...Le voyage est rarement synonyme de passion. L'homme est par nature sédentaire, il a privilégié ce mode de vie avec l'apparition de l'agriculture et de l'art de construire des villes. L'homme quitte le plus souvent son nid sous la contrainte: guerres, épidémies, sécheresse, incendies. parfois , il est chassé pour ses convictions, parfois, il part pour trouver du travail ou offrir une chance à ses enfants. Mais, chez la plupart des gens, l'espace engendre l'inquiétude, l'angoisse , la peur de la mort....Quand je parle de voyage, j'exclus évidemment l'aventure touristique. Pour nous, reporters, le voyage est une vocation, un effort, une peine, un sacrifice, une tâche difficile, un projet ambitieux. pages16, 17
Le voyage volontaire, le voyage comme mode de vie est aussi rare que l'envie d'apprendre. Les gens s'intéressent généralement peu aux autres. Dans l'histoire de l'humanité, il existe des civilisations entières qui n'ont jamais manifesté le moindre intérêt pour le monde extérieur. L'Afrique n'a jamais construit de navires pour voguer et aller voir ce qui se passe au-delà des mers qui l'entourent. Ses habitants n'ont même jamais essayé d'atteindre l'Europe, située à proximité. La civilisation chinoise a été encore plus loin: elle s'est isolée par une muraille immense. Il faut reconnaître que les civilisations "équestres" - les Perses, les Arabes, les Mongols - avaient une philosophie différente. Leur but n'était pas de connaître le monde, mais de le conquérir par la force et de l'asservir. Dans cette marche des civilisations, l'Europe constitue une exception. En effet, elle est la seule à avoir manifesté dès le début de l'histoire de la Grèce, une curiosité pour le monde, une volonté de l'envahir, de le dominer mais aussi de le connaître, et pour ses meilleurs esprits, exclusivement de le connaître, de le comprendre, de l'approcher afin de former une communauté humaine. pages 18, 19
En bref, le premier Européen , un Grec, même s'il considérait le non-Grec comme un être rustre et incompréhensible (barbaros), avait conscience que l'Autre était quelqu'un. (voir Hérodote)Page 20
L'image de l'Autre qu'ont les Européens se lançant à la conquête de la planète est celle d'un sauvage nu, cannibale et païen, que l'homme blanc a le droit et même le devoir d'humilier et d'écraser...Conquérir, coloniser, dominer, soumettre sont des réflexes qui se répètent dans toute l'histoire du monde. L'esprit humain ne parvient à la notion d'égalité que tardivement, des milliers d'années après l'apparition des premières traces de l'homme sur Terre. En parlant des Autres, des relations aux Autres, je limite mes propos aux rapports interculturels et interraciaux, car il s'agit du domaine que j'ai eu le plus souvent l'occasion de traiter. Pages 23, 24
C'est à l'époque des Lumières, de l'humanisme, de la découverte révolutionnaire que le non-Blanc, le non-chrétien et le sauvage, cet Autre monstrueux si différent de nous, devient également un homme. page 26
L'anthropologie est tournée vers l'Autre, elle lui est exclusivement consacrée. Elle repose sur l'idée de la compréhension de l'Autre par la connaissance de l'Autre, l'idée de l'acceptation de la diversité, de l'altérité come traits constitutifs de l'espèce humaine. page 31
...La connaissance des Autres...Non seulement il convient d'aller chez eux, mais il faut aussi vivre parmi eux ou avec eux. page 35
Pendant cinq siècles, l'Europe a dominé le monde, politiquement et économiquement, mais aussi culturellement. Elle a imposé une croyance, des lois, des échelles de valeur, des modèles de comportement, des langues. Nos relations avec l'Autre ont toujours été asymétriques, de notre côté constammant dominatrices, apodictiques , paternalistes...Pourtant au milieu du XXè siècle s'amorce un processus de décolonisation, deux tiers de l'humanité, sur le papier du moins, obtiennent le statut de citoyens libres. Désormais, ils retournent à leurs racines, ressuscitent leurs cultures qu'ils mettent en avant avec fierté et dans lesquelles ils puisent leurs forces. page 45
Le fait d'être conscient que, en parlant avec l'Autre, nous communiquons avec une personne qui au même moment, voit le monde et le comprend différemment de nous est fondamental pour créer une atmosphère de dialogue positif. page 49-50
L'homme et la culture se construisent dans le contact avec les Autres. page 51
...Je souhaiterais esquisser- de manière forcément superficielle- non pas un portait de l'Autre en général, mais de mon Autre à moi, de celui que j'ai rencontré...La première chose qui attire l'attention, c'est la sensibilité de mon Autre à la couleur, la couleur de la peau. La couleur est l' un des principaux critères selon lesquels on va classer et évaluer les hommes...Le nationalisme constitue le deuxième aspect de la vision du monde de mon Autre...Le nationalisme est l'un des "ismes" les plus puissants que l'homme ait connus à la fin du XXè siècle...A l'instar du racisme, le nationalisme est un instrument d'identification et de classification dont mon Autre se sert à la moindre occasion. C'est un outil fruste et primitif qui écrase et aplatit l'image de l'Autre. Le nationaliste ne voit dans l'Autre qu'une seule chose: l'appartenance nationale...Dans cet univers de nationalismes exacerbés, je n'ai pas de nom, je n'ai pas de profession, je n'ai pas d'âge, je suis polonais, point final...La troisième composante de la vision du monde de mon Autre est la religion. L'aspect religieux se manifeste à deux niveaux: celui d'une foi générale, non verbalisée, dans l'existence et la présence d'une transcendance, d'une force agissante, d'un Etre suprême, d'un Dieu et celui d'une religion comme institution, comme forme sociale ou même politique...Voilà le portrait de mon Autre. Si le destin le met sur la route d'un Autre - Autre que lui - trois caractéristiques seront pour lui déterminantes: la race, la nationalité, la religion. pages 65, 66
"Au début de l'avènement de la conscience du moi se trouve la présence du toi et peut-être même la présence plus générale du nous. C'est seulement dans le dialogue, la dispute, l'opposition et aussi le désir d'intégrer une nouvelle communauté que se crée la conscience de mon moi comme être indépendant, séparé de l'autre. Je sais qui je suis, car je sais que l'autre est." Tischner. page 78
La rencontre est une épreuve qui mérité d'être mémorisée et elle peut être une expérience fondamentale. page 83
Pour Levinas," l'homme est un être qui parle". Le dialogue est donc au centre de sa réflexion. le but de ce dialogue doit être la compréhension mutuelle, et le but de cette compréhension un rapprochement mutuel, ces deux derniers s'obtenant par la connaissance. Quel est le préliminaire de ce processus? de cette équation? C'est la volonté de connaître l'Autre, d'aller à sa rencontre, d'entamer la conversation avec lui. Toutefois, dans la pratique, c'est extrêmement difficile...page 84
Quand on est arraché à sa culture, on en paie le prix fort. C'est pourquoi il est si important de posséder une identité forte et définie, ainsi que la ferme conviction de la force, de la valeur et de la maturité de cette identité. A cette condition seulement, l'homme peut affronter une autre culture avec sérénité. page 101
Il n'existe pas de cultures inférieures ni supérieures, il n'existe que des cultures différentes qui, chacune , à leur manière, satisfont les besoins et les attentes de ceux qui les partagent. Pour l'ethnologue, l'Autre, celui qui appartient à une autre race ou à une autre culture, est un individu dont le comportement se caractérise par la dignité, le respect de valeurs établies, de traditions et de coutumes. page 102