dimanche, mars 29, 2009

LE PREMIER SIECLE APRES BEATRICE ( Amin Maalouf)

Quand on me dit qu'une personne est arrivée, je suis tentée de demander où, et par quels moyens, et dans quel but. Seuls se félicitent ceux qui se savent incapables d'aller plus loin. page 135
Les médias reflètent ce que disent les gens et les gens reflètent ce que disent les médias. Ne va-t-on jamais se lasser de cet abrutissant jeu de miroirs?
L'amour comme dérobade, l'étreinte comme ultime argument, la jouissance en points de suspension.
Quand nous étions ensemble, dans son salon, à repenser le monde, il m'incitait à écarter les idées ambiantes "comme on écarte les épluchures d'un fruit, mais sans égard pour les épluchures". page 132.
Elle finit par me persuader qu'il fallait à tout être une bonne chute avant d'aborder l'autre versant de sa vie. Pour les individus, les sociétés humaines, et pour l'espèce aussi. Le second souffle est peut-être à ce prix. page 253
Un travailleur du Sud installé dans le Nord était appelé"immigré"; un travailleur du Nord installé dans le Sud était appelé "expatrié". page 259
Lorsqu'on lance une bouteille à la mer, on souhaite bien entendu que quelqu'un la repêche; mais on ne l'accompagne pas à la nage. page 298

jeudi, mars 26, 2009

LE MOMENT FRATERNITE (Régis Debray)

"Le mystique ...se prépare à la mort, ...le religieux prépare les obsèques"
L'adepte d'un courant spirituel s'adresse à l'Invisible en tant qu'individu; le fidèle d'une religion, en tant que membre d'une communauté. Le premier dit "Je"; le second dit "nous". "Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour." Et au Notre Père chrétien correspond la Fatiha musulmane: "C'est Toi que nous adorons..." page 25
Serait religion ce qui se fonde sur le sacré; serait sacré ce qui se trouve à la base de toute expérience religieuse: décevante tautologie. page 30
...L'article défini singulier : le sacré. Il fait d'un attribut historique une susbtance éternelle et d'un construit, un donné.... Si l'on rencontre du sacré, partout où s'est formée une communauté durable, c'est en vertu d'actes humains de sacralisation. Le sacral n'est pas l'émancipation d'un être, mais le produit d'un faire. pages 31, 32 (l'auteur donne des exemples: le mur des Lamentations, le mur des Fédérés, l'Arc de Triomphe etc...)
C'est fait dans ce but, le sacré: pour raccorder l'atome à la molécule et l'éphémère au durable; pour donner souffle long à une fraternité; pour la prolongation de soi via l'affiliation à un nous qui me précède et me survivra. page 34
N'oubliez pas de regarder à vos pieds. L'essentiel se joue au ras du sol: pas-de-porte, barrière, grille, soubassement à gradins, terre-plein, chasse-roue. Aborder le sacré par les bordures est sans doute la meilleure façon de ne pas se perdre dans l'obscur, et même si l'on n'observe que ce que l'on comprend, la photographie des surfaces et des volumes n'a pas moins à révéler que la psychologie des profondeurs....Alternance et cadence sont inhérentes à la marche des jours, mais rythmer l'espace est plus méritoire, et peut-être plus révélateur...Nos rites de passage seraient sans ces seuils, lignes et contours permettant de banaliser l'indistinct et scander l'uniforme. page 35
Là où il y a du sacré, il y a une enceinte . Et là où la clôture s'efface -ligne, seuil, ou dénivelé- le sacré disparaît. (Rome lors de sa création " a été ceinte par le sillon d'une charrue promenée autour d'une colline pour tracer le sillon primordial délimitant un espace inviolable, la Rome carrée.)"
Remontons jusqu'au paradis: il vient du persan ancien, paradaiza , qui signifie enclos, et par extension jardin.
Sacraliser, c'est remparer. Mettre sous tension une portion d'étendue. Entourer d'une barrière, d'une grille, d'une balustrade. pages 41,42
"Reconnais-tu le temple au péristyle immense..." ; sans colonnade, pas de temple. Le jubé dans l'église isole le choeur de la nef, la clôture fait le cloître, isolat de terre ferme qui se console de ne pas être une île au moyen de murs, porteries, chancels, grilles intérieures et autres sas de précaution. page 43
Il s'est dit de la mort qu'elle transforme la vie en destin. page45
L'a-t-on assez dit: saint n'est pas sacré. A ne pas confondre. le saint ne verse pas le sang, le sacré s'y retrempe. Le saint est bon, le sacré n'est ni bon, ni méchant ( ou il est l'un et l'autre, ce qui revient au même) . Ce n'est pas un signe de moralité, mais une contrainte d'organisation. Peu importe qu'il ait bonne mine ou non. Depuis qu'en Occident, la foi a détrôné la Loi, en bonne doctrine, saint( holy, en anglais) se dit des personnes, et sacré (sacred) , des choses. Un saint homme fait son salut au milieu des hommes, un ustensile sacré se range ailleurs que des objets usuels. Le premier voudra effacer la distance, le second, la marquer. page 54
Là où il y a un nous, il y a une sacralité; et là où le nous se disloque, le sacré s'estompe.
...Aussi l'endroit où, pour une heure ou deux, peuvent s'oublier les agendas - Notre-Dame de Paris, portail d'Auschwitz, ghât de Bénarès - est-il par nature un lieu de rassemblement, oratoire ou chanté: pélérinage, meeting, synode, commémoration. C'est tout le paradoxe de ce type d'enceintes protégées, que de sortir tout un chacun de sa prison individuelle. page 61
Le lieu est sacré quand il fait lien, mais c'est le lien qui fait le lieu et non l'inverse. (Le mur des Fédérés, le Mémorial des martyrs de la déportation). ...C'est le pélérin qui fait le sanctuaire, et le croyant, le saint. page 64
Moins un peuple a de territoire, plus il a besoin de mémoire. page 71 (Arafat et la Palestine, les Juifs et l'état d'Israël)
Il n'y a pas de sacré en soi et par soi, car ce dernier le serait partout et pour tous...Il y a des langues sacrées, il n'y en a pas d'universelle. Le latin qui ne l'était pas au départ dans la Rome antique, en est devenu une, mais pas pour les boudhistes. L'hébreu est une langue sacrée, mais pas pour les catholiques. L'arabe, langue sacralisée par la fermeture d'un texte incréé - dicté par Dieu - , ne l'est pas pour un Scandinave ou un Chinois Han. La Voie sacrée qui mène à verdun, est pour les Allemands , une route comme une autre. Et les vaches hindoues sont chez nous, du bétail. page72
Sacraliser, avons-nous vu, c'est enclore pour rassembler, c'est se démarquer, sinon se barricader. Page 75
Prendre acte qu'il y a un os sous la peau de chaque culture - et pour nous, pas d'appartenance plénière sans un fond d'allégeance bornée (nous ne pensons pas, donc nous sommes) - cela veut dire qu'au coeur de toute espérance, de toute fierté collective, il y a de quoi désespérer un esprit libre ( je pense donc je suis). Page 78
Il n'y a pas de sacralité sans une absence cruciale, vers laquelle lever les yeux. Là où et quand ce point sublime s'efface, le sacré s'estompe.
Un nous fait corps quand , rassemblé, il voit autre chose et plus que ce qu'il a sous les yeux. Il est donc, dans son intérêt de lever la tête, pour regarder plus loin, en arrière ou en avant. page 81 (les pierres levées, les poteaux sacrés, la hampe de bois, de pierre ou de métal, pyramides, ziggourats, pagodes, campaniles, clochers, flèches, minarets, beffrois): ce autour de quoi nous nous réunissons le plus aisément....c'est un centre qui tire vers le haut. Page 82
Pas de lien visible sans un Invisible par-dessus, pas d'inter sans supra. Pour qu'un je et un tu fassent un nous, nettement circonscrit, il leur faut un Autre, et qui possible, ne soit pas au beau milieu, en chair et en os. Une communauté fraternelle, c'est l'arrachement synchrone de plusieurs moi; Vers un je-ne-sais-quoi, un point de référence qui n'est pas marié avec la théologie ou la métaphysique, ou qui peut en divorcer. (la Sortie d'Egypte, la fuite à Médine, la Résurrection, Thanks-giving Day, prise du palais d'Hiver) page 86
L'horizontale seule veut dire: évanescent, inconsistant, pas fiable. Le transport sacré s'appelle , lui, enthousiasme, mot à ressort formé de théos, un dieu. (le sport : pas de flèche, pas de vericale, pas d'appel d'air, sans passé, sans futur, il n'y a pas d'après quand il n'y a pas d'avant)
page 90
Les absolus passent, non la demande d'absolu. Quand le Père Eternel s'éclipse, suivi par la Patrie et le Progrès, on voit les Droits de l'Homme prendre la posture du Commandeur. page 99
L'opaque voyage plus loin que le transparent. ... Un moi peut s'inventer; un nous ne s'improvise pas. page 111
Le nous des nations démocratiques, tout sécularisé qu'il se veuille, a trouvé son principe unificateur dans la consécration des droits de l'homme. Cette apothéose a engendré dans une communauté occidentale plus ou moins ressoudée une nouvelle religion civile. page 113
L'Europe démocratique a enfanté son nous contemporain dans de terribles souffrances, qui ont nom Coventry, Auchwitz et mur de Berlin. page 125
Prosélyte ou nationale, toute foi naît d'un dépouillement et meurt dans la pourpre. page 129
Malgré la présence de nombreux chrétiens dans les institutions humanitaires qui laïcisent la charité, malgré la remise en selle d'un vocabulaire évangélique, disons préindustriel - déshérités pour travailleurs, exclus pour exploités, lutte contre la pauvreté pour développement...-, malgré l'atmosphère "divine surprise" d'une revanche tardive, mais longtemps attendue, des élans du coeur sur le "cynisme matérialiste", il n'y a pas, stricto sensu, d'alignement doctrinal entre les sacralités de hier et d'aujourd'hui. Sauf à gommer les siècles et nos archives. (Pie VI avait qualifié les 17 articles de la Déclaration française des "contraires à la religion et à la société", Pie IX disait que l'humanité irait à sa perte avec les droits de l'homme, Pie X en 1910 trouvait blasphématoire un rapprochement entre l'Eglise et les droits de l'homme, voir aussi la controverse de Valladolid) page 136
Le "je suis un homme et rien de ce qui est humain ne m'est étranger" est d'un poète latin non d'un chrétien. page 137
Quand une croyance vit de sa belle vie, les croyants ne savent pas qu'ils croient: ils font ce qui se fait. page 145
Le monde est à l'évidence plein de trous noirs, et les religions sont là , depuis la nuit des temps pour les combler. page 151
Au modèle messianique standard, la variante du jour ( les droits de l'homme) apporte trois contributions majeures : l'absence d'église,; l'élimination des ordres contemplatifs par les ordres actifs,; et un remodelage en profondeur de la mission....A chaque époque son médium, son style et son sanctuaire; Dieu avait la cathédrale; le savoir, l'amphi; l'info a le plateau....Notre nouvelle société d'encouragement au Bien a pour particularité de n'en avoir pas de visible, portant plutôt blue-jean et jogging que col romain ou kippa. page 153
"L'humanitaire, dit Rony Brauman, en boutade,c'est les droits de l'homme, plus les antibiotiques. page 164
Le "allez soigner toutes les nations" fait d'évidence écho au "allez enseigner toutes les nations" page 168
Nos premiers ethnologues, lexicographes, hygiénistes, géographes furent des religieux chrétiens....Le missionnaire d'antan...s'immergeait dans la société indigène, apprenait les langues locales, enquêtait sur les moeurs et se souciait de comprendre, pour être compris d'eux, Hurons, et Algonquins, Annamites et Malgaches. C'est par lui que s'est noué le premier croisement des cultures. (Mattéo Ricci) page 171 (L'auteur met en comparaison les membres des ONG qui ne peuvent s'acculturer car peu de temps dans un pays)
Avec la redécouverte des droits de l'homme comme remède au totalitarisme, le bonheur des riches ne faisait plus le malheur des pauvres.. Mieux : le salut de ces derniers étant suspendu à la grandeur d'âme des premiers, l'ancien garde-chiourme devenait le champion des forçats. Qui ne préfère la bonne à la mauvaise conscience?. Il ne faut jamais sous-estimer - relire Pascal et La Rochefoucauld - la revanche jubilatoire des amours-propres dans le choix de nos abnégations. page 178
(Les droits de l'homme) nos tables de la Loi sont devenues l'alpha et l'oméga de la vie publique en vertu du privilège qu'elles ont d'irradier les esprits sans avoir à informer le réel jour après jour, à travers un système praticable de lois et de règlements. page 179
Le gouvernant, pour faire vrai, doit croire et faire croire en même temps, et se faire voir en train de croire. ( lire Tartuffe) page 197
Nazisme et stalinisme avaient communié dans le mépris de l'individu, tandis qu'en démocratie, c'est l'individu qui est à protéger contre les abus du pouvoir, les immixtions de la police dans sa vie privée, ses communications téléphoniques, son honneur et ses secrets...le mépris de l'argent est le privilège des riches, le dédain de l'Etat se porte bien dans les Etats providence, comme le mépris du national dans les nations bien établies , qui n'ont plus rien à craindre des voisins. page 213
L'agenda est aux droits civiques, et sans retour aux droits des peuples, ceux de l'homme resteront un vain mot. L'antinationalisme confusionnel fait oublier qu'il n'y a pas de démocratie là où il n'y a pas de nation, et l'anti-étatisme, qu'il n'y a pas souvent de nations sans Etat; que seul un Etat de droit (une administration, une police, une justice autonome, un cadastren des archives) peut faire respecter les libertés personnelles; que toutes ces aubaines, l'alphabétisation, les chemins de fer, la transition démographique, les routes, le vote des femmes ne furent pas chez nous une manne tombée du ciel; que ce qui nous a demandé cinq bons siècles en Europe ne peut se réaliser partout ailleurs avant la fin de l'année (sinon, on vous coupe les vivres); et que bombarder les ponts, les usines, les ministères et les routes d'un pays pauvre ou occupé, même en parachutant après coup des parlements gonflables et des isoloirs en kit, n'est pas la meilleure façon de parvenir au but. page 215

samedi, mars 07, 2009

L'ARMEE DES OMBRES (Joseph Kessel)

La Résistance en France pendant la dernière guerre mondiale.

Un des chefs d'oeuvre de Kessel mais aussi le roman-symbole de la Résistance que l'auteur présente ainsi:
" La France n'a plus de pain, de vin, de feu. Mais surtout elle n'a plus de lois. La désobéissance civique , la rébellion individuelle ou organisée sont devenues devoirs envers la patrie. Le héros national , c'est le clandestin, c'est l'homme dans l'illégalité."préface