourir en partie. Sinon, il mourrait en entier, déchiré en deux, en sept, déchiqueté en mille morceaux, faisant de ses enfants des blessés collatéraux. page 136
Moi, je possédais l'éternité parce que le temps est infini quand on n'attend rien....Heureusement, la langue vietnamienne ne comporte pas de temps de verbe. Tout se dit à l'infinitif, au temps présent. Ainsi, il m'était facile d'oublier d'ajouter "demain", "hier", ou "jamais" à mes phrases pour que la voix de Luc redevienne sonore. pages 137, 138
Voici son deuxième roman. Man, la narratrice, a quitté Saigon, pour rejoindre son mari, un restaurateur vietnamien, exilé au Québec Mariage arrangé, bien sûr, l'époux ayant été choisi par sa mère. Elle s'installe dans cette nouvelle vie sans véritables espoirs, ni regrets, semblant ne rien attendre de précis dans cette existence entièrement dévouée au travail. Elle s'investit en cuisine, concoctant des plats qui, parfois, tirent es larmes aux clients. C'est sa meilleure amie, Julie, qui va l'ouvrir au monde et lui faire trouver le juste équilibre entre le rigidité de son éducation vietnamienne et les postures démonstratives propres aux Occidentaux: prendre ses enfants dans ses bras, les embrasser, chanter à voix haute...Et puis, il y a Luc, rencontré en France après la parution d'un ouvrage culinaire devenu un best-seller. Luc, l'homme marié, qui deviendra l'amant passionné, celui dont elle gardera en mémoire , chacune des parcelles de la peau. Celui , grâce auquel elle osera " se regarder nue longuement dans un miroir". Une histoire d'amour aussi brûlante qu'impossible."
Maman et moi, nous ne nous ressemblons pas. Elle est petite, et moi, je suis grande. Elle a le teint foncé, et moi, j'ai la peau des poupées françaises. Elle a un trou dans le mollet, et moi, j'ai un trou dans le cœur. Ma première mère, celle qui m'a conçue et mise au monde , avait un trou dans la tête...Ma deuxième mère, celle qui m'a cueillie dans un potager au milieu des plants d'okra, avait un trou dans la foi. Elle ne croyait plus aux gens, surtout quand ils parlaient...Ma troisième mère, celle qui m'a vue tenter mes premiers pas, est devenue Maman, ma maman...Elle m'a donné une nouvelle naissance. page 9
(le jour de son mariage) Je suis restée debout à le regarder et je regrettais qu'il ne puisse se voir entouré de toutes ces fleurs. A cet instant précis, j'ai su que je resterais toujours debout, qu'il ne penserait jamais à me faire une place à côté de lui parce qu'il n'était qu'un homme seul et esseulé. page 17
Maman a vu sa vie se renverser au son du premier tir d'une embuscade entre deux rives, entre l'Est et l'Ouest, entre la résistance qui réclamait l'indépendance et le régime en place qui enseignait aux élèves aux yeux bridés à dire : "nos ancêtres, les Gaulois" sans y voir d'incohérence. page 27
Maman s'est réveillée dans le coin d'une hutte en paille, entourée de sons familiers. Tout près, les crépitements du charbon, le bruissement des feuilles de palmiers d'eau...Elle a ainsi cessé d'avoir peur. Dans ce village, il n'y avait plus de "femme" ou "homme" , ni de "tante" ou "grand-oncle", seulement des camarades. Elle est devenue camarade Nhan, un nom qu'elle s'est donné avant d'ouvrir les yeux pour la première fois, un nom qui n'avait ni bagage ni de famille. (Elle a jeté par-dessus bord ses papiers d'identité à l'arrivée des communistes)...Elle a vécu cinq ans dans ce village...Elle aurait pu, peut-être, s'échapper et retourner chez elle...Personne ne l'avait torturée. Personne ne l'avait interrogée. On avait seulement exigé d'elle des dissertations et des présentations sur le patriotisme, le courage, l'indépendance, le colonialisme, le sacrifice. Elle avait honte de rester à l'intérieur de ces frontières invisibles parce qu'elle voulait épargner à sa famille des soupçons et des accusations de trahison si elle retournait habiter avec eux après avoir vécu sur l'autre rive, chez l'ennemi. Elle y est restée aussi pour elle, pour éviter de vivre. dans ce village, il n'y avait qu'à suivre. pages 29, 30
Moi, je n'ai jamais su qui était mon géniteur. Les mauvaises langues prétendent qu'il est blanc, grand et colonisateur puisque j'ai le nez fin et la peau diaphane...Je m'appelle Man, qui veut dire "parfaitement comblée" ou "qu'il ne reste rien à désirer" ou que "tous les voeux ont été exaucés". page 34
Une fois, j'ai entendu dire... qu'il ne faut poser que des questions auxquelles on a déjà des réponses...Je ne trouverai jamais de réponses à mes questions, et c'est peut-être pour cette raison que je n'en ai jamais posé. page 37
Dès que j'ai su écrire, Maman m'a imposé des dictées tous les soirs, qu'il y ait une panne d'électricité ou non. Elle me lisait le livre de Maupassant à la lueur d'une lampe à huile de la taille d'un verre. Nous alternions pour avoir la lumière de la flamme...Avant de se coucher, Maman remettait le livre au fond de sa boîte métallique et l'enterrait dans une cachette. C'était le plus grand des secrets puisque les livres étrangers étaient bannis, surtout les romans, plus précisément la frivolité de la fiction. page 45
(des fiancés)) On ne leur souhaite pas l'amour mais le bonheur; et en double: le mot est écrit deux fois... Les jeunes mariés ne s'encombrent pas des inquiétudes de ceux qui ont vécu l'épreuve avant eux...Et croient que le bonheur vient immanquablement avec le mariage ou l'inverse. page 49
Quand les Vietnamiens se rencontrent, le village d'origine et l'arbre généalogique sont les deux sujets qui ouvrent la plupart des conversations, parce que nous croyons fermement que nous sommes ce que nos ancêtres ont été, que nos destins répondent aux gestes des vies qui nous ont précédés. les moins vieux se souvenaient des frères et des sœurs de Maman et savaient que je ne leur ressemblais pas. On enviait mes jambes effilées mais on craignait l'histoire irrégulière dissimulée derrière mes courbes trop prononcées. page 53
Beaucoup de livres en français et en anglais avaient été confisqués pendant les années de chaos politique On ne connaîtra jamais le sort de ces livres, mais certains avaient survécu en pièces détachées...page 57
Julie m'a fait découvrir un lieu en dehors de mon quotidien afin que je voie l'horizon, afin que je désire l'horizon. Elle voulait que j'apprenne à respirer profondément et non plus suffisamment...Elle faisait mon éducation en langues, en gestes, en émotions. A plusieurs reprises, elle m'a placée devant un miroir en m'obligeant à converser avec elle tout en nous regardant afin que je puisse constater l'immobilité de mon corps par rapport au sien. page 65
...Le visage de Maman, comme celui de mon mari, ne laissait transparaître ni la peine ni la joie, et encore moins le plaisir, alors que je pouvais tout lire sur celui de Julie. page 67
Il est dit que le bonheur ne s'achète pas. Or, j'ai appris de Julie que par lui-même le bonheur se multiplie, se partage, s'adapte à chacun d'entre nous. page 74
La Palanche ( un livre de recettes écrit pas Man) séduisait Paris, où bon nombre de lecteurs avaient entretenu une relation intime avec le Vietnam. page 82
Luc (un Français né au Vietnam) m'a entraînée dans ces contes de fées en me couvrant de son manteau de duvet, dont les manches m'arrivaient aux genoux. Je suis montée maladroitement derrière lui sur le scooter et nous avons traversé Paris jusqu'à la résidence de sa mère.pages 93, 94
Sur le chemin du retour, Luc m'a pointé du doigt les coquelicots qui coloraient le bord des autoroutes...Quant à moi, je vivais un rêve éveillé dans lequel je n'osais pas cligner des yeux de peur que tout disparaisse. page 97
J'ai proposé que nous mangions à la table des enfants afin de recréer l'ambiance des restaurants de rue ...Luc a voulu les faire rire en attrapant un cube ( de mangue) qui leur était destiné. Son mouvement brusque l'a fait glisser, alors par réflexe, nous l'avons tous les deux attrapé au vol. Je me suis retrouvée à un iota de ses lèvres. Jusqu'à ce moment précis, je n'avais jamais ressenti le désir d'embrasser sur la bouche de qui que ce soit. page 101
Mon mari et moi n'avions pas adopté les baisers que les couples se donnent en guise de salutation ou de préliminaires...Il suffisait de dire "être proche" pour comprendre qu'il y avait eu relation sexuelle. Il suffisait que mon mari se tourne vers moi pour que je comprenne mon devoir d'épouse. page 102
Comme Luc, j'avais fait un mariage parfait jusqu'à ce qu'il dégage mes cheveux avec le dos de ses mains et hume le côté de mon cou en me demandant de ne pas bouger, sinon il tomberait et hurlerait. ...J'étais restée immobile devant lui, dépassée par cette secousse d'émotions qui m'était si étrangère. Il m'avait regardée traverser la ligne de sécurité, partir sans date ni promesse de retour. page 104
L'intimité entre mes enfants et Julie m'a toujours rassurée. Ils s'embrassaient, s'enlaçaient, se murmuraient des secrets et des mots doux...Je remerciais aussi Philippe (qui travaille aux cuisines) de leur avoir répété, sans cesse les mots: "je t'aime" avec ses cœurs dessinés, modelés, écrits sur des tuiles aux amandes, des guimauves, des jujubes, des mousses au chocolat...De toutes les lettres que j'avais écrites à Maman, aucune ne contenait ces trois mots : "Tu me manques", et pourtant chacun des détails racontés souffrait de cette absence. page 109
A mon retour de Paris, mon visage m'avait peut-être trahie. Maman avait tout de suite saisi ma fébrilité, malgré le déferlement des cadeaux sur la table du salon. Page 114
Au fil des semaines suivant mon retour, Luc m'a construit un nouvel univers avec des mots inusités, dont "mon ange", devenu exclusivement mien. Dans ma tête, je n'entendais plus que sa voix qui prenait de mes nouvelles tous les matins à 8h06, heure à laquelle je commençais ma journée de travail. page 115
Luc s'est endormi à côté de moi alors qu'il n'avait jamais pu s'abandonner au sommeil dans les bras d'une maîtresse. Pour ma part, j'avais appris à m'endormir rapidement, sur commande, afin que mes paupières servent de rideaux descendant sur les paysages ou les scènes dans lesquels je préférais m'absenter...Etrangement, pendant cette journée volée au temps, je n'ai pas pu fermer l'œil. Je gravais dans ma mémoire chacune des parcelles de la peau de Luc. page 125
Il est reparti le lendemain après-midi en me demandant de coudre un de mes cheveux dans le tissage de son veston et un autre dans le fond de la poche droite de son jean. page 132
La dernière fois que nous nous sommes vus à Paris, alors que nous fermions ma valise à la hâte, Luc m'a demandé: " Si je me présentais à ta porte la semaine prochaine, que dirais-tu? " Par réflexe, sans même avoir pris le temps de suspendre mes gestes, j'ai répondu par un seul mot: "Catastrophe", en l'embrassant. C'était une réelle question et je ne l'ai pas comprise. page 134
J'ignorais que beaucoup de larmes avaient coulé chez lui, que des mots indicibles avaient été lancés et des blessures, infligées. Quand j'ai finalement saisi l'étendue de sa question et la portée de ma réponse, il était déjà trop tard. page 135
J'ai retenu mon souffle pour me couper en deux, m'amputer de Luc, mourir en partie. Sinon, il mourrait en entier, déchiré en deux, en sept, déchiqueté en mille morceaux, faisant de ses enfants des blessés collatéraux. page 136
Moi, je possédais l'éternité parce que le temps est infini quand on n'attend rien....Heureusement, la langue vietnamienne ne comporte pas de temps de verbe. Tout se dit à l'infinitif, au temps présent. Ainsi, il m'était facile d'oublier d'ajouter "demain", "hier", ou "jamais" à mes phrases pour que la voix de Luc redevienne sonore. pages 137, 138
lundi, août 12, 2013
AMOURS NOMADES (Isabelle Eberhardt)
"Nationalité, nom, sexe, tout semble faire problème chez cette jeune Russe sans Russie (elle ne connaîtra jamais le pays dont elle parle la langue), qui ne porte pas le nom de son père et se ressent durement de sa naissance (Trofimovski est là pourtant, il vit avec sa mère et assure son éducation), chez cette fille qui se veut garçon, matelot, Bédouin, nomade de toutes les façons: "J'ai renoncé à avoir un coin à moi, en ce monde, un foyer, la paix, la fortune. J'ai revêtu la livrée, parfois bien lourde, du vagabond et des sans-patrie" notera-t-elle dans Mes Journaliers, à la date du 18 janvier 1900.
Le leurre de la colonisation a rendu le monde arabe presque familier alors qu'il demeure parfaitement étrange, radicalement différent et ne se laisse découvrir que par qui a pris la peine de l'apprendre en s'en imprégnant, lentement et longuement. c'est la parti pris d'Isabelle Eberhardt, qui se familiarise peu à peu avec les mœurs et les dialectes des régions qu'elle parcourt..."Un droit que bien peu d'intellectuels se soucient de revendiquer, c'est le droit à l'errance, au vagabondage... Pour qui connaît la valeur mais aussi la délectable saveur de la solitaire liberté (car on n'est libre que tant qu'on est seul), l'acte de s'en aller est le plus courageux et le plus beau...Etre seul, être pauvre de besoins, être ignoré, étranger, chez soi et partout, et marcher, solitaire et grand à la conquête du monde" Heures de Tunis , 1902. La voyageuse, on le voit, emploie toujours le masculin pour se désigner, ses notes personnelles ne font pas exception sur ce point . pages 10, 11, 12"
C'est une grave erreur de croire que l'on peut faire des études de mœurs populaires sans se mêler au milieu que l'on étudie, sans vivre leur vie. page 19
Je me grisais de sa voix (celle d'Ahmed) en cette langue arabe qu'il parlait aussi bien que sa langue maternelle, le turc. Il développait d 'ingénieuses et subtiles théories d'art, de philosophie, toujours empreintes de son souriant épicurisme voluptueux et indolent. Il m'écoutait aussi lui dire mes pensées à moi, mes doutes, mes séductions...Mon déguisement et le titre de sidi (monsieur) que me décernaient naïvement les Arabes faisaient beaucoup rire Ahmed...En amour, il était voluptueux et raffiné, semblable à une sensitive que tout contact brutal fait souffrir. Pour lui, le plaisir des sens n'était la volupté suprême. Il y ajoutait la volupté intellectuelle, infiniment supérieure. pages 31, 32
Achoura, comme toutes les filles de sa race, regardait le trafic de son corps comme le seul gage d'affranchissement accessible à une femme. Elle ne voulait plus de la claustration domestique, elle voulait vivre au grand jour et elle n'avait point honte d'être ce qu'elle était. Cela lui semblait légitime et ne gênait pas son amour pour l'élu (un chérif), car l'idée ne lui vint même jamais d'assimiler leurs ineffables ivresses à ce qu'elle appelait du mot sabir et cynique de "coummerce".page 37
Si Allela avait parlé en vers, en un arabe ancien et savant et cependant Melika avait compris et son sourire disait sa joie. Dans une chambre tapissée de faïence et ont un léger rideau fermait la porte, Si Allela goûta une ivresse inconnue, en gamme ascendante dans l'intensité inouïe de la sensation allant jusqu'à l'apothéose. Au réveil, Si Allela eut la conscience très nette d'être devenu autre. L'ennui avait disparu et il sentait son cœur empli d'une tiédeur ignorée qui remontait vers son esprit, en joie, sans cause apparente...Un morne ennui , une sourde irritation l'envahissaient, une impatience en face de la nécessité de passer encore une journée dans cette boutique, loin de Malika. Et pourtant, il fallait se soumettre. la vie musulmane est ainsi faite, toute de discrétion, de mystère, de respect des vieilles coutumes et surtout de soumission patriarcale. pages 46, 47
Elle (Taalith) se souvenait , comme d'un rêve très beau, de jours plus gais sur des coteaux riants que dorait le soleil, au pied des montagnes puissantes que des gorges déchiraient, ouvraient sur la tiédeur bleue de l'horizon...Petite bergère libre et rieuse, elle avait joué là, dans le bain continuel de la bonne lumière vivifiante, les membres robustes, presque nus, au soleil. Puis, elle songeait avec un frisson retrouvé aux épousailles magnifiques, quand elle avait été donnée à Reski ou Saïd, le beau chasseur qu'elle aimait...Puis , les heures noires étaient venues... Une nuit, des voleurs de chevaux avaient tué Rezki d'un coup de fusil...Son beau-père voulait la remarier, la donner à son associé laid et vieux. -J'aime Rezki, répondait-elle. Et c'était vrai. Elle aimait l'époux-amant mort, celui dont sa chair gardait le souvenir douloureusement doux. Pages 60, 61
(Dimitri) Et c'était sa vie, cette contemplation calme, depuis qu'il avait cru comprendre que nous portons notre bonheur en nous-mêmes et que ce que nous cherchons dans le miroir mobile des choses, c'est notre propre image. page 69
Plus Dmitri se familiarisait avec les bergers et les laboureurs arabes, plus il leur trouvait de ressemblance avec les obscurs et pauvres moujiks de son pays. Ils avaient la même ignorance profonde , éclairée par une foi naïve et inébranlable en un bon Dieu et un au-delà où devait régner la justice absent de ce monde...Ils étaient aussi pauvres, aussi misérables, et ils avaient la même soumission passive à l'autorité presque toute puissante de l'administration qui, ici comme là-bas, était la maîtresse de leur sort. Devant l'injustice, ils courbaient la tête, avec la même résignation fataliste. page 72
La grosse Madame Moret, (patronne de Dmitri)pas méchante, mais considérant sincèrement les indigènes comme une race inférieure, était exigeante envers Tatani (une employée mauresque) et la rudoyait souvent, la battant même. Dmitri éprouva pour la petite servante une sorte de pitié douce, de plus en plus attendrie. Bientôt, il lui parla, la questionna sur sa famille. Tatani n'avait plus qu'un frère, ouvrier à Ténès, qui ne s'occupait pas d'elle et auquel elle ne pensait jamais. page 73
Mais un jour, ce frère qui avait abandonné Tatani et qu'elle avait oublié, vint à la ferme réclamer sa sœur qu'il avait promise en mariage. Elle essaya de protester, mais la loi était contre elle et elle dut obéir. sans même avoir pu revoir Dmitri, elle dut voiler, pour la première fois de sa vie, son visage éploré et, montée sur une mule, suivre son frère dans un douar voisin où étaient les parents de sa femme. Elle fut reçue avec dédain. -"Tu devrais encore être bien heureuse qu'un honnête homme veuille t'épouser, toi, une déclassée, une servante de roumi, que tout le monde a vu se débaucher avec des ouvriers." page 77
Un long voile de gaze mauve, transparente, pailletée d'argent, jeté sur un foulard de soie vert tendre, encadrant un visage pâle, ovale, ombrant la peau veloutée, l'éclat des longs yeux sombres. dans le lobe délicat de l'oreille, deux grands cercles d'or ornés d'une perle tremblante, d'un brillant humide de goutte de rosée. Sur la sveltesse juvénile du corps souple, une longue robe de velours violet, aux chauds reflets pourpres, et pour en tamiser et en adoucir le luxe pompeux, une mince tunique de mousseline blanche brochée. La finesse des poignets, chargés de bracelets, où saignaient des incrustations de corail. Des attitudes graves, sourires discrets, beaucoup de tristesse inconsciente souvent, gestes lents et rythmés, balancement voluptueux des hanches, voix de gorge pure et modulée. Fatima Zohra, danseuse du djebel Amour. page 107
Un matin, les pluies lugubres cessèrent et le soleil se leva dans un ciel pur, lavé des vapeurs ternes de l'hiver, d'un bleu profond...Il s'isola, avec celle qu'il aimait, dans la petite maison laiteuse où les heures coulaient , insensibles, délicieusement alanguies, derrière le moucharabieh de bois sculpté, derrière les rideaux aux teintes fanées...Pourquoi s'en aller, pourquoi chercher ailleurs le bonheur, puisque le Vagabond le trouvait là, inexprimable, au fond des prunelles changeantes de l'aimée, où il plongeait ses regards, longtemps, longtemps, jusqu'à ce que l'angoisse indicible de la volupté broyât les deux êtres? ...Le Vagabond et son aimée sortirent de la route, où personne ne passait. Ils se tenaient par la main et ils souriaient dans la nuit. Ils ne se parlèrent pas, car ils se comprenaient mieux en silence. ...Ils s'assirent sur une pierre...Longtemps, le Vagabond regarda la route, la route blanche et large qui s'en allait au loin...Une dernière fois, en se levant, il jeta un long regard à la route: il s'était promis à elle. Ils rentrèrent dans l'ombre vivante de leur jardin et se couchèrent en silence sous un grand camphrier. Au-dessus de leurs têtes, l'arbre de Judée étendit ses bras chargés de fleurs roses qui semblaient violettes , dans la nuit bleue. Le Vagabond regarda son aimée , près de lui.. Il comprit qu'il allait partir à l'aube , et son cœur se serra. Il prit l'une des grandes fleurs en chair du camphrier odorant et la baisa pour y étouffer un sanglot. pages 116, 117, 118
Il (le vagabond) n'avait pas de patrie, pas de foyer, pas de famille, ni même d'amis. Il avait passé comme un étranger, et un intrus, n'éveillant que la réprobation et l'éloignement...Sur aucun point de la terre, aucun être humain ne songeait à lui,, ne souffrait de sa souffrance. Le cœur du vagabond se serra affreusement et des larmes roulèrent dans ses yeux. Puis, plus lucide, calmé, il méprisa sa faiblesse et sourit. S'il était seul, n'était-ce-pas parce qu'il l'avait souhaité, aux heures conscientes où sa pensée s'élevait au-dessus des sentimentalités du cœur et de la chair également infirmes? Etre seul, c'est être libre, et la liberté était le seul bonheur accessible à la nature du vagabond. Alors, il se dit que la solitude était un bien, et une grande paix mélancolique et douce descendit dans son âme. page 126
Le leurre de la colonisation a rendu le monde arabe presque familier alors qu'il demeure parfaitement étrange, radicalement différent et ne se laisse découvrir que par qui a pris la peine de l'apprendre en s'en imprégnant, lentement et longuement. c'est la parti pris d'Isabelle Eberhardt, qui se familiarise peu à peu avec les mœurs et les dialectes des régions qu'elle parcourt..."Un droit que bien peu d'intellectuels se soucient de revendiquer, c'est le droit à l'errance, au vagabondage... Pour qui connaît la valeur mais aussi la délectable saveur de la solitaire liberté (car on n'est libre que tant qu'on est seul), l'acte de s'en aller est le plus courageux et le plus beau...Etre seul, être pauvre de besoins, être ignoré, étranger, chez soi et partout, et marcher, solitaire et grand à la conquête du monde" Heures de Tunis , 1902. La voyageuse, on le voit, emploie toujours le masculin pour se désigner, ses notes personnelles ne font pas exception sur ce point . pages 10, 11, 12"
C'est une grave erreur de croire que l'on peut faire des études de mœurs populaires sans se mêler au milieu que l'on étudie, sans vivre leur vie. page 19
Je me grisais de sa voix (celle d'Ahmed) en cette langue arabe qu'il parlait aussi bien que sa langue maternelle, le turc. Il développait d 'ingénieuses et subtiles théories d'art, de philosophie, toujours empreintes de son souriant épicurisme voluptueux et indolent. Il m'écoutait aussi lui dire mes pensées à moi, mes doutes, mes séductions...Mon déguisement et le titre de sidi (monsieur) que me décernaient naïvement les Arabes faisaient beaucoup rire Ahmed...En amour, il était voluptueux et raffiné, semblable à une sensitive que tout contact brutal fait souffrir. Pour lui, le plaisir des sens n'était la volupté suprême. Il y ajoutait la volupté intellectuelle, infiniment supérieure. pages 31, 32
Achoura, comme toutes les filles de sa race, regardait le trafic de son corps comme le seul gage d'affranchissement accessible à une femme. Elle ne voulait plus de la claustration domestique, elle voulait vivre au grand jour et elle n'avait point honte d'être ce qu'elle était. Cela lui semblait légitime et ne gênait pas son amour pour l'élu (un chérif), car l'idée ne lui vint même jamais d'assimiler leurs ineffables ivresses à ce qu'elle appelait du mot sabir et cynique de "coummerce".page 37
Si Allela avait parlé en vers, en un arabe ancien et savant et cependant Melika avait compris et son sourire disait sa joie. Dans une chambre tapissée de faïence et ont un léger rideau fermait la porte, Si Allela goûta une ivresse inconnue, en gamme ascendante dans l'intensité inouïe de la sensation allant jusqu'à l'apothéose. Au réveil, Si Allela eut la conscience très nette d'être devenu autre. L'ennui avait disparu et il sentait son cœur empli d'une tiédeur ignorée qui remontait vers son esprit, en joie, sans cause apparente...Un morne ennui , une sourde irritation l'envahissaient, une impatience en face de la nécessité de passer encore une journée dans cette boutique, loin de Malika. Et pourtant, il fallait se soumettre. la vie musulmane est ainsi faite, toute de discrétion, de mystère, de respect des vieilles coutumes et surtout de soumission patriarcale. pages 46, 47
Elle (Taalith) se souvenait , comme d'un rêve très beau, de jours plus gais sur des coteaux riants que dorait le soleil, au pied des montagnes puissantes que des gorges déchiraient, ouvraient sur la tiédeur bleue de l'horizon...Petite bergère libre et rieuse, elle avait joué là, dans le bain continuel de la bonne lumière vivifiante, les membres robustes, presque nus, au soleil. Puis, elle songeait avec un frisson retrouvé aux épousailles magnifiques, quand elle avait été donnée à Reski ou Saïd, le beau chasseur qu'elle aimait...Puis , les heures noires étaient venues... Une nuit, des voleurs de chevaux avaient tué Rezki d'un coup de fusil...Son beau-père voulait la remarier, la donner à son associé laid et vieux. -J'aime Rezki, répondait-elle. Et c'était vrai. Elle aimait l'époux-amant mort, celui dont sa chair gardait le souvenir douloureusement doux. Pages 60, 61
(Dimitri) Et c'était sa vie, cette contemplation calme, depuis qu'il avait cru comprendre que nous portons notre bonheur en nous-mêmes et que ce que nous cherchons dans le miroir mobile des choses, c'est notre propre image. page 69
Plus Dmitri se familiarisait avec les bergers et les laboureurs arabes, plus il leur trouvait de ressemblance avec les obscurs et pauvres moujiks de son pays. Ils avaient la même ignorance profonde , éclairée par une foi naïve et inébranlable en un bon Dieu et un au-delà où devait régner la justice absent de ce monde...Ils étaient aussi pauvres, aussi misérables, et ils avaient la même soumission passive à l'autorité presque toute puissante de l'administration qui, ici comme là-bas, était la maîtresse de leur sort. Devant l'injustice, ils courbaient la tête, avec la même résignation fataliste. page 72
La grosse Madame Moret, (patronne de Dmitri)pas méchante, mais considérant sincèrement les indigènes comme une race inférieure, était exigeante envers Tatani (une employée mauresque) et la rudoyait souvent, la battant même. Dmitri éprouva pour la petite servante une sorte de pitié douce, de plus en plus attendrie. Bientôt, il lui parla, la questionna sur sa famille. Tatani n'avait plus qu'un frère, ouvrier à Ténès, qui ne s'occupait pas d'elle et auquel elle ne pensait jamais. page 73
Mais un jour, ce frère qui avait abandonné Tatani et qu'elle avait oublié, vint à la ferme réclamer sa sœur qu'il avait promise en mariage. Elle essaya de protester, mais la loi était contre elle et elle dut obéir. sans même avoir pu revoir Dmitri, elle dut voiler, pour la première fois de sa vie, son visage éploré et, montée sur une mule, suivre son frère dans un douar voisin où étaient les parents de sa femme. Elle fut reçue avec dédain. -"Tu devrais encore être bien heureuse qu'un honnête homme veuille t'épouser, toi, une déclassée, une servante de roumi, que tout le monde a vu se débaucher avec des ouvriers." page 77
Un long voile de gaze mauve, transparente, pailletée d'argent, jeté sur un foulard de soie vert tendre, encadrant un visage pâle, ovale, ombrant la peau veloutée, l'éclat des longs yeux sombres. dans le lobe délicat de l'oreille, deux grands cercles d'or ornés d'une perle tremblante, d'un brillant humide de goutte de rosée. Sur la sveltesse juvénile du corps souple, une longue robe de velours violet, aux chauds reflets pourpres, et pour en tamiser et en adoucir le luxe pompeux, une mince tunique de mousseline blanche brochée. La finesse des poignets, chargés de bracelets, où saignaient des incrustations de corail. Des attitudes graves, sourires discrets, beaucoup de tristesse inconsciente souvent, gestes lents et rythmés, balancement voluptueux des hanches, voix de gorge pure et modulée. Fatima Zohra, danseuse du djebel Amour. page 107
Un matin, les pluies lugubres cessèrent et le soleil se leva dans un ciel pur, lavé des vapeurs ternes de l'hiver, d'un bleu profond...Il s'isola, avec celle qu'il aimait, dans la petite maison laiteuse où les heures coulaient , insensibles, délicieusement alanguies, derrière le moucharabieh de bois sculpté, derrière les rideaux aux teintes fanées...Pourquoi s'en aller, pourquoi chercher ailleurs le bonheur, puisque le Vagabond le trouvait là, inexprimable, au fond des prunelles changeantes de l'aimée, où il plongeait ses regards, longtemps, longtemps, jusqu'à ce que l'angoisse indicible de la volupté broyât les deux êtres? ...Le Vagabond et son aimée sortirent de la route, où personne ne passait. Ils se tenaient par la main et ils souriaient dans la nuit. Ils ne se parlèrent pas, car ils se comprenaient mieux en silence. ...Ils s'assirent sur une pierre...Longtemps, le Vagabond regarda la route, la route blanche et large qui s'en allait au loin...Une dernière fois, en se levant, il jeta un long regard à la route: il s'était promis à elle. Ils rentrèrent dans l'ombre vivante de leur jardin et se couchèrent en silence sous un grand camphrier. Au-dessus de leurs têtes, l'arbre de Judée étendit ses bras chargés de fleurs roses qui semblaient violettes , dans la nuit bleue. Le Vagabond regarda son aimée , près de lui.. Il comprit qu'il allait partir à l'aube , et son cœur se serra. Il prit l'une des grandes fleurs en chair du camphrier odorant et la baisa pour y étouffer un sanglot. pages 116, 117, 118
Il (le vagabond) n'avait pas de patrie, pas de foyer, pas de famille, ni même d'amis. Il avait passé comme un étranger, et un intrus, n'éveillant que la réprobation et l'éloignement...Sur aucun point de la terre, aucun être humain ne songeait à lui,, ne souffrait de sa souffrance. Le cœur du vagabond se serra affreusement et des larmes roulèrent dans ses yeux. Puis, plus lucide, calmé, il méprisa sa faiblesse et sourit. S'il était seul, n'était-ce-pas parce qu'il l'avait souhaité, aux heures conscientes où sa pensée s'élevait au-dessus des sentimentalités du cœur et de la chair également infirmes? Etre seul, c'est être libre, et la liberté était le seul bonheur accessible à la nature du vagabond. Alors, il se dit que la solitude était un bien, et une grande paix mélancolique et douce descendit dans son âme. page 126
mercredi, août 07, 2013
DOJNAA (Galsan Tschinag)
"Galsan Tschinag s'est imposé définitivement comme le chantre des steppes de Mongolie. Ces immensités du bout du monde s'éclairent aujourd'hui d'un regard nouveau : celui d'une femme. A travers ce personnage de Dojnaa, fille d'un lutteur de légende, il s'agit ici autant de dépeindre la condition féminine dans une société traditionnelle que de faire le portrait d'un être résolu à en découdre avec l'existence: supporter les médisances suite au départ de son mari, élever seule ses enfants, repousser une tentative de viol ou traquer un loup.
Un roman conçu par Galsan Tschinag comme un hommage " à la femme nomade qui porte sur ses épaules le destin d'un monde en train de disparaître"."
Il (son mari) se sentit ragaillardi qu'il se jura d'en faire profiter la fille de l'Eléphant. Cela signifiait en clair qu'il avait l'intention de s'en prendre à elle tôt ou tard, d'avoir sa peau, misérable, nue et palpitante; il l'atteindrait dans sa fierté majestueuse et la convaincrait de sa virilité, il la briserait comme tant d'autres femmes. page 19
La jeune femme était faite d'une étoffe plus rude et plus résistante que Doormak (son mari), ce qu'elle avait à l'intérieur d'elle-même correspondait aussi à son aspect extérieur, il n'existait pas de différence. S'il y avait du thé, elle buvait du thé. S'il n'y en avait pas, elle se contentait d'eau. S'il n'y en avait pas à cause du gel, elle se fourrait une poignée de neige ou un morceau de glace dans la bouche. Et si elle n'avait pas sous la main ni neige , ni glace, elle mordait la soif pour la réduire au silence. Il en allait de même pour la faim...Il en allait de même pour le chaud et le froid. page 27
...C'était justement ce qu'il( Doormak) voulait, après avoir bien réfléchi. Ce devait être une punition qu'il lui infligeait et s'infligeait à lui-même, à cause de leur première nuit indigente. Au moment où, cette fois sans rien demander, elle vint le rejoindre au lit, il sentit que sa crainte avait à peine diminué, il perçut son attente suivie enfin de désarroi qu'il interpréta toutefois comme de la déception. Il se régala de tout cela et son visage arborait un large sourire. Il tendait l'oreille, épiant sa respiration, les battements de son cœur et les pulsations de ses artères. Il fallait aussi se dominer. Sentir à ses côtés ce corps odorant, brulant, palpitant, ce corps rebondi de femme, et y renoncer ne lui fut pas facile. page 42
...Ainsi commença-t-il à découvrir en elle de plus en plus de raisons de la supporter, voire de la désirer. Elle était silencieuse, altruiste, infatigable. Et fiable. Tel était son être profond. Quant à l'enveloppe qui l'entourait, ce maudit corps, il n'était en réalité pas si mal: ni difforme, ni bancal. page 47
Elle était auprès de l'homme qu'elle appelait "cœur dur"," tête pleine d'eau," , "monstre" mais aussi "son seul et unique" au creux duquel elle voulait se tapir pour se protéger du fou furieux. page 63
(son mari est parti après avoir voulu battre les enfants après sa femme) Elle se rendait compte qu'elle s'était habituée à la présence d'un homme, à la vie de couple. Et cette communauté désormais lui manquait; chaque jour et chaque nuit lui étaient de plus en plus insupportables dans cette yourte privée de son chef. Il pouvait se soûler tous les jours, la questionner toutes les nuits et la traiter à sa guise. Si ses poings n'étaient pas assez forts, eh bien , qu'il prenne des pierres. Mais qu'il revienne! Qu'il rentre chez lui et les rende heureux par sa seule présence, elle , son épouse, et ses enfants. Que ce couple dont une moitié était absente redevienne enfin un tout. page 77
Un jour, lorsqu'ils vivaient encore ensemble, il lui avait fallu abattre un loup depuis le seuil de sa yourte où elle se tenait une fois de plus avec un gros ventre. Elle avait dû faire partir le coup avec une arme qui ne lui était pas familière, une carabine...On la félicita chaudement. Seul, son mari se contenta de ricaner. page 87
Ce fut de nouveau la plus âgée (une tante, sans enfants) qui prit la parole. La plus jeune écouta avec calme et sans répliquer les paroles suivantes: observe un troupeau de chevaux. Une douzaine de juments pour un seul étalon, et pourtant, tous ont l'air satisfaits. Nous arriverons bien à nous entendre toutes les deux avec le nôtre. Il est vieux, c'est vrai, mais il est bon, je te le dis, moi qui ai vu ma jeunesse s'enfuir auprès de lui. il a été si bon que malgré ce qui nous a fait cruellement défaut , je n'ai jamais pu renoncer à lui, ma fille. Tu as vu juste, il y a en lui une sagesse croissante, mais aussi un reste de flamme. Encore un mot: si notre troupeau vient à s'accroître, nous saurons l'accepter et toutes deux, nous veillerons sur ses deux flancs, nous serons de bonnes mères , aussi bien l'une que l'autre. page 118
Un roman conçu par Galsan Tschinag comme un hommage " à la femme nomade qui porte sur ses épaules le destin d'un monde en train de disparaître"."
Il (son mari) se sentit ragaillardi qu'il se jura d'en faire profiter la fille de l'Eléphant. Cela signifiait en clair qu'il avait l'intention de s'en prendre à elle tôt ou tard, d'avoir sa peau, misérable, nue et palpitante; il l'atteindrait dans sa fierté majestueuse et la convaincrait de sa virilité, il la briserait comme tant d'autres femmes. page 19
La jeune femme était faite d'une étoffe plus rude et plus résistante que Doormak (son mari), ce qu'elle avait à l'intérieur d'elle-même correspondait aussi à son aspect extérieur, il n'existait pas de différence. S'il y avait du thé, elle buvait du thé. S'il n'y en avait pas, elle se contentait d'eau. S'il n'y en avait pas à cause du gel, elle se fourrait une poignée de neige ou un morceau de glace dans la bouche. Et si elle n'avait pas sous la main ni neige , ni glace, elle mordait la soif pour la réduire au silence. Il en allait de même pour la faim...Il en allait de même pour le chaud et le froid. page 27
...C'était justement ce qu'il( Doormak) voulait, après avoir bien réfléchi. Ce devait être une punition qu'il lui infligeait et s'infligeait à lui-même, à cause de leur première nuit indigente. Au moment où, cette fois sans rien demander, elle vint le rejoindre au lit, il sentit que sa crainte avait à peine diminué, il perçut son attente suivie enfin de désarroi qu'il interpréta toutefois comme de la déception. Il se régala de tout cela et son visage arborait un large sourire. Il tendait l'oreille, épiant sa respiration, les battements de son cœur et les pulsations de ses artères. Il fallait aussi se dominer. Sentir à ses côtés ce corps odorant, brulant, palpitant, ce corps rebondi de femme, et y renoncer ne lui fut pas facile. page 42
...Ainsi commença-t-il à découvrir en elle de plus en plus de raisons de la supporter, voire de la désirer. Elle était silencieuse, altruiste, infatigable. Et fiable. Tel était son être profond. Quant à l'enveloppe qui l'entourait, ce maudit corps, il n'était en réalité pas si mal: ni difforme, ni bancal. page 47
Elle était auprès de l'homme qu'elle appelait "cœur dur"," tête pleine d'eau," , "monstre" mais aussi "son seul et unique" au creux duquel elle voulait se tapir pour se protéger du fou furieux. page 63
(son mari est parti après avoir voulu battre les enfants après sa femme) Elle se rendait compte qu'elle s'était habituée à la présence d'un homme, à la vie de couple. Et cette communauté désormais lui manquait; chaque jour et chaque nuit lui étaient de plus en plus insupportables dans cette yourte privée de son chef. Il pouvait se soûler tous les jours, la questionner toutes les nuits et la traiter à sa guise. Si ses poings n'étaient pas assez forts, eh bien , qu'il prenne des pierres. Mais qu'il revienne! Qu'il rentre chez lui et les rende heureux par sa seule présence, elle , son épouse, et ses enfants. Que ce couple dont une moitié était absente redevienne enfin un tout. page 77
Un jour, lorsqu'ils vivaient encore ensemble, il lui avait fallu abattre un loup depuis le seuil de sa yourte où elle se tenait une fois de plus avec un gros ventre. Elle avait dû faire partir le coup avec une arme qui ne lui était pas familière, une carabine...On la félicita chaudement. Seul, son mari se contenta de ricaner. page 87
Ce fut de nouveau la plus âgée (une tante, sans enfants) qui prit la parole. La plus jeune écouta avec calme et sans répliquer les paroles suivantes: observe un troupeau de chevaux. Une douzaine de juments pour un seul étalon, et pourtant, tous ont l'air satisfaits. Nous arriverons bien à nous entendre toutes les deux avec le nôtre. Il est vieux, c'est vrai, mais il est bon, je te le dis, moi qui ai vu ma jeunesse s'enfuir auprès de lui. il a été si bon que malgré ce qui nous a fait cruellement défaut , je n'ai jamais pu renoncer à lui, ma fille. Tu as vu juste, il y a en lui une sagesse croissante, mais aussi un reste de flamme. Encore un mot: si notre troupeau vient à s'accroître, nous saurons l'accepter et toutes deux, nous veillerons sur ses deux flancs, nous serons de bonnes mères , aussi bien l'une que l'autre. page 118
lundi, août 05, 2013
LA RIVALE (Elisabeth Eberhardt)
"Russe par ses origines, née en Suisse en 1877, Elisabeth Eberhardt part à vingt ans à la découverte de l'Afrique du Nord. Vêtue comme un cavalier, plus connue sous le nom de Mahmoud Saadi, elle se convertit à la religion musulmane. Au cours de ses périples en Algérie et en Tunisie qui la conduiront à rencontrer Lyautey, elle n'aura de cesse que décrire ce qu'elle a vu et nous faire vivre le frisson mélancolique et charmé qu'elle ressent en face des splendeurs du Sahara.
Emportée par une crue d'un oued, elle meurt en 1904 à l' âge de vingt-quatre ans."
Ce livre de 222 pages est un récit de six nouvelles.
Quand Yamina rentra , sa mère lui annonça qu'on allait la marier à Mohammed Elaour, cafetier à Batna. D'abord, Yasmina pleura , parce que Mohammed était borgne et très laid et parce que c'était si subit et si imprévu , ce mariage...Personne parmi les femmes du douar ne songea à lui demander si elle était contente de ce mariage. On la donnait à Elaour , comme on l'eût donnée à tout autre musulman. C'était dans l'ordre des choses, et il n'y avait aucune raison d'être contente outre mesure , ni non plus se désoler. page 25
(Un jeune officier français, Jacques, la voit garder son troupeau et s'approche d'elle)
"Pourquoi as-tu peur de moi? Je ne te ferai pas de mal, dit-il amusé déjà par cette rencontre. Mais elle fuyait l'ennemi de sa race vaincue et elle partit. page 29
Jacques aimait Yasmina, follement, avec toute l'intensité d'un premier amour chez un homme à la fois très sensuel et très rêveur en qui l'amour de la chair se spiritualisait, revêtait la forme d'une tendresse vraie. page 36
"C'est impossible, disait-elle avec, dans la voix, une tristesse douloureuse. Toi, tu es un roumi, un kéfer et moi, une musulmane. Tu sais, c'est haram chez nous, qu'une musulmane prenne un chrétien ou un juif; et pourtant, tu es beau, tu es bon, je t'aime..." page 37
Pour elle, un officier français était un être presque tout puissant, absolument libre de faire ce qu'il voulait. page 46 (l'officier est muté)
Yasmina entendait tous les Arabes des environs, se plaindre d'avoir à payer des impôts écrasants, d'être terrorisés par l'administration militaire, d'être spoliés de leurs biens. page 54
Elle n'avait commencé à penser, très vaguement, que du jour où elle avait été aimée...Depuis que Jacques était parti pour l'Oranie lointaine, Yasmina avait beaucoup souffert et son intelligence commençait à s'affirmer. pages 54, 55
(Yasmina s'est mariée avec le spahi, Abd-El-Kader) Yasmina , toujours triste et silencieuse, passait toutes ses journées à coudre de grossières chemises de toile que Doudja, la vieille tante du spahi, portait à un marchand M'zabi. Quand le spahi n'était pas ivre, il rapportait à sa femme des cadeaux, des chiffons pour sa toilette, voire même des bijoux, des fruits et des gâteaux. Toute sa solde y passait.page 64
Enfin le train s'arrêta pour la dernière fois, la portière s'ouvrit et Tessaadith aperçut le vieillard auquel on l'avait donnée et avec qui elle n'avait pas échangé dix paroles depuis quatre jours qu'elle était son épouse. (elle voyageait dans un compartiment pour femmes, séparée de son mari). page 91
(Son mari est décédé) Brusquement, en son âme, la résolution de se faire courtisane, était née. C'était la liberté, l'amour et la richesse. page 97
Le sous-lieutenant Clair venait de passer aux spahis par permutation. Il avait une âme virile et sérieuse, mais enthousiaste et jeune. A vingt-six ans, il conservait beaucoup d'illusions et le savait. Toute cette Algérie le grisait, le charmait et au grand scandale de ses camarades et de ses chefs, il était ce qu'on appelle là-bas, un "arabophile". Cependant, perspicace et sincère, il ne dissimulait pas les défauts et les vices de la race, mais au lieu de souhaiter comme tant d'autres, son assujettissement complet ou même sa destruction progressive - car il en est de beaucoup qui préconisent le refoulement des indigènes vers les régions désertiques, l'expropriation en masse, et beaucoup d'autres mesures aussi oppressives et peu françaises qu'elles sont , heureusement impraticables - le lieutenant Clair souhaitait ardemment le relèvement moral et intellectuel de la race vaincue dans l'islam - ce qui était encore une originalité. pages 100, 101
Comme toutes les courtisanes musulmanes, Tessaadith ne gardait pas d'argent en monnaie ou billets: elle convertissait son gain en bijoux, en chaînettes pour la coiffure, en agrafes, en bracelets, en halhal ( bracelets pour les chevilles) , en gargerins d'argent, en colliers de pièces d'or. page 118
(le major) Tout, dans cette Algérie, avait été une révélation pour lui...une cause de trouble - presque d'angoisse...En venant ici, par devoir, comme il avait étudié la médecine qui devait faire vivre sa mère aveugle , ses deux sœurs et son petit frère frêle, comme il avait vécu et pensé jusqu'à lors, il s'était soumis à la nécessité, simplement, sans entraînement, sans attirance pour ce pays qu'il ignorait. Cependant, depuis qu'il avait été désigné, il n'avait voulu rien lire, sans savoir de ce pays où il devait transporter sa vie silencieuse et calme, et son rêve restreint, sans tentatives d'expression, jamais. Il verrait , indépendant, seul, sans subir aucune influence. Dès son arrivée, il avait dû écouter les avertissements de ses nouveaux camarades...Indifférent, il écoutait leurs plaintes et leurs critiques: pas de société, rien à faire, un morne ennui. Un pays sans charme, les Algériens, brutaux et uniquement préoccupés du gain, les indigènes répugnants, faux , sauvages, au-dessous de toute critique, ridicules...pages 170,171
Il étudia , consciencieusement, la langue rauque et chantante dont, tout de suite, il avait aimé l'accent, dont il avait saisi l'harmonie avec les horizons de feu et de terre pétrifiée...Comme cela, il leur parlerait, à ces hommes qui, les yeux baissés, le cœur farouchement , se levaient soumis et le saluaient au passage. page 176
Tout d'abord, il n'avait pas voulu visiter le pays où, pour dix-huit mois au moins, il était isolé. Du touriste, il n'avait ni la curiosité, ni la hâte. Il préférait découvrir les détails lentement, peu à peu, au hasard de la vie et des promenades. page 180
Jacques avait rêvé du rôle civilisateur de la France, il avait cru qu'il trouverait dans le ksar des hommes conscients de leur mission, préoccupés d'améliorer ceux qui, si entièrement, ils administraient...Mais, au contraire, il s'aperçut vite que le système en vigueur avait pour but le maintien du statu quo. page 186
"Ecoutez, mon cher docteur! Vous êtes très jeune, tout nouveau dans le métier. Vous avez besoin d'être conseillé...Vous êtes d'une indulgence excessive avec ces hommes...Vous êtes beaucoup trop familier avec eux: vous n'avez pas le souci constant et nécessaire d'affirmer votre supériorité , votre autorité sur eux. Croyez-moi, ils sont tous les mêmes, ils ont besoin d'être dirigés d'une main de fer. Votre attitude pourrait même jeter le trouble dans ces âmes sauvages et fanatiques...Méfiez-vous. page 201
"Oui, enfin, je pars avec la conviction très nette et désormais inébranlable de la fausseté absolue et du danger croissant que fait courir à la cause française votre système d'administration." (Jacques au capitaine )page 218
Jacques souffrait. Résigné, il s'en allait, car il sentait bien incapable de recommencer ici une autre vie, banale et vide de sens...Il ne ressemblait pas aux autres, et ne voulait pas courber la tête sous le joug de leur tyrannique médiocrité. page 221
Emportée par une crue d'un oued, elle meurt en 1904 à l' âge de vingt-quatre ans."
Ce livre de 222 pages est un récit de six nouvelles.
Quand Yamina rentra , sa mère lui annonça qu'on allait la marier à Mohammed Elaour, cafetier à Batna. D'abord, Yasmina pleura , parce que Mohammed était borgne et très laid et parce que c'était si subit et si imprévu , ce mariage...Personne parmi les femmes du douar ne songea à lui demander si elle était contente de ce mariage. On la donnait à Elaour , comme on l'eût donnée à tout autre musulman. C'était dans l'ordre des choses, et il n'y avait aucune raison d'être contente outre mesure , ni non plus se désoler. page 25
(Un jeune officier français, Jacques, la voit garder son troupeau et s'approche d'elle)
"Pourquoi as-tu peur de moi? Je ne te ferai pas de mal, dit-il amusé déjà par cette rencontre. Mais elle fuyait l'ennemi de sa race vaincue et elle partit. page 29
Jacques aimait Yasmina, follement, avec toute l'intensité d'un premier amour chez un homme à la fois très sensuel et très rêveur en qui l'amour de la chair se spiritualisait, revêtait la forme d'une tendresse vraie. page 36
"C'est impossible, disait-elle avec, dans la voix, une tristesse douloureuse. Toi, tu es un roumi, un kéfer et moi, une musulmane. Tu sais, c'est haram chez nous, qu'une musulmane prenne un chrétien ou un juif; et pourtant, tu es beau, tu es bon, je t'aime..." page 37
Pour elle, un officier français était un être presque tout puissant, absolument libre de faire ce qu'il voulait. page 46 (l'officier est muté)
Yasmina entendait tous les Arabes des environs, se plaindre d'avoir à payer des impôts écrasants, d'être terrorisés par l'administration militaire, d'être spoliés de leurs biens. page 54
Elle n'avait commencé à penser, très vaguement, que du jour où elle avait été aimée...Depuis que Jacques était parti pour l'Oranie lointaine, Yasmina avait beaucoup souffert et son intelligence commençait à s'affirmer. pages 54, 55
(Yasmina s'est mariée avec le spahi, Abd-El-Kader) Yasmina , toujours triste et silencieuse, passait toutes ses journées à coudre de grossières chemises de toile que Doudja, la vieille tante du spahi, portait à un marchand M'zabi. Quand le spahi n'était pas ivre, il rapportait à sa femme des cadeaux, des chiffons pour sa toilette, voire même des bijoux, des fruits et des gâteaux. Toute sa solde y passait.page 64
Enfin le train s'arrêta pour la dernière fois, la portière s'ouvrit et Tessaadith aperçut le vieillard auquel on l'avait donnée et avec qui elle n'avait pas échangé dix paroles depuis quatre jours qu'elle était son épouse. (elle voyageait dans un compartiment pour femmes, séparée de son mari). page 91
(Son mari est décédé) Brusquement, en son âme, la résolution de se faire courtisane, était née. C'était la liberté, l'amour et la richesse. page 97
Le sous-lieutenant Clair venait de passer aux spahis par permutation. Il avait une âme virile et sérieuse, mais enthousiaste et jeune. A vingt-six ans, il conservait beaucoup d'illusions et le savait. Toute cette Algérie le grisait, le charmait et au grand scandale de ses camarades et de ses chefs, il était ce qu'on appelle là-bas, un "arabophile". Cependant, perspicace et sincère, il ne dissimulait pas les défauts et les vices de la race, mais au lieu de souhaiter comme tant d'autres, son assujettissement complet ou même sa destruction progressive - car il en est de beaucoup qui préconisent le refoulement des indigènes vers les régions désertiques, l'expropriation en masse, et beaucoup d'autres mesures aussi oppressives et peu françaises qu'elles sont , heureusement impraticables - le lieutenant Clair souhaitait ardemment le relèvement moral et intellectuel de la race vaincue dans l'islam - ce qui était encore une originalité. pages 100, 101
Comme toutes les courtisanes musulmanes, Tessaadith ne gardait pas d'argent en monnaie ou billets: elle convertissait son gain en bijoux, en chaînettes pour la coiffure, en agrafes, en bracelets, en halhal ( bracelets pour les chevilles) , en gargerins d'argent, en colliers de pièces d'or. page 118
(le major) Tout, dans cette Algérie, avait été une révélation pour lui...une cause de trouble - presque d'angoisse...En venant ici, par devoir, comme il avait étudié la médecine qui devait faire vivre sa mère aveugle , ses deux sœurs et son petit frère frêle, comme il avait vécu et pensé jusqu'à lors, il s'était soumis à la nécessité, simplement, sans entraînement, sans attirance pour ce pays qu'il ignorait. Cependant, depuis qu'il avait été désigné, il n'avait voulu rien lire, sans savoir de ce pays où il devait transporter sa vie silencieuse et calme, et son rêve restreint, sans tentatives d'expression, jamais. Il verrait , indépendant, seul, sans subir aucune influence. Dès son arrivée, il avait dû écouter les avertissements de ses nouveaux camarades...Indifférent, il écoutait leurs plaintes et leurs critiques: pas de société, rien à faire, un morne ennui. Un pays sans charme, les Algériens, brutaux et uniquement préoccupés du gain, les indigènes répugnants, faux , sauvages, au-dessous de toute critique, ridicules...pages 170,171
Il étudia , consciencieusement, la langue rauque et chantante dont, tout de suite, il avait aimé l'accent, dont il avait saisi l'harmonie avec les horizons de feu et de terre pétrifiée...Comme cela, il leur parlerait, à ces hommes qui, les yeux baissés, le cœur farouchement , se levaient soumis et le saluaient au passage. page 176
Tout d'abord, il n'avait pas voulu visiter le pays où, pour dix-huit mois au moins, il était isolé. Du touriste, il n'avait ni la curiosité, ni la hâte. Il préférait découvrir les détails lentement, peu à peu, au hasard de la vie et des promenades. page 180
Jacques avait rêvé du rôle civilisateur de la France, il avait cru qu'il trouverait dans le ksar des hommes conscients de leur mission, préoccupés d'améliorer ceux qui, si entièrement, ils administraient...Mais, au contraire, il s'aperçut vite que le système en vigueur avait pour but le maintien du statu quo. page 186
"Ecoutez, mon cher docteur! Vous êtes très jeune, tout nouveau dans le métier. Vous avez besoin d'être conseillé...Vous êtes d'une indulgence excessive avec ces hommes...Vous êtes beaucoup trop familier avec eux: vous n'avez pas le souci constant et nécessaire d'affirmer votre supériorité , votre autorité sur eux. Croyez-moi, ils sont tous les mêmes, ils ont besoin d'être dirigés d'une main de fer. Votre attitude pourrait même jeter le trouble dans ces âmes sauvages et fanatiques...Méfiez-vous. page 201
"Oui, enfin, je pars avec la conviction très nette et désormais inébranlable de la fausseté absolue et du danger croissant que fait courir à la cause française votre système d'administration." (Jacques au capitaine )page 218
Jacques souffrait. Résigné, il s'en allait, car il sentait bien incapable de recommencer ici une autre vie, banale et vide de sens...Il ne ressemblait pas aux autres, et ne voulait pas courber la tête sous le joug de leur tyrannique médiocrité. page 221
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