mercredi, octobre 31, 2018

UNE AUTRE AURELIA ( J.F, Billeter)

Jean - François Billeter livre, dans ce bref ouvrage, une partie de notes qu'il a prises depuis la mort subite de son épouse, il y a bientôt cinq ans. Ce sont des observations sur le rôle que jouent l'émotion, l'imagination et la mémoire  dans de telles circonstances et sur les nouveaux équilibres qui s'instaurent. Mais ces notations  n'éclairent pas seulement cette expérience particulière , elles en disent autant sur notre rapport à l'autre quand il est présent que quand il n'est plus là.
 
 
Quand on perd son conjoint, les autres vous mettent à part des vivants. Voyant à côté de vous une place vide, ils en déduisent que vous n'êtes plus qu'à demi et que vous vivez dans le manque - alors qu'au contraire la vie n'a jamais été aussi intense. page 12
 
Cette épreuve a donc été l'occasion d'approfondir la connaissance de moi-même. Elle m'a séparé des autres, puisqu'ils ne pouvaient deviner ce qui m'arrivait, mais rapprocher d'eux par la suite. page 16
 
19 nov. La mort n'existe pas. Il n'y a que la vie qui cesse. Le mal que font tous les autres discours.
 
20 nov. Ce que je n'ai plus: une personne à qui je puisse tout raconter .
 
23 nov. De temps à autre, je suis saisi d'effroi: la séparation est définitive.....
Elle est absente pour toujours.
 
27 nov. Qui ne connaît pas la mort, ne connaît pas la vie.
 
6 déc. Il y avait eu Wen, il y aura autre chose, qui ne nierait pas le passé, mais le prolongeait et le conserverait par le mouvement. C'en était fini de l'insoutenable torpeur. Elle n'est pas revenue..
 
13 déc. Wen, sorte de basse continue, présence égale et douce. Quelle chance  d'avoir eu cette compagne dans ma vie. J'ai été heureux avec elle, il faut que je le sois sans elle. Je lui dois cela.
 
15 déc. "Deuil" Mot affreux  affreuse aussi la loi du silence qu'observent les autres, qui me parlent de tout, sauf d'elle. Craignent-ils de me causer de la peine? Ou ont-ils peur , au fond d'eux-mêmes?
La plupart des gens s 'en tiennent aux idées convenues, qui sont fausses. J'ai fait de même avant la mort de Wen. Le vocabulaire sinistre  du décès, de la perte, de la séparation, du deuil,  des veuf auquel vont des condoléances, etc...me font maintenant horreur. Je le rejette absolument parce qu'il me prescrit la valeur affective  que je suis censé donner à mon émotion.
 
25 déc. Nouvelle idée: je ne dis plus "elle me manque" mais " ce que je fais maintenant , je le fais pour elle". A l'instant, le manque disparaît, car les deux régimes s'excluent. Au lieu de me plaindre, j'agis.
 
19 janv. De temps à autre, la présence de Wen se pose comme une rosée sur le moment présent.
 
23 nov. Sa présence m'envahit, puis je reçois un coup violent. ...Il se produit quand je me souviens tout à coup qu'elle est absente pour toujours. ....Le souvenir est un début de présence qui se forme en nous.
 
27nov. Qui ne connaît pas la mort ne connaît pas la vie.
 
9 déc. Elle ne désire plus rien, ne regrette plus rien, car elle n'est plus. Lichtenberg:  "Je crois  que peu d'hommes ont réfléchi sérieusement à la valeur  du ne-pas-être. Le ne-pas-être d'après la mort,  je le vois comme l'état où j'étais avant  de naître.
 
29 janv. Dans ma vie agitée, surgit de temps à autre, l'idée terrible que nous sommes séparés pour toujours. Pourquoi terrible?
 
5 mars. "Deuil? non. Il s'agit d'un passage d'un bonheur à un autre - de celui de vivre avec Wen à celui d'avoir vécu avec elle. Passage agité, il est vrai. Une tourmente éprouvante.
 
4 avril . Spinoza: " Le philosophe médite la vie, non la mort".
 
4 avril. Légère angoisse. Qu'il était bon d'avoir quelqu'un à qui tout raconter, qui était au courant.
 
27 avril. Deux âmes qui s'unissent ne s'unissent jamais au point d'abolir la différence si profitable aux deux, qui rend l'échange si agréable.
 
10 mai. Je songe à tout ce qu'il y avait dans sa mémoire , surtout sa vie d'avant notre rencontre, dont je n'ai entrevu qu'une petite partie.
 
22 mai. Mort de Georges Moustaki.:  "nous avons toute la vie / pour nous amuser, nous avons toute  la mort / pour nous reposer. " Le bien que me font ces vers surtout le dernier.
 
7 juin. Le bonheur présent communique très vite avec le bonheur passé.
 
17 juillet. Quand nous étions ensemble, elle révélait quelque chose de moi ( et moi d'elle) . Maintenant que je suis seul, je suis plus difficilement déchiffrable.
 
6 août. Elle fait autant partie de ma vie qu'avant, mais cela les autres ne le voient pas.
 
7 août. Le dialogue me manque. Quel plaisir c'était de l'écouter et de la comprendre, ou me faire comprendre d'elle.
 
13 déc. Wen, sorte de basse continue, présence égale et douce. Quelle chance  d'avoir eu cette compagne dans ma vie. J'ai été heureux avec elle. Il faut que je le sois sans elle. Je lui dois cela.
 
6 sept. Je n'y avais pas songé: on se connaît  soi-même et connaît l'autre de deux façons qui se complètent. Il faut être deux - non pour être un, comme l'a imaginé Platon, mais pour se connaître. C'était une erreur de placer au cœur de l'âme humaine, la nostalgie de l'Un.
 
27 déc. Ce matin, audace: je me dis que le bonheur passé est intact et que je puis passer à autre chose.
 
9 août. J'aimerais m'occuper d 'elle, pas toujours de moi.
 
13 oct. Il n'y a pas de retour au passé. Il faut donc le placer devant soi. Force que cette idée me donne.
 
20 nov. Force que donne l'âge: j'ai l'esprit plus libre parce que je forme moins de projets et m'intéresse d'autant plus au présent. Je découvre qu'il est inépuisable. J'y trouve aussi tout le passé, qui se décante et devient intelligible.
 
2 janv. Il faut être heureux pour se souvenir du bonheur.
 
 6 janv. Si seulement je pouvais partager avec elle tout  ce que je vis maintenant seul. Mais c'est demander l'impossible, puisque cet approfondissement  est une suite  de sa mort.
 
18 avril. Wen trouvait normal que, devant la tombe, on parle aux morts, en toute simplicité, come s'ils étaient vivants. Quand nos amis pékinois, mari et femme , sont venus de Pékin et que nous sommes allés voir sa tombe, ils se sont avancés, l'un puis l'autre, et lui ont adressé, d'une voix franche et sonore, un petit discours d'amitié. Je ne m'y attendais pas et je me suis étonné, une fois de plus,  du rapport des Chinois à la mort: d'une part cette naïveté familière et discrète, de l'autre, une peur superstitieuse très répandue. Je me suis souvent dit que l'importance primordiale qu'ils attachent à la continuité des lignées, de sang, de symboliques,  est une façon de nier la mort.
 
"J'embrasse  de loin des mondes qui ne se touchent plus  mais entre lesquels quelque chose s'est transmis." 30 déc. 2017, France Inter L'humeur vagabonde.
 

samedi, octobre 27, 2018

SALINA (Laurent GAUDE)

 
Qui dira l'histoire de Salina, la mère aux trois fils, la femme aux trois exils, l'enfant abandonné aux larmes de sel?  Elle fut recueillie par Mamambala et élevée comme sa fille dans un clan qui jamais ne la vit autrement qu'étrangère et qui voulut la soumettre. Au soir de son existence, c'est son dernier fils qui raconte ce qu'elle a été, afin que la mort lui offre le repos que la vie lui a  défendu, afin que le récit devienne légende.
Renouant avec la veine mythique et archaïque de La Mort du Roi Tsongor, Gaudé écrit la geste douloureuse d'une héroïne lumineuse, puissante et sauvage, qui prit l'amour comme un dû et la vengeance pour une raison de vivre.
 
Le temps passe et Sissoko ne prononce pas un mot. Tous comprennent qu'il a fait le choix de ne pas recevoir l'enfant. Il ne faut pas prendre le risque d'accepter un enfant  dont on ne sait s'il n' apportera pas quelque malédiction. Ne pas agir. Ne rien faire. Rester là jusqu'à ce que l'enfant s'épuise , sombre dans le sommeil, s'affaiblisse et meure. Le soleil tape fort : cela ne tardera pas. page 14
 
...L'enfant pleure toujours.  C'est alors que Mamambala, n'y tenant plus, se lève....Elle saisit le paquet et le love au creux de son bras. Immédiatement, les cris cessent. Mamambala dégrafe sa tunique , présente son sein gonflé au nourrisson, qui la tête avec une faim de montagne....Elle prononce alors ces mots que tous entendent: " Par le sel de ces larmes dont tu as couvert la terre, je t'appelle Salina". page 16
 
 
A l'autre bout de la vie, il y a ce matin, presque semblable....Salina, vieillie par une vie entière d'errance, de poussière, de combats. ...Salina, au corps sec et flétri , qui tend l'oreille dans des paysages immenses...Elle cherche des yeux son fils qui est là, dans cette colonne d'hommes et de  bêtes. pages 19, 20
 
Ils sont deux à nouveau, sur des terres immenses, la mère et le fils, vivant au même rythme, allant au même pas, se tenant éloigné de la compagnie des hommes. Lui s'emplit avec bonheur de cet air épais. Il lui semble retrouver le silence dont il est né. Les journées sont vastes et n'ont besoin d'aucun mot. Ils sont chez eux dans des déserts inhospitaliers de pierres ....Page 24
 
Son fils est là, devant elle, grand comme un homme. Elle le regarde avec émotion, semble le voir pour la première fois. Il croise son regard mais ne comprend pas que c'est le regard d'une mère qui découvre que son enfant ne lui appartient plus tout à fait. page 26
 
Salina défaille. Il entend son corps tomber, sa tête heurter une racine  avec un bruit sourd. Il se précipite , crie son nom, le répète : "Salina". Jusqu'à  ce qu'elle ouvre les yeux...Il l'aide à se redresser, l'adosse à un arbre , lui propose un peu d'eau. Elle boit en silence,  avec des gestes lents. page 33

Il reste immobile, avec sa mère accrochée à son dos. Il se laisse emplir du silence  qui l'entoure. Elle est morte. Il le sait. Il ne sent plus son souffle contre sa nuque. page 36
 
Marcher. Retrouver ce vertige d'être au monde  mais en n'étant plus rien pour personne. La mère n'est plus là, qui lui posait la main sur l'épaule, indiquait la route avec son obstination de boussole.  page 43
 
Un homme l'observe. ....Malaka s'approche  et le salue de la tête. Il hésite puis prononce le mot "cimetière" avec une interrogation dans la voix. page 46
"Je pourrai enterrer ma mère là-bas? demande alors Malaka.
- C'est le cimetière qui décidera." répond le passeur.
..."Lorsque nous serons sortis de la baie, tu pourras commencer le récit de celle que tu amènes avec toi. " page 49
 
"Moi, Malaka, fils élevé  dans le désert par une mère qui parlait  aux pierres, je vais raconter Salina., la femme aux trois exils. page 55
"Moi, Malaka, fils de l'énigme, je ne peux pas raconter une enfance entière: ces longs jours de silence où Salina  n'est qu'un corps blotti  contre celui de Mamambala. Puis ses progrès, ses hésitations, ses tentatives....Ces jours où elle s'élance, habille, marche, puis parle...page 59
Il n'y a qu'une chose  que Mamambala n'a pas dite, c'est que grandir était un exil.
Salina change , devient petite fille, gagne en taille, en beauté. Elle grandit en ignorant qu'il y a ce jour, devant elle, ce jour qui donnera  raison à tous ceux  qui rient  lorsqu'elle dit qu'elle ne prendra jamais d'époux. page 60

salina regarde , hésite. Elle a peur de ce qui vient . Elle se retourne vers Mamambala et lui demande: " que se passe-t-il? La vieille femme voudrait ne rien dire mais elle ne peut pas ...." Le jour de tes noces est annoncé". page 65

Tant qu'elle est sur cette chaise, elle n'est pas mariée. Et tant pis s'il fait chaud, si les bracelets la serrent ....tant pis si elle est prisonnière  d'or et de tissus , elle n'est pas mariée. Elle serre les dents pour ne pas hurler . Elle sait que cela ne servirait à rien. Et puis, enfin , la chaise à porteur se fige. Les quatre hommes qui la tiennent la déposent  au sol. Une main pousse le voile d'un geste  brusque . Elle la reconnaît. C'est la main de Khaya....Tout va très vite; Il verse un peu  d'eau rouge sur la terre et d'un coup, tout le monde  s'exclame et rugit de joie. ça y est. Elle est mariée. Elle n'a rien vu, rien senti, rien compris. page 74
 
"Moi, Malaka, fils d'une femme restée longtemps à genoux, je dois raconter ces instants où le corps de ma mère et celui de Saro sont restés l'un contre l'autre, l'un dans l'autre, où l'un pèse sur l'autre et le blesse et l'écrase, ces instants où un homme prend la femme qu'il a sous lui avec voracité, pour le simple plaisir non pas de posséder - car Saro a toujours su qu'il ne la posséderait jamais - mais d'endommager. Ces instants où à défaut   de consentir, le corps de Salina doit payer, porter la marque des coups, et se soumettre. page 77
 
Le premier enfant est le fruit du viol  et il ne connaît que les cris. Un petit bout de chair dépend d'elle pour vivre, s'agite,  s'époumone jusqu'à devenir rouge.  On le pose à côté d'elle, pensant qu'elle le réchauffera, mais elle le regarde sans bouger....Saro l'a appelé Mumuyé et tout le clan a fêté sa naissance. La lignée est sauve. Le sang se perpétue. Elle ne s'est opposé à rien, n'a consenti à rien.
 page 85
 
Moi, Malaka, fils de la femme qui haïssait son enfant , je ne peux raconter la longue  chaîne de jours  qui passent avec lenteur et pourtant, il faudrait. page 87
 
(Il y a eu une bataille, Saro, son mari est blessé)  "Je vais te survivre, Saro, je vais m'éloigner de ta brutalité. Ta volonté n'aura plus d'effet sur ma vie. Tu meurs, Saro, et le dernier visage  que tu verras sera le mien. page 91
 "Par la mort de mon époux, je reste sans homme et le fils qui m'est né de Saro reste sans père. Cela les dieux de notre village ne le veulent pas....Khaya ( sa belle-mère) par la mort de Saro, je te demande ton autre fils pour époux. page 92
 
(Un ermite vient au village) "J'étais là où ça tuait aujourd'hui. ...J'ai vu ton fils, Saro, à terre.  Il vivait encore....Elle, après, je l'ai vue aussi" et il montre Salina du doigt...." Elle s'est approchée, je le jure, il vivait encore....Mais elle ne s'est pas penchée , n'a pas secouru , rien. page 95
....Je te bannis ( Khaya sa belle-mère) Que le désert fasse de toi ce qu'il voudra. Pour toi, la solitude et l'errance.  Nous gardons Mumuyé qui n'a jamais été ton fils." page 96
 
Malaka se tait..."L'histoire du défunt  ne doit être racontée que la nuit. Les esprits disparaissent  le jour pour laisser vivre la ville. page 101
 
Malaka se tait. Il est épuisé. Quelque chose l'a éprouvé  dans ce qu'il vient de raconter. Il a toujours connu l'existence de Koura Kumba ( son demi-frère)  et les circonstances de  sa mort - c'est Salina elle-même qui lui en avait  fait le récit.- mais d'avoir eu à  raconter cette scène le laisse étourdi.
...Pour laisser son esprit se reposer; Malaka demande au vieux passeur combien de corps il a accompagnés jusqu' au cimetière.
"Tu es le premier." répond le vieil homme.
Cela surprend Malaka. Il pensait que le passeur avait fait cela de tout temps. Darzagar explique que chaque passeur ne prend qu'un seul corps. Il en  a toujours été ainsi. page 119
 
Au moment où Malaka  achève de rapporter les morts de Salina, il s'immobilise. Au loin, pour la première fois, depuis qu'ils sont partis, le cimetière est en vue. page 122
 
Une famille de pêcheurs a  cédé sa barque. C'est toujours ainsi. A un certain moment de la traversée, les récits de la vie du mort finissent par convaincre une famille de faire cette offrande. Sans ce don - là, tout s'arrête et l'accompagnateur doit renoncer, car nul ne peut espérer rentrer dans le cimetière si aucun vivant n'offre sa barque. ....La barque est vide.....Puis, aidé par d'autres hommes,il transfère le corps de Salina avec précaution.  page 123

DERNIER EXIL
 
C'est chez les hommes que tout doit finir, elle le sent. A moins qu'elle ne veuille revoir Kano. Où connaître le visage de celle qui partage sa couche. ...Lorsqu'elle arrive au village,...tout est identique, il semble qu'elle  ne soit jamais partie. ...Personne  ne l'a reconnaît. page 131
Et puis , son nom finit par être prononcé. "Salina"! par une plus vieille que les autres qui l'a reconnue.  Et alors tout change. Ceux qui n'étaient que curieux deviennent mauvais. Tous ont entendu parler d'elle. page 132
Et puis, vient ce soir où une femme se présente à elle. Elle ne fait pas comme les autres, ne commence ni par les insultes, ni par des jets de pierre.
...."  je suis Alika, ...femme de Kano."
Salina se fige , la regarde avec attention...
" Alika...? la femme de Kano...?
....- Je suis venue pour qu'il ne soit pas dit qu'Alika  n'avait même pas entendu la voix  de Salina."
Et les deux femmes se quittent ainsi. page 135
Le lendemain du jour  où elle (Alika) est venue voir Salina.... c'est au tour de Kano de se présenter.
"Laisse- moi te regarder Kano"...page 136
Elle essaie à nouveau; "N'avons-nous pas été heureux avant tout cela?
- "Avant tout cela....répète-t-il, les mâchoires serrées. Avant la mort de mon frère, et celle de mon père?....
.."Je n'ai rien fait Salina. Tu t'es souillée de sang toute seule par ton désir de vengeance"
....-Laisse-moi te regarder, Kano, même si tu me tournes le dos, laisse-moi te regarder, car nous savons tous les deux que c'était la dernière fois". page 138
 
Tout aurait dû s'achever ainsi avec une silhouette qui disparaît dans le désert....Mais un cavalier la suit..."Je suis Alika, fille de Sal' Elmaya , épouse de Kano. ....Ce que j'ai à faire, aucune femme , avant moi, ne l'a fait". Elle parle et sa voix trahit une émotion qu'elle porte  depuis qu'elle a quitté le village. ...Elle s'arrête un temps Salina ne dit rien, ne comprend pas ce qui va se passer. La jeune femme, délicatement, sort  de sous ses draps un nouveau-né. Elle le tient au creux  de ses bras.
"C'est mon dernier né. Le fils d'une mère aimante. mais je te l'ai apporté  parce qu'il doit y avoir  un don entre Salina et les Djimba. Il n'y a qu'ainsi que tout pourra cesser. Je suis venue t'offrir mon fils. Tu le prendras, Tu veilleras  sur lui, l'élèveras comme une mère. Prends-le Salina, je serai à jamais amputée de lui. Et Kano aussi...je ne lui ai pas donné de nom, tu le feras. Prends-le Salina et souviens-toi du don d'Alika.
Salina tend doucement les bras,  saisit avec délicatesse le tissu dans lequel l'enfant est emmitouflé, sent son poids au creux de ses bras et sourit. pages 142, 143
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

mardi, octobre 23, 2018

LE NEVEU D'AMERIQUE ( Luis SEPULVEDA)

Fidèle à la promesse faite à son grand-père d'aller un jour en Andalousie, dans le village de la famille, Luis Sepulveda  emprunte une route pleine de détours. Depuis Santiago du Chili, ce voyageur infatigable, curieux de paysages mai surtout de rencontres, nous invite à l'accompagner dans quelques péripéties de sa vie;  de sa découverte, sous la tutelle du vieil anarchiste , d'un militantisme qui l'amènera à la prison et à l'exil dans divers pays  d'Amérique du Sud, jusqu'au bonheur du retour, des années après en Patagonie, et en Terre de Feu.
Avec un inégalable sens de la rencontre  avec les autres, il nous fiat connaître des marins, des professeurs amateurs de casinos et de femmes, des filles à marier à tout prix, les vainqueurs d 'un championnat de mensonges  et un aviateur fou.
Un itinéraire personnel vagabond qui ne prend son sens qu'avec l'accomplissement faite à son grand-père.
Incomparable raconteur  d'histoires ; Luis Sepulveda transforme la réalité  en littérature.
 
Une vieille chanson chilienne dit: " Le chemin a deux bouts et aux deux, quelqu'un m'attend." L'ennui, c'est que ces deux bouts  ne  limitent pas un chemin rectiligne, mais tout en courbes, ornières et détours, qui ne conduisent nulle part.  page 17
 
(L'auteur a été emprisonné sous Pinochet) J'ai passé neuf cent quarante-deux jours sur cette terre  de tous et de personne. Etre enfermé n'était pas ce qui pouvait nous arriver de pire. C'était une autre façon d'être en vie. page 22
 
A partir de 1973, plus d'un million de Chiliens laissèrent derrière eux leur long pays maigre et malade. les uns, contraints à l'exil, les autres fuyant la peur et la misère, et d'autres, enfin désireux de tenter leur chance au nord. Ces derniers n'avaient qu'un seul but: les Etats-Unis. page 51
 
Tandis que j'attends, je pense à ces deux vieux gringos qui ont...permis que Bruce Chatwin et moi nous nous rencontrions un après-midi d'hiver, au café Zurich de Barcelone.
Un Anglais et un Chilien. Et, comme cela ne suffisait pas, deux types n'éprouvant que peu de tendresse pour le mot patrie. L'Anglais, nomade, parce qu'il ne pouvait vivre autrement, et le Chilien, exilé pour la même raison.  page 79
"Quand partons-nous, le Chilien?
- Quand ils me laisserons rentrer, l'Anglais.
- Tu as encore des problèmes avec les primates qui gouvernent ton pays?
- Moi, non, Ce sont eux qui ont des problèmes avec moi.
- Je vois, peu importe. ça nous permettra de mieux préparer le voyage.
...Lorsque je reçus l'autorisation tant désirée de retourner au sud du monde, Bruce Chatwin avait déjà entrepris le grand voyage inéluctable.  page 86
L'autorisation de revenir dans mon monde me surprit à Hambourg. Pendant neuf ans je m'étais rendu chaque lundi au consulat chilien afin de savoir si je pouvais rentrer au pays. Neuf années où j'ai reçu des centaines de fois la même réponse: " Non , votre nom est sur la liste de ceux qui ne peuvent pas rentrer. page 89
 
Celui qui naît cigale ne cesse jamais de chanter. page 108
 
J'ai envie de parler avec ces hommes, de leur dire que je venais de très loin à la recherche d'une trace, d'une ombre, du minuscule vestige de mes racines andalouses; mais je voulais aussi les écouter, me remplir de cet accent très marqué, un peu fruste, dépouillé des inflexions chantantes des Andalous de la côte . page 159
"Excusez-moi, (l'auteur) il y a ici un bar qui s'appelle le bar des Chasseurs.
- Pas que je sache dit le serveur.
- Mais si, dit le planteur de tomates.
-Voyons, il ya celui de  Miguel, le Castillo, la Pena..
- Manolo, rappel-toi. Comment s'appelait ce bar autrefois?
...- Jusqu'en 1950, il s'appelait le bar des Chasseurs. Putain , vous oubliez tout!
...Les hommes m'observèrent avec une curiosité non dissimulée et je leur racontai  pourquoi j'étais ici, de mon long voyage jusqu'à Marcos.  Je leur parlai de mon grand-père...Quand j'eus terminé, ils se regardèrent les uns les autres.
- Quelle histoire, le Chilien! Quelle histoire! Il y a ici quelqu'un qui porte ton nom. Il n'habite pas loin d'ici. C'est un vieux, je crois qu'il s'appelle Angel dit l'homme aux tomates. pages 160, 161
 
..."Don Angel, vous vous souvenez de votre frère Gerardo?
Alors, le regard du vieux me traversa la peau, parcourut mon squelette, franchit la porte, remonta la rue....
-Mon frère. Un qui est parti en Amérique?
Oui, Un parmi tant d'autres qui montèrent à bord de bateaux, le cœur plein d'espoir.
- Oui Don Angel, Un qui est parti en Amérique.
....-Maria , appela - t-il
De la maison sortit une vieille femme toute vêtue de noir...
" Femme, apporte du vin, mon neveu d'Amérique vient d'arriver". page 167
 
 

mercredi, octobre 17, 2018

NO HOME (Yaa Gyasi)

Deux sœurs à la destinée bouleversante.
Trois siècles d'histoire.
 
XVIIIè siècle, au plus fort de la traite des esclaves, Effia et Esi naissent de la même mère, dans deux villages rivaux  du Ghana. La sublime Effia est mariée de force à un Anglais, le capitaine du Fort de cape Coast. Leur chambre surplombe les cachots où sont enfermés les captifs qui deviendront esclaves, une fois l'océan traversé. Effia ignore que sa soeur Esi y est emprisonnée avant d'être expédiée en Amérique où des champs de coton jusqu'à Harlem, ses enfants et petits-enfants seront inlassablement jugés pour la couleur de leur peau. La descendance D'Effia, métissée et éduquée, connaît une autre forme de souffrance: perpétuer sur place le commerce triangulaire familial puis survivre dans un pays meurtri pour des générations.
 
"Baaba, demanda-t-elle, pourquoi Adwoa (une jeune fille du village) va se marier avec cet homme?
- Parce que sa mère l'a dit.
Quelques semaines plus tard, l'homme blanc revint pour présenter ses respects à la mère d'Adwoa, et Effia ainsi que tous les villageois se rassemblèrent pour voir ce qu'il allait offrir. Il y avait le prix de la mariée qui était de quinze livres. Il y avait les cadeaux venus du fort, transportés sur le dos des Ashantis.  Cobbe ( le père d'Effia) laissa Effia se tenir derrière lui et observer  l'entrée  des serviteurs chargés d'étoffes, de millet, d'or et de fer.  page 17
 
"Nous travaillons avec les Anglais , Effia, pas pour eux. C'est le principe du commerce. page 19
 
"Abeeku ( le chef du village) a fait alliance avec un des plus puissants villages ashanis. Nous allons les aider à vendre des esclaves aux Anglais."
C'est ainsi que les hommes blancs vinrent dans leur village . Gras , maigres, rouges ou hâlés, ils arrivèrent en uniforme, l'épée au côté, le regard oblique, plus que jamais méfiants. Ils vinrent chercher les marchandises qu'Abeeku leur avait promises. page 26
 
"Plus belle femme n'a jamais vu le jour" dit-il finalement ( Abeeku qui se tint face à Effia) page 30
 
(Effia a été mariée à James, un Anglais,  au fort et elle le visite avec lui.)
Elle voulut s'arrêter  avant que James la conduise à son escalier privé et appuya sa tête contre un des canons. Elle sentit alors un courant d'air sous ses pieds , sortant de petits trous percés dans le sol.
 "Qu'est-ce qu'il y a en dessous demanda-t-elle à  James. Un mot lui parvint.
"Cargaison".
Puis, apporté par le même courant d'air, sortit un faible bruit de pleurs.  Si faible qu'Effia crut l'avoir imaginé avant de se baisser et de poser l'oreille contre la grille.
"James, il y a des gens en bas? demanda-t-elle.
James s'approcha vivement et la souleva du sol. Il la prit par les épaules et la fixa droit dans les yeux.
"Oui". dit-il calmement  dans un fanti plus assuré. page 32

Effia ne comprenait pas ce besoin d'appeler une chose "bonne"  et une autre "mauvaise", celle-ci "blanche" et cette autre "noire". dans son village, chaque chose était un tout. Chaque chose pesait le poids de tout. page 41

Esi était enfermée dans le cachot des femmes du fort de Cape Coast depuis deux semaines. Elle y avait passé l'anniversaire de ses quinze ans. page 47
 
(Dans les sous sols du fort) Les murs de terre étouffaient le temps.  La lumière du soleil ne pénétrait pas.  On ne voyait ni jour, ni nuit. Il y avait tant de corps entassés dans le cachot des femmes qu'elles devaient se coucher à plat ventre, pour que d'autres puissent être empilées au-dessus d'elles. page 50
 
Elle apprit  à diviser son existence entre "Avant le fort " et  "Aujourd'hui".  Avant le fort, elle était la fille du Grand Homme et de sa troisième femme, Maame.  Aujourd'hui, elle n'était que poussière. Avant le fort, elle était la plus jolie fille du village. Aujourd'hui, elle n'est rien. page 51
 
"Tu veux savoir ce qu'est la faiblesse?  C'est de traiter quelqu'un comme s'il t'appartenait. La force est de  savoir  qu'il n'appartient qu'à lui- même". ( Maame à sa fille, Effia) page 61
 
Elle se souviendra ( Esi) que lorsque les hommes blancs souriaient, cela signifiait seulement que d'autres malheurs étaient à venir. page 76
 
Chaque fois qu'il voyait ( Quey, le fils de Effia et de James) les bomboys partir avec une  pirogue remplie d'esclaves, il pensait à son père attendant au fort de cape Coast, prêt à les recevoir.  En observant la pirogue s'éloigner,  Quey était rempli  de la même honte qu'à chaque départ d'esclaves. Qu'avait ressenti son père sur la même rive?  James était mort  peu de temps après l'arrivée  de Quey à Londres. La traversée avait  été inconfortable, pour ne pas dire épouvantable.... Sur le bateau, une seule pensée occupait son esprit: le sort que réservait son père aux esclaves. C'était donc ainsi  que son père traitait les problèmes: les mettre sur un bateau, les pousser au large. page 93
 
"Tu es resté  en Angleterre trop longtemps; Quey. Peut-être as-tu oublié  qu'ici, les mères, les soeurs et les fils sont ce qui compte le plus. Si tu es  chef,  le fils de ta sœur est ton successeur  parce que ta sœur est née de ta mère, mais pas ton épouse. Le fils de ta sœur est même plus important pour toi que ton fils. page 101
 
Quand on avait vendu Ness en 1796, les lèvres d' Esi s'étaient figées en une ligne mince. Ness se souvenait d'avoir  tendu les mains vers elle, agité les bras et les jambes, tentant de repousser le corps de l'homme qui était venu l'emmener. page 104
 
James savait aujourd'hui, comme alors, que ses parents ne s'étaient jamais aimés. c'était un  mariage de convenance; le devoir les maintenait ensemble, même si cela semblait à peine suffisant. page 130
 
"Rien n'est jamais assez pour cette femme, dit Quey.
- C'est  ce qui arrive quand on se marie pour le pouvoir au lieu de se marier  par amour. " Pge 132
 
Les Anglais ne vendaient plus d'esclaves en Amérique, mais l'esclavage n'avait pas pris fin, et  son père ( de James)  ne croyait pas qu'il finirait un jour. Ils troqueraient simplement  une sorte de chaînes pour une autre, changeraient les chaînes réelles qui encerclaient les poignets et chevilles pour d'autres invisibles qui  enchaînaient les esprits. James ne l'avait pas compris quand il était plus jeune, quand le commerce des esclaves avait pris fin et que l'illégal avait commencé mais il comprenait aujourd'hui.  Les Anglais n'avaient pas l'intention de quitter l'Afrique, même après l'abolition  de la traite des Noirs. page 134

" Pourquoi tu as refusé de me serrer la main  aux funérailles du roi?
- Je te l'ai dit. Je ne serre pas la main d'un négrier fanti.
- Et je suis un négrier? demanda James...page 140

Cela faisait trop longtemps qu'il ne s'était pas promené dans Baltimore, qu'il n'avait pas savouré la fraîcheur de la brise de mer, ne s'était pas réjoui de voir des Noirs , certains  esclaves , mais d'autres aussi libres qu'il était possible, travailler, vivre, jouer autour de lui. Jo avait été esclave  jadis. page 158
 
"Si la Californie rejoint l'Union comme Etat libre, le président Taylor aura les mains pleines de sécessionnistes du Sud.
- Et le Maryland sera pris au milieu, dit une autre voix.
- C'est pourquoi nous devons tout faire pour nous assurer que le plus d'esclaves possibles soient émancipés à Baltimore." Page 161
 
"Le dieu de l'homme blanc est comme l'homme blanc. Il pense qu'il est le seul dieu, juste comme l'homme blanc pense qu'il est le seul homme." page 173
 
"Je vais vous dire, c'est mauvais signe. Un des Etats du Sud fait sécession et les autres suivront. On peut pas appeler les Etats-Unis d'Amérique si la moitié des Etats foutent le camp. Ecoutez-moi bien , il y aura la guerre. page 186
 
"Mon père était un marchand d'esclaves, un homme très riche. J'ai décidé de quitter le pays fanti, parce que je ne voulais pas participer à l'activité de ma famille. Je voulais travailler pour mon propre compte...Je suis heureux de posséder cette terre et de ne pas continuer la tâche honteuse de ma famille" page 123
 
Au lever du jour, le lendemain, par une chaleur torride  de juillet en 1880,  H.  avait été enchaîné à dix autres hommes et vendu  par l'Etat d'Alabama pour travailler dans des mines de charbon non loin de Birmingham. page 220
 
 
 
"Ecoute , Marjorie, je vais te dire une chose que peut-être personne ne t'a dite jusqu'alors. Ici, dans ce pays, les Blancs qui gouvernent ne se préoccupent pas de savoir d'où tu viens. Tu es ici, à présent  et ici, le noir est noir et sera toujours  noir" page 374

(Marcus) Il ne se rappelait pas exactement quand lui était venu le besoin d'étudier et de connaître sa famille plus intimement. page 394

Commet expliquer à Marjorie que ce qu'il voulait capter avec son projet était la sensation du temps, l'impression d'être une part de quelque chose qui remontait si loin en arrière, qui était si désespérément vaste qu'il était facile d'oublier qu'elle , lui, chacun d'entre nous,  en faisait partie - non par isolement, mais fondamentalement.
(Les ancêtres de Marcus)  Ils avaient tous fait partie de leur temps et, en marchant dans Birmingham, aujourd'hui, Marcus était une somme de ces époques. C'était là son sujet. page 402

(Marcus et Marjorie , l'un descendant  d'Effia et l'autre d'Esi sont venus  en visite au Ghana. Il sont arrivés au fort de cape Coast ) Près de lui, Marjorie se balançait  d'un pied sur l'autre, et Marcus essayait de ne pas la regarder.  C'était ainsi que la plupart des gens passaient leur existence , aux niveaux supérieurs, sans jeter  un regard en dessous d'eux.
Et c'est là qu'ils descendirent. En bas. Dans le ventre de cette bête échouée. Là où stagnait une crasse qui n'avait pu être éliminée....Il n'y avait pas de fenêtres. Il n'y avait pas d'air.
"Ici, c'est le cachot des femmes, dit finalement le guide,  en les conduisant dans une salle où flottait encore une odeur indéfinissable.....Et de là, ils les faisaient sortir par cette porte"...Au-dessus, il y avait  une inscription, Porte du voyage sans retour.. "Cette porte mène à la plage , où les bateaux attendaient pour les emmener. "
Les. Les. toujours les. Personne ne les appelait par leurs noms. Le groupe était silencieux. Ils étaient tous immobiles, ils attendaient. Quoi? Marcus l'ignorait. page 406

jeudi, octobre 11, 2018

A SON IMAGE ( Jérôme Ferrari)

Par une soirée d'août, Antonia, flânant sur le port de Calvi après un samedi passé à immortaliser les festivités d'un mariage sous l'objectif  de son appareil photo, croise un groupe de légionnaires parmi lesquels elle reconnaît Dragan, jadis rencontré pendant la guerre en ex-Yougoslavie. Après des heure d 'ardente conversation,  la jeune femme, bien qu'épuisée, décide de rejoindre le sud de l'île, où elle réside. Une embardée précipite sa voiture dans un ravin: elle es tuée sur le coup.
L'oraison funèbre  de la défunte sera célébrée par un prêtre qui n'est autre que son oncle et parrain, lequel pour faire rempart à son infinie tristesse, s'est promis de s'en tenir strictement aux règles éditées par la liturgie. Mais dans la fournaise de la petite église, les images déferlent de toutes les mémoires, reconstituant la trajectoire de l'adolescente  qui s'est rêvée en photographe , de la jeune fille qui, au milieu des années 1980, s'est jetée dans les bras d'un trop séduisant militant nationaliste  avant de se résoudre à travailler pour un quotidien local où " le reportage photographique " ne semblait obéir à d'autres fins que celles de perpétuer une collection insulaire mise à mal par des luttes sanglantes entre les nationalistes.
C'est lasse de cette vie qu'Antonia , succombant à la tentation de s'inventer une vocation, décide en 1991, de partir pour l'ex-Yougoslavie , attirée, comme tant d'autres avant elle, dans le champ magnétique de la guerre, cet  irréprésentable.
De l'échec de l'individu  à l'examen  douloureux des apories de toutes les représentations, Jérôme Ferrari , avec ce roman bouleversant, les liens ambigus qu'entretiennent l'image , la photographie, le réel et la mort.
 
La mort prématurée constitue toujours, et d'autant plus qu'elle est soudaine, un scandale aux redoutables pouvoirs de la séduction. page 16
 
Quand il (son  oncle et parrain) offrit à Antonia , pour son quatorzième anniversaire, le premier appareil photo qu'elle eût jamais tenu  entre ses mains, il était encore au séminaire . Elle se jeta à son cou dans un  élan de joie enfantine car c'était alors lui , et lui seul, qui réjouissait sa jeunesse. page 19
 
Le parrain d'Antonia   crut d'abord qu'elle s'intéressait à ses origines et lui offrit de la guider sur les chemins enchevêtrés d'une  généalogie que les veuvages précoces et les remariages , les enfants nés de plusieurs, les inévitables filles-mères et les unions subtilement consanguines rendaient irrémédiablement obscures  au néophyte. page 20
 
Antonia  ne s'intéressait ni aux bêtes, ni aux fleurs, mais seulement aux humains, et elle ratait toutes ses photos.  Elle avait beau noter scrupuleusement dans un cahier, les valeurs d'ouverture et les vitesses d'obturation, elle ne produisait que des images floues, trop sombres ou atrocement surexposées....Ses parents durent accepter qu'elle installât son propre laboratoire dans la cave. Elle apprit elle-même à développer  elle-même ses négatifs ....Elle finit par contrôler ses expositions erratiques et faire le point correctement.  ..Pages 22, 23
 
(Antonia est morte dans un accident, son corps est exposé dans la maison de ses parents, l'oncle est arrivé pour les obsèques et est près du corps. ) Il ne fallait pas fuir le spectacle de la mort. Il ne fallait pas l'embellir. Même meurtri et corrompu, même déserté par l'âme et figé dans une lourde inertie de chose, le corps demeurait sacré. ...Le glas sonne pour la deuxième fois...page 32
 
Le 6 janvier 1980, le journal télévisé régional annonça que des militants autonomistes  avaient capturé, à Bastia , trois hommes armés qu'ils soupçonnaient d'être des barbouzes chargés d'assassiner l'un d'entre eux....Pascal B.  était à table en train de dîner en famille. En entendant les informations, il se leva, embrassa ses parents , prit son fusil de chasse et deux boites de cartouches et monta dans  sa voiture. Antonia ne sut jamais exactement où ni comment il rejoignit le groupe...Page 39 Pascal B. fut déféré  avec ses camarades devant la Cour de Sûreté de l'état et placé en détention à la prison de la Santé. Elle lui écrivait presque tous les jours. page 40
 
L'histoire de la photographie a commencé par l'inerte, quand le soleil devait  achever sa course dans le ciel au-dessus  de la propriété  de Nicéphore Niepce  avant que s'impriment  enfin sur une plaque de métal l'étrange image  de murs éclairés de tous côtés à la fois. page 51
 
Au moment où Gaston C. quitte Paris pour la Tripolitaine, fin novembre 1911, les appareils modernes permettent depuis longtemps de figer les mouvements de la vie. Un visage net n'est plus nécessairement un cadavre....Dans ses bagages , Gaston C. emporte un appareil photo Kodak , à pellicule, qu'un ami lui a prêté...;Gaston C. est écrivain et l'on attend de lui qu'il tienne la chronique minutieuse des défaites de l'Empire ottoman dont l'agonie vient de commencer.  Fin septembre, les troupes italiennes se sont emparées de Tripoli. page 52
 
Le 5 décembre, quatorze Arabes soupçonnés d'avoir participé au massacre de Sciara Sciatt sont emmenés à Tripoli , les mains entravées dans le dos, en file indienne, conduits à la longe. ...Un officier italien lit l'acte d'accusation dans une langue qu'ils ne comprennent pas. Les insurgés sont tous condamnés à mort par pendaison, ..Dans la nuit, à quatre heures du matin , il assiste à l'exécution. Il en fait un  compte rendu d'un irréprochable professionnalisme dans Le Matin; mais , à sa femme, il écrit qu'il n'a pas voulu dormir de peur de faire des rêves terrifiants ..page 56
 
A Paris, désormais, on attend ses photos  avec impatience plus que ses articles ...On verra ses photos et, grâce à elles, on saura ce qui s'est un jour passé ici, le souvenir de ceux qui sont morts en Tripolitaine ne disparaîtra pas dans le néant  et personne ne pourra ignorer ce qui s'est passé. page 60
 
ll n'a plus rien à faire en Tripolitaine. Il attend la bateau qui doit le ramener en France...Il photographie le port. page 61

Il voudrait repartir. La première Guerre Mondiale lui en donnera l'occasion. En 1915, il est nommé au service  de photographie des Armées sur le front des Balkans. page 62
 
...Ils entrèrent au journal. Une heure plus tard, le collègue d'Antonia avait rédigé  un article dont les quatre mille signes n'ajoutaient pas la moindre information à celle que donnait le titre: " Un homme abattu à Ajaccio".  Sa longue carrière dans la pesse lui avait  permis de développer des talents sans aucun  doute, le journaliste cultivait  désormais l'art de parler pour ne rien dire avec une virtuosité qui touchait au génie. IL combinait  magistralement lieux communs, clichés, expressions toutes faites et  considérations édifiantes de façon à produire  sans coup férir et sur n'importe quel sujet, des textes absolument vides. page 66
 
Son nouveau métier, pour insatisfaisant qu'il fût, lui avait permis de gagner son indépendance bien ^plus tôt qu'elle ne l'aurait imaginé. page 75
 
Les images sont la porte de l'éternité. La photo ne dit  rien de l'éternité, elle se complait dans l'éphémère, atteste de l'irréversible et renvoie tout  au néant. page 108

vendredi, octobre 05, 2018

NE M'APPELLE PAS CAPITAINE (Lionel Troullot)

Quand Aude , aspirante  journaliste, décide de frapper à la porte du Capitaine pour enquêter sur le morne Dédé - quartier de Port-Au-Prince  en déshérence qui connut son heure de gloire à l'époque de la dictature, lorsqu'elle abritait les opposants - , elle n'est rien d'autre aux yeux  du vieil homme qu'une jeune bourgeoise qui n'a  connu que "des souffrances de contes de fées", l'héritière  d'une longue tradition de familles opulentes qui ont bâti  leur fortune sur le dos des pauvres gens.
Mais à ce vieillard acariâtre dans son fauteuil, la jeune femme offre également l'occasion de déchirer le silence, provoquant d'abord sa colère, puis, parvenant peu à peu à ressusciter le grand maître d'arts martiaux  qu'il  a autrefois  été, du temps où il se battait  pour faire vivre son club, un lieu d'apprentissage, du où une mystérieuse  élève l'avait  ensorcelé et enjoint à servir " la cause" , une femme dont il était tombé fou amoureux  avant de la haïr.
Parce qu'elle apprend, malgré elle, à poser un regard critique  sur le milieu protégé  dont elle est issue, où l'on se marie entre cousins, pour perpétuer la couleur de la peau des dominants  en se frottant le moins possible aux "autres", qu'elle sait , dès lors, voir plus loin que le bout de son portail sécurisé, et , peut-être parce que, à travers son grand frère, Maxime, atteint de troubles psychiques,, elle porte en elle l'altérité  depuis sa naissance. Aude commence  à faire sa place  dans cet ailleurs. En la personne du vieil homme et de quelques jeunes "échoués", elle identifie un autre monde , une nouvelle humanité et, avec elle, le chemin pour faire  de la vie une cause commune.
 
Ne m'appelle pas Capitaine. N'en déplaise  aux poètes, mes chagrins n'ont jamais eu le pied marin. page 13
 
La différence était grande entre le vieil homme et Maxime ( son frère ). L'un hurlait à la mort par trop-plein de langage. Jamais en manque de mots mais seulement de vivants  avec lesquels partager. L'autre, faute de mots, avait passé son enfance à casser et à défaire les tonnes de jouets que lui offraient ses parents, les amis de  la famille, leur préférant les jouets de sa petite sœur. Toutes blanches . Seul, l'oncle Antoine m'en avait offert une noire. qu'il avait ramenée d'une boutique d'artisanat. Elle venait du Marché en fer, un de ces lieux dont j'ignorais l'existence. Tante Marthe avait voulu la faire désinfecter. Je ne sais ce qui lui déplaisait le plus chez cette poupée. La couleur? L'origine? ...Maxime ne triait pas dans le tas. Toute poupée était une merveille. Un double avec lequel jouer. page 14 
 
On ne blesse que soi en parlant aux absents. page 16
 
Entre ceux qui ont tué et ceux qui peuvent laisser mourir, je ne sais lesquels sont les pires. page 18
 
( Capitaine) " Quand on a tout ou trop, on a le droit de faire des choix qui ne durent pas, de faire des choses "en attendant", comme une sorte d'entraînement , un peu pour se désennuyer tout en donnant du temps au temps..." C'est vrai. Quand on est riche, on papillonne , on se donne les moyens d'attendre sans savoir ce que l'on attend, ni prévoir la durée de l'attente. " Quand on a tout ou trop, nulle urgence à se décider, encore moins celle d'un engagement définitif  pour une cause ou sur un chemin. On peut passer sa vie à être velléitaire. S'imaginer à trente ans qu'on en a quinze. A quarante, qu'on est une jeunette, sans lire dans le regard des autres la nouvelle apparence de la minceur d'hier: les traits tirés d'une maigreur héroïque , comme si, faute de choses à faire, un corps avait passé son temps à prendre son décharnement pour l'éternelle jeunesse. "...Les corps de mes tantes et bientôt celui de ma mère... ces corps refaits à l'envi qui s'opposent à vieillir et vieillissent pourtant , ayant tellement vieilli  qu'ils ne trompent plus personne sauf leurs propriétaires.  page 21
"Qui es-tu?" L'une des premières  questions posées par Capitaine  avant de consentir à répondre à ma requête " qui suis-je? Se décrire Car, affirmait-il, si l'on ne parvient pas  à se décrire, comment peut-on prétendre  décrire des choses extérieures à nous.? Une assertion fausse. On peut bien tout comprendre aux autres sans rien connaître de soi-même. Qui étais-je? Héritière de la tradition...il ne me venait pas de réponse. Quand on a tout ou trop, il arrive qu'on en sache pas qui être sinon ce qu'on a . Peut-être n'étais-je en ce temps là que ce que je possédais. On pouvait faire ma somme , me dresser comme une liste. Une famille riche. Des rituels de riche. Des idées et des sentiments de riche. Une petite voiture de fille  de riche, cadeau d'anniversaire pour mes dix-huit ans , dont je devais changer , disait mon cousin Jeffrey, parce qu'elle avait deux ans et manquait de puissance. Des petits amis riches. ....J'étais ces choses. Une somme qu'on aurait pu dresser en suivant mes actes, mes trajets, mes rituels. pages 21, 22

Un nom c'est comme une porte d'entrée , une carte d'accès à quelqu'un ou quelque chose....page 23 L'oncle Antoine m'avait donné deux noms ( pour le stage) celui d'un homme ou plutôt d'un surnom  d'un homme  et celui d'un quartier. Une adresse. Je dirais venir de sa part. Deux noms. sans autre information, ni  indication page 23

Dans ma famille, le reste du monde  n'a pas de nom . On ne parle que de nous, dans un vaste "on s'aime"  aux allures de répétition générale permanente. page 24

Ma mère ne me félicite plus. Elle en souffre. Moi pas....Ne portai-je pas la solitude d'une différence? Pour la solitude, Maxime avait choisi la drogue et la folie. L'oncle Antoine, le mutisme, son ranch ....Page 26

(Elle cherche l'adresse de Capitaine dans un quartier inconnu d'elle.) Réalisant que les seules personnes ne partageant  pas ma condition de gosse de riche auxquelles j'avais adressé la parole étaient des subalternes: domestiques, chauffeurs, salariés d'une des entreprises familiales.   " Ti chéri" La  distance cachée dans la condescendance.  Les registres dans la langue du chef. C'était la première fois que je parlais à des personnes  d'un milieu différent du mien  sans être en position de chef. La première fois que je faisais face à une situation qui commandait de réapprendre à parler. ...La première fois que des subalternes se moquaient  de moi. Dans ma petite voiture, je me faisais tourner en bourrique. Je compris cela à mon  deuxième passage  devant le sourire d'un garçon qui m'avait délibérément fait prendre une mauvaise direction, me ramenant à mon point d'origine. Il souriait, adossé  à un reste de mur. page 30

Assis dans un fauteuil, un vieillard au corps maigre , musclé pourtant,  récitait des vers. J'allais les entendre souvent. page 32...."C'est Antoine qui t'envoie? Ce vieux salopard, il préfère toujours les chevaux aux humains? Avec une famille comme la tienne, on ne peut guère lui en vouloir." page 33
Ton père sait que tu es ici? Si lui n'y est  jamais venu, c'est qu'il n'y  a rien à exploiter. Qu'est-ce qu'il viendrait  acheter ou vendre ici, ton père? ...t'es sûre qu'il sait que tu es ici, sur les ruines  du morne Dédé, sans  chauffeur ni gardes du corps? ...Pourquoi je te raconte tout ça? Ah oui. Est-ce que ton père sait que tu es ici? ...Est-ce que ton père sait que tu es ici? Et que vins-tu chercher au pays de mes morts? pages 33, 34, 35, 36
 
Ma mère possède (comme ça ) une douzaine d'expressions favorites.  Rangées par catégorie. L'intime. Le social. L'esthétique. Le passé...."Un homme de bonne tenue" pour un fonctionnaire. ..Une "jolie brune -  pêche" pour qualifier une cousine  ou une nièce  une femme de la famille ou du clan pas suffisamment blanche à son goût. "Les brunes- pêches sont jolies aussi. Aussi pour dire quand même. page 40
Là encore, Capitaine avait raison. Il disait qu'en la plupart des circonstances, ce que nous faisions, devenions, relevait d'une simple décision. Il détestait le verbe "essayer". ..."Essayer, c'est un verbe trop paresseux  quand il s'agit d'actions qui relèvent de la décision...En bien ou en mal, on est souvent ce qu'on  décide. Et je pleure ou je crache sur qui passe son temps  à essayer de choisir.  " page 42
Essayer, c' est un verbe très paresseux quand il s'agit  d'actions qui relèvent de la décision. page 43
 
Le deuxième jour, le guetteur du muret, Jameson, m'avait arrêtée dans la rue et accompagnée jusqu'à la maison. Ordre de Capitaine. M'accompagner. M'ouvrir le portail; attendre de me voir garer ma petite voiture dans le coin le plus propre de la cour. Refermer le portail.  Attendre ensuite que je sois prête à partir. J'avais hésité avant de le laisser monter. Je n'avais jamais pris d'étranger dans ma voiture; page 47
 
"ça s'est bien passé avec Jameson? C'est mieux que les gens te voient avec lui. Ici, si tu parais plus riche que les autres, la colère se lève vite contre toi. Un bonjour auquel tu ne réponds pas.  Un regard.  Un mot. Un faux air qu'on te trouve. Au moindre prétexte,  toutes les rancoeurs du monde  te tombent dessus en  avalanche. Et tu payes.  L'injure. La pierre. Vlan. Pour le père que je n'ai pas eu. Vlan. Pour ce pain qui n'est pas quotidien. Vlan...;page 53
 
A en croire Diogène, il y a trois âges dans la vie. Le premier pour obéir à ceux qui nous ordonnent  de le faire: lave-toi le matin.....Va faire tes devoirs...N'oublie pas ta prière...Le second pour faire ce qu'on estime devoir faire comme une conséquence du premier.  Assumés les responsabilités qu'on nous a amenés à choisir.  S'occuper de sa famille, travailler pour les autres; Continuer, c'est un ordre, à faire ses devoirs.  Le troisième pour faire enfin ce que l'on a envie de faire. page 55

Quand ma mère disait : "J'en ai marre"., elle devenait enfin humaine, fragile, presque  prête à ôter son masque. Je l'aimais  à ces moments-là. Moi, c'était différent.  Je ne l'utilisais pas  quand j'atteignais le point de rupture., me forçant à regarder la vérité, mais , au contraire,  quand l'idée même d'une vérité autre que ma normale venait me contrarier. ...Combien de fois avais - je dit ces mots  face à une situation qui exigeait de me projeter hors de moi, de creuser une réflexion,  de poser un acte par lesquels me perdant, je me réinventerais! Oui, j'en ai marre!  Et j'étais partie.  Laissant là mon magnétophone, mes notes. Me précipitant vers ma petite voiture, clé en main. Sans un regard à Jameson qui m'ouvrait le portail.  Ratant presque le virage. Conduisant trop vite dans ces petites rues encombrées de passants, de motos. J'en ai marre! Je  n'y arrive pas! page 60
 
J'ai fait un demi-tour qui a changé ma vie... Avant de m'ouvrir le portail une prière plus qu'une menace: " T'es sûre de savoir ce que tu cherches? "  Non. Je ne savais pas...Moi, j'avais une idée de moi qui me sortais de l'ordinaire. J'étais moi et une autre que je pouvais devenir.  page 66
 
Le troisième jour, en voyant Jameson assis sur son muret...je lui demandai  de quoi Capitaine avait besoin. Je voulais lui faire un cadeau . Pour réparer. ...Jameson ne comprenait pas. dans s
la ville, s'il fallait un cadeau pour réparer chaque tort, il n'y aurait jamais de paix.  Dans mon milieu , tout se répare avec des cadeaux. Le cadeau est le correctif qui enterre la hache de guerre et rescelle les pactes. page 71
 
Et j'avais pris goût au café. Je commençais à aimer cette nudité du lieu, cette absence totale de clinquant et de précipitation. La bande n'aurait pas tenu une heure dans cette pièce  à cause du dépouillement. Et tout semblait si vieux. Le dessus- de- lit. Le locataire lui -même. ...Pour la première fois entre le vieux con et la pimbêche, entre lui, le bateau échoué en moi, feuille volante, le temps d'un café  et de quelques phrases, il passait quelque chose de doux, un partage ou une bienveillance. pages 80, 81

(Jameson )"Mais, Capitaine, discuter aves les vivants, c'est une chose  avec laquelle il a rompu depuis longtemps. Je suis étonné qu'il te parle. Cela fait tant d'années qu'il habite le silence. Nous sommes tous étonnés. ça nous vexe un peu. A  nous, il ne dit rien. Tu débarques, et il se met à raconter. Faut pas lui dire. Mais il t'attend. Le  matin, je le vois posté à sa fenêtre, guettant ton arrivée. Il m'a demandé d'astiquer son sabre. J'ai eu un peu peur. Mais un ordre est un ordre. " page 85
 
Pendant mes recherches, j'avais aussi visité l'arbre généalogiste  de la famille...il y avait deux cents ans que, de père en fils,  de mères en filles, de Blancs importés d'Allemagne ou d'Argentine, en mariages entre cousins et cousines, nous avions fait le choix de ne pas être noirs. page 91
 
Et Capitaine : " Ce n'est pas parce qu'on n' a rien, que l'on doit vouloir tout. Et ce n'est pas parce qu'ils demandent tout qu'on ne doit pas leur donner ce à quoi ils ont droit. Tout. Rien. pas assez. Toujours la même merde." page 94
 
"Y a toujours quelqu'un qui nous aime. Je veux dire en vrai. Le problème c'est de le reconnaître." dit Ti -Fritz.
- T'en penses quoi  la  Blanchette , toi qui a dû faire toutes les classes et développer de grandes idées?"
Et moi, sans savoir pourquoi: "il s'appelait Nahoum" page 103
 
"Et Capitaine, c'est notre seul lien  avec autre chose que nous-mêmes. page 109
 
"Dans la bibliothèque de ton père, il y a la biographie de Talleyrand. Tu sais ce qu'il  écrit? Que dans les grandes familles, c'est la famille qu'on aime et non l'individu. "  112 (L'oncle Antoine)
Essayer est l'alibi des paresseux. Moi, je veux rien tenter. Je veux juste  réussir. page 128