lundi, décembre 29, 2008

MOBY DICK (Herman Melville)

Gros pavé de 800 et quelques pages!!

Quiequeg, natif de l'île de Rokovoko, veut embarquer sur un baleinier, le capitaine le refuse mais il arrive malgré tout à se hisser à bord.
En vain, le capitaine le menaça-t-il de le jeter par-dessus bord; même un coutelas posé sur ses poignets nus reta sans effet: Quiqueg était fils de roi; et Quiequeg ne broncha pas. Tant d'intrépide obstination désespérée, tant de courage et un désir farouche de visiter la Chrétienté étonnèrent le capitaine qui finit par céder: il lui offrit libéralement l'hospitalité de son bord. Toutefois, notre jeune et magnifique sauvage, ce prince de Galles des mers, ne contempla jamais la cabine du capitaine: on le nomma au poste d'équipage et ils firent de lui un baleinier. Tel le tzar Pierre le Grand qui se montrait content de besogner dans les chantiers des ports de l'étranger, Quiequeg n'avait non plus ni honte ni dédain de tâches apparemment ignominieuses, qui pouvaient enrichir le plus heureusement ses aptitudes et son pouvoir d'éclairer ses ignorants compatriotes.. Car, ce qui le poussait, au fond, - ainsi qu'il me l'a dit- , c'était le désir ardent d'apprendre chez les chrétiens les moyens et les arts qui pourraient rendre ceux de son peuple plus heureux- plus heureux, oui, et surtout meilleurs qu'ils n'étaient. Mais hélas! la pratique de la vie des chasseurs de baleine eut tôt fait de convaincre Quiequeg que les chrétiens eux-mêmes pouvaient être à la fois des malheureux et des misérables, et à un degré infiniment pire que les sujets de son père....Ce monde , se dit-il, est tout aussi mauvais , calamiteux et pervers sous toutes les latitudes; pourquoi changer? Je mourrai tel que je suis né: païen. Page 122
En se mettant à pousser la brouette, à son tour, il me raconta l'amusante histoire de son premier contact avec cet engin. C'était à Sag Harbour. Pour qu'il transportât son pesant coffre jusqu'à son logement, les armateurs de son vaisseau, lui avaient prêté une brouette. Il n'en avait jamais vu et ne savait le moindre du monde comment s'en servir; mais ne voulant paraître ignorant, il avait arrimé solidement son coffre sur le véhicule et s'en était allé, portant le tout sur son dos. "Mais , voyons, Quiequeg, tu aurais tout de même pu savoir! ...m'exclamai-je. les gens n'ont-ils pas rigolé?" Page 125

mardi, décembre 16, 2008

SALOGI'S (Barlen Pyamootoo)

Barlen Pyamootoo est né à l'île Maurice et ce livre a pour titre le nom de sa mère: Salogi et raconte sa vie.
...lui expliquer que la vie , c'est des coups durs à encaisser, parce qu'il n'y a rien d'autre à faire. page8
Tout pouvait se jouer lors d'un mariage: des jeunes gens s'y affichaient pour rencontrer l'âme soeur, les parents enquêtaient discrètement sur la famille et les sentiments de l'amoureux ou l'inverse, et des marieurs se démenaient dans l'arrière-cuisine pour conclure des alliances. Cela peut paraître pittoresque mais dans les années cinquante, le mariage et la messe étaient les seules échappées des pauvres, des opportunités pour les jeunes de rêver à l'amour et à une autre vie. Et c'est donc à un mariage, celui de son cousin Canavaldi à Cure-Pipe, que ma mère a rencontré mon père. page 38
J'ai eu cette chance d'avoir beaucoup lu dans mon enfance et mon adolescence et de porter en moi des histoires qui , aujourd'hui encore, m'obsèdent, m'éreintent, parfois, me brisent et des personnages étranges et vaguement effrayants qui appartiennent à des époques révolues et habitent à jamais des pays inconnus, mais dont le corps et la voix pourraient être miens. J'ai eu aussi la chance d'avoir été nourri par tant de langues si différentes: le créole, ma langue maternelle, mon substrat; l'anglais et le français à l'école, sauf dans la cour de récréation où rayonnait le créole; le tamoul que j'apprenais également à l'école, mais qui appartenait surtout aux cérémonies religieuses; le bhojpuri, une langue indienne courante à la campagne, dans laquelle mon père et ma mère conversaient; et d'autres langues encore qui me parvenaient sans écho d'une boutique chinoise, de la radio ou d'une salle de cinéma. page 81

dimanche, novembre 30, 2008

LA PORTE DES ENFERS ( L.Gaudé )

"Pourquoi disiez-vous que la vie et la mort sont plus imbriquées qu'on ne le pense?" demanda-t-il après un temps. (Matteo)Le professore se passa la main sur le visage, sourit avec douceur et répondit:
"Parce que c'est vrai... La société d'aujourd'hui , rationaliste et sèche , ne jure que par l'imperméabilité de toute frontière , mais il y a rien de plus faux... On n'est pas mort ou vivant...En aucune manière...C'est infiniment plus compliqué. Tout se confond et se superpose..."
Grace et Garibaldo écoutaient avec attention.
"Vous avez déjà perdu quelqu'un de proche ? " demanda Provolone.
Garibaldo ne répondit rien mais pensa avec force à sa compagne morte dix ans plus tôt d'un cancer foudroyant.
"Vous n'avez jamais l'impression que ces êtres-là vivent en vous?...Vraiment... Qu'ils ont déposé en vous quelque chose qui ne disparaîtra que lorsque vous mourrez vous-mêmes?... Des gestes...Une façon de parler ou de penser...Une fidélité à certaines choses et à certains lieux...Croyez-moi...Les morts vivent . Ils nous font faire des choses. Ils influent sur nos décisions. Ils nous forcent. Nous façonnent.
-Oui, répondit Grace, avec amertume. Quand il y a encore quelque chose à façonner...
-Exactement, s'exclama le professore avec jubilation. C'est l'autre aspect de la porosité des deux mondes. Nous ne sommes, parfois, plus si vivants que cela. En disparaissant, les morts emportent quelque chose de nous-mêmes. Chaque deuil nous tue. Nous en avons tous fait l'expérience. Il y a une joie, une fraîcheur qui s'estompe au fur et à mesure que les deuils s'accumulent...Nous mourrrons chaque fois un peu plus en perdant ceux qui nous entourent..."
Matteo ne dit rien et serra les dents.
"C'est pour cela vraiment..., reprit le professore, que je dis que les deux états se chevauchent...Regardez Naples, certains soirs...vous ne trouvez pas qu'on dirait une ville d'ombres? "
Matteo sourit. Combien de fois avait-il eu cette impression en roulant dans les avenues désertes de la ville? Combien de fois lui avait-il semblé qu'il était dans un monde étrange et suspendu? pages 140, 141
"Alors vous aussi vous pensez que nous sommes plus morts que vivants?" Garibaldo avait posé sa question au curé entre deux bouchées. Il regardait le vieillard avec une curiosité d'enfant.
"Après quarante ans de confession, j'en suis certain, répondit le vieil homme, avec un air malicieux. Vous n'imaginez pas le nombre de paroissiens que j'ai pu écouter et pour qui, au fond, la vie n'est plus rien. Ils ne s'en rendent même plus compte, mais tout ce dont ils parlent , c'est une triste succession de petites craintes et d'habitudes. Plus rien ne bouge en eux. Plus rien qui bouillonne ou remue. Les jours se succèdent les uns aux autres. Il n'y a plus aucune vie dans tout cela. Des ombres. Rien que des ombres. Pendant quarante ans , je les ai vus défiler sur le banc de mon confessionnal. La plupart n'avaient plus grand-chose à dire. Ils se sentaient voûtés par un ennui pesant mais n'avaient rien à raconter. Ni désir violent, ni crime, ni bouillonnement intérieur. Juste quelques sales petites turpidudes. Heureusement que le corps vieillit." page 147

vendredi, novembre 21, 2008

FLEURS DE TEMPÊTE (Philippe LE GUILLOU)

Tout a commencé un soir de printemps il y a plus de vingt ans sur la terrasse du Piccadilly, place de la Mairie, à Rennes, cette terrasse boisée qui regarde l'élégante bâtisse aux hautes croisées xv111 è. ...C'est le lieu où les Rennais aiment se prélasser et se montrer. C'est le lieu qu'avait choisi Christian pour me présenter celle dont il me parlait depuis longtemps, sa complice de khâgne. page 13
Etait-ce un temps marqué par l' insouciance? C' est l'impression qui domine , celle d'une période qui prolonge l'adolescence et où l'effroi de la mort ne s'enracine pas forcément dans le terreau d'une expérience assumée, cette ultime séquence de la jeunesse où les noms et les ombres de morts ne nous encombrent pas encore. J'allais avoir vingt-huit ans lorsque j'ai rencontré Hélène , elle venait d'en avoir vingt et un. Le deuil nous avait épargnés, la maladie , tout ce qui enténèbre nos vies. Nous avions nos angoisses et nos gouffres mais les choses nous avaient été plutôt faciles. Une certaine propension à s'exalter et à admirer, le goût des oeuvres et des mots, l'attrait de terres et de villes inconnues nous semblaient plus efficaces que tous les baumes et toutes les thérapies. page 19
Celle qui m'avait ébloui un soir de mai en commandant un Chivas et en parlant si justement de Proust était entrée dans ma vie à tel point que toute notion de temps, d'antériorité des relations n'existait plus. La confiance, la connivence étaient absolues et elles l'avaient été très vite dès que nous avions commencé à nous revoir, progressivement, graduellement jusqu'à ne plus nous quitter ou être en liaison téléphonique permanente...Une vie s'organise avec ses êtres, ses lieux, ses rites, ses noms, dans cette insouciance que j'ai dite, cette liberté. ... La tentation brestoise (d'y demander un poste de professeur ) n'avait pas effleuré Hélène un seul instant. La ville bétonnée, les mouettes, la lumière vénitienne qui flotte sur la cours d'Ajot l'attireraient bien plus tard. pages 21, 22
Hélène mettait dans ses relations privilégiées une forme d'incandescence qui m'avait immédiatement séduit. Elle ne cherchait pas à fréquenter une élite , mais elle était la femme des happy few. Les pleutres, les fades, les gens quelconques l'ennuyaient et suscitaient sa moquerie. Dès qu'il était question de littérature et d'art, son exigence croissait....page 27
...Matriciel, profond, enrichi par son goût du large et la proximité poétique de Genet, était le lien qui l'attachait à Brest, sa ville, dont elle parlait comme d'un univers mémoriel ou mental, pas forcément d'un lieu où elle souhaiterait vivre.. page 36
La comédie sociale ne l'amusait qu'à demi. Elle trouvait que les habitués du quartier de Saint-Germain-Des-Prés avaient le nez haut. Elle disait en allemand "hochnäsig". Elle aimait trop les relations profondes et justes pour s'accommoder de l'hypocrisie mondaine. Elle débusquait les ridicules, elle avait le sens du portrait, de la caricature féroce...page 40
La Bretagne l'habitait sans cesse. Fille des môles, des ports que mouillait une fine lumière, légère et vénitienne, des grèves et des chemeins vertigineux des proues d'Armorique, Hélène portait en elle cette tradition et ce legs, elle aimait les rafales, l'air qui cingle, la rudesse de l'élément, le tumulte des vagues à l'approche d'une tempête. D'où peut-être cette force qui émanait d'elle, la vigueur d'une nageuse des anses glacées, d'une marcheuse des confins qui ne craignait ni l'orage, ni le vent. page 41
Il y a eu toujours entre nous une forme de pudeur qui nous interdit de nous appesantir sur nous-mêmes.. Les choses ont toujours été claires entre nous, ce qui ne veut pas dire qu'elles n'ont pas eu leurs rhizomes de douleur et Hélène n'a jamais attendu ce que je ne pouvais donner.page 71
Nos dernières années seront finistériennes, éclairées par la lumière des confins de la péninsule armoricaine, entre Brest, Logonna, Le Faou, la forêt du Cranou et la presqu'île de Crozon. Très vite, Hélène a pris ses marques à Brest...Elle m'attend toujours au bout du quai lorsque je viens la voir, j'aime cette arrivée, le compagnonnage, depuis Landerneau, de la voie ferrée avec l'Elorn, la rivière marine aux prairies et aux vasières découvertes, les eaux hautes et grises sous le ciel qui se charge, les anses sauvages, les petits manoirs perchés au-dessus des grèves, les palissades de maisons et d'arbres puis le paysage s'ouvre soudain avec la perspective du pont de Plougastel, le port, les bassins, les grues, l'austérité minérale et militaire de la rade, les abords bétonnés de la forteresse maritime. Le charme de cette arrivée est toujours ravivé par la présence de l'Elorn, du spectacle changeant de son chenal, lisse comme un lough d' Irlande, une mer intérieure, ou sinuant entre des bourrelets de vase, la beauté même de ce nom qui sonne comme celui d'une rivière magique des romans bretons, et la certitude de trouver Hélène au bout de cette voie qui arrive sur une esplanade aérée dans le tumulte des oiseaux marins. page 83
(A Camaret) Pour l'heure, Hélène souhaite marcher jusqu'à la chapelle de Notre-Dame de Rocamadour ocre et basse, comme une figure de proue tout au bout de la jetée qui ceinture le port, chapelle dont elle affectionne le décor marin - elle est ornée d' ex-votos- et la charpente en forme de barque renversée. Une sorte d'exaltation sourde l'embrase comme nous nous dirigeons vers le sanctuaire protégé des vagues par la digue, parce qu'elle aime ce paysage entre tous, cette odeur constante de saumure et de coques calfatées, la proximité du large, des vagues d'émeraude qui roulent, des récifs des Tas de Pois et de la Pointe de Pen Hir, de l'infini, sans entrave, sans limites. Elle va heureuse, cheveux au vent, d'un pas plus lent, plus prudent que d'ordinaire, et tout ici la comble, elle goûte ce lien par tous les temps, ensoleillé comme aujourd'hui mais également venteux, glacial, brouillé de filets de pluie. page 92
(Naissance de la fille d'Hélène)...Le 12 novembre, la nouvelle me parviendrait enfin, la petite Marie était née. Au téléphone, j'avais senti Hélène profondément sereine, sans démonstration excessive, heureuse de cette fille qui lui était arrivée alors que le vent soufflait fort sur Brest, heureuse de cette naissance qui scellait son couple et marquait l'accomplissement de son vieux rêve. ...La vie l'emportait , en plein mois des ombres, la vie du février vital des sources qui se réveillent et jaillissent , la vie de la reverdie et de la marche vers Pâques. Cette vie pleine, massive, d'un tenant, tissue à la nature et à la force du lignage, loin des impasses d'une cérébralité excessive, et en laquelle Hélène avait une foi absolue. page 96
C'est dans la voiture qui nous menait à Logonna , où nous allions préparer la cérémonie des obsèques (celles d'Hélène morte à 41 ans, le 24 avril 2007), que Xavier (son mari ) m'a confié le carnet qu'Hélène avait tenu dès la naissance de sa fille et dans lequel elle s'adressait régulièrement à celle qu'elle nommait la "fleur de la tempête". Page 158

samedi, octobre 25, 2008

LE PONT DANS LA JUNGLE (Traven)

Sleigh, dont je n'ai jamais appris le prénom, ne m'invita pas à rester pour la nuit; non qu'il eût honte de ne pas être en mesure de m'offrir un lit. Il se pliait simplement à la règle qui veut qu'un homme qui traverse le pays à dos de cheval ou de mule est le mieux placé pour savoir quand et où il veut s'arrêter pour la nuit. On n'oblige personne à modifier ses projets. c'est autre chose quand l'étranger lui-même qui demande un toit pour la nuit. Il peut alors compter sur une hospitalité sans limites. page 16

(une fête se prépare) Chacun attendait , mais personne ne pouvait dire quoi. On avait l'impression que tous espéraient l'arrivée d'un grand musicien, qui aurait donné un sens à un tel concours de peuple car dans la situation présente, un si grand nombre de visiteurs devait nécesairement paraître sans cela dépourvu de sens et de tout but.
Pensez donc: les femmes s'étaient donné beaucoup de peine pour se bichonner en vue de cette soirée. Elles s'étaient lavées au savon parfumé, elles avaient pendant des heures peigné et brossé leurs cheveux. La moindre parcelle d'étoffe qu'eles avaient sur le corps était propre. Elles avaient revêtu leurs plus beaux atours...Les femmes avaient paré leurs robes et leurs cheveux des fleurs les plus rares et les plus belles qu'elles avaient pu trouver, et , finalement, par dessus le marché, elles avaient entrepris la chevauchée de huit, dix ou douze kilomètres à dos de mulet ou de burro à travers la jungle humide. Elles avaient dû traverser des marécages, franchir des rivières en pataugeant. Et tous ces efforts auraient été consentis en vain?
C'était tout simplement impossible. Chacun voulait ramener le lendemain matin, à la maison le souvenir d'aventures qui alimenteraient les conversations pendant au moins deux mois. En efffet, à part ces occasions, il ne se passe rien dans ces petits villages perdus dans la savane et la jungle.
Personne ne pouvait porter la culpabilité au maître pompeur. Il n'y pouvait rien. Il avait fait tout ce qu'il pouvait pour avoir les musiciens. En outre, ça n'aurait servi à personne si on avait rendu quelqu'un ou quelque chose responsable du fait que la fête soit ratée. Il fallait qu'il en soit ainsi. C'était le destin. page 47
Ignacio, l'homme qui savait si bien comment les magnats du pétrole gagnent leurs millions s'éloigna de nous. Il se mit à la recherche d'un nouveau public auquel il pourrait en imposer par son savoir. Il avait réussi à susciter l'admiration du très respecté maestro maquinista, et cela , il ne l'oublierait pas de sitôt. Le maître pompeur pouvait désormais lui demander tout ce qu'il voudrait; il l'obtiendrait. L'homme ferait n'importe quoi pour quelqu'un qu'il admire. page 59
La Garcia arriva en provenance du pont. (Son petit garçon est introuvable).Elle marchait à présent plus vite , comme si, tout d'un coup, elle était pressée. A peine arrivée devant nous, elle dit:"Je ne trouve ce garçon nulle part, que je cherche ici ou là. Je ne sais pas où il peut être.Où croyez-vous qu'il ait pu aller?"
Son visage , encore radieux et souriant d'un quart d'heure auparavant, avait déjà pris dans les dix dernières minutes une expression de gravité. Mais, à présent, il trahissait le souci et l'inquiétude. ce n'était pas encore de la peur. Elle levait les sourcils, ouvrait grands les yeux, nous regardait fixement et scrutait nos visages l'un après l'autre. Pour la première fois, il apparut dans ses yeux quelque chose comme le soupçon que nous puissions savoir ou supposer quelque chose que, pour une raison ou pour une autre, peut-être par pitié, nous lui cachions. Elle nous regarda , une fois de plus, comme un animal blessé. Elle transperçait carrément nos visages de ses regards brûlants. Mais elle ne trouvait rien, hocha la tête et joignit les mains sur la poitrine.
Il se produisit de nouveau une transformation dans ses yeux. Le léger pressentiment qui l'avait effleurée quelques secondes auparavant était devenu presque une certitude maintenant . Elle tentait de toutes ses forces de se débarrasser de ce sentiment mais n'y arrivait pas. page 64
La Garcia fixait l'obscurité dans laquelle les deux muletiers venaient de disparaître...Bien sûr, elle n'avait jamais eu de grandes espérances, mais à présent, elle était de nouveau submergée par la certitude qui l'avait envahie dès le début, dès la disparition du petit garçon. Ce que personne ne pouvait savoir, elle, la mère, le savait evec conviction: son fils ne reviendrait jamais. Son coeur et son instinct, l'infaillibilité des simples, d'une mère indienne, lui disaient la vérité. Même si tous les autres avaient de l'espoir, elle, elle n'en avait plus. D'ailleurs, elle n'avait jamais douté de son sentiment. Elle s'était joué la comédie pour ne pas perdre la raison. Et maintenant qu'elle était sûre de son affaire, elle se ressaisit, et la lueur vacillante disparut de ses yeux. Comme si elle avait pris une décision héroïque, elle se redressa. Tout son corps se raidit. Il fallait agir. Elle devait entreprendre quelque chose pour son enfant. Il n'y avait pas de temps à perdre....Il fallait qu'elle le trouve ... Dans tous les cas, elle voulait retrouver ce qu'il en restait.
page 85
La Garcia se tut. Elle n'avait plus rien à dire. Personne n'aurait pu lui faire croire que les choses s'étaient passées autrement. Elle savait que son fils était au fond de l'eau et qu'elle devait l'en ressortir et toutes ses pensées tournaient maintenant autour de cette tâche. page 91
Ensemble, nous allâmes rejoindre un autre groupe où Sleigh se mit à parler de sujets qui n'avaient rien à voir avec l'enfant. Ce fut une bonne chose. On ne peut sans arrêt parler d'un seul et même sujet. Il fallait que la vie continue, que l'enfant soit mort ou pas. page 98
....(L'auteur se rend compte qu'il est parmi des étrangers) C'est une très bonne chose de savoir tout cela. C'est ainsi qu'on devient fataliste, mieux, je comprends ces Indiens. Ils ne pourraient supporter la vie s'ils n'étaient pas fatalistes, tous autant qu'ils sont.page 134
"Chiquito mio! mon petit!" crie la Garcia
Elle court jusqu'à la rive, et son regard va à la rencontre de Perez (celui qui a trouvé le corps sous le pont)
Avec une indicible dignité, portant dans les yeux cette expression de tristesse compatissante qui n'appartient qu'à l'animal et au primitif, il s'avance à pas lents. Et Perez, dont le travail consiste à abattre les solides arbres de la jungle et à les transformer en charbon de bois, ce même Perez dépose le petit corps imbibé d'eau dans les bras étendus de la mère avec un tel luxe de précautions qu'on est obligé de penser à du verre, du verre si fin et délicat qu'un souffle léger suffirait à le briser. page 141
A cet instant, de nombreuses femmes éclatèrent en sanglots qui résonnaient comme une accusation...
A présent, ce n'était plus seulement sur la mort de l'enfant des Garcia qu'elles se lamentaient . Par sa mort prématurée, le petit garçon était devenu l'enfant de toutes les mères. Seule une mère sait ce qu'une mère éprouve. Personne d'autre, pas même le Dieu du ciel, avec toute sa sagesse épurée, avec toute son auguste sérénité , n peut éprouver les mêmes sentiments qu'une mère à qui son enfant a été arraché. page 142
Face à la douleur de cette mère, les hommes devenaient petits, abjects et misérables et leur âme était vide.
Personne n'osait toucher cette femme de peur de faire une bétise.
La femme du maître pompeur approcha. Sans dire un mot, elle étreignit fermement la Garcia.Elle couvrit son visage de baisers, faisant disparaître ses larmes qui roulaient sur ses joues. Elle souleva le bord de sa robe du dimanche, en sécha les larmes d ela mère et lui essuya le nez. Ensuite, elle l'embrassa de nouveau, ne cessant de lui donner des baisers. Les deux femmes pleuraient et sanglotaient toutes deux si fort qu'on les entendait d'un bout à l'autre de la vaste place.
Qui eût jamais cru que la femme du maître pompeur, cette femme si fière , tenue en aussi haute estime que si elle avait été l'épouse du président, que cette femme hautaine s'oublierait un jour à ce point et se déferait de toutes ses manières ?! Voilà les mères, oui, les mères. les mères sont ainsi . Dans l'affliction, elles se comprennent mutuellement .
Les hommes se sentirent de plus en plus misérables en voyant les deux femmes pleurer ensemble comme si elles n'étaient plus qu'un seul être. Ils avaient de plus en plus honte de ...oui, de quoi donc...? Ils ne le savaient pas. Ils n'avaient en cet instant qu'un seul désir, celui de pleurer comme ces deux mères. page 145-146
(L'auteur se penche sur le corps de l'enfant) Je posai ma main sur la poitrine de l'enfant, repoussai la chemise et collai mon oreille dans la réégion du coeur. Je savais bien depuis longtemps que l'enfant était mort ou du moins inconscient et donc à moitié mort avant même de tompber à l'eau. Que cinq minutes après le moment où j'avais entendu le plouf , il était certainement mort. Mais quoi, qui parle de plouf ? J'avais entendu un poisson sauter hors de
l'eau...C'était un poisson qui avait causé ce bruit. Je pouvais jurer que c'était un poisson. Je ne voulais pas en démordre jusqu'à la fin de mes jours. Je n'avais aucune envie d'être persécuté toute ma vie par ce bruit , par ce plouf.....Par cet examen du coeur, si dénué de sens qu'il fût, j'avais tout de même montré que j'étais prêt à aider. Cela me permettait d'être accepté, d'être intégré à la communauté en deuil. page 150
Sleigh (-qui n'est pas Indien) pensait que tous les Indiens jouissaient de pouvoirs mystérieux et possédaient une grande science du surnaturel. Il croyait tout ce qu'ils racontaient ou ce qu'il entendait dire par sa femme. On pouvait penser qu'il doutait de la virginité de la Mère de Dieu , mais , tout ce que les Indiens croyaient , il ne le mettait jamais en doute.
Peut-être était-ce le milieu, peut-être était-ce la foi inébranlable de Sleigh. En tout cas, je dus constater à mon grand étonnement que je commençai, moi aussi, à vouloir contourner une explication rationnelle, et je trouvais très agréable de ne pas aller au fond des choses.(la découverte du corps de l'enfant est un miracle pour les Indiens). Et pourquoi n'aurais-je pas laissé finalement toute cette histoire en sommeil? La vie est plus facile, plus heureuse, en meilleure harmonie avec le cosmos si on ne se casse pas la tête sans arrêt sur des choses dont l'explication et l'analyse ne sauraient en aucune façon nous rendre plus joyeux. En général même pas les plus riches, dans la mesure où nous sommes à l'affût des richesses.
Prendre la vie comme elle vient. Ici, dans la jungle, et peut-être partout dans le monde. Voilà tout le sens de la vie. Que veut-on de plus? Qu'espère -t-on de l'autre? Tout est négation de la vie, et en plus, c'est de la bêtise. C'est de la bêtise que proviennent toutes les souffrances, les chagrins et les maux qui infestent le monde . page 176
L'un après l'autre, les nouveaux arrivants ...entrèrent dans la cabane , tête nue, pour voir le garçon mort et pour prodiguer leurs condoléances à la mère. Chacun, sans être vraiment intéressé par la manière dont ça s'était produit, demanda à la mère de raconter le déroulement des faits. Ce n'était pas de la curiosité. C'étaient des gens intelligents. Ils voulaient simplement distraire la mère de son chagrin. Dès qu'elle avait commencé, la Garcia racontait toute l'histoire depuis le début avec beaucoup d'empressement...Quand finalement elle raconta l'histoire pour la vingtième fois, ses propres mots ne lui apparurent plus que comme un bavardage vide. C'est à cet instant que la Garcia , sans elle-même le savoir, commença à prendre congé de son enfant....La Garcia pleurait , et tout en pleurant ainsi, elle remarqua , bouleversée, que ses larmes n'étaient pas seulement versées sur l'enfant. A présent, elle pleurait plus sur elle-même que sur son garçon. Le destin l'avait durement frappée, et presque inconsciemment, elle se mit à haïr plusieurs de ces femmes présentes, simplement parce qu'elles tenaient un enfant sur le bras. Elle pleurait parce que, désormais, elle n'avait plus d'enfant à submerger de son amour maternel...Regardant autour d'elle, elle vit sept femmes dont elle savait qu'elles aussi avaient perdu des enfants, des enfants pour lesquels elles avaient exactement le même amour qu'elle pour son petit Carlos. C'est ainsi qu'elle commença à comprendre qu'elle n'était qu'une mère comme toutes les autres et que le destin l'avait pas élue pour supporter des épreuves monstrueuses. Ce qu'elle subissait ce soir, des milliers, des millions de mères l'avaient subi avant elle. Des milliers le subissaient en ce moment même, et des millions le subiraient encore. Pages 187, 188
Parmi les Indiens qui arrivèrent à ce moment-là, il y avait aussi un très pauvre paysan. Il n'avait pratiquement que des haillons sur le corps, mais ils étaient propres. Son cheval n'avait pas de selle, seulement une natte de raphia. Il entra avec les autres dans la cabane, contempla l'enfant et alla trouver la mère. Il lui dit combien l'enfant était mignon et combien il était bien habillé, tout à fait comme le Saint-Enfant de la Madre Santisima de l'église. Désormais, l'enfant devait être certainement avec les anges , tellement il avait l'air gentil. La Garcia sourit fièrement.Tout son corps se redressa, et elle le remercia pour ses amicales paroles élogieuses. Quand le paysan pauvre ressortit de la cabane, il promena autour de lui un regard inquisiteur jusqu'à ce qu'il ait trouvé un banc libre. Il s'assit et sortit un vieux livre qui ressemblait à un livre de prières. Il le feuilleta pendant quelques minutes comme s'il cherchait la bonne page et se mit à chanter. Cet homme ne savait absolument pas lire. Il connaissait par coeur le texte de son cantique et ne regardait le livre que parce que, à l'église, il avait vu les autres le faire. ..Les hommes et pratiquement toutes les femmes , se joignaient à son chant...Le paysan dépenaillé , lui, chantait tout le temps....Le chanteur n'était payé par personne . Il chantait par pure compassion envers cette mère durement frappée. Uniquement pour l'aider à surmonter sa perte sans qu'il subsiste trop de cicatrices. L'enfant serait enterré sans la bénédiction d'un prêtre et sans le certificat de décès d'un médecin. Le prêtre et le médecin coûtaient de l'argent. Même si tous les voisins qui participaient au deuil avaient donné la moitié de l'argent liquide qu'ils possédaient, ils
n'auraient pas réuni de quoi payer de telles dépenses. pages 191, 192, 193
Parmi les femmes qui arrivaient maintenant, beaucoup apportaient de pleines brassées
de fleurs. D'autres avaient des couronnes qu'elles avaient tressées en toute hâte avec des branches et enveloppées de papier doré et argenté. Elles posaient leurs fleurs et leurs couronnes, sans rien dire, pour que la Garcia n'ait pas à les remercier spécialement pour cela. Ces pauvres gens , dont les condoléances étaient tellement sincères, ne connaissaient pas l'usage du monde civilisé consistant à fixer aux fleurs des cartes imprimées pour que la famille en deuil sache bien qui a donné quelque chose ou non, et pour que les noms de ceux qui ont exprimé leurs condoléances soient bien orthographiés dans les colonnes de la presse locale. Ici, nul ne se souciait de savoir qui donnait des fleurs ou autre chose ou ne donnait rien. Si quelqu'un n'apportait rien, c'était tout simplement qu'il n'avait rien à donner. Il n'en était pas moins estimé que les autres..Tout ce que faisaient les visiteurs et les voisins, ils le faisaient par sympathie sincère envers la mère.
...Les visiteurs étaient tous incroyablement pauvres. Les femmes qui venaient d'arriver marchaient pieds nus. Elles portaient des robes de coton usées, pleines de trous. Les épines ne font preuve d'aucune compréhension pour la pauvreté d'une femme indienne, obligée de chevaucher à travers la jungle. Leurs têtes étaient protégées du soleil par des voiles de crêpe noir. page 202, 2003
Quoique ces gens fassent ou disent, ce n'était jamais de la réthorique apprise. Tout venait du coeur. C'était leur coeur qui parlait à travers eux. C'est leur coeur qui leur ordonnait d'entreprendre une longue marche pour consoler la mère, et c'est leur coeur qui leur ordonnait de se taire quand ils pensaient que leur silence était le meilleur moyen d'exprimer la compassion la plus profonde...Pendant les douze dernières heures, j'avais de plus en plus pris conscience du bon goût de ces gens et du tact délicat qui marquait de son empreinte leur commerce avec les autres. Je les avais observés, et je m'étais laissé imprégner de tous leurs actes et de toutes leurs paroles. Quand j'étais arrivé, je ne voyais dans ces gens que les simples paysans indiens avec leur politesse qui leur est particulière et qu'on trouve partout dans l'Amérique espagnole, où il ne vient pas de touristes américains qui massacrent le paysage, essaient de faire comprendre aux indigènes à quel point les bénédictions de la civilisation sont grandioses et leur répètent dix fois par jour combien ils sont crasseux et graisseux et combien leur pays est mal administré. Il fallait apparemment une occasion comme celle dont j'avais été témoin pour découvrir les gens tels qu'ils sont vraiment.. Alors, on ne voit pas seulement la saleté et leurs haillons , mais aussi leur coeur et leur âme, et cela, c'est bien davantage. C'est la seule chose qui compte vraiment chez l'homme. Les appareils de radio, les voitures Ford et les records de vitesse ne comptent absolument pas. Tout cela n'est que balivernes quand viendra l'heure du dernier bilan.page 206
C'est la religion qui enseigne à l'homme d'aimer son prochain. c'est elle qui sèche les larmes d'une mère qui a perdu son enfant, et c'est elle qui ordonne à celui qui possède deux chemises d'en donner une au pauvre qui n'a rien pour couvrir sa nudité. Est-ce vraiment de la religion? La mort fournit en général l'occasion de déployer les hypocrisies religieuses dans tout leur faste vide et emphatique....Ici, je ne pouvais pas découvrir la moindre trace de la pompeuse religion de l'homme blanc. Jusqu'à présent, je n'avais pas entendu de prière. Personne n'avait fait défiler un chapelet entre ses doigts. Et quand l' agrarista chantait ses cantiques, cela n'avait que très peu de chose à voir avec la religion catholique car son chant proclamait l'éternel contenu profane de l'Evangile: un bienfait pour les hommes. pages 206,207
On devient philosophe quand on vit au milieu de gens appartenant à une autre race et parlant une autre langue que nous. Mais quoiqu'il puisse arriver, mieux s'en tenir à la conviction qu'il n'existe pas au monde de plus beau pays que le propre pays de Dieu, le pays des hommes libres. Alors, on a la paix, et on est un citoyen estimé.Mis à part le fait que cette philosophie s'avère payante pourvu qu'on sache bien l'appliquer, l'expérience m'a enseigné que les grands voyages ne forment que celui qui apprend aussi quelque chose, même quand il ne fait que bourlinguer un peu dans son propre pays. Quelqu'un qui se promène dans le monde les yeux ouverts, verra et apprendra plus de choses lors d'une brève excursion que mille autres en faisant le tour du monde. Si quelqu'un vient dans la jungle d'Amérique centrale pour regarder ce que les Indiens font de beau auprès d'un pont, ne verra jamais ni la jungle, ni le pont, ni les Indiens tant qu'il sera convaincu que la société d'où il vient lui-même est la seule civilisation qui compte pour de bon. Quiconque part en voyage et veut vraiment regarder autour de lui devrait toujours bien se dire que beaucoup de ce qu'il a appris à l'école et à l'université est faux. page 208
Tout ce qui existe sous le soleil peut être transformé en dollars ou en pesos. Qu'il s'agisse des larmes d'une mère, du rire d'un enfant ou de la misère des pauvres, c'est sans importance. Partout, il y a de l'argent à prendre. L'homme doit payer pour ses joies, pour son honnêteté comme pour ses escapades. Même pour sa dernière demeure, sous la terre, où il ne dérange plus personne, doit être payée. Page 210
Elle (la fille qui prépare les repas de Sleigh) se rendit dans un coin sombre de la cabane où un panier était suspendu à une poutre soutenant le toit. Dans ce panier, l'oeil endormi, une poule était confortablement installée. Elle méditait apparemment sur la question de savoir pouquoi elle était obligée de rester installée là, alors que toutes les autres poules pouvaint courir en liberté et multiplier les séductions envers le coq. La fille attrapa la poule par le col et la jeta hors du panier, d'où elle sortit quatre oeufs avant de revenir au foyer. La poule caquetait bruyamment et courait de-ci de-là, dans la cuisine, toute excitée....et courut vers son panier. Elle resta un moment perchée sur le bord et contempla le contenu. Puis elle sauta à l'intérieur, poussa les oeufs de-ci de-là, les compta avec les pattes et, comme il ne lui en manquait aucun, finit par s'installer tranquillement et ferma les yeux. Elle était réconciliée avec le monde. Elle était heureuse, satisfaite de tout ce qui existe sur la terre du Bon Dieu, simplement parce qu'elle ne savait pas compter correctement. La faculté de compter est responsable de bien des malheurs qui nous font souffrir, nous autres hommes. Depuis que les machines à calculer ont pratiquement rendu les erreurs impossibles, les tragédies en rapport avec l'acte de compter sont devenues de plus en plus nombreuses et de plus en plus terribles. page 212
Les musiciens jouèrent un air qui allait bien avec le costume marin ( dont on a revêtu l'enfant mort), It isn't going to rain anymore, le morceau le plus récent de leur répertoire. Pourtant, le simple fait que ce tube soit joué ici, dans la jungle comme une marche funèbre,était une preuve catégorique du fait que cette émanation de notre civilisation, au moins dans ce coin de terre., s'était heurtée à un mur infranchissable. Ces gens comprennent la mort , mais ce qu'ils ne comprennet pas , c'est l'hypocrisie avec laquelle nous autres, les fidèles du Christ, nous enterrons nos défunts. Ainsi, les musiques de danse américaine ne pouvaient jeter le trouble dans leurs sentiments, alors que les chants religieux et de pieux chorals n'auraient fait que les effaroucher. A leur sens, cela ne convenait absolument pas à ce grand mystère qu'est l'extinction de la vie. Page 228
Nous faisons beaucoup trop de manières avec nos morts. Nous les considérons comme divins ou saints, et nous les traitons en conséquence. Qui est mort est mort. Il nous a quittés, et nous devrions le laisser en paix. On devrait l'oublier dès q u'il s'est décomposé sous la terre ou s'est envolé en fumée. Les milliards que nous dépensons pour nos morts, rendraient de meilleurs services à l'humanité si on les consacrait au financement de la construction d'hôpitaux , aux soins médicaux ou à la recherche médicale. Cet argent que nous dépensons pour les morts, il serait bien plus humzin et plus civilisé d'en faire profiter les vivants afin qu'ils restent plus longtemps parmi nous , sains de corps et d'esprit....page 241
Ce qui luttait là (le professeur est tombé, dans la fosse, pendant son discours)pour sortir de la tombe,- ce n'était pas le professeur. Je ne voyais là qu'un grand amour fraternel du prochain. C'est lui qui était tombé, qui se démenait maintenant pour remonter. Je peux rire de mille choses et de mille situations, y compris des brutalités du fascisme, qui ne sont à mes yeux rien d 'autre que que les excès d'une lâcheté sans bornes des plus comiques. Mais je ne peux rire de l'amour que leurs prochains portent à ceux qui souffrent et peinent. Cet amour dont j'étais témoin venait droit du coeur . C'était un amour vrai et sincère comme seul peut l'être un amour pour lequel on n'attend pas de remerciements car chacun d'entre nous qui étions rassemblés là, y compris le professeur, avait perdu un enfant cher à son coeur. page 249
En quoi cet enfant me concerne-t-il? Un petit garçon indien auquel j'avais à peine prêté attention. Et pourtant, je le pleure. Peut-être, est -il finalement mon garçon, tout comme il est le garçon de tous les autres, ici. Mon garçon, comme celui de toutes les mères du monde. Pourquoi serait-il le garçon de quelqu'un d'autre? C'est mon garçon, mon petit frère, mon prochain. Il pouvait souffrit comme moi, rire comme moi et mourir comme je mourrai un jour. page 251

mercredi, octobre 08, 2008

LES AMANTS DE XI'AN (Judith Michael)

(A l'aéroport, Miranda , américaine vient de débarquer pour un voyage d'affaires, Yuan Li l'a aperçue dans la foule, essayant en vain de se frayer un passage) "Il suffit de faire comme si ces gens n'existaient pas. C'est le seul moyen de survivre en Chine. Et maintenant, ajouta-t-il comme ils atteignaient un taxi en tête de station, je vais vous accompagner en ville et m'assurer que vous arriverez à bon port". page 12
Autour de lui, les visages inexpressifs qu'adoptent les Chinois dans les endroits publics: fonçant droit devant eux, concentrés sur leur destination, sans permettre à personne de pénétrer dans les quelques centimètres d'espace vital dont ils s'enveloppent comme d'une armure pour avancer. page 61
Une petite voiture noire était garée en double file au coin de l'hôtel. Absorbé dans la lecture d'un quotidien, son chauffeur était insensible au concert de klaxons que déclenchait son stationnement dans une rue déjà fort encombrée.
-En Amérique, il est illégal de se garer comme ça, fit Miranda.
Li sourit en prenant place à ses côtés sur le siège arrière.
-Ici, ce qui est illégal, c'est de coller sur son pare-brise un autocollant critiquant le gouvernement.
-Vraiment? Un malheureux autocollant?
-Oui, s'il est considéré comme subversif. page 62
Je m'apprêtais à défendre l'Amérique. Mais les pauvres ne sont nulle part les bienvenus, j'imagine. On préfère les rendre invisibles pour continuer à se croire riches et heureux.
- Vous l'êtes, vous riche et heureuse.
- Oh, nous n'avons jamais été riches.
- Non? Qu'étiez-vous donc alors?
- Eh bien, nous étions à la limite de la pauvreté. Nous n'avions pas faim mais nous regardions au centime près.
- Et vous appelez ça de la pauvreté?
- Oui, comparé à...Miranda s'interrompit. Qu'est-ce qui vous fait sourire?
- Seul, un enfant gâté définit la pauvreté par comparaison. Les vrais pauvres savent que la pauvreté ne se compare pas, qu'elle est absolue. Ils meurent de faim littéralement.
- Un enfant gâté, dites-vous?
- Je ne parlais pas de vous , mais de votre pays. C'est l'Amérique, l'enfant gâté. Trop d'argent, trop de richesses, trop de biens de consommation. Les Américains n'ont aucune idée de ce qu'est la vraie pauvreté, ajouta encore Li, ça n'a rien à voir avec vous, je ne voulais pas vous blesser.
- La pauvreté ne rend pas supérieur, rétorqua froidement Miranda.Vous n'êtes pas meilleurs que nous, moins gâtés, plus mûrs, parce que vous avez connu une pauvreté pire que la nôtre. Nous en donnons une définition différente mais cela ne veut pas dire que nous ne la connaissons pas. page 72
(au marché, à Pékin) Miranda poussa un soupir.
- Il y a trop de choses à voir. c'est comme au cirque, mais en mieux.Tout est si coloré. Sauf les gens.
Li fut aussitôt sur la défensive. Il était vrai, pourtant, que tous ces gens étaient vêtus de teintes tristes, bleu foncé, brun, gris, noir, taches sombres sur la toile vibrante de couleurs du marché.
- On s'occupera des couleurs quand on aura le temps et les moyens de le faire., dit-il comme ils reprenaient la promenade.
- Et alors , vous vous sentirez plus heureux?
Li lui jeta un regard perçant.
- Pourquoi dites-vous ça?
- Parce que tout le monde a l'air sinistre ici. Non, rectifia Miranda, pas vous, bien sûr, mais votre fils, par exemple et tous les gens que nous croisons. On dirait qu'ils n'imaginent pas avoir jamais une raison de sourire. Peut-être, est-ce le cas après tout, peut-être ont-ils la vie trop dure. Mais quand elle sera plus facile, quand ils connaîtront l'espoir, ils porteront les couleurs de l'espoir, des couleurs vives.
- Comme les Américains,
- Eh bien... oui... pourquoi pas? ça fait du bien de vivre dans l'espoir.
- Les Américains font plus que vivre dans l'espoir. Ils s'attendent au bonheur. Ils le réclament.
Miranda le dévisagea.
- Pas vous?
- Personne en Chine n'attend autre chose de la vie que des difficultés. Il y en a toujours eu. Sauf que nous commençons à ressembler un peu aux Américains, nous apprenons à espérer. Un de ces jours, nous attendrons nous aussi des choses de la vie. Peut-être même en exigerons -nous. Comme les Américains. Exigeants toujours. pages 81-82
"Vous avez entendu parler de la Révolution culturelle, n'est-ce pas? dit Li , en remplissant à nouveau leurs verres.
- Oui, bien sûr. C'était une époque horrible.
- Une époque horrible, oui. Elle nous a appris que celui qui se conduit comme un être civilisé a perdu d'avance. Que ce qu'il gagne, c'est de l'indifférence, l'insensibilité, la cruauté, la brutalité. Voilà la leçon de la Révolution culturelle.
...Comment a-t-on pu laisser faire une chose pareille? demanda Miranda. Je ne comprends pas.
- C'est pourtant simple: les gagnants veulent rester les maîtres- ce n'est pas plus compliqué que cela. Ce qu'ils redoutent le plus, c'est de sombrer dans la masse anonyme des perdants. En 1965, quelques gouvernants ont vu leur pouvoir menacé; ils ont imaginé le conserver en déchirant le pays. Ils ont convaincu les jeunes- des adolescents, pour la plupart- que le paradis était au prix de la destruction de la vieille société. Les jeunes les idolâtraient, à cause du monde idéal qu'ils leur faisaient miroiter, mais surtout, à cause de la liberté d'agir qu'ils leur donnaient. Ils les ont incités à défier leurs parents, leurs professeurs, à les dénoncer au Parti : toute critique du régime , tout éloge de la culture occidentale, de l'éducation classique, de la liberté de la presse, de la démocratie étaient suspects...
- Vos enfants ont fait partie de ces jeunes?
- Non, ils étaient trop petits, mais ils ont grandi dans cette atmosphère et peu à peu, ils se sont dressés contre moi....Pour nous, ce fut une époque de chaos reprit-il enfin; pour les enfants, ce furent dix ans de vacances. Le régime a ordonné qu'on les laisse voyager gratuitement en train dans tout le pays, qu'on les nourrisse tout aussi gratuitement, partout et chaque fois qu'ils l'exigeaient. On leur demandait d'abattre tout ce qui appartenait au passé. Ainsi, ces gosses erraient comme des meutes de chiens sauvages, détruisant tout sur leur passage au nom des lendemains qui chantent. Mais les lendemains n'ont pas chanté. On a fermé les écoles, donc plus personne ne recevait d'éducation. On a démoli des centaines de nos plus beaux temples, de nos plus belles oeuvres d'art, brûlé des bibliothèques entières. Ces jeunes ont ruiné des centaines de milliers de vies par de fausses accusations, ils ont conduit des gens à la mort. Dans le même temps, le régime envoyait des millions de professeurs, écrivains, médecins, hommes d'affaires dans les campagnes reculées pour les faire travailler comme manoeuvres. Ils disaient que nous avions besoin de nous rapprocher du peuple. En vérité, leur vrai but était d'anéantir toute pensée indépendante. pages 111, 112

dimanche, septembre 21, 2008

EN PATAGONIE (Bruce Chatwin)

Le désert patagonien n'est pas un désert de sable ou de cailloux mais une étendue ininterrompue d'arbustes épineux, à feuilles grises, qui, écrasées, dégagent une odeur amère. Contrairement aux déserts d'Arabie, il n'a suscité aucune manifestation spectaculaire de spiritualité, mais il tient sa place dans le registre des expériences humaines. Charles Darwin trouva irrésistibles ses qualités négatives. Dans sa narration du Voyage du "Beagle", il tenta en vain d'expliquer pourquoi , plus qu'une autre merveille qu'il avait vue, ces "étendues arides" avaient pris à ce point possession de son esprit. page 28
Je dormis avec les péons. La nuit fut froide. On me donna un lit de camp et, comme couvre-lit, un poncho d'hiver de couleur noire. Hormis ces ponchos, leur matériel à maté et leur couteau, les péons ne possèdent rien. Le matin, une épaisse rosée recouvrait le trèfle blanc. Je descendis à pied jusqu'à la bourgade galloise de Trevelin, le Village-du-Moulin. Loin , en aval, dans la vallée, des toits étincelaient. Je vis le moulin de style victorien classique, mais à l'extrémité de l'agglomération se dressaient quelques curieux bâtiments de bois avec des toits inclinés dans tous les sens. En me rapprochant, je m'aperçus que l'un deux était un château d'eau . Un étendard y flottait où l'on pouvait lire: "Instituto Bahai". Un visage noir apparut au-dessus de la berge. "Qué tal?
-Je me promène
- Entrez"
L'institut Bahâ de Trevelin ne regroupait qu'un nègre bolivien de petite taille, très noir de peau et très musclé, et six anciens étudiants de l'université de Téhéran dont un seul était présent.
"Rien que des hommes, gloussa le Bolivien, tous très religieux."...
Les Persans étaient venus en Patagonie comme missionnaires de la religion universelle. Ils disposaient de fonds importants et avaient truffé les lieux de tous les objets typiques de la bourgeoisie de Téhéran....
"La Perse est un pays très pauvre, dit-il (le Persan)
-La Perse est un pays sacrément riche , répondis-je.
-La Perse pourrait être un pays riche si les Américains n'avaient pillé ses richesses." Ali sourit , découvrant ses gencives gonflées .
Il me proposa de visiter l'institut. dans leur bibliothèque, je ne vis que des livres Bahâ....
-Quelle est votre religion? me demanda Ali. Vous êtes chrétien?
-Je n'ai pas de religion particulière, ce matin. Mon dieu est le dieu des marcheurs. Si vous marchez assez longtemps, vous n'avez probablement besoin d'aucun autre dieu".
Le Noir était enchanté d'entendre de telles paroles. page 53, 54
Je poursuivis ma route jusqu'à la ville la plus australe du monde. Ushuaia, à sa fondation, n'était qu'un bâtiment préfabriqué, élévé en 1869 par un missionnaire , le révérend W. H. Stirling, à côté des huttes des Indiens Yaghan. Pendant seize ans , l'anglicanisme, les jardins potagers et les Indiens prospérèrent. Puis, la Marine argentine survint et les Indiens moururent de la rougeole et de la pneumonie. page 174
Les Aghan étaient des nomades nés, mais ils n'allaient jamais très loin. Leur ethnographe , le père Martin Gusinde, a écrit d'eux: "Ils ressemblest à des oiseaux migrateurs qui ne tiennent pas en place et ne trouvent leur bonheur et le calme intérieur que lorsqu'ils voyagent", et leur langue révèle une atttitude proche de celle du marin obsédé par l'espace et le temps. page 197
....Un" Anglais " de la famille déclara: " toute cette affaire de massacres d 'Indiens a quelque peu été exagérée. Vous savez, ces Indiens étaient d'une classe très inférieure; je veux dire par là qu'ils n'étaient pas comme les Atztèques ou les Incas. Aucune civilisation, rien. Finalement, ce n'était qu'une bande de pauvres types pas très intéressants". page 205

samedi, septembre 06, 2008

LE JOUR AVANT LE LENDEMAIN (Jorn Riel)

Le nord est du Groenland vers 1860

Ninioq était bonne couturière. Bien que sa vue ne soit plus excellente, elle réalisait encore des points plus fins que ceux de ses belles-filles. Elle savait coudre des kamiks étanches avec des points si serrés que Katingak pouvait marcher dans l'eau toute la journée sans se mouiller les pieds; Et elle savait tendre comme une peau de tambour la peau d'un bateau, de telle sorte que pas une goutte d'eau ne puisse s'infiltrer. page 44
Tout était éternel. L'immense nature ne pouvait être anéantie, et l'homme ne faisait-il pas partie de cette nature? Tout ce qui était vivant poussait, se reproduisait et mourait au même rythme éternel que les changements de saison. Ninioq regarda la femme de son fils. Sa peau jaune mat était encore lisse et belle et ses seins hauts et pleins sur sa poitrine tendue. Voici l'été d'Ivnale, pensa-t-elle, ce temps où l'être s'épanouit en une beauté fascinante pour assurer la continuité des générations. Elle regarda son propre corps puis ceux des filles dans le bateau. C'est ainsi, pensa-t-elle, et ce sera ainsi dans tous les temps. page 50
"Nous venions d'étaler les angmagssat (des poissons) sur les rochers lorsqu'une vision étrange apparut sur la mer, commença-t-il. Certains pensèrent que c'était un iceberg de forme bizarre et qu'il était sans doute ensorcelé puisque, malgré les courants, il dérivait sur la côte. D'autres crurent que c'était l'écran de chasse d'un kayak du peuple des géants mais, au bout d'un certain temps, nous avons vu que c'était un grand bateau, sans rames, mais avec des peaux blanches suspendues sur des piliers de bois flotté. Personne n'avait jamais vu un si grand bateau. Il s'approchait sans bruit de la côte, à une vitesse tout à fait incroyable. Et comme nous avions peur qu'il y ait à bord des êtres malveillants, nous avons couru nous cacher dans les montagnes d'où nous pouvions observer sans être vus. C'était un bateau tout à fait incroyable, reprit-il. Il venait sans doute d'un pays inconnu et devait être peuplé d'esprits- c'est ce que nous avons pensé alors. Aucune main d'homme n'aurait pu construire un tel bateau, capable d'avancer tout seul au travers du puissant courant. Il est arrivé au fond de la baie où se trouvait l'habitat, a tourné sur lui-même et s'est arrêté. Quelques-unes des peaux blanches ont été enroulées par les esprits et peu après, il ont mis un petit bateau à l'eau. Celui-là était d'une taille presque naturelle et n'avait pas la capacité de l'autre à se mouvoir sans aide. Mais il était quand même étonnant parce qu'il était entièrement construit avec du bois précieux et portait des couleurs que l'on ne peut pas produire soi-même. Les rames de ce dernier étaient menées par les esprits qui venaient de descendre du grand bateau. Oui, c'était en vérité d'étranges esprits . Ils étaient habillés de vêtements qu'aucun homme n'avait jamais vus avant, des vêtements en peaux inconnues, souples et très colorées. Et là où les esprits n'étaient pas couverts, on voyait une peau rosâtre, tout à fait différente des couleurs de peaux vues jusqu'alors. Il y avait des cheveux de la même couleur que les buissons de myrtilles, des cheveux semblables au pelage de l'ours, il y avait des esprits sans cheveux, ce qui était effrayant, et il y avait des cheveux aussi rouges qu'un coucher de soleil . Ils ont apporté des cadeaux sur la plage et les ont disposés bien en vue pour que chacun puisse se servir.....On était parmi ceux qui se sont avancés vers les cadeaux. Ah, quelles merveilles, quelles choses extraordinaires il y avait là! Il sourit à ce souvenir et ses yeux étincelaient comme s'il les voyaient encore devant lui. Il y avait de petites pierres tout à fait plates, dans lesquelles on pouvait voir son visage, des couteaux brillants et acérés, d'un matériau inconnu, des couteaux qui pouvaient durer toute une vie d'homme. Et il y avait des courroies en fils de nerfs tressés...des perles, des rubans, de lourdes marmites noires, des aiguilles à coudre et des récipients bruns remplis d'eau claire....Ah oui, ce fut vraiment une visite heureuse, dit-il. Les étrangers ne désiraient pas plus que ce que nous pouvions leur donner. Et ils nous offraient toutes sortes de merveilles et se montraient même contents et reconnaissants pour les quelques pauvres peaux que nous pouvions leur offrir en échange. A bien des points de vue, ils ressemblaient aux hommes. Ils mangeaint la même viande que nous et leur intérêt pour les peaux était aussi grand que celui d'un homme....Dès qu'on avait bu de l'eau aux qualités merveilleuses, on était comme possédé. Tout le corps devenait mou, on perdait le contrôle de ses membres et on se sentait incroyablement exalté...."pages 64, 65, 66

mercredi, août 27, 2008

L'HOMME DU LAC (Arnaldur Indridason)

Roman policier islandais.
Evocation de la guerre froide, de l'espionnage, du soulèvement en Hongrie, du régime communiste en Allemagne de l'Est, de l'Islande avec ses paysages, ses lacs, ses habitants - ceux des années 60, idéalistes, tentés par le communisme - et ceux du début de ce siècle.
"Elle resta longtemps immoble à scruter les ossements comme s'ils n'avaient pas dû se trouver là. Pas plus qu'elle d'ailleurs".
le début du roman

samedi, août 09, 2008

ESSAIS DE REPONSE (Erri De Luca)

Nous sommes du Sud, des gens nés face aux plus belles plages de la terre, avec des cheminées et des raffineries en bord de mer, et du pétrole entartré sur le sable. Nous avons en commun des yeux noirs de fiertés gaspillées, des cortèges de veuves sous le soleil à pic du midi, une morsure donnée à la tête du poulpe et d'un gril sismique qui hache notre sommeil et nous fait vivre avec une valise au pied du lit. Nous avons adoré tous les dieux possibles et puis nous avons déchiré tous les rites au nom du dieu unique, de l'Adonai ehad, fièvre d 'amour pour un et un seul, crampe absolue de notre précédente inventivité théologique. A présent, nous portons le joug de l'unique tyrannie digne de nous, celle des cieux. c'est ce que nous avons en commun nous, cordes immergées de la Méditerranée. page 18

Nos étés sur l'île duraient des mois. On avait le temps de s'habituer à vouloir y vivre pour toujours. Repartir contenait un grain d'exil. (extrait de Tu, mio)
Ischia est l'île de mes étés d'enfance. Pour ceux qui venaient des arrière-lignes de Naples et de la densité, des ruelles, l'île contenait les distances, le vide et la possibilité d'être libres. A peine arrivés sur l'île, on se "déchaussait", on coupait immédiatement ce lien avec la terre ferme et avec la ville, la peau s'épaississait au soleil et à force de marcher sur le terre et sur les rochers. Elle était la suspension des règles, l'ensauvagement des vacances, l'apprentissage de la mer.
Par la suite, je n'ai plus eu aucun désir touristique. Ischia a éteint en moi, toutes les distances, le besoin de prendre le large. Ischia, pour nous enfants, était tous les tropiques qu'on peut obtenir. Page 19
L'île devient physiquement le lieu de la liberté et la ville non: la ville est une prison, alors que le miniscule réduit d'une île est une liberté immense, illimitée, impossible à goûter et à explorer totalement. C'est une expérience d'immense dans un peu d'espace.
Ecrire aussi, c'est s'enfermer dans un vocabulaire , dans une clôture. Réussir à trouver un territoire de mots aimés qui s'amuse à s'exclure les autres qui sont déjà usés, qui ne tiennent plus. L'écriture est une île, non pas la mer infinie. page 20
J'ai dormi dans la pièce des livres de mon père depuis que je suis né jusqu'au jour où j'ai claqué la porte pour risquer ma vie tout seul, à dix-huit ans. Sa bibliothèque était vaste de toutes les années d'un lecteur famélique. Les murs étaient recouverts de livres sur deux rangées, un capitonnage propice aux rêves. je n'ai jamais retrouvé une chambre aussi étanche; les livres n'étaient pas seulement un isolant acoustique , mais un abri absolu. Là, j'ai appris la solitude, une grandeur démesurée, une omnipotence: ne pas devoir dépendre du monde, ne pas devoir sortir pour le connaître...Les livres de mon père furent un miracle, bien plus grands et plus profonds que les mondes que j'allais connaître....J'ai eu cette chance : une bibliothèque pour assouvir ma soif de connaître le reste, au-delà des frontières des immeubles, au-delà du volcan et de la mer....Pour celui qui est aux abois, il y a le ciel ou bien les livres. dans les deux cas, sa solitude est envahie et apaisée par les voix les plus belles du monde. page 25
Je reviens sur les histoires par besoin de faire revivre des personnes. Je ne possède pas de personnages, je n'écris rien sur eux, je ne les invente pas; j'écris sur des personnes , c'est-à-dire un bout d'humanité déjà passé, déjà créé et constitué. Et puis, écrire une histoire est un geste qui accomplit la moitié du travail; l'autre moitié revient à la personne qui prend cette histoire, la lit et l'emporte avec elle, la met près d'elle, dans la rue, au meilleur moment - le temps sauvé de la journée- et la fait passer dans son intimité. page 28
On voyage sur les lignes des livres, en mettant au-dessus en parallèle sa propre vie, dans l'espace blanc, en voyant avec plaisir toutes les fois où elle coïncide avec l'espace écrit au-dessous. Je suis un lecteur très exigeant car le principe qui guide ma lecture est que c'est l'histoire qui doit me porter, qui doit me faire oublier mon poids, jusqu'à mon souffle et ma respiration, jusqu'aux bruits tout autour. Si je m'aperçois que c'est moi qui porte, ce livre tombe sur mes pieds.
Si moi aussi je suis un autre, c'est parce que les livres, plus que les années et les voyages, changent les hommes. Après bien des pages, on finit par apprendre une variante, un geste différent que celui commis et cru inévitable.(Ext de Trois Chevaux)

Ecrire me permet une intimité avec le monde des autres, celui qui se trouve derrière l'écorce des visages que je vois. Quand je sais qu'une de mes pages a été accueillie avec intensité par une personne , il me semble que les traces légères qu'un homme laisse sur le sol peuvent devenir un sentier pour qu'un autre les foule avec amour. Pour moi, écrire c'est entrouvrir un passge, en espérant que quelqu'un, en le parcourant, le rende achevé.

Les livres ne possèdent pas de public mais ils possèdent une personne seulement, ils possèdent non pas le vaste monde de la lecture, mais exactement et seulement un seul lecteur. J'offre à cette personne qui est en train de lire en ce moment l'appel d'un complice, j'essaie de l'obliger à être témoin de ce qui est en train de se passer ou qui s'est passé; je veux la déplacer de là où elle est, je veux la faire venir avec moi, même si cela ne coïncide qu'avec un seul mot; même si ce n'est qu'un seul mot dans cette centaine de pages, ce mot-là suffit pour que nous ayons été ensemble en lui. pages 28, 29 30

Les souvenirs ne sont pas des archives, ils ne sont pas un répertoire, un agenda. Les souvenirs sont des des coups qui éclatent de l'intérieur, qui te sautent à la gorge à l'improviste et toi, tu te rappelles une chose que tu avais complètement oubliée. "Le souvenir redonne une possiblité au passé" (Agamben) page 33

"On se glisse , selon son filetage, dans une existence fixée par la nécessité et les devoirs, en rêvant toujours de laisser à la surface une trace en creux de notre passage forcé" (extrait d'Alzaia)

Quelle que soit la chose que le destin t'a confiée, quelle que soit la portion de devoir qui t'est échue, fais en sorte qu'elle soit bien faite. Ce n'est pas une réponse, mais directement une prière: fais que ce qui t'est imparti soit exécuté avec scrupule et intensité de soin. "Il ne t'est pas imposé de compléter l'oeuvre , mais tu es libre de t'y soustraire". (Rabbi tarphon, Rouleaux des Pères). page 40

Nous sommes d'un siècle bavard et bouché à la fois., nous sommes d'un tempsqui a soustrait de la valeur à la parole et à la vie. page 42

Une personne qui ne doit pas aux mains , aux bras, son propre salaire, qui ne serait ni porteur, ni ouvrier, ni artisan, ni paysan, finit par savoir peu de choses des mains. Bien sûr, elle les distingue, habituellement avec la main droite elle écrit, se coiffe, serre un verre ou une autre main qu'on lui offre pour dire bonjour, ou bien elle donne une gifle. L'autre est auxiliaire, ombre de la première. Celui qui a un métier manuel a une autre notion des mains. Elles ont mis des années et des années, depuis qu'elles étaient petites, à apprendre un art, se trompant et se bLessant de mille façons. Elles se sont appliquées à l'usage de tous les efforts jusqu'à obtenir une habilité..page 44

Pour arriver, l'impossible a besoin de circonstances urgentes...Le coup de pied à la lune , l'impossible devient indispensable, nécessaire à certains moments. page 46

J'étudie l'hébreu ancien parce que les livres de la Mikra sont merveilleux. Je ne me sens appartenir à aucun peuple ou communauté, mais , à ce livre, oui,je lui appartiens. Apprendre la langue hébraïque a été comme apprendre à jouer d'un instrument à vent. Le Talmud dit que la lecture de celui qui s'arrête au seuil de la lettre est la lecture de l'insensé, c'est-à-dire de celui qui reste au dehors. Moi, je reste au dehors, je suis hors de la profondeur et aussi de la tradition. Hors de la profondeur, parce que je ne vais pas plus loin que le premier sens , le sens littéral, car pour moi, c'est déjà beau ainsi, bien suffisant à mon bonheur. Mais aussi hors de la tradition, parce que la tradition est le commentaire infini ajouté à la Mikra, la tradition est la civilisation du commentaire, des schismes, des hérésies et des retours sanglants à quelque orthodoxie. Moi, je reste à l'entrée, au début, je m'arrête à la source, tandis que la religion, la tradition sont l'estuaire de cette eau qui, chemin faisant, s'enrichit et se trouble de tout. page 57

dimanche, août 03, 2008

CHAT SAUVAGE (Jacques Poulin)

Quand elle disait "le bon vieux temps", avec un timide sourire, la vieille Marie faisait allusion à la fin des années 1960, lorsque l'université se trouvait encore dans le Vieux-Québec et que , surtout dans les cafés et les boîtes à chanson, on sentait passer un vent de liberté qui annonçait l'écroulement des valeurs anciennes. Ma vie, en ce temps-là, avait été insouciante, sinon heureuse. Cependant, je ne regrettais pas cette époque, l'expérience m'ayant appris qu'il fallait se méfier de la nostalgie et qu'il était plus sage de profiter autant que possible du temps présent. Le problème était que je n'y arrivais pas toujours. page 32

-Je suis une sorte de psychologue dit-elle.(Kim qui deviendra l'amie du personnage principal). Et voyant sans doute un point d'interrogation dans mes yeux, elle précisa: mais je n'essaie pas de rendre les gens normaux.
-Ah non?
-Je veux leur donner la chance d'aller jusqu'au bout de leurs capacités, sans tenir compte des normes sociales.
-Vous faîtes de la psychothérapie?
-Oui, en ce moment, je cherche une méthode qui me permettrait de m'occuper du cortps autant que de l'âme....Et vous? qu'est-ce-que vous faîtes dans la vie?
--Je suis un sorte d'écrivain public.
-Au lieu d'écrire pour vous-même, vous écrivez pour les autres?
Cette façon de dire les chosesme plut beaucoup et me fit remonter dans ma propre estime. Je me mis à penser que nos préoccupations n'étaient pas si éloignées l'une de l'autre. page 69

lundi, juillet 14, 2008

ZOLI (Colum McCann)

L'univers des Tsiganes et les persécutions. 1930 et les années qui suivent
Grand-Père nous disait que nous étions faits pour le ciel, pas pour les plafonds.
Le soir, Grand-Père s'asseyait pour lire - c'était la seule personne que je connaissais qui pouvait lire et écrire et compter. Il tenait beaucoup à un livre dont je ne savais pas le nom et , à dire vrai, cela m'était égal, ç'avait l'air curieux, ridicule , plein de mots trop grands - rien qui ressemble aux histoires qu'il me racontait. Il disait qu'un bon livre a besoin d'une bonne oreille, et je m'endormais vite en l'écoutant. C'est le seul livre qu'il possédait et pour couper court aux questions , il avait cousu une seconde reliure par-dessus, en cuir marron, avec des lettres en or comme un missel. J'ai découvert des années plus tard que c'était Das Kapital. page 30
La mémoire a des fulgurances, mais on ne revient jamais précisément à l'endroit dont on est parti. page72
Il a écrit (Stransky) un jour, que la vie d'un homme ne comporte vraiment un début, un milieu et une fin qu'au moment où il la quitte. Jusque là, nous restons incomplets, inachevés, impossible de sauter le point médian. C'est donc le dernier mot qui place une phrase au centre et qui , dans un sens, articule toute la strophe- la mort nous définit. page 121
Une vieillle chanson rom a pour refrain que nous partageons avec les autres des bouts de notre coeur, et plus , nous avançons, moins il en reste en nous. Le moment vient où il n'y en a plus assez pour tout le monde, et cela s'appelle voyager, cela s'appelle aussi la mort. Il n'y a rien de plus banal puisque cela arrive à tous. page 222

samedi, juillet 05, 2008

LA REVOLTE DES PENDUS (Traven)

(le roman se passe au Mexique, au début du XXè siècle)
(Candido a dit à son fils d'aller acheter du maïs pour les 2 porcelets qu'il vient d'acheter)
Angelino obéit et revint quelques minutes plus tard, les poches emplies de maïs. En effet, bien que les pesos des Indiens aient exactement la même valeur que ceux des Ladinos, jamais on ne leur fournit ni papier, ni sac pour envelopper leurs achats. A quoi bon pareille générosité? Ils n'ont qu'à fourrer leurs emplettes dans leur chapeau, ou dans leurs poches, ou encore à mettre le sucre, le café et le sel qu'ils viennent d'acheter dans les jambes de leur pantalon après en avoir ficelé le bas. L'Indien n'a nulle attention à attendre des boutiquiers, et pourtant, sans le spetits paysans indiens, tout le commerce de la ville serait ruiné, les marchands n'auraient qu'à fermer leurs portes. Car les Indiens qui viennent à Jovel toutes les semaines ou tous les quinze jours pour y commercer sont vingt ou vingt-cinq mille, c'est-à-dire qu'ils sont deux fois plus nombreux que la population citadine qu'ils font vivre. page 47
(Candido a des dettes après le décès de sa femme et a été obligé de quitter sa petite ferme et d'aller travailler dans une "monteria" pour abattre des arbres, le travail est dur , il faut couper 4 tonnes par jour). Le patron n'est pas content du peu de rendement , aussi fait-il la leçon à un surveillant:
-Je t'avais pourtant déjà dit que le fouet, quand on en abuse, ne sert à rien du tout. Ils se butent (les ouvriers), se couchent et ne font plus rien. Pourquoi ne les as-tu pas pendus plus souvent? C'est comme cela que nous opérons dans notre camp. Il n'y a rien de tel, ça les effraye et les dompte.
-Mais nous n'étions que deux. El Gusano et moi. En pendre une demi-douzaine, ce n'est pas si commode. Ils résistent et se débattent. Pour cela, il faudrait être au moins trois hommes par muchacho. page 77
La troupe des Indiens était rompue de fatigue et s'était accroupie par petits groupes, sur le terre-plein. Quand Don Felix et Don Severo s'approchaient d'un groupe, ceux qui le composaient se levaient aussitôt. Don Severo palpait leurs bras, les muscles de leurs jambes et leur nuque, comme il aurait palpé du bétail avant de l'acheter. page 82
Don Felix avait déjà repris sa conversation avec Modesta (la soeur du principal personnage du livre, Candido, celui-ci vient d'être frappé en pleine figure par Don Felix). Frapper un Indien au visage ,était pour lui, un événement sans importance auquel il ne pouvait s'arrêter une minute. L'assommer ou l'abattre d'un coup de feu équivalait à un simple incident qu'il oubliait une heure plus tard. Il se souvenait plus facilement d'une chasse à l'antilope ou d'un tigre tué d'une balle bien ajustée que du meurtre d'un pauvre péon. page 86
-Des bêtes, de pauvres bêtes! Non, ce ne sont pas des animaux qu'on tourmente et qui crient, bande d'ânes! Ce sont vingt bûcherons , vingt hacheros qui hurlent. On les a pendus pour trois ou quatre heures, parce qu'ils n'ont produit, ni aujourd'hui, ni hier, ni avant-hier, les tonnes de caoba qui leur étaient commandées. page 90
Cette coutume barbare de la pendaison était efficace et coûtait rarement des vies humaines., parce que l'Indien est incroyablement robuste et si résistant qu'il est capable de travailler, le plus souvent, le jour même où on l' a supplicié. Au cours de leur longue expérience, les frères Montellano avaient appris que la pendaison produisait autrement terrifiant que le fouet sur les "feignants" . La pendaison et l'ensablement ne laissaient point de blessures susceptibles d'empêcher le travail. Ce qui restait, par contre, et donnait un résultat, c'était la peur de revivre des heures aussi effroyables, des heures qui paraissaient une éternité et qui terrorisaient d'autant plus les malheureux que dans l'obscurité, ils ne pouvaient distinguer aucun danger et ne pouvaient , par conséquent, s'en défendre. page 107
Pendant toute la journée, ils n'avaient qu'une idée dans la tête...:"Par tous les saints du ciel, mon Dieu! fais que je puisse abattre mes quatre tonnes et que je ne sois pas pendu. Mais Dieu qui est venu sur terre il y a deux mille ans, a sans doute oublié les Indiens. Leur pays, il est vrai, était encore inconnu. Et quand il fut enfin découvert, la première chose que firent les conquérants, fut de planter une croix dans le sable du rivage et de dire une messe: c'est encore de cette cérémonie que souffrent les Indiens.....
-Pourquoi attendre la venue du Sauveur? Sauve-toi toi-même, frère et alors ton sauveur arrivera. page 109
Du coup, Urbano oublia tout. Il avait une telle habitude de l'obéissance que sa rêverie (de se noyer) s'évanouit dès l'instant où retentit la voix de son maître.
-Je suis à vos ordres, patron. page 137
Martin Trinidad était instituteur:
-Maître d'école , et à présent, te voici bûcheron dans une monteria.
-Que veux-tu? J'ai trop ouvert ma grande gueule , ou, si tu préfères, j'ai propagé la vérité parmi les mineurs, qui, pour la plupart, étaient les parents de ceux que j'enseignais à l'école.
-La vérité, demanda Celso subitement méfiant. Quelle vérité?
-J'ai dit la vérité sur le Dictateur (Porfirio Diaz président dictateur de 1876 à 1880, puis de 1884 à 1911) et sur les droits du peuple. Je leur ai dit qu'un homme, aussi habile soit-il, aussi persuadé puisse-t-il être qu'il a le droit de diriger tout un peuple, n'a pas celui d'opprimer l'opinion, la parole, la pensée, la volonté des autres hommes. Car chaque homme a le droit de dire ce qu'il pense, et chaque homme a aussi le devoir d'enseigner , d'expliquer aux autres hommes qu'ils sont mal gouvernés et qu'ils sont lésés. Et même si l'homme se trompe, même s'il a tort, il doit cependant lui rester le droit de dire ce qu'il pense et comment il croit que les choses pourraient aller mieux. page 174
Si vous voulez faire la révolution, alors, faites-la et faites-la jusqu'au bout, sinon, c'est elle qui se dressear contre vous et vous mettra en pièces. page 238
Ceux qui n'appartenaient pas au groupe du Dictateur devaient obéir, sans plus. Les ouvriers, les paysans et les petites gens avaient un seul devoir, et ce devoir se nommait : l'Obéissance. On leur inculquait une obéissance aveugle, à coups de fouet, jusqu'à ce qu'elle soit devenue leur seconde nature. Partout où quelques-uns ont tous les droits et où la masse n'a que des obligations qu'il n'est même pas permis de critiquer, le résultat est toujours le même: le chaos inévitable. page 278
En faisant travailler les artisanos, les muchachos apprirent quelque chose dont ils n'avaient, jusqu'alors , pas eu la moindre idée: ils apprirent qu'ils étaient capables de donner des ordres, eux aussi. Jusqu'à ce jour, ils s'étaient toujours imaginé que, pour savoir commander, il fallait être né ladino (blanc)ou cachupin (espagnol).page 290
"Nous voulons la terre et la liberté! Tierra y Libertad! Et si nous voulons la terre et la liberté, il nous faut aller les chercher là où elles se trouvent. Il n'est pas besoin d'autre programme, car, si nous avons la terre et la liberté, nous aurons ce dont l'homme a besoin en ce monde, puisqu'elles contiennent même l'amour.!" page 316

lundi, juin 30, 2008

LE VISITEUR DU SOIR (B. Traven)

Ce livre est un recueil de nouvelles ayant pour cadre le Mexique.
(le personnage qui parle, un Blanc, vit seul et vient rendre visite à son plus proche voisin, un Blanc qui est docteur, quand la solitude lui pèse) .Le docteur n'était pas très bavard. Vivre seul dans la jungle rend silencieux, même si l'on n'en pense pas moins. Il n'y a pas une seconde du jour ou de la nuit où la jungle ne vous parle, que ce soit de ses innombrables voix ou de son perpétuel mouvement de croissance et de pourrissement. On en vient inévitablement à la conclusion que la vie n'a qu'une seule signification: il faut la savourer tant qu'elle dure et en tirer le plus possible, car la mort est en nous depuis notre naissance.page 19
Je n'avais pas vu un livre depuis plus d' un an. J'avais eu faim de lecture comme un homme vivant dans une grande ville peut avoir faim de forêts vertes, de lacs bleus, de ruisseaux murmurants et de ciels sans nuages. page 28
Après avoir passé trois semaines au Mexique, Mr Winthrop , convaincu qu'il connaissait le pays à fond, qu'il avait tout vu et savait tout sur ses habitants, de leur caractère et de leur mode de vie, regagna ce bon vieux Nooyorg (New York) et fut heureux de se retrouver dans un pays civilisé. page 94
(Un padre au xv1è siécle rencontre un chef de clan indien , il a parlé de Jésus pendant trois jours aux Indiens pour les convertir). Alors le chef indien dit: "Saint père blanc, et noble messager de ton dieu, je dois te dire , à présent, ce que nos dieux nous ont dit pendant ces trois jours et ces trois nuits de jeûne et de méditation...Un dieu qui, par le seul fait qu'il est dieu, n'est pas capable de se faire respecter au point de se faire cracher au visage, fouetter, insulter méchamment, un tel dieu n'est pas fait pour nous. Celui qui ne se défend pas quand on l'attaque ou l'insulte, n'est pas un dieu pour nous. Celui qui, cloué à une croix, n'est pas assez fort pour se libérer par sa puissance divine, ne pourra jamais sauver un Indien du mal qui lui est fait par ses ennemis.....Si ton dieu était le dieu que tu dis, il ne demanderait même pas aux gens de croire en lui, de le prier ou de l'adorer. Ma mère m'a donné tout ce qu'elle avait, seulement par amour pour moi, sans me demander de croire en elle ou de la prier. Si j'avais été assez vil pour l'insulter - ce que mes dieux m'empêcheraient de faire, même en rêve- elle m'aurait quand même tout donné. Je te le dis, ma mère est beaucoup plus grande que ton dieu, son amour est beaucoup plus infini, et elle n'est qu'un être humain. pages 203, 204
Voici , mon saint père blanc, ce que notre dieu à nous a mis dans nos coeurs, et ce sera la dernière fois que j'aie à te le dire avant que nous regagnions notre belle tierra: notre dieu, lui, meurt chaque soir pour nous, ses enfants. Il meurt chaque soir, pour nous donner la fraîcheur de la nuit, la paix et le silence de la nuit, afin que nous puissions nous reposer, hommes et bêtes. Notre dieu meurt chaque soir dans une gloire dorée, sans être insulté, sans qu'on crache sur lui et le couvre de boue. Il meurt en beauté, glorieusement, comme un vrai dieu. Mais il ne meurt pas pour toujours. Le matin, il naît de nouveau., plus beau que jamais, en écartant les voiles de la mort, et son épée d'or brille au firmament, nous disant qu'il est prêt à combattre les dieux de l'ombre qui menacent les peuples de la terre. Et avant même qu'on s'en rende compte, il est là, devant nos yeux, et il y reste, grand , puissant, dominant l'univers de sa beauté...Notre dieu, lui, prodigue la lumière, la chaleur, la beauté et la fertilité; il donne aux fleurs leurs couleurs et leur parfum; il apprend aux oiseaux à chanter; il fait pousser le maïs; joue avec les nuages dans un océan bleu et or. Comme ma mère, il donne et donne sans cesse, sans jamais demander de prières, sans attendre qu'on l'adore, sans exiger obéissance ou foi, sans jamais condamner qui que ce soit sur terre. Et quand le soir revient, il meurt de nouveau, avec un sourire de gloire sur son visage et en bénissant de son dernier rayon ses enfants indiens. Et le lendemain matin il recommence à donner...Il est le grand dieu doré des Indiens, éternellement jeune, éternellement beau, éternellement ressuscité. Voilà les pensées qu'il a mises dans nos coeurs et voici ce que j'ai à te dire, saint père blanc: " Chers fils indiens de ce beau pays qui est le vôtre, ne changez jamais votre dieu pour aucun autre." pages 205,206
(Un Indien rencontre l'Homme en Os qui lui prédit qu'il deviendra riche). "Vois-tu, compadre, j'ai été heureux, à ma manière. Bien sûr, j'ai toujours eu faim, j'ai toujours été fatigué, j'ai toujours dû lutter pour vivre, mais après tout, il en va ainsi pour tous les gens de mon espèce. Nous acceptons cette vie car elle nous a été donnée, et c'est pour cela que nous nous sentons heureux: parce que nous essayons toujours de tirer le meilleur du pire." page 223

samedi, juin 28, 2008

ISRAËL AUTREMENT (Des écrivains et des artistes témoignent

Qu'est-ce qu'être israëlien, alors que la plupart des codes communs semblent avoir disparu: codes politiques, culturels, religieux? ...Israël est constitué de tellement d'autres, et où chaque autre est une menace? ..."Israël me fait penser à une grande armoire avec d'innombrables tiroirs pour classer les gens." Ronit Matalon page 19
(Zeev Sternell est arivé en France à l'âge de 11 ans après avoir vécu en Pologne).La Pologne est un pays catholique...Arriver dans une école laïque , une école où l'on peut être catholique, protestant ou juif, où le dénominateur commun est la citoyenneté, l'appartenance à une communauté de citoyens , et non pas à une communauté religieuse...le fait que la religion est une affaire privée, que Dieu, s'il existe appartient au domaine privé, pas au domaine public...cette laïcité m'a émerveillé et j'en garde encore , aujourd'hui, plus d'un demi-siècle après, non seulement un souvenir extraordinaire, mais la certitude qu'elle a été un élément fondamental dans la formation de ma conscience individuelle et de mes idées. Je crois que la laïcité est, fondamentalement , non seulement une belle chose, mais une chose nécessaire. La laïcité est le seul fondement possible d'une vie collective libre où l'individu constitue l'objectif essentiel et final de toute action collective., de toute action politique et sociale, l'individu en tant que tel. Où l'on est d'abord un être humain, où ce n'est qu'après qu'on est autre chose. Où la religion vient après la citoyenneté, c'est -à-dire après la nationalité, et où elle n'appartient en rien à l'espace public. pages 27,28
C'est très intéressant de voir comment dès le début, l'infrastructure (en Israël) religieuse a constitué le dénominateur commun sur lequel se sont retrouvés les Juifs en Palestine....La raison essentielle pour laquelle nous n'avons pas de constitution, c'est qu'en 1948, nous n'étions pas capables de nous donner une constitution laïque. On ne pouvait pas fabriquer une constitution qui ne soit pas laïque. Donc, nous n'avons pas de constitution. page 31
Notre société, telle qu'elle a été créée, l'a été sur la base d 'une identité juive où la religion jouait un rôle énorme....la religion sans Dieu. Les socialistes, ou soi-disant socialistes, qui n'avaient pas la foi, exigeaient un respect absolu des fêtes religieuses du calendrier religieux parce qu'ils considéraient la religion comme le pilier de notre identité nationale. On n'avait pas besoin d'avoir la foi. Ce n'était pas une question de métaphysique, c'était une question de discipline nationale.
"L'identité israëlienne peut-elle se concevoir en dehors d'une identité juive? en dehors d'un état juif?
- C'est la grande question de l'avenir....Nous avons vingt pour cent d'Israëliens , porteurs d'une carte d'identité israëlienne , qui ne sont pas juifs. Ensuite, un Juif, comment se définit-il? Aujourd'hui, un Juif se définit très simplement come le descendant d'une mère juive.
Etre israëlien , c'est pour moi, construire une société libre et ouverte, une société d'hommes libres qui ne peut être qu'une société laïque. pages 35, 36
Un Etat ne peut être juif sans exclure ceux qui ne sont pas juifs, sans les exclure de la jouissance de l'égalité des droits. page 38
Je me sens très juif, non pas dans un sens religieux- je combats beaucoup les religieux ici- je me sens juif à cause de mon histoire, des bateaux qui ont transporté illégalement les survivants venus d'Europe...Je me sens très juif, mais juif dans un sens laïque. Israëlien , c'est ma nationalité, c'est ma carte d'identité. Cela n'existe pas la nationalité juive, les Juifs français sont français, les Juifs anglais sont anglais... cette entité métaphysique appelée la judéïté , nous ne savons pas comment la nommer. Pour moi, cela siginifie partager un destin, une histoire, des manières d'être. ..Je ne veux pas qu'Israël soit uniquement un Etat juif, je veux qu'il soit arabe et juif.pages 58, 59

lundi, juin 16, 2008

ANATOMIE DE L'ERRANCE (Bruce Chatwin)

L'idée d'un livre prit forme. Ce devait être un ouvrage follement ambitieux et intolérant, une sorte d' "anatomie de l'errance" qui développerait l'affirmation de Pascal sur l'homme assis tranquillement dans une chambre. La thèse était à peu près la suivante: en devenant humain, l'homme avait acquis, en même temps que la station debout et la marche à grandes enjambées, une "pulsion"ou instinct migrateur qui le pousse à marcher sur de longues distances d'une saison à l'autre. Cette "pulsion " est inséparable de son système nerveux et lorsqu'elle est réprimée par les conditions de la sédentarité, elle trouve des échappatoires dans la violence, la cupidité, la recherche du statut social ou l'obsession de la nouveauté. Ceci expliquerait pourquoi les sociétés mobiles comme les tsiganes, sont égalitaires, affranchies des choses, résistantes au changement, et aussi pourquoi, afin de rétablir l'harmonie de l'état originel, tous les grands maîtres spirituels - Bouddha, Lao Tseu, Saint François - ont placé le pélerinage perpétuel au coeur de leur message et demandé à leurs disciples, littéralement, de suivre le Chemin. page 26
Il ya deux Tombouctous. L'un est le coeur administratif de la sixième région de la République du Mali, l'ancien Soudan français, la ville-étape des caravanes, cité lasse où s'incurve le Niger vers le Sahara, "le lieu de rencontre de tous ceux qui voyagent par chameau ou par pirogue", bien que la rencontre y fût rarement amicale....Il y a le Tombouctou de l'esprit - cité mythique d'un pays imaginaire, mirage des antipodes, symbole de l'au-delà ou simple blague. "Il est parti pour Tombouctou", dit-on, ce qui signifie: "Il a perdu la raison (ou il est drogué)"; "Il a fui sa femme (ou ses créanciers)"; "Il est parti sans donner de date de retour et il ne reviendra probablement jamais"; ou "Il n'a trouvé de mieux où aller que Tombouctou. Je pensais que seuls les touristes américains allaient là-bas." page 48
Mon histoire est sans importance. Je déteste les confidences. En outre, je crois qu'un homme est la somme de ses biens, même si quelques heureux hommes sont la somme de l'absence de biens. page 96
Israël était une idée et non un pays. D'ailleurs, Yavhé avait donné la terre à ses enfants pour qu'ils y errent et non pour qu'ils s'y installent et y établissent leurs racines. page 104
La question à laquelle j'essaierai de répondre est la suivante: "Pourquoi les hommes se déplacent-ils plutôt que de rester immobiles?"(l'auteur a été contacté par Tom Maschler pour écrire un livre sur les nomades, ce livre ne sera jamais écrit -l'auteur décédera avant mais ici, il donne ses idées et le plan du livre). J'ai proposé un titre : L'Alternative nomade. A l'évidence, nous ne pourrons pas l'utiliser. C'est un titre trop rationnel pour un sujet qui fait appel à des instincts irrationnels. Pour le moment, il a l'avantage d'impliquer que la vie d'un nomade n'est pas inférieure à celle d'un habitant des villes. Il me faut tenter de voir les nomades tels qu'ils se voient eux-mêmes, considérant le monde extérieur , la civilisation, avec envie et méfiance. Par "civilisation" , j'entends "la vie dans les villes" et par civilisés ceux qui vivent dans un cadre urbain, où l'on sait lire et écrire. Toutes les civilisations sont fondées sur une discipline excessive et un comportement rationnel. Les nomades ne sont pas civilisés et tous les termes qu'on utilise traditionnellement pour les désigner sont lourds de préjugés de la civilisation: errant, vagabond, inconstant, barbare, sauvage, etc. Les nomades ne peuvent qu'avoir une influence perturbatrice, mais on leur a adressé des reproches hors de proportion avec les dommages matériels qu'ils causent. Ces reproches sont rationalisés et justifiés par une fausse pitié. Les nomades sont des exclus, des parias. Caïn était "un errant parcourant la terre". page 110
Le mot "nomade"vient de mots signifiant "pacager", mais il en est venu de s'appliquer également aux premiers chasseurs. Chasseurs et pasteurs vont d'un lieu à un autre pour des raisons économiques.Moins évidents sont les motifs de l'intransigeance du nomade face à la sédentarisation,même lorsque les avantages économiques penchent indiscutablement en faveur de cette dernière. Mais l'antagonisme réciproque du sédentaire et du nomade ne constitue que la moitié du thème. La seconde moitié me concerne plus directement: la fuite....L'errance peut apaiser une part de ma curiosité naturelle et satisfaire mon goût de l'exploration, mais je suis ensuite tiraillé par le désir de retourner chez moi. Il y a une force qui me pousse à partir et une autre à revenir - un instinct de retour à mon habitat d'origine comme chez un oiseau migrateur. Les vrais nomades n'ont pas de domicile fixe en tant que tels. Ils compensent cette absence en suivant des sentiers de migration immuables. Lorsque ceux-ci subissent quelque bouleversement , généralement dû à des interférences avec les civilisés ou avec les semi-nomades à demi civilisés, il en résulte un chaos. Les nomades font des fixations exagérées sur leur territoire tribal. page 110, 111
L'art des nomades est intuitif et irrationnel plutôt qu'analytique et statique. page 120
L'ALTERNATIVE NOMADE (chapître 9 du livre en gestation chez Chatwin) remet en question le fondement même de la civilisation. Il concerne le présent et l'avenir tout autant que le passé. L'errance a connu deux principales motivations, l'une économique, l'autre névrotique. Par exemple, le jet-set est névrotique. Ce sont des gens qui ont à satiété chez eux, aussi, errent-ils d'un paradis fiscal à l'autre en effectuant de temps à autre, un raid sur leurs richesses, sur leur base....Les vrais nomades regardent passer les civilisations avec sérénité....Les civilisations se détruisent elles-mêmes. Les nomades (mes connaissances me permettent de l'affirmer) n'en ont jamais détruit une, bien qu'ils ne soient jamais bien loin au moment de la mise à mort et qu'ils puissent contribuer à la chute d'une structure en cours de désintégration. Les civilisés ont seuls le contrôle de leur destin et je ne crois à aucune de ces théories cycliques de déclin, de chute, et de renaissance. page 121
Le mot"civilisation" est porteur d'accents moraux et éthiques, c'est l'héritage accumulé de notre amour-propre. Nous y opposons la barbarie, la sauvagerie, la bestialité même, tandis qu'il ne signifie que "vivre en ville"....La civilisation exige une structure économique et sociale hiérarchisée. C'est malheureusement l'une des clés de voûte de son existence. Page 124
Un nomade n'est pas une personne qui erre à la dérive , comme le prétend le dictionnaire. Le terme, d'origine latine et grecque, signifie "paturer". Les tribus pastorales ont un comportement migratoire très conservateur, et elles ne le changent qu'en temps de sécheresse ou de catastrophe naturelle. Les animaux sont la principale source de leur nourriture; l'agriculture, le commerce, les razzias ne constituent que des apports complémentaires. Le "nomade" est le chef du clan , il a à sa charge, l'ensemble de la tribu et doit répartir les paturâges entre ses membres. page 125
"Notre nature , écrt Pascal, est dans le mouvement...La seule chose qui nous console de nos misères est le divertissement" Divertissement. Distraction. Fantaisie. Changement de mode, de nourriture, d'amouur, de paysage.Nous en avons besoin comme de l'air que nous respirons. Sans changement, notre cerveau et notrte corps s'étiolent.""Le voyager me semble un exercice profitable . L'âme y a une continuelle exercitation à remarquer les choses inconnues et nouvelles et je ne sache point meilleure école à former la vie que de lui proposer incessamment la diversités d'autres vies" Montaigne "Celui qui ne voyage pas ne connaît pas la valeur des hommes" disait Ibn Battuta. Mais le voyage n'élargit pas seulement les horizons mentaux, il structure l'esprit. Les explorations de notre prime enfance sont la matière première de notre intelligence.Les enfants ont besoin de sentiers à explorer, de prendre des repères sur la terre où ils vivent, comme un navigateur s(oriente sur ses amers familiers. page 144
L'évolution nous destinait à être des voyageurs.... Le voyage doit être aventureux...Le mieux est de marcher. Car la vie est une traversée du désert. Ce concept , universel jusqu'à la banalité , n'aurait pu survivre sans être biologiquement vrai. Tout héros révolutionnaire se doit d'avoir participé à une marche. Che Guevara parlait de la "phase nomade" de la révolution cubaine. Voyez le rôle joué par la Longue Marche pour Mao Tsé Toung ou par l'Exode pour Moïse. Le mouvement est le meilleur remède contre la mélancolie. Page 147
Danser , c'est partir en pélerinage et les gens dansent plus lorsqu'ils sont dans la misère. Pendant la Révolution française, Paris connut les plus grands bals de son histoire.page 151
"Tout ce qu'il y a de mieux chez les Arabes est venu du désert"(Thesiger). En effet, le mot arabe
signifie "celui qui vit sous la tente" et s'oppose au hazar , "celui qui vit dans une maison" page 157
Il y a de bonnes raisons de croire que toutes les religions transcendentales sont des stratagèmes utilisés par les peuples dont la vie a été anéantie par la sédentarisation. ...Les nomades sont peut-être plus proches du monde créé par Dieu mais n'en font pas partie. Un nomade proprement dit est un berger qui déplace ses biens sur une sucession de pâturages. Il est lié à un emploi du temps extrêmement rigoureux et tenu d'accroître le nombre de ses bêtes et de ses fils. Ce n'est pas par accident que les mots "stock", "capital", pécuniaire"et même "sterling" viennent du monde pastoral. C'est ce fatal désir d'accroissement qui entraîne ce cycle interminable de rais et de vendettaet qui l'amène à succomber à la sédentarisation. page 160
...La collection d'oeuvres d'art est donc un stratagème désespéré pour lutter contre un échec, un rituel personnel pour se guérir de la solitude. page 238
L'importance du trésor constitue symboliquement la preuve du pouvoir de la tribu, de la cité ou de l'Etat. Car le pouvoir se manifeste toujours par la capacité qu'a l'autorité de détenir la richesse. page 239
...J'ai beaucoup insisté sur les rapports entre l'art et le sexe.Et la première chose dont il faut se souvenir est que les sexes ont des façons différentes de voir les objets. Les sociétés plus simples que les nôtres ont toujours fait la distinction entre les biens des hommes et celui des femmes., entre ce qui appartient à lui et ce qui appartient à elle. page 247