jeudi, novembre 15, 2007

CHAGRIN D'ECOLE (Daniel Pennac)

"J'annonce à Bernard (son frère) que je songe à écrire un livre concernant l'école; non pas l'école qui change dans la société qui change comme a changé cette rivière, mais, au coeur de cet incessant bouleversement, sur ce qui ne change pas, justement , sur une permanence dont on n'entend jamais parler: la douleur partagée du cancre, des parents et des professeurs, l'interaction de ces chagrins d'école. page 21
"Tu te racontais des histoires, en somme".
Oui, c'est le propre des cancres, ils se racontent en boucle l'histoire de leur cancrerie: je suis nul, je n'y arriverai jamais, même pas la peine d'essayer, c'est foutu d'avance, je vous l'avais bien dit, l'école n'est pas faite pour moi...L'école leur paraît un lieu fermé dont ils s'interdisent l'entrée. page 24
La naissance de la délinquance, c'est l'investissement secret de toutes les facultés de l'intelligence dans la ruse. page37
J'ai toujours pensé que l'école, c'est d'abord les professeurs. Qui donc m'a sauvé de l'école , sinon quelques professeurs.page57
Nos "mauvais élèves"(élèves réputés sans devenir) ne viennent jamais seuls à l'école. C'est un oignon qui rentre en classe: quelques couches de chagrin, de peur, d'inquiétude, de rancoeur, de colères, d'envies inassouvies, de renoncement furieux, accumulées sur fond de passé honteux, de présent menaçant, de futur condamné. Regardez, les voilà qui arrivent, leur corps en devenir et leur famille dans leur sac à dos. Le cours ne peut vraiment commencer qu'une fois le fardeau posé à terre et l'oignon épluché. Difficile d'expliquer cela , mais un seul regard suffit souvent, une parole bienveillante, un mot d'adulte confiant, clair et stable, pour dissoudre ces chagrins, alléger ces esprits, les installer dans un présent rigoureusement indicatif. Naturellement le bienfait sera provisoire, l'oignon se recomposera à la sortie et sans sdoute, il faufra recommencer demain. Mais c'est cela, enseigner: c'est recommencer jusqu'à notre nécessaire disparition de professeur. Si nous échouons à installer nos élèves dans l'indicatif présent de notre cours, si notre savoir et le goût de son usage ne prennent pas sur ces garçons et ces filles, au sens botanique du verbe, leur existence tanguera sur les fondrières d'un manque indéfini. Bien sûr, nous n'aurons pas été les seuls à creuser ces galeries ou à ne pas avoir su les combler. page 70
L'avenir, c'est moi en pire, voilà en gros ce que je traduisais quand mes professeurs m'affiemaient que je ned eviendrais rien page 96
Puis vint mon premier sauveur.
Un professeur de français.
En troisième.
Qui me repéra pour ce que j'étais: un affabulateur sincère et joyeusement suicidaire.
Epaté, sans doute, par mon aptitude à fourbir des excuses toujours plus inventives pour mes leçons non apprises ou mes devoirs non faits, il décida de m'exonérer de dissertations pour me commander un roman. Un roman que je devais rédiger dans le trimestre, à raison d'un chapître par semaine. Sujet libre , mais prière de fournir mes livraisons sans faute d'orthographe," histoire d'élever le niveau de la critique.....Pour la première fois de ma scolarité, un professeur me donnait un statut; j'existais scolairement aux yeux de quelqu'un, comme un individu qui avait une ligne à suivre, et qui tenait le coup dans la durée. page 98
En lisant, je me suis physiquement installé dans un bonheur qui dure toujours.^page 100

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