jeudi, juin 23, 2022

LA COLONISATION EXPLIQUEE A TOUS. (Marc Ferro) 2016

 L'Europe a-t-elle inventé la colonisation? Pourquoi a-t-elle dominé une grande part du monde aux XIXème et XXème siècles?  Comment cela a-t-il été possible après les Lumières et la Déclaration des droits de l'homme. Qu'est-ce que l'impérialisme?  Les peuples colonisés se sont-ils laissés faire? Quel est le lien entre colonisation et esclavage? Quelle est l'ampleur du travail forcé? Qui a  protesté?  Et qu'est-ce qui a déclenché le mouvement de libération des peuples colonisés? Marc Ferro répond à toutes ces questions et à bien d'autres. 

Une tradition orale africaine évoque les premiers contacts des Noirs de l'Angola avec ces hommes venus de la mer..." Nos pères vivaient confortablement dans la plaine de Lulaba. Ils avaient des vaches et des cultures. Tout à coup, ils virent sur la grande mer surgir un grand bateau. Ce bateau  avait les ailes toutes blanches, étincelantes, comme des couteaux. Des hommes blancs sortirent et dirent des paroles qu'on ne comprenait pas.  Nos ancêtres prirent peur, ils dirent que c'étaient des Vumbis, des esprits revenants. On les repoussa à la mer par des volées de flèches. mais les Vumpis crachèrent du feu avec un bruit de tonnerre. beaucoup d'hommes furent tués. Nos ancêtres s'enfuirent. les notables et les devins dirent que ces Vumpis étaient les anciens possesseurs de la terre.  Nos pères se retirèrent, craignant le retour du bateau Ulungu. "page 18 

 Voici comment un poème arabe rédigé dans les années  1570 raconte la première visite de Vasco de Gama: " Le Franc est venu à Malbar sous l'apparence d'un marchand./ Mais avec l'intention de tromper et d'escroquer ./Pour garder tout le poivre et le gingembre pour lui/ Et de nous laisser que des noix de coco pour les autres. / En l'année 903 après la migration /Du Prophète choisi parmi le genre humain/ Et Franc apporta quelques présents au samari/ et demandé à être l'un de ses sujets. / En disant qu'il aiderait le pays à prospérer / Et qu'il le défendrait  contre ennemis et rebelles. / Le samari le préféra à tous ses sujets....page 20

Au XVI siècle, l'Océan indien est devenu un " lac" portugais, contrôlé du Mozambique à Bornéo...page 21

Christophe Colomb est nécessairement notre premier témoin.  Il a dressé un récit, glorieux mais critique, de la rencontre entre  populations espagnole et indienne: " Ce roi et tous les siens allaient  nus comme leur mère les avait enfantés, et leur femmes de même sans nul embarras. Il sont tous comme les Canariens, ni nègres, ni blancs".." tout ce qu'ils ont, ils le donnent pour n'importe quelle bagatelle qu'on leur offre..."....."Ils croyaient tous que les chrétiens venaient du ciel et que le Royaume de Castille s'y trouvait. juge Colomb; ce sont bien ses propres croyances qu'il leur attribue ainsi. " Ils viennent du ciel et sont à la recherche de l'or" aurait dit un Indien à son roi. Mais qu'en a compris Colomb  qui ne saisit pas leur langage? Il le croit parce qu'il le fait; il apporte sa religion et emporte l'or en échange.  page 25

Dès 1444, les Portugais, encore eux, ont été les premiers en Occident à faire le commerce des esclaves. page 28

L'historien Olivier Grenouilleau évalue à 11 millions le nombre de victimes de la traite atlantique. page 30

Le cas des Russes. Lorsqu'ils partent à la conquête de nouveaux territoires, ils souhaitent multiplier le nombre de sujets qui paient des impôts. Dès le XIIè , les habitants de Novgorod ont envoyé des colons en Sibérie occidentale pour s'y approvisionner en fourrure. page 32

On juge que les populations qui ne sont pas de "race" blanche sont arriérées, comme des enfants. Le discours biologique raciste valide une approche paternaliste : pour évoluer, l'Afrique et l'Asie auraient besoin de l'Europe. page 56

( Cecil Rhodes) " On ne va tout de même pas laisser l'Afrique à des Pygmées alors que la race supérieure se multiplie"....Dans les années 1890,  Londres attribue à  Cecil Rhodes tous les territoires de la future Rhodésie.. page 66

Les Américains s'identifient volontiers  à l'Empire du Bien. Avec Dieu comme co-pilote.  page 75

Le grand écrivain  Gilberto Freyre, à travers son livre Maîtres et esclaves,( 1933)  a valorisé l'apport des Noirs à la culture brésilienne concluant que le métissage a été la grande chance de ce  pays. Loin d'être une honte, il est l'annonce d'une fusion des races, comme on disait alors, seule susceptible  d'assurer l'avenir à l'humanité. Et nul doute que le brassage brésilien des races, réel depuis les origines,  a peu d'équivalent dans le monde. page 84

( Le TIMES du 31 août 1857) "..Plus ils étaient vils et soumis avant - plus ils rampaient sous le regard du maître qui régnait sur eux - plus leur insolence est effréné maintenant. Ils jouissent et se vautrent dans l'irrespect comme la plus grande des voluptés... Nous voilà donc en présence de l'hindou véritable, livré à sa vraie nature... l'hindou n'a pas même un atome de la force morale qu'il lui faudrait pour y arriver...Sa religion est de pure forme, ses croyances un tissu d'idioties , et sa conscience lettre morte"... page 111

Bartolomé de La Casas écrit une très Brève Histoire de la destruction des Indes en 1552. ..Il entend montrer que les êtres humains identiques à ceux qui les colonisent: rien ne peut légitimer la violence à leur égard. Il fut la première grande voix à s'élever contre la violence coloniale.  page 112

La présence européenne n'a jamais été acceptée par les populations colonisées. page121




dimanche, juin 19, 2022

GUERRE ( Louis Ferdinand CELINE )

 Parmi les œuvres de Louis Ferdinand Céline, récemment retrouvés, figurait une liasse  de deux cent cinquante feuillets révélant un roman dont l'action se situe dans les Flandres Durant la Grande Guerre. Avec la transcription de ce manuscrit de premier jet, écrit quelque deux ans après la parution du Voyage au bout de la nuit ( 1932) une pièce capitale de l'œuvre  de l'écrivain est mise au jour. Car Céline, entre récit autobiographique et œuvre d'imagination, y lève le voile sur l'expérience central de son existence: le traumatisme physique et moral du front, dans l'abattoir international en folie". On y suit la convalescence du brigadier Ferdinand depuis le moment où gravement blessé, il reprend conscience sur le champ de bataille jusqu'au départ pour Londres. A l'hôpital de Peurdu-sur-la-lys, objet de toutes les attentions d'une infirmière entreprenante, Ferdinand s'étant lié  d'amitié au souteneur Bébert, trompe la mort et s'affranchit du destin qui lui était jusqu'à lors promis. Ce temps brutal de la désillusion et de la prise de conscience que l'auteur n'avait jamis abordé sous la forme d'un récit littéraire autonome, apparaît ici dans  sa lumière la plus crue. Vingt ans après 14, le passé , " toujours saoul d'oubli" prend  des "petites mélodies en route qu'on ne lui demandait pas". mais il reste vivant, à jamais inoubliable, et Guerre en témoigne tout autant que la suite de l'oeuvre de Céline. 

Soixante ans après sa mort, voici qu'est publié un roman inédit de Céline, dont l'action se situe durant la Grande Guerre et qui porte plus précisément sur la blessure de l'auteur et ses suites. Ces deux cents cinquante feuillets ont été évoqués sous le titre de Guerre par Céline lui-même dans une lettre à son éditeur Robert Denoël, datée du 16 juillet 1934: " J'ai résolu d'éditer Mort à crédit, 1er livre, l'année prochaine Enfance, Guerre, Londres" Page 9

C'était plat ce pays-là - mais les fosses traîtres et bien profonds, pleins d'eau, rendaient l'avance très difficile. Fallait faire des détours à n'en plus finir, on revenait au même endroit. Il me semble quand même avoir entendu des balles piauler; Tout de même , sûrement l'abreuvoir où je me suis arrêté, c'était un vrai. Je tenais le bras avec l'autre parce que je ne pouvais le mettre droit.  Il était mort sur mon côté. Y avait  une espèce de grande éponge faite avec de l'étoffe et du sang à hauteur d'homme. Si je bougeais, j'arrêtais de vivre tellement ça me procure une peine atroce jusqu'au fond de la vie, c'est le cas de le dire. page 29

Je voyais plus  très clair mais je voyais rouge par-dessus. Je m'étais divisé en parties tout le corps. La partie mouillée, la partie qu'était saoule, la partie du bras qu'était atroce, la partie de l'oreille qu'était abominable, la partie de l4anglias qu'était bien consolante, la partie du genou qui s'en barrait comme au hasard la partie du passé déjà du passé qui cherchait, je m'en souviens bien, à s'accrocher au présent et qui pouvait plus - et puis l'avenir qui me faisait plus peur  que tout le reste, enfin une drôle de partie qui voulait  par-dessus les autres me raconter une histoire.  C'était plus du malheur qu'on peut appeler ça, c'était drôle. Après on  a fait  encore un kilomètre et puis, je refuse d'avancer. page 31

J'ai lu Guerre, beaucoup de pages  sur les horreurs de la guerre, des phrases crues...Bref, la guerre est une horreur.

samedi, juin 11, 2022

L'AUTRE MOITIE DE SOI. Brit BENNETT 2020

 Quatorze ans après la disparition des jumelles Vignes, l'une d'elle apparaît à Mallard, leur ville natale, dans le sud d'une Amérique fraîchement déségrégationnée. Adolescentes, elles av aient fugué main dans la main, décidées à affronter le monde. Pourtant, lorsque Desiree refait surface, elle a perdu la trace de sa jumelle depuis bien longtemps: Stella a disparu des années auparavant pour mener à Boston la vie d'une jeune femme Blanche. Mais jusqu'où peut-on renoncer à une partie de soi-même? 

Dans ce roman magistral sur l'identité, l'auteure interroge les mailles fragiles dont sont tissés les individus, entre la filiation, le rêve de devenir une autre personne et le besoin dévorant de trouver sa place. 

A Mallard, on ne se mariait pas avec plus noir que soi; on ne partait pas non plus. page 14

On peut fuir un lieu mais pas son sang. Les jumelles Vignes avaient cru échapper aux deux. page 16

" Jolies filles. Incroyablement claires, n'est-ce pas? " ( Mme Dupont à son mari lors de l'arrivée des jumelles chez eux, comme employées. page 26

( Desiree à Washington) " Je ne savais pas qu'il y  avait des avocats de couleur".  - Bien sûr que si. C'est pas ton bled de ploucs ici". dit Roberta. " Une ville entière de gens aussi clairs que toi?". - Plus clairs, même, répondit-elle. songeant à Mme Fontenot qui se vantait toujours du teint lait caillé de ses enfants.  - Eh bien, il faudra m'emmener là-bas un jour. Je veux la voir de mes propres yeux, cette ville où  les Noirs sont presque blancs. " (dit Sam). Mais il disait cela pour flirter. Il était né dans l'Ohio . C'était la désespérance dans les campus. IL avait assisté à des cours où les professeurs blancs ignoraient ces questions...Il sortait avec des filles à la peau claire qui refusaient de lui donner la main en public. Le racisme du Nord, il le connaissait, celui du Sud, non merci. page 35, page 37

Un garçon à la peau noire qui traversait la clairière pour lui apporter des fruits. ..;C'était la première fois qu'elle rencontrait un garçon intéressant, le seul qui imaginait une vie de Mallard. ...Elle savait qu'elle ne pourrait  jamais fréquenter ouvertement  Early Jones. Il le savait aussi, même s'ils n'en parlaient jamais.  Il venait toujours quand sa mère était au travail et repartait dès que  le ciel  s'obscurcissait. page 73... sa mère était  comme tous ceux qui détestaient la peau noire et faisaient tout pour s'en démarquer. page 74

" Sa soeur est partie et maintenant, elle se prend pour une Blanche, tu vois le genre. " .... et puis, Desire  a eu cette gosse. - Elle a quoi cette gosse?  - Elle a rien, dit lentement l'homme au Stenson. C'est juste qu'elle est noire comme ce n'est pas permis. page 81

Jouer les Blanches pour s'en sortir, c'était plutôt une preuve de bon sens. Mais épouser un homme ausi noir? Pire, porter son enfant? Cette petite était allée chercher les ennuis et ils ne la lâcheraient pas. "page 91

" T'inquiète pas maman. Je reviendrai te voir". Elles avaient toutes les deux ( Desiree et sa fille, Jude)  qu'elle ne reviendrait jamais. page 122  Elle était noire. Noir-bleu. Non, d'un noir qui tirait sur le violet. Aussi noire que le café, l'asphalte, l'es pace intersidéral. Aussi noire que le début et la fin du monde. page 123

On croit qu'être unique, ça fait de soi quelqu'un d'exceptionnel. Non, ça fait juste quelqu'un de seul. Ce qui est exceptionnel, c'est d'être reconnu et accepté. page 129

Elle savait  comment on surnommait  les Noires qui mettaient du rouge à lèvres.  Cul de babouin. page 163

Au fil des ans, elle avait appris à apprécier la piscine et tout ce dont , selon Blake, on ne pouvait se passer  à Los Angeles: sa Thunderbird rouge,  la  bonne Yolande,  et mille autres commodités. Avant son mari, elle ignorait ce qu'est le confort. Elle  e n avait pris conscience  à son contact , s'émerveillant lorsqu'il commandait  un steak entier, elle qui s'était souvent couchée avec le ventre creux.  Ou qu'elle le voyait hésiter  entre deux cravates, pour finalement, acheter les deux - elle qui allait à l'école à pied, dans des souliers trop petits qui lui écrasaient les orteils.  Ou qu'elle trouvait Yolande  , dans la cuisine  en train de faire l'argenterie et qu'elle songeait à la Stella d'autrefois regardant son reflet dans les fourchettes des Dupont . page 21

Elle était consciente  que c'était affligeant  de ne rien vivre de plus excitant.  Ses jours se succédaient et se renvoyaient  leur reflet, identiques, comme si elle était prisonnière  d'un palais de miroirs semblable à celui où sa sœur l'avait entraînée à la fête foraine. page 220

D'abord Martin Luther King à Memphis, puis Bob Kennedy à Los Angeles. On avait l'impression de ne plus pouvoir ouvrir un journal  sans voir le corps ensanglanté d'un homme important. Stella prit l'habitude  les informations  dès que sa fille  dévalait l'escalier  à l'heure du petit déjeuner. Lorette mentionna que , deux mois plus tôt,  Cindy avait demandé ce qu'est un assassinat politique. Elle lui avait  dit la vérité, bien sûr, c'était  quand une personne tuait une autre pour faire passer un message. page 251

A Maison Blanche, Stella tapait le courrier  de M. Saunders. C'était le plus jeune cadre  du service marketing et il avait un physique d'acteur de cinéma. Toutes les filles du bâtiment l'enviaient. page 260...."Je vos invite à déjeuner, aujourd'hui. J'aime bien connaître les gens qui travaillent pour moi. " Elle était tellement perturbée qu'elle passa la matinée à se tromper  d'adresse sur les enveloppes. page 261

La plupart des gens se laissent guider  par le cœur plus que par la tête. Stella n'était pas différente des autres.  Sa décision de quitter La Nouvelle Orléans avec Blake n'était-elle pas été dictée par ses émotions? Et son choix  de rester ave lui pendant toutes ces années? page 308..Elle 'Stella) était heureuse de fréquenter  des esprits aussi brillants. Des penseurs. Pour les collègues de Blake, l'intelligence était un moyen pour atteindre un but, en l'occurrence gagner plus d'argent. Au département de mathématiques de santa Monica College, personne ne comptait devenir riche. La connaissance était une fin en soi. Elle avait la chance de pouvoir passer ses journées à apprendre. page 310

Ce soir, elle comprenait enfin: Kennedy ( la fille de Stella ) n'était qu'une pimbêche de Mallard qui croyait aux mensonges qu'on lui avait  racontés. " Pauvre idiote. Tu ne sais même pas qui tu es. - C'est-à-dire? - Ta mère vient de Mallard! comme la mienne. Elles sont jumelles. Elles se ressemblent comme deux goutes d'eau. Même tu verrais que...." Kennedy éclata de rire. " Tu es complètement malade. - C'est ta mère qui est malade. Elle t'a menti toute ta vie. " Elle regrettait déjà se s)p)aroles, mais il était trop tard. Elle avait déclenché une alarme qui ne se tairait jamais. page 353

Lorsqu'on épousait quelqu'un, on s'n gageait à épouser  toutes les personnes qu'il serait. Il avait promis ( le mari de Stella)  d'aimer toutes celles qu'elle avait été.  Et ils  étaient là,  à essayer encore, quand bien même le passé et l'avenir demeuraient un mystère. page 357

Elle ( Stella) avait  fait l'erreur  de croire qu'elle pouvait  s'installer.  Il fallait constamment bouger ou le passé vous rattrapait. page 361

On ne devrait pas dire la vérité aux gens pour leur faire du mal mais parce qu'ils  veulent savoir. page 402

( A Mallard) " Ils n'aiment pas les Nègres blancs. Tu te sentirais chez toi.  - Je ne suis aps noire" dit Kennedy. Jude rit encore, cette fois plus mal à l'aise. " Ta mère l'est". - Et après? - Donc toi aussi.  - Pas du tout. Mon père est blanc, tu sais. Et tu n'as le droit  de te pointer et de me dire qui je suis".  Ce n'était pas une question de race. Elle ne supportait pas qu'on l'assigne à une place. Elle était comme sa mère, sur ce point. Si elle était noire, pas de problème. mais si ce n'était pas le cas, et Jude n'avait pas à lui dire qu'elle était quelqu'un qu'elle n'était pas.  page 412

Adele Vigne s( la grand-mère) fut enterrée au cimetière Saint-Paul du côté autrefois réservé aux gens de couleur. Tout le monde trouvait ça normal. Il en avait été  toujours ainsi, les Blancs au nord, les Blancs , au sud. Personne ne s'en était jamais plaint, jusqu'au jour où l'église qui possédait le cimetière, avait décidé de nettoyer les tombes pour la Toussaint, mais seulement au nord. page 476