vendredi, novembre 23, 2007

MALI BLUES (Lieve Joris)

Comparé au Zaire, le Sénégal est très centré sur son ancien colonisateur, estime François. C'est le premier pays de la côte ouest-africaine que la France a colonisé et il en garde des traces profondes. Les rues de Dakar sont envahies de baraques en bois où se vendent des tickets de tiercé: les paris se font sur des chevaux qui courent en France...
Les coloniaux avaient une idée de ce qu'ils voulaient accomplir en Afrique, dit François, mais les Africains en ont fait une toute autre chose. Il aime la pagaille qu'il en a résulté. Pour lui, l'Europe est une maquette; là-bas, tout est achevé. Il apprécie la créativité qu' engendre le chaos. page 15
François rit "Sais-tu ce qu'un Zairois m'a dit avant mon départ? "Profite de ce que tu es blanc, parce qu' 'à votre mort, vous reviendrez en Noirs, comme ça, tu verras ce que nous devons endurer. Et nous, de notre côté, nous reviendrons en Blancs, alors, prépare-toi au pire". Depuis ce temps-là, je fais attention à bien traiter les Noirs pour ne pas revenir sous leur aspect. Mais en même temps, je prie pour que tous les racistes du monde se réincarnent en Noirs, pour qu'ils se rendent compte de l'impression que ça fait"page 17
Autrefois, Adama était anti-français. En 1958, quand le général De Gaulle était venu tenir un discours où il enjoignait aux Sénégalais de ne pas se couper de la France, Adama et ses amis étaient au premier rang, brandissant des pancartes"Non"!. De Gaulle s'était tourné spécialement vers eux : "Vous, là avec vos pancartes, vous pouvez avoir l'indépendance demain"!
"Tu sais que, parfois, quand j'y pense la nuit, je n'arrive pas à dormir, dit Adama. J'aurais aimé qu'on nous témoignions plus de respect à De Gaulle, que nous le laissions finir ce qu'il avait à dire. En 1980, le Président Senghor était venu en Casamance. Un vieux monsieur lui avait demandé combien de temps l'indépendance allait encore durer. Senghor n'avait pas ri , se souvient Adama, il avait l'air préoccupé".page27
Un des serveurs est un fils de Mamadou, un domestique de François. Il se lance dans une conversation compliquée, demande s'il y a tant de racisme en France. Ici, lorsqu'on croise un Blanc, on croit qu'il est Français. Quand je dis que j'habite Amsterdam, il veut savoir si l'on y vit mieux, tâte le terrain, au cas où je pourrais lui trouver du travail. Je m'empresse de le débarrasser de ses fantasmes. Je m'étonne de constater que je n'ai aucune patience vis-à-vis de ceux qui connaissent mal la situation de chez nous. page 29
Demba a passé une grande partie de son existence à travailler pour les Blancs à Podor. A huit ans déjà, il était "panca": il éventait les Blancs en tirant sur une corde qui balançait une marquise de tissu au-dessus de leur tête.Plus tard, il devint cuisinier du "commandant de cercle", puis chauffeur des Services de santé et pilote du bateau à moteur destiné au transport des malades par voie fluviale. Quand François l'avait rencontré, c'était un "notable" à la retraite. page 32
L'Europe est une immense maison de retraite, le moindre risque est banni de la vie. page 33
Ma soif de connaissances m'a fait perdre tout contact spontané avec ceux qui en font partie (de mon ancien milieu). J'ai l'impression d'être un espion quand je me retrouve parmi eux, mon rôle a quelque chose de décadent (Sass) ....'l'auteur: "La nuit est tombée brusquement; au-dessus de nous flotte une couche jaunâtre de sable fin à travers laquelle les étoiles paraissent ternes et à une distance infinie. Je suis étonnée de la franchise et de la lucidité de Sass. Dans cette région du monde, les intellectuels ayant fait leurs études à l'étranger sont généralement désorientés et mettent tout en oeuvre pour masquer leur déracinement. Sass ne craint pas de regarder au fond du gouffre. Il rit quand je le lui dis. Même son éloquence est une pose , prévient-il."Tu as vu comme le ciel est brumeux ce soir? Il est plein de cette poudre que j'essaie de te jeter aux yeux." page 96
Amidou :" En Europe, personne ne pourrait entretenir une famille comme la nôtre,"dit-il.
-Non, mais chez nous, les gens se débrouillent tout seuls, on a moins besoin de sa famille".
Il grimace avec dédain. Ses frères sont revenus d'Europe avec ce même genre d'idées. Quand Abdallah -qui est allé à l'université de Florence- vient les voir, il garde toujours le portail fermé. Il ne faut pas rentrer ici comme dans un moulin, estime-t-il. Lors de sa dernière visite, il a été question de pièces
, de l'autre côté de la cour , dont il faudrait achever la construction. "Mais d'abord, nous devons régler le problème de tous ces intrus", avait dit Abdallah, en faisant allusion à ceux qui avaient envahi la cour au fil des ans.
Intrus! Ce mot avait choqué Amidou. Il n'avait jamais pensé à eux de cette manière. Ce sont des membres de la famille, la plupart sont venus ici à l'initiative de son père."Ils ne sont pas très exigeants, dit-il, ils ne demandent pas de vêtements, par exemple. Mais ils n'ont pas les moyens de louer une maison, ni même d'acheter du riz. Habiter chez nous, c'est une question de survie."page 130
Il s'appelle Barou, il a quatre-vingt-trois ans...Tel qu'il est assis là, le sourire aux lèvres, une grande force émane de lui. Le monde est bien comme il est. Il me fait penser à l'écrivain Amadou Hampâté Bâ, né non loin d'ici, à Bandiagara. Un homme élevé selon la tradition orale et indissociable de l'histoire de la région. "En Afrique, quand un vieillard meurt, c'est une bibliothèque qui brûle" a-t-il dit un jour. page 146
Barou ne veut rien boire: il fait le ramadan. Non, il n'a pas soif, il a l'habitude de jeûner, mais il s'inquiète de moi: n'ai-je pas envie de manger?
Le pneu est réparé avec les moyens du hasard. Un tonneau d'huile coupé en deux, sous lequel on a soudé des pieds, sert de récipient d'eau. Un jeune , tenant un parapluie au-dessus de sa tête pour se protéger du soleil, passe sur une charrette tirée par un âne. Des enfants traînent des boîtes de sardines au bout d'une ficelle et l'un d'eux porte des lunettes de soleil qu'il a fabriquées lui-même, une pellicule de film noir et blanc faisant office de verres.page 148
Un jour, Kimbéry , son grand-père maternel, apprit par le grand-père de Sori qu'une jeune fille peule de haute lignée et d'une grande beauté, était restée au marché. Ses ravisseurs s'étaient emparés d 'elle tandis qu'elle se tenait près du puits, en compagnie des ses esclaves.. Elle pleurait, personne ne voulait l'acheter parce qu'elle était trop maigre. Kimbéry l'acheta en échange de poudre d'or et l'épousa. Ils eurent une fille: la mère de Sissako. L'année où elle naquit, l'esclavage fut aboli. "Le marché aux esclaves a cessé d'exister, mais le commerce s'est poursuivi pendant encore un certain temps", dit Sissako. Peu après, Kimbéry demanda à sa femme si elle se souvenait d'où elle venait. Elle lui dit le nom de son village et il la ramena sur son cheval chez elle, où elle se remaria avec un Peul et eut encore plusieurs enfants. Page 171
En 1968, l'année où le Président Modibo Keita fut renversé, il (Kar) habitait près de Kayes, à Bafoulabé, et dirigeait un orchestre connu de toute la région. Comme beaucoup de chanteurs de l'époque, il avait chanté à la gloire du président malien. Du jour au lendemain, on n' entendit plus à la radio. page 228
Le quartier le plus aisé de Bandiagara est baptisé le quartier des millionaires. Qui habite ici?
-Oh, les gens des projets, dit Barou. Des gens qui participent à des projets de développement- à l'intérieur des terres d'Afrique, c'est une classe dont on parle avec un respect croissant. "De quels projets s'agit-il?"
Barou rit. "Je vais vous montrer tout de suite!" Plus tôt ce matin, il nous a fait visiter son école, cet ensemble de petites bâtisses pitoyables aux volets en fer à la place des fenêtres. Quand il pleut à Bandiagara, on ferme les volets et les enfants restent dans le noir, si bien que les cours s'arrêtent d'eux-mêmes. Heureusement, pendant ses études en Suisse, le directeur de l'école s'est lié d'amitié avec quelques généreux autochtones qui lui envoient chaque année du matériel scolaire et des vêtements d'occasion, sinon aucun élève n'aurait de cahier pour écrire et pas un instituteur n'aurait de pantalon à se mettre, car lorsque les vêtements arrivent, le corps enseignant a bien entendu, le premier choix.
A présent, Barou nous emmène au bâtiment où s'installera bientôt l'Inspection Générale de l'Education. Il franchit le portail, nous montre le gigantesque groupe électrogène dans la cour, nous précède dans les couloirs déserts et ouvre une à une les portes des pièces vides. C'est un projetr allemand. Le directeur a fait construire une villa dans le quartier millionnaire, mais il n'est jamais là - il est trop occupé à aller et venir entre le Mali et l'Allemagne. "Oh là là "dit Kar quand Barou ouvre la porte de la salle de conférences , où une grande table poussiéreuse attend les honorables participants, ces gens-là vont tous dépenser un paquet d'argent, ça va faire des jaloux! En riant sous cape, Kar et moi visitons cette usine de bonnes intentions, mais Barou a l'innocence de l'enfant qui vient de naître. N'est-ce pas un magnifique bâtiment? Toutes les pièces ont l'air conditionné...page 325

vendredi, novembre 16, 2007

DE l'ART D'ENNUYER EN RACONTANT SES VOYAGES (M. Debureaux)

"Les voyages, ça sert surtout à embêter les autres un fois revenu". Sacha Guitry
Chiant, qui comme Ulysse a fait un beau voyage. Car pour quelques bouches d'or aux récits merveilleux , combien de fâcheux et d'importuns...On ne voyage plus pour découvrir mais pour visiter.
Qu'est-ce qu'un voyageur? "Un homme qui s'en va chercher un bout de conversation au bout du monde" répond Jules Barbey d'Aurevilly. Dès 1890, un manuel britannique de bonnes manières met en garde le gentleman: "Si vous avez voyagé, ne l'étalez pas dans votre conversation à la première occasion. N'importe qui , avec de l'argent et du temps libre peut voyager" page 10
Les naifs accolent souvent au voyage la bienheureuse trinité "tolérance-curiosité-ouverture d'esprit". Jules Renard souligne que les voyageurs ont changé de place, non d'idées.page 11
Prolongez votre voyage en le racontant. Cette occasion de briller et de susciter infailliblement l'admiration de tous est aussi un formidable retour sur investissement dans le cas d'un périple coûteux. Egalement l'économie d'un billet d'avion pour votre auditoire. A chaque rencontre, une nouvelle chance de se mettre en valeur. Un nouveau retour. page 14
Pour vous montrer ouvert, interrogez aussi vos auditeurs sur leur petite vie grise pendant votre absence. page 14 ...N'attendez jamais qu'on vous questionne pour relater votre voyage.Il faut surprendre et provoquer la bonne occasion en dirigeant la conversation.
Tenez votre auditoire par la puissance du verbe: vous partez pour vous "emplir du monde", "appréhender l'âme d'un peuple" ou "apprivoiser l'Ailleurs". Concluez , qu'en définitive, même le voyage le plus lointain est toujours le plus court chemin vers son être essentiel. Son moi authentique. La terra incognito, c'est vous-même. page 17

jeudi, novembre 15, 2007

CHAGRIN D'ECOLE (Daniel Pennac)

"J'annonce à Bernard (son frère) que je songe à écrire un livre concernant l'école; non pas l'école qui change dans la société qui change comme a changé cette rivière, mais, au coeur de cet incessant bouleversement, sur ce qui ne change pas, justement , sur une permanence dont on n'entend jamais parler: la douleur partagée du cancre, des parents et des professeurs, l'interaction de ces chagrins d'école. page 21
"Tu te racontais des histoires, en somme".
Oui, c'est le propre des cancres, ils se racontent en boucle l'histoire de leur cancrerie: je suis nul, je n'y arriverai jamais, même pas la peine d'essayer, c'est foutu d'avance, je vous l'avais bien dit, l'école n'est pas faite pour moi...L'école leur paraît un lieu fermé dont ils s'interdisent l'entrée. page 24
La naissance de la délinquance, c'est l'investissement secret de toutes les facultés de l'intelligence dans la ruse. page37
J'ai toujours pensé que l'école, c'est d'abord les professeurs. Qui donc m'a sauvé de l'école , sinon quelques professeurs.page57
Nos "mauvais élèves"(élèves réputés sans devenir) ne viennent jamais seuls à l'école. C'est un oignon qui rentre en classe: quelques couches de chagrin, de peur, d'inquiétude, de rancoeur, de colères, d'envies inassouvies, de renoncement furieux, accumulées sur fond de passé honteux, de présent menaçant, de futur condamné. Regardez, les voilà qui arrivent, leur corps en devenir et leur famille dans leur sac à dos. Le cours ne peut vraiment commencer qu'une fois le fardeau posé à terre et l'oignon épluché. Difficile d'expliquer cela , mais un seul regard suffit souvent, une parole bienveillante, un mot d'adulte confiant, clair et stable, pour dissoudre ces chagrins, alléger ces esprits, les installer dans un présent rigoureusement indicatif. Naturellement le bienfait sera provisoire, l'oignon se recomposera à la sortie et sans sdoute, il faufra recommencer demain. Mais c'est cela, enseigner: c'est recommencer jusqu'à notre nécessaire disparition de professeur. Si nous échouons à installer nos élèves dans l'indicatif présent de notre cours, si notre savoir et le goût de son usage ne prennent pas sur ces garçons et ces filles, au sens botanique du verbe, leur existence tanguera sur les fondrières d'un manque indéfini. Bien sûr, nous n'aurons pas été les seuls à creuser ces galeries ou à ne pas avoir su les combler. page 70
L'avenir, c'est moi en pire, voilà en gros ce que je traduisais quand mes professeurs m'affiemaient que je ned eviendrais rien page 96
Puis vint mon premier sauveur.
Un professeur de français.
En troisième.
Qui me repéra pour ce que j'étais: un affabulateur sincère et joyeusement suicidaire.
Epaté, sans doute, par mon aptitude à fourbir des excuses toujours plus inventives pour mes leçons non apprises ou mes devoirs non faits, il décida de m'exonérer de dissertations pour me commander un roman. Un roman que je devais rédiger dans le trimestre, à raison d'un chapître par semaine. Sujet libre , mais prière de fournir mes livraisons sans faute d'orthographe," histoire d'élever le niveau de la critique.....Pour la première fois de ma scolarité, un professeur me donnait un statut; j'existais scolairement aux yeux de quelqu'un, comme un individu qui avait une ligne à suivre, et qui tenait le coup dans la durée. page 98
En lisant, je me suis physiquement installé dans un bonheur qui dure toujours.^page 100

lundi, novembre 05, 2007

LA FIN DU CHANT (Galsan Tschinag)

Plus il fouillait dans sa mémoire, moins il se comprenait lui-même. A chaque fois qu'une tranche de vie se détachait et lui revenait, il savait qu'il allait rencontrer un être terrible. Il lui était chaque jour plus insupportable d'affronter ce fantôme épouvantable: lui-même.Mais comment empêcher son esprit de se souvenir? page 32
C'est mieux ainsi, l'homme a besoin de présence humaine; la solitude a des dents, la vie à deux des lèvres. page 33
J'ai entendu parler d'un homme nommé Dsahaniwek, qui fut un grand baj. A l'entrée de sa yourte étaient suspendus des haillons que nul n'avait le droit d'ôter. Quand on lui demandait pourquoi, il répondait: ces haillons , je les ai portés autrefois et tant qu'ils pendent sous mes yeux, je n'oublie pas celui que j'ai un jour été. page 56

samedi, novembre 03, 2007

QUELQUE PART DANS LE MONDE (Claude Michelet)

Il faut répondre aux opérations identiques que Gaumont est en train de mener en s'installant un peu partout. Oui, le cinéma est en passe de révolutionner la communication et c'est bien la preuve que tous ceux qui n'ont pas cru en son avenir se sont trompés.L'amusant , c'est que ce sont toujours les mêmes qui ricanent et ne croient pas en l'avenir de ces engins plus lourds que l'air. page 233
Vous vous réveillerez un matin avec la nostalgie de la France; vous manqueront son mode de vie, ses paysages, ses villes, son parfum. Et cette mélancolie ne vous quittera plus et vous n'aurez de cesse de rejoindre la mère patrie. Pas plus pour vous y installer, vous n'avez pas l'âge d'être rentier , mais juste pour constater qu'elle est toujours semblable à elle-même, et tellement belle! Vous pouvez me croire, moi qui ai refait toute ma vie en Amérique et que, sans doute, y resterai pour l'éternité, je me suis langui de Paris, ma ville natale, la plus belle du monde et de très loin! J'ai mis des années avant de pouvoir m'offrir le voyage, mais il était devenu mon but. Et maintenant, je suis toujours heureux d'y revenir, d'y retrouver tout le charme, de m'y promener, d'y flâner. page251

jeudi, novembre 01, 2007

PROVERBES AFRICAINS

J'ai copié ces proverbes africains à La Villette. Au début octobre 2007, j'y ai visité une exposition:" Quand l'Afrique s'éveillera" faite par Science Actualités.

Quand les éléphants se battent, c'est l'herbe qui souffre.

Nous, les Africains, on tue le temps, vous les Européens, c'est le temps qui vous tue.

L'ombre du pygmée est plus grande au soleil couchant.

L'herbe ne pousse jamais sur la route où tout le monde passe.

Le chien a beau avoir quatre pattes, il ne peut emprunter deux chemins à la fois.

Ne repousse pas du pied la piroque qui t'a déposé sur la berge.

Aussi longtemps que les lions n'auront pas leur historien, les récits de chasse tourneront toujours à la gloire du chasseur.

On ne peut pas peindre du blanc sur du blanc , du noir sur du noir.

La nuit dure longtemps. Mais le jour finit par arriver.

Si tu ne sais pas où tu vas, souviens-toi d'où tu viens.

Un homme sans culture ressemble à un zèbre sans rayure