vendredi, mars 29, 2019

LES ETOILES S'ETEIGNENT A L'AUBE ( Richard Wagamese) 2017

Lorsque Franklin Starlight, âgé de seize ans, est appelé au chevet de son père, Eldon, il découvre un homme détruit par des années d'alcoolisme. Eldon sent sa fin proche et demande à son fils de l'accompagner jusqu'à la montagne pour y être enterré comme un guerrier. S'ensuit un rude voyage à travers l'arrière-pays magnifique et sauvage de la Colombie-Britannique, mais aussi  un saisissant périple à la rencontre du passé et des origines indiennes des deux hommes. Eldon raconte à Franklin les moments sombres de sa vie aussi bien que les périodes de joie et d'espoir, et lui parle des sacrifices qu'il a concédés au nom de l'amour. Il fait aussi découvrir à son fils un monde que le garçon n'avait jamais vu, une histoire qu'il avait jamais  entendue.
 
Il était grand pour son âge, efflanqué....Par contre, il avait appris la solitude et sa maîtrise des mots était brutale, directe,  davantage celle d'un discours d'adulte que d'enfant...Le vieil homme  lui avait très tôt inculqué la valeur du travail et il était heureux de travailler: il trouvait son bonheur dans le travail de la ferme et sa joie dans les chevaux ainsi que dans les grands étendues infinies des pays d'en bas. ...Il entendait les symphonies du vent sur les crêtes,  et les cris stridents des faucons et des aigles étaient pour lui des arias....Il était indien...Des jours, des semaines parfois, le garçon arpentait seul les terres. Seul. Il n'avait jamais su ce qu'était la solitude.  page 13
 
(Il va à la recherche de son père) Il arriva à la chambre de son père. ...Le garçon posa une oreille sur la porte de son père. Il perçut des murmures..
-Il frappa. Silence. Il entendit des chuchotements et des mouvements précipités.
- Allez, entre, Damnit.
Le garçon tourna la poignée et entrouvrit la porte. Il n'y avait  d'autres meubles dans la pièce qu'un buffet, une chaise  en bois et le lit où son père était allongé avec une femme appuyée contre sa poitrine. Il y avait des bouteilles vides alignées devant le miroir du buffet. des vêtements avaient été lancés n'importe comment et trainaient au milieu de boîtes vides de fast food et de vieux journaux....
- Tu veux quoi?  demanda l'homme en portant une bouteille à sa bouche.
- Je suis Franklin, répondit le garçon.
- Bon sang. ( C'est tout ce qu'il dit et il avala une autre gorgée) T'as grandi, hein?
....Le vieil homme a dit qu'il fallait que je vienne.
...- Un coup à boire?
- Pas besoin.
- Une clope?
- J'ai de quoi....
Son père rit. Un  rire râpeux et rauque. Il toussa quelques coups et la femme lui posa la main sur la  poitrine en le regardant, inquiète et protectrice.
...- Bon je suis là ! dit le garçon.
- Je vois ça.
- Alors, qu'est-ce que tu as à me dire?
-  Il me faut comment t'appelles ça...faire les choses dans l'ordre....
- Tu m'aimes pas trop , y me semble, dit-il en reposant la bouteille au sol.
- J'te connais  pas trop, c'est tout dit le garçon.
- J'suis ton père. pages 23, 24, 25, 26

" J'ai un service à te demander.
- Y semble que c'est toi qui me dois quelque chose.
- Oui, je sais. N'empêche que des fois, il faut donner pour recevoir.
- J'ai d'jà donné quarante dollars ( les dettes de son père au restaurant)
- J'te parle pas d'argent. pas besoin d'argent pour ce truc-là.
- Quoi alors?
- J'veux que tu viennes  avec moi dans le pays d'en haut.
- Tu dois être plus soûl que je le pensais.
- J'veux que tu me ramènes dans ce territoire que t'as traversé....
- Pourquoi tu veux aller là-bas dans ton état?
- Parce qu'y faut que tu m'enterres là-bas.  page 33
 
Son père. . Le garçon le revit avec la putain dans la triste petite chambre de la maison qui penchait vers l'eau. C'était une vie en lambeaux. Mourir là-bas était plus tragique qu'il ne pouvait l'imaginer.....
Il apprit à l'âge  de sept ans que son nom était Starlight. Même alors le lien qui les unissait était lâche et ténu. et le garçon se souvenait d'avoir répété leurs deux  noms à l'infini dans l'obscurité de la mansarde où il couchait. Elon Starlight. Franklin Starlight.  Chacun des quatre syllabes brutes qui ne laissaient  rien apparaître....C'était le vieil homme  qui lui avait appris à tendre des pièges, à poser une ligne de nuit pour attraper des poissons et à interpréter les traces laissées par le gibier.  Le vieil homme lui avait fait don de la terre...A neuf ans, il était parti seul pour la première fois. Quatre jours . Il était revenu avec du poisson et un petit chevreuil. ...Quand il pensait au mot père, il ne pouvait imaginer personne d'autre que le vieil homme. .page 39
 
" Faut que tu touches ce que tu vises et faut que tu l'abattes..   T'as pas le droit de rien laisser souffrir.
Faut l'abattre. page 45
(Franck vient d'abattre un chevreuil)
- Tranche-lui la gorge, Frank, dit-il.
Une fois l'entaille faite, le vieil homme préleva du sang à l'aide de deux doigts et, de l'autre main, il tourna le visage du garçon vers lui . Il traça deux lignes de sang sur chacune de ses joues et une autre sur le menton, et une ligne ondulée en travers du front.
- Ce sont tes marques.
..- Parce que je suis indien dit-il.
-Pas que je l'suis pas , dit le vieil homme. je peux rien t'enseigner de ce que tu es , Frank. Tout c'que j'peux faire,  c'est de te montrer comment être une bonne personne . .Si tu apprends à devenir un homme bon, tu seras aussi un bon Injun...Maintenant , il faut que tu fasses des remerciements.
_ Des remerciements?
- Au chevreuil. Y va nous nourrir pendant un bout de temps, y va nous donner une bonne peau à tanner page 52
 
Le garçon rejoignit la nature. C'était tout ce qu'il fallait. Le fusil le retenait là. C'est ainsi qu'il en vint à comprendre la valeur des êtres vivants, par sa faculté à les faire disparaître. Prendre la vie était une chose solennelle. La vie était le cœur du mystère. Le fusil son moyen de l'évaluer.   page 55
 
( Franklin et son père quittent la ville )" J'ai vécu longtemps ici, dit-il ( le père)
- Ouais?
dit le garçon. en s'aspergeant généreusement le visage d' eau..
- ça va me manquer.
- Qu'est-ce qui va donc te manquer ici?
 - Tu finis par être connu quelque part, ça te colle à la peau.  page 61
 
Son père fit sortir une cigarette du paquet et l'alluma; il fuma un moment.
- Tes grands-parents étaient tous les deux des sang-mêlé. On était  pas des Métis comme on appelle les Indiens français.  On était tout simplement des sang- mêlé. Des Ojibwés. Mélangés à des Ecossais.  Des McJib. C'est comme ça qu'on nous appelait. Personne ne voulait de nous. Ni les Blancs. Ni les Indiens. ..On campait dans des tentes ou on squattait...Jamais une vraie maison. page 66
..j'avais plus de dix ans quand on est   arrivés en ville...Tout ce qui était indien , on l'a oublié parce qu'on était occupés à survivre dans ce monde. page 67
 
Il se souvenait   de la première fois où il l'avait vu. Il devait avoir cinq ans, presque six. C'était  au crépuscule. En été.  page 70
- C'est qui?  demanda le garçon à la traite du matin.
Eldon dormait sur la canapé près du poêle. Le garçon l'avait regardé lorsqu'il s'était levé.
...;Quelqu'un que j'ai connu très bien à un moment donné, dit-il sans se retourner pour le regarder . C'est un type différent à présent, mais je l'ai connu très bien à un moment donné. Du moins, c'est ce que je pensais.
- Il sent drôle, dit le garçon.
- Il s'est rincé à fond.
- Avec  ce whisky? demanda le garçon
- Oui, monsieur. Y a des hommes qui y prennent goût . Moi, jamais.  page 75
 
Il s'écoula une année avant qu'il ne le revît.....
(Eldon et le vieil homme se sont bagarrés)  Quand ils le virent ( le garçon) , tous deux baissèrent la tête et fixèrent le sol..
- Dis-lui déclara Eldon.
- C'est pas à moi de le lui dire. c'est à toi, rétorqua le vieil homme.
- Je savais pas que c'était à moi...Le garçon ne comprenait pas bien et en les entendant, il ressentit une pointe d'inquiétude....
- J'ai quelque chose à te dire.
Le garçon regarda le vieil homme ...qui lui fit un signe de la main. Le garçon alla jusqu'à lui et s'assit à ses côtés. Le vieil homme le prit par les épaules et le garçon leva les yeux interrogateurs vers lui, sur ses gardes face  au poids inattendu de cet instant.
- Quoi? demanda-t-il
- Ecoute cet homme , répondit le vieil homme.
Le garçon se tourna vers Eldon.
- Je suis ton papa., dit-il.
Le garçon regarda à nouveau le vieil homme.
- J'ai dit que je suis ton père.
- Qu'est-ce qu'il dit?. demanda-t-il
- Il dit ce qu'il doit dire. Ou du moins, à ce qu'il croit.
- C'est vrai?
- Demande-lui.
 
...- C'est vrai? lui demanda le garçon.
- La chose la plus vraie que j'aie jamais dite répondit Eldon. page 79
 
Ils ne purent rien faire d'autre que le regarder partir.
- Mon père dit le garçon.
- Oui, monsieur, dit le vieil homme.
- Il a jamais parlé de ma mère dit le garçon.
....- Un temps viendra où je te le dirai, mais pour l'instant, c'est à lui de la faire.
- Pourquoi?
- Parce que c'est une chose qu'un père doit faire. C'est lui qui te doit ça. Pas moi. page 83
 
Si les gens ont une porte, c'est pour accueillir., dit Becka. page 102
 
C'est la guerre qui lui avait fait découvrir le monde. Il avait onze ans quand son père ( celui d'Eldon)  était parti au combat et il avait découvert cette  soudaine absence bouleversante, comme perdre une dent en mâchant quelque chose...Il n'avait jamais entendu parler de l'Europe, des Allemands ou de Hitler. Ce n'étaient  que des sons pour lui et la seule signification qu'il leur trouvait, c'était ce vide dans sa vie quand son père s'était éloigné, nonchalant, pour aller prendre le train. la guerre, c'était savoir que des choses pouvaient être enlevées.
- Il va envoyer  sa solde à la maison... avait dit sa mère.
 Son père devint des enveloppes.....
Son père devint le crissement d'une pointe de crayon sur du papier  à la lumière vacillante d'une bougie...Il devint ce regard absent...Il devint cette longue attente. Il devint cette vision fugace, blanche comme un linge, serrée dans la main de  sa mère...Il devint le son de ces mots qui  lui étaient lus à la lumière dansante. Puis, il devint le goût du bœuf, la sensation des chemises neuves sur sa peau et des chaussures neuves à ses pieds. Il était présent dans les petites liasses de billets...page 108
Le silence devint sa berceuse et il lui fut  utile jusqu'au jour où un homme se tint dans l'embrasure de la porte et où sa mère  s'effondra en pleurs, en gémissant, en frappant des poings.. La guerre ce fut savoir que la vie peut te dénuder jusqu'à la moelle, que certains trous ne seront jamais comblés, certaines fentes jamais colmatées...page 109
 
Été 1948. Ils avaient cheminé depuis l'Alberta jusqu'à  Yukon...Tandis que les hommes abattaient  et sciaient  les billots, Jimmy et lui (Eldon)  devinrent draveurs, ils travaillaient sur les flottilles et formaient des estacades en vue de la longue descente  de la rivière jusqu'au moulin à scie de Parson' s Gap.  page 114
 
( La mère d'Eldon se met en ménage avec Jenks.)
 
- Peut-être qu'elle se sent seule?
- Se sentir seule est une chose. Se mettre en ménage , c'est une autre. page 119
Il avait vu le premier hématome au bout d'un mois...Elle avait un hématome en forme de cercle autour de la gorge. page 120
En l'espace d'une semaine, il y eut davantage d'hématomes. Sur les épaules, ses bras et son dos.... page 122
( Jimmy blesse Jenks sérieusement et la mère d'Eldon leur conseille ( à son fils et à Jimmy de s 'enfuir)
 
- Ta mère? demanda Bccka. T'as jamais voulu savoir comment elle s'en sortait?
...- Je savais pas comment m'y prendre dit-il; J'ai jamais pigé si elle voulait me voir partir ou me sauver.
- T'es sûr qu'elle faisait un choix?  demanda Becka?
- C'est ce qu'on aurait dit à ce moment-là. C'était comme si je ne comptais pas et ça  m'a fait chier; ça été plus facile de partir...page 129
 
-Qui peut évaluer ce qu'on est? dit Becka. J'ai l'impression que notre vérité, elle est là où on peut pas la voir. Pour ce qui est  de mourir, j'pense qu'on a tous le droit de croire à ce qu'on veut.
- J'peux pas savoir ce qu'il croit. Il parle beaucoup, mais  j'arrive  pas à le comprendre. Jusque-là, tout ça c'est que des histoires.
Elle se contenta de hocher la tête.
- On n'est rien d'autre finalement que  nos histoires . page 134
 
(Avec le vieil homme, Franck, à neuf ans,  vient en ville à la demande  de son père.)
- J'voulais te voir,, c'est tout c'que je voulais
- Alors, tu m'as vu.
- J'suis ton père.
Le garçon secoua la tête.
- J'en ai pas de père. J'n'ai jamais eu un. J'peux pas avoir c'que c'est censé vouloir  dire à part le spectacle que tu m'offres.
- Tu sais, j'travaille à la mine maintenant . J'ai d'l'argent. J'pourrais t'en donner. Tu pourrais t'acheter un truc bien.
....- Il n' a pas besoin de ton argent . Il est venu ici parce qu'il avait besoin de t'avoir un peu, toi. Pas ton argent.  N'importe quel imbécile peut donner du cash.
- Pardon.
- c'est à lui qu'il faut dire.
- Pardon mon garçon.
Le garçon se contenta de la fixer.  page 153
 
Son père ressemblait à une photo qui aurait été exposée trop longtemps à la lumière.  C'était un étranger. Mais le garçon se sentait un lien avec lui. Il ressentait une douleur sourde quand il pensait à lui si bien qu'il ne consacrait que très peu de temps  à de telles pensées. ...Le vieil homme lui apprit le mot " tuteur". ça voulait dire protecteur. ça voulait dire qu'aussi longtemps que le vieil homme était là, il n'avait rien à craindre. ça voulait dire qu'il était en sécurité et qu'on s'occupait de lui. Mais ça ne voulait pas dire "père". La définition de ce mot était laissée à sa réflexion.
..Alors il fut invité  à fêter son anniversaire avec son père et il fut ravi et s'empressa d'y aller.
- ..Il dit qu'il promet d'être  sobre. Il dit que dix ans, c'est un âge  vachement important et qu'il veut être avec toi. page 156
 
(Frank se rend chez son père.)
- Tu m'as acheté un cadeau?
- C'est ton anniversaire, non?
- Ouais mais....
- Mais rien....
Il arracha le papier. C'était une canne à pêche. page 159
 
(Eldon et Franck vont à la pêche. Son père boit et au retour, Franck conduit le camion.)
Il s'appuya sur le camion pour écrire...
 Tu m'as menti! c'est tout ce qui était écrit en grosses lettres enfantines. page 170
Il ne revit pas son père avant ses douze ans. Ces deux années s'écoulèrent sans un mot. Il fut d'abord déçu quand  se passa un anniversaire sans cadeau, et sans carte. Maia, avec les mois, il apprit à oublier d'attendre quoi que ce soit. page 170
 
Presque toute ma vie, j'ai mieux gardé les mots dans ma tête que j'les ai parlés, dit son père.  Ils sortaient jamais comme j'aurais voulu. . Mais je savais écouter comme il faut. J'ai toujours eu un faible pour les bonnes histoires.....J'ai rencontré plein d'hommes, mais je n'ai jamais jasé ni plaisanté, j'ai jamais pu parler de mes affaires au grand jour ni les rendre amusantes comme les autres hommes que j'ai connus.  
- Le vieil homme m'a toujours dit que les gens gaspillent beaucoup de souffle à parler pour ne rien dire. j'ai toujours partagé cette façon de penser.
- En tous  cas, j'aurais  aimé pouvoir parler davantage, dit son père.
- T'appelles ça rater  de ne pas parler?
- C'est l'impression qu'ça me donne. page 179
 
Il raconta à son père ses incursions par ici....
- J'venais ici quand j'avais trop de bruit  dans la tête, dit-il. Quand le vieil homme  a été trop vieux pour monter à cheval, il m'a laissé les voyages tout seul et j'en suis venu à aimer ça. J'avais jamais peur. ...
- Tu es un homme bien, maugréa soudain son père. Le vieil homme a bien fait de te lâcher dans cette nature. Il sait comme tu te débrouilles bien ici?
- Il le sait. pages, 181, 182
 
- J'me suis jamais senti nulle part chez moi, Frank. jamais nulle part, jamais avec personne, dit-il page 187
- Quand le toubib m'a dit que j'étais en train de mourir, je me suis souvenu de cet endroit. J'y venais quand j'avais quinze ans..... Je suis resté ici, deux jours, assis au bord de l'escarpement à regarder tout ça. C'est tout. Rien d'autre que regarder.
....- Je viens ici pour avoir un peu de paix, Frank. dit son père. Ici, c'est le seul endroit où j'ai l'impression d'être chez moi, comme s'il était fait pour moi, où j'ai jamais fait de conneries. J'ai pas pu penser à un meilleur endroit pour partir.
...Une fois, j'ai tué un homme , dit son père. sa voix sortait de noir et  de l'ombre.
- Délibérément? demanda le garçon.
- Je sais pas...
_ J'en ai pas parlé depuis que ça s'est passé. Mais , ça fait partie de ce que tu dois savoir de moi.  dit-il. .page 188
 
Ils avaient dix-huit ans (Eldon et Jimmy) quand ils partirent. (pour la guerre de Corée) page 191
 
- Starlight, c'est un nom de professeur.
La voix de son père s'éleva de l'obscurité....
- C'est Jimmy qui m'a dit ça.
- Il disait  qu'un homme devait savoir pourquoi il portait ce nom-là. Toi aussi, y faut que tu le saches, Frank.
...- Le peuple des étoiles...La légende veut qu'ils soient venus des étoiles par une nuit comme celle-ci.
....- J'aime cette histoire. Elle m'aide à comprendre pourquoi j'veux si souvent être ici. Sous les étoiles. Dit Frank.  page 200
 
La guerre 1951. Aucun d'eux n''avait entendu parler de la Corée. (Là-bas, , Jimmy  est mortellement blessé par des tirs coréens et chinois) Frank l'achève pour écourter ses souffrances et l'empêcher de crier de douleur)
- Quand je suis rentré,  je leur ai dit  que Jimmy avait été tué par un soldat chinois. Je n'ai jamais eu aussi peur de ma vie, dit mon père.  Ils n'ont jamais retrouvé son corps.. Moi, après ça, je me suis mis à boire. A boire tellement qu'ils m'ont assez vite exclu pour conduite déshonorante. ...Je n'ai jamais raconté à personne que c'était moi qui l'avais tué. j'avais dix-huit ans. J'ai gardé  ça pour moi tout ce temps-là. page 208
 
- Il y a autre chose, dit son père.
- Ma mère, dit le garçon tranquillement en regardant le feu. page 215
 
(Eldon travaille chez Bunky, Angie vit avec lui)
- Tu traces des cercles dans le sable, dit-elle
-Hein?
- Tu sais, comme un gamin. A te regarder, t'es comme un gamin qui fait des cercles dans le sable avec un bâton parce que tu ne sais pas encore formuler les choses.
- Ce qui veut dire?
- ça veut dire que je comprends.
- Tant mieux, parce que moi, pas.
- Je comprends qu'il y a des histoires qui sont dures à révéler...page 245
.Ne pas boire lui donna l'impression qu'il occupait son corps pour le première fois depuis longtemps.......il prit l'habitude de la regarder quand Bunky ne le voyait pas.IL s'aperçut qu'il faisait entrer en lui de minuscules détails: la finesse de son poignet....Le regard de jeune fille sur son visage..la joie..;page 251
 
- C'est comme ça que vous me remerciez? demanda Bunky. L'un comme l'autre.
...- Je suis désolé, dit-il tranquillement sans raison. Je suis désolé....
- J'te demande qu'une chose, que vous partiez maintenant. Pas de tergiversation....
- Prends soin d'elle dit-il en pointant du doigt. Si jamais j'apprends que tu lui  as manqué de respect, je te retrouverai.
- Tu m'as volé mon amour, dit-il. Tu me brises mon foutu cœur. Mais je peux apprendre à vivre avec ça. Il le faudra bien, de toute façon. Mais toi, montre que tu es un homme dans cette affaire. Sinon...pages265, 266, 267
 
J'aurais vraiment dû savoir ça depuis bien  longtemps. J'aurais dû  pouvoir avoir une idée de qui elle était....C'était mon droit, bon sang!
- Je sais dit son père. page 270
 
(Angie est enceinte et meurt en mettant au monde Frank.)
- Elle aurait eu une chance de s'en sortir si elle était arrivée ici,  à temps,  dit le médecin.
- Je travaillais, balbutia -t-l.
- Vous êtes ivre.  page 278;
- J'ai même pas  pu lui dire au revoir dit son père.
 Le garçon s'effondra au sol, assis la tête entre les genoux et les les bras autour des tibias. Il n' y avait pas de mots. Il n'y avait que cette douleur dans son ventre ... Il ne saurait jamais à quoi elle ressemblait...pages 279, 280
 
Le garçon se mit sur un genou devant son père.
- As-tu jamais dit à Bunky ce qui s'est passé? demanda-t-il. ça aurait pu être quelqu'un vers qui te tourner.
- J'y ai jamais pensé. L'homme n'aurait jamais eu le temps pour moi; dit-il.
- Tu veux dire que t'as jamais une seule fois pensé à lui? ..;J'crois que tu mens.
Son père tenta un regard furieux, mais il n'en avait pas la force.
- Tu ferais aussi bien  de continuer pour enfin dire qui est le vieil homme.
Le garçon se leva et fit face à son père, déterminé...
- C'est Bunky. C'est l'homme à qui j'ai volé ta mère, dit-il sans ouvrir les yeux....
- J't'ai emmené là-bas quand tu devais avoir une semaine à peu près.
....Je voulais pas te détester.
Le garçon sursauta.
- quoi?
- chaque fois que je te regardais, je voyais qu'elle. Bon sang, j'étais soûl. Frank. Soûl et malade et fatigué et j'avais mal comme un salaud....
- J'avais peur le jour où je suis retourné chez Bunky. J't'avais mis dans un couffin que l'hôpital m'avait prêté page 282, 283
..;Je savais pas par quoi commencer.....c'est alors que je lui ai dit qu'elle était morte. Qu'il y avait un bébé, mais qu'elle n'avait pas survécu.....
- T'étais soûl.  Quand elle avait le plus besoin de toi, t'étais soûl. J'pourrais te tuer! me dit-il....
- J'ai le p'tit  avec moi, dis-je. Il est dans le camion au bout de l'allée....
- Amène-le à la maison. dit-il. J'ai du bon lait de vache tout frais. On va le nourrir....page 286
J'vais le faire. pas pour toi. pour lui et pour elle. Ce sera ma responsabilité, pas la tienne. jamais  page 287
- C'est lui qui t'appelé Frank. Franklin......Il racontait que cet homme essayait d'attraper la foudre...page 288
 
(son père meurt) Il lui fallut une matinée pour creuser la tombe. page 296
 
- C'est fini pour lui, dit le garçon sans relever les yeux.
- Bien ce que je pensais , dit le vieil homme. J'espère que ça n'a pas été trop dur pour toi.
-Si, dit-il...
..;-Et elle, tu ne l'a jamais vue en moi?
- Presque chaque  jour.
..- Tu as été mon père  pendant toutes ces années, dit le garçon. T'as été mon père pendant toutes ces années.
Les yeux du vieil homme s'illuminèrent.
- C'est ce que j'espérais être , dit-il. page 305
 
 

mardi, mars 26, 2019

LE GUE (Ramon Sender)

Requiem est suivi d'un récit rare et inédit, plus bref et plus frappant encore: Le Gué, ou l'histoire d'une jeune fille convaincue d'avoir, par dépit amoureux, dénoncé l'homme qu'elle aimait...
 
La vieille ajouta, en baissant la voix:
- Je donnerai les jours qui me restent à vivre pour savoir qui l'a dénoncé. Mon fils était bien caché entre les pierres sèches d'un fourneau qu'on allumait jamais. page 101
Lucie ne répondait pas. Lucie se disait en son for intérieur:
" Je sais qui l'a dénoncé. Comment ne le saurais-je pas puisque c'est moi qui l'ai dénoncé....page 102
Appuyée contre le mur, Lucie se disait:
" Il n'est pas nécessaire de vouloir du mal à quelqu'un pour le dénoncer et lui faire perdre la vie. " page 104
 
Regardant l'eau, elle songeait: " cela fait deux ans que mon cœur a cessé de battre."
Un jour, il y a plusieurs mois, elle était sortie de chez elle, désespérée, et était allée sur la place du village...décidée à crier sa culpabilité; mais là, elle se sentit sans force.  page 111
(Lucie est allée se confesser au curé) Le curé lui dit, après l'avoir confessée:
- Ma fille, tu n'as pas besoin de te repentir d'avoir dénoncé un ennemi de Dieu. Le seul mal, c'est d'y avoir été poussée par une passion coupable"
... - Ce n'est pas vrai, monsieur le curé. l'ennemi de Dieu, c'est moi. "
....Il lui donna l'absolution et lui imposa une petite  pénitence, pas pour la délation, mais pour la passion coupable. page 112
 
(Sa sœur Joaquine,  femme de l'homme tué est  à la rivière pour la lessive )
- Aujourd'hui, ça fait deux ans.
Lucie ne répondit pas. Après un silence plein d'évocations tristes, Joaquine ajouta:
 - Je voulais rester à la maison, mais ma belle-mère est allée au four et je ne pouvais rester seule. page 117
Le ton de Joaquine était naturel et avait parfois comme un accent de gaieté.
"Elle s'est habituée à sa peine parce que c'est une peine honnête" pensait Lucie. page 119
 
Lucie cria, sentant qu'à chaque mot, son âme s'en allait.
-Parce que c'est moi qui ai dénoncé ton mari pour qu'on le tue.
Elle n'osait pas lever la tête.
Lucie frissonna:
-Pourquoi elle ne m'a pas entendue?
Elle avait fait un  effort gigantesque et maintenant elle se rendait compte qu'elle ne serait pas capable de le refaire. page 123

Elle se levait pour respirer plus profondément et recommencer à se dire:
" Je ne peux pas vivre. J'ai vécu deux années de supplice et parfois, je suis tellement  désemparée que je ne saurais dire si j'ai aimé ou haï cet homme.  La peine est plus grande  que le souvenir de la tendresse.  page 125
 
Toutes les choses vont dormir. Toutes les choses dormiront cette nuit, sauf le vent et moi.  Et la rivière. la rivière ne dormira pas non plus. page 135
 
"Et qui as-tu dénoncé?
- Ton mari . je l'ai dénoncé pour qu'on le fusille.
Joaquine ressentait tant de peine qu'elle ne parvenait pas à parler, attentive à contenir ses larmes. Elle poussa sa sœur par les épaules pour mieux la protéger de son fichu, entoura  sa taille de ses bras et lui dit :
- Marchons plus vite.  page 143
 
La belle-mère promit de passer par le pont. En sortant, elle rencontra une voisine et lui dit:
- Pauvre Lucie.  Ce qui lui arrive ne m'étonne pas parce que c'est elle qui a toujours montré le plus de peine pour le port de mon fils. page 146
 - Pauvre Lucie. c'est la folie qui la travaille de l'intérieur. page 147
 
"Ce que tu as entendu hier est pure vérité.
Joaquine restait toujours sans réaction, la regardant  avec des yeux vides, et Lucie cria:
- Tu n'arrives pas à le croire? Et tu disais que tu aimais ton homme? Tu es sa veuve?
Lucie sauta du lit pour se rapprocher de sa sœur qui s'était reculée jusqu'au mur.
- Tu n'es pas sa veuve. Une vilaine vision, voilà ce que tu es. Une vieille sorcière. Une vieille sorcière! page 152
 
Lucie sortit du lit, complètement nue. Elle erra à travers la chambre sans savoir que faire, puis ouvrit la porte et descendit à la cuisine.
 "Tant d'années  déguisée, à tromper les gens! Mais ils verront comme je suis maintenant page 159
 
Puis elle sortit dans la rue sans se préoccuper de  sa nudité, et quand elle fut au centre de la place, elle regardé autour d'elle.
Aux fenêtres des maisons,  tout autour, il y avait, derrière les vitres.. des  visages humains.
- Oui, à cause de moi. A cause moi, ils lui ont tiré huit fois au cœur. page 160
 

mercredi, mars 20, 2019

REQUIEM POUR UN PAYSAN ESPAGNOL ( Ramon Sender)

1936. Un prêtre s'apprête à célébrer une messe de requiem pour un jeune homme du village qu'il a vu naître et grandir, et qui a été exécuté par des phalangistes...à cause de lui... et malgré lui... Tel est l'argument du Requiem pour un paysan espagnol. Interdit sous Franco, ce chef-d'oeuvre circula clandestinement durant des années avant de devenir un des livres les plus lus et traduits au monde.
 
Requiem est suivi d'un récit rare et inédit , plus bref et plus frappant encore: Le Gué, ou l'histoire d'une jeune fille convaincue d'avoir, par dépit amoureux, dénoncé l'homme qu'elle aimait. Entre ces deux lettres, c'est tout le drame de l'Espagne, et de l'auteur lui-même qui a perdu sa femme et son frère sous les balles franquistes, résumé en quelques dizaines de pages....peut-être les plus belles du XXè siècle espagnol.
 
Mosen Millan ( le prêtre) se disait :il est  tôt. Et puis, les paysans n'ont pas fini de battre. Mais la famille du défunt ne pouvait pas ne pas venir. . Les cloches  sonnaient toujours, pour les offices funèbres, les coups étaient lents , espacés, graves.
Mosen Millan se rappelait le jour où il avait baptisé Paco dans cette même église. le matin était  froid et doré.. pages 12,  13
 
"Ils les emmènent, ils les emmènent,
les bras liés derrière le dos."
L'enfant de chœur revoyait la scène, qui avait été sanglante, avec beaucoup de détonations.
Le curé se remémorait encore la fête du baptême. page 17
 
- Il n'y a toujours personne"
Le curé levait les sourcils en pensant : " Je ne comprends pas". Le village entier aimait bien Paco. Sauf Don Gumersindo et Don Valeriano et peut-être  Catulo Pérez. Mais personne ne pouvait être sur des sentiments de ce dernier. L'enfant de choeur lui aussi parlait tout  seul, se récitant la romance de Paco.:
La lumière arrivait de la montagne
Et les ombres sur le plateau".
Mosen  Millan ferma les yeux et il attendit. Il se rappela de nouveaux détails sur l'enfance de Paco.Il aimait bien le garçon et le petit l'aimait bien, lui aussi. Les enfants et les animaux aiment ceux qui les aiment. page 22
 
Paco allait souvent à l'église, mais il ne servait la messe que lorsqu'il manquait deux enfnats de chœur. page 28
 
(Paco et Mosen Millan sont allés porter l'extrême-onction  à quelqu'un qui était gravement malade)
" Ces gens sont pauvres, Mosen Millan?
- Oui , mon enfant.
- Très pauvres?
- Très
- Les plus pauvres du village?
- Va savoir, mais il y a pire que la pauvreté. Ce sont des malheureux pour d'autres raisons.
L'enfant de chœur voyait que le prêtre répondait à contrecoeur.
- Pourquoi? demanda-t-il.
- Ils ont un fils qui pourrait les aider, mais j'ai entendu dire qu'il est en prison.
- Il a tué quelqu'un?
- Je ne sais pas , mais cela ne m'étonnerait pas.
Paco ne pouvait rester silencieux. Il marchait dans l'obscurité sur un sol inégal.  page 34
"Pourquoi personne ne va le voir, Mosen Millan?
- Qu'est -ce -que cela peut faire, Paco? Celui qui meurt , qu'il soit pauvre ou riche,  est toujours seul, même si les autres vont le voir. La vie est ainsi et Dieu qui l'a créée sait pourquoi.
Paco se rappelait que le malade ne disait rien. La femme non plus.....Paco  dit qu'il allait prévenir les gens , pour qu'ils aillent voir le malade et aider sa femme. page 36
 
"Personne n'est encore arrivé, Mosen Millan.
Il le répéta , parce que, les yeux fermés, le curé ne semblait pas l'entendre. Et l'enfant de chœur se récitait d'autres passages du romance, et au fur et à mesure qu'il les retrouvait:
 ..Dans les monts, ils le cherchaient
mais ils ne l'ont point trouvé;*ils allaient chez lui avec des chiens,
pour qu'ils prennent son odeur;
 et ils flairent, ils flairent,
les vieilles nippes de Paco.
 
Paco se risqua à lui (Mosen Millan) - il l'avait entendu  de son père -  qu'il y avait au village des gens qui vivaient plus mal que des animaux et qu'on pouvait faire quelque chose pour remédier à cette misère.
- Quelle misère? dit Mosen Millan. Il y  a plus de misère ailleurs qu'ici.  page 41
 
- "Mosen Millan, don Valeriano vient d'entrer dans l'église."
Le curé avait toujours les yeux fermés et la tête contre le mur. L'enfant de chœur  se rappelait encore la romance:
Et le Clos du mont
Là-haut , ils trouvèrent Paco;
rends-toi , rends-toi à la justice,
ou ici, ils te tueront.
Mais don Valeriano apparaissait déjà dans la  sacristie " avec votre permission" dit-il.  Il était vêtu comme les messieurs de la ville, mais il avait plus de boutons à son gilet que d'habitude et une grosse chaîne en or avec des  breloques pendantes qui sonnaient quand il marchait. ...Voyant que Mosen Millan gardait les yeux fermés,  sans faire aucun cas de lui, il s'assit  et dit:
" Mosen Milan, dimanche dernier, vous avez dit en chaire, qu'il fallait oublier. Ce n'est pas facile d'oublier. , mais c'est moi qui suis ici le premier.
Le curé opina de la tête sans ouvrir les yeux.
- Je la paye , la messe, sauf si vous trouvez mieux. Dîtes-moi ce qu'elle vaut et je vous donne ça.
Le curé refusa  de la tête et garda les yeux fermés. Il  se rappelait que don Valeriano avait été un de ceux qui influèrent le plus sur la fin malheureuse de Paco. pages 42, 43
 
Enfin, Paco et Agueda échangèrent leur consentement. La jeune femme était plus vive que sa belle-mère et, bien qu'elle se montrât humble et respectueuse, elles ne s'entendaient pas bien. La mère de Paco avait l'habitude de dire:
"- L'eau qui dort. Mon fils, il faut se méfier de l'eau qui dort."
Mais Paco le prenait à la plaisanterie. page 48
 
La cérémonie terminée, ils sortirent ( les mariés  et les invités)....Le cortège alla jusqu'à la maison du marié....
Avant de prendre congé du curé, le cordonnier trouva encore le temps de lui glisser quelque chose  de vraiment extravagant. Il lui dit qu'il savait de source sûre qu'à Madrid, le roi chancelait, et que  s'il tombait, bien des choses allaient tomber avec lui. Come le cordonnier sentait le vin, le curé n'en fit pas grand cas. le cordonnier répétait avec une joie extraordinaire:
- A Madrid, on coupe  à pique, monsieur le curé. ...
Mosen MiIlan se rappelait que le journal du chef-lieu ne dissimulait pas son inquiétude devant ce qui se passait à Madrid.  Et il ne savait que penser. pages 50, 51
Autour de lui (du curé)  setenaient six ou huit invités, les moins assidus à l'église. Il devait être en train de leur parler - pensait Mosen Millan -  de la chute prochaine du roi, leur dire qu'à Madrid on coupait à pique  page 51
 
M. Castulo Pérez entrait dans la maison.  Sa présence fit sensation  parce qu'on ne l'attendait pas....Voyant le curé, il s'approcha:
- Mosen Millan, il paraît qu'à Madrid, on va retourner l'omelette.
On pouvait douter du cordonnier , mais confirmé par M. Castulo, non. C'était un homme prudent,, il cherchait apparemment l'appui du Paco du Moulin. Dans quel but? Le curé  avait entendu parler d'élections.?  M. Castulo répondait  évasivement: " un bruit qui court...." Puis,  s'adressant au père du marié, il cria joyeusement:
" Ce qui importe, ce n'est pas de savoir ce qu'on va faire du roi, c'est de savoir si les vignes ne pâtiront pas des gelées...page 52
 Quelqu'un chantait:
Dans les yeux des mariés
deux étoiles brillaient;
elle est la fleur de l'armoise,
 il est la fleur du romarin"
 
"Vive le Paco du  Moulin
et Agueda la belle,
hier, ils n'étaient que fiancés,
maintenant, ils sont mariés."
 
Sept ans plus tard, assis dans le vieux fauteuil de la sacristie, Mosen Millan  se rappelait la noce. Il n'ouvrait pas  les yeux pour éviter  d'avoir à adresser la parole à don Valeriano, le maire.  Il lui  avait toujours été difficile de s'entendre avec lui car cet homme  n'écoutait jamais....
Mosen Millan  semblait très fatigué , et il ferma  de nouveau les yeux, appuyant sa tête contre le mur. A ce  moment, l'enfant de chœur entra et don Gumersindo l'interrogea:
-  Hé, petit, tu sais pour qui  est la messe d'aujourd'hui?
L'enfant, en guise  de réponse, dit le romance:
Ils l'emmenèrent par la colline,
sur  la route du cimetière....
- Ne dis pas tout petit, le maire est ici, il va t'emmener en prison...
....Le curé ordonna à l'enfant de chœur d'aller voir sur la place s'il y avait des gens qui attendaient pour la messe...le curé voulait éviter que l'enfant de chœur ne dit le morceau du romance qui parlait de lui:
Et celui qui l'avait baptisé
qu'on appelle Mosen Millan,
le confessant du fond de la voiture,
écoutait ses péchés.
Don Gumersindo parlait toujours  de sa propre bonté - comme on dit -  et des malheureux qui rendaient le mal pour le bien. page 59
 
Tout à coup, on apprit que  le roi avait fui l'Espagne. la nouvelle fut terrible pour don Valeriano et pour le curé...Mosen Milan resta quinze jours sans  sortir de sa cure, allant à l'église par le jardin et évitant  de parler à qui que ce fût. Le premier dimanche, il y eut beaucoup de monde à la messe, on attendait  la réaction de Mosen Millan. Mais le curé ne fit pas la moindre allusion. A la suite de quoi, le temple fut complètement vide le dimanche suivant.  
Paco recherchait le cordonnier  et il le trouvait taciturne  et réservé. page 63
 
A Madrid, on supprima les droits seigneuriaux , d'origine médiévale et on les intégra  dans les municipalités. page 64
 
il ( l'enfant de chœur)  se rappelait toujours le romance:
 A quatre ils l'emmenaient,
à travers le cimetière.
Mères, vous qui avez des fils,
que Dieu vous les garde,
et que leur saint ange gardien....
Ensuite, le romance parlait d'autres  accusés, morts eux aussi à ce moment-là, mais l'enfant de chœur ne retrouvait pas leurs noms. Tous, ils avaient été assassinés ces jours-là.. A vrai dire, le romance ne disait pas cela, mais qu'ils avaient été exécutés. page 69
A cette époque, le cordonnier était nerveux, désorienté....Le cordonnier avait passé sa vie  à attendre cela et, en le voyant arriver,  il ne savait  que penser, ni que faire. page 71
Un groupe de jeunes gens arriva au village, des fils de bonne famille avec des bâtons et des pistolets...Jamais on n'avait vu des  gens aussi effrontés...La première chose qu'ils firent  fut de passer une formidable raclée au cordonnier....Puis ils abattirent six paysans....Et ils laissèrent leurs corps dans les fossés de la route.
Le lendemain du jour où Jéronima s'était moquée du cordonnier, on le trouva sur le chemin du carasol, la tête fracassée..page 74
Quatre autres cadavres avaient été abandonnés entre le bourg et le carasol, quatre conseillers.  page 75
Elle avait entendu dire que les petits messieurs  allaient tuer tous ceux  qui avaient  voté contre le roi.....Elle essaya de savoir  ce qu'était devenu le Paco du Moulin. page 76
Mose Millan  don na l'impression de savoir où Paco était caché...L'ironie  de la vie voulut que le père de Paco tombât dans le piège.  page 77
Dans le courant de la conversation,  le père de Paco révéla la cachette de son fils...page 78
- Savez - vous où il se cache?  demandèrent tous les quatre en même temps.
Mosen Millan baissa la tête. C'était une affirmation.  cela pouvait être une affirmation. page 81
 
Un an plus tard,  Mosen Milan  se rappelait  ces épisodes comme s'il les avait vécus la veille. page 82
 
Le curé  ajouta: - Je suis venu ici à la seule condition qu'ils ne te fassent rien. C'est à dire qu'ils te fassent passer devant un tribunal, et si tu es coupable de quelque chose, tu iras en prison. Mais rien d'autre.
- Vous en êtes sûr?
- C'est ce que j'ai demandé
....Quelques instants plus tard, ils l'avaient fait sortir des pardinas et ils le poussaient jusqu'au village à coups de crosse et de bourrades. Ils lui avaient  attaché les mains dans le dos. page 88
 
" vous m'avez promis qu'ils allaient m'amener  devant un tribunal et me juger.
- Ils m'ont trompé moi aussi. Que puis-je y faire? ..
 Pourquoi ils me tuent?  Qu'est-ce-que j'ai fait?  Nous, nous n'avons tué personne. Vous savez bien vous que je suis innocent, que nous sommes innocents tous les trois.
- Oui, mon fils. Vous êtes tous innocents, mais que puis-je y faire?  page 90
....Deux hommes prirent Paco par les bras et l'emmenèrent au mur où étaient déjà les autres.
..;La décharge résonna...Les deux autres tombèrent, mais Paco, couvert de sang,  courut vers la voiture.
- Mosen Milan, vous me connaissez , cria-t-il comme fou. .
Le centurion mit son revolver derrière l'oreille de Paco...page 92
 
Il passa dans le chœur et commença la messe. Il n'y avait personne dans l'église, sauf don Valeriano, don  Gumersindo  et M. Castulo....;Et maintenant, je dis, pour son âme,  la messe de requiem   que ses ennemis veulent  payer. page 94, 95