mardi, juillet 31, 2007

L'APICULTEUR (Maxence Fermine)

"Aurélien, depuis qu'il parle de faire l'apiculteur, il y a quelque chose dans le regard qui m'effraie.
-Et qu'est -ce que c'est, d'après toi , cette chose dans les yeux? avait demandé Clovis.
-Je ne sais pas, ça brille de mille feux. C'est comme s'il avait allumé toutes les étoiles de son regard.
- Des étoiles dans les yeux?
-Oui, quand il parle des abeilles, il te regarde mais ne te voit pas. Il est bien là, en face de toi, et c'est comme s'il voyait à travers ton corps. Il voit simplement plus loin qu'il n'est possible de le faire. Et dans son oeil, ça brille comme de petits éclats.
-Alors, avait répondu Clovis, laisse-le jouer à l'apiculteur si ça lui chante, parce que ces éclats sont sûrement ceux d'un rêve". Pages 19, 20
Les abeilles peuvent mourir d'amour pour une fleur. En vérité, on ne sait rien du pouvoir des abeilles. page26
Pauline pensait qu'Aurélien était une abeille qui avait besoin de butiner toutes les fleurs des champs avant de trouver celle qui lui offrirait le plus délicieux nectar.
Elle savait aussi l'appel du voyage et de l'or, l'aiguillon du soleil et le parfum de l'ailleurs.
Elle avait la patience d'attendre.
Elle savait qu'une abeille revient toujours à sa rûche. Page 39
Cet homme avait de la vie une étrange conception: il pensait que l'égarement était le seul moyen de finir par se trouver un jour. page 48
"Je vais chercher de l'or.
Pauline ne trembla pas. Simplement, son regard traversa le flacon bleu qu'elle tenait à lamain;
-Ici, il y a de l'or.
Elle ajouta, d'une voix douce:
-De l'or que tu as devant les yeux, et que tu ne vois pas.
Elle avait dit cela sans frémir, d'une voix étrangement douce. Mais Aurélien n'écoutait pas. Il était déjà en voyage, et plus rien ne comptait pour lui. page 52
Auguste Janvier était un de ces hommes qui font les légendes. Il possédait un commerce florissant et sans doute la plus belle maison d'Aden.
Il haissait les femmes et les étrangers.
Il pesait deux cent livres et quelques tonnes d'or.
Et il était aussi pauvre de coeur qu'il était riche d'argent. page 69
"N'oublie pas ça: tous les livres viennent de rêves, et tous les rêves viennent de livres. page 155

jeudi, juillet 26, 2007

PERDU LE PARADIS (Cees Nooteboom)

"J'ai toujours envie de savoir ce que les gens lisent, mais en général, les gens sont des femmes, car les hommes ne lisent plus. Et les femmes, l'expérience me l'a appris, que ce soit dans le train, sur un banc de parc ou à la plage, tiennent souvent leur livre de telle sorte qu'on puisse en lire le titre. Essayez pour voir". pages 15,16
Voir pour la première fois un tableau que l'on ne connaît que par des reproductions, c'est comme une hallucination.On ne peut pas croire que ce soit là la chose elle-même, devant laquelle Boticelli s'est assis un beau jour, il y a tant et tant de centaines d'années, et qu'il l'a regardée de ses propres yeux, ces yeux depuis longtzmps disparus, après y avoir apposé une dernière touche de son pinceau. Je sens qu'il est toujours au voisinage de ce tableau, mais qu'il ne peut pas le rejoindre, il s'est écoulé tant de temps que ce tableau est devenu autre chose, et pourtant, c'est la même chose matérielle, de quoi vous donner le frisson. page 32
Ce qui nous attirait (chez les Aborigènes), je le pense aujourd'hui, c'est qu'ils n'avaient jamais rien écrit. Rien n'avait été figé, toutes sortes de choses étaient sacrées, mais rien n'était consigné dans un livre...Ils n'avaient pas anéanti la nature et la nature les avait nourris. Tout ce qu'ils avaient pu inventer au cours de leur temps infini n'était visible qu'en art, encore était-ce , la plupart du temps , un art qu'ils détruisaient immédiatement, dessins sur le sable, peinture sur le corps pour les fêtes rituelles, un art qui appartenait à tous, sauf à nous, parce que nous ne possédons pas les clés de ses secrets. Nous ne pénètrerions jamais au-delà de la surface. Nous voulions comprendre et nous ne pouvions pas comprendre, c'était une abstraction et une réalité physique. page 41
Ceci (l'Australie) était le pays de vainqueurs, j'entendais leur langue dure et mordante qui avait supplantée toutes les autres. Page 58
Moi, je les trouve beaux (les Aborigènes) , c'est l'ancienneté de leur monde qui les embellit. Du moins à mes yeux. Et ce qu'ils font, leur art, leurs chants. Ils vivent leur art, il n'y aucune différence entre ce qu'ils pensent, leur façon de vivre, et ce qu'ils font. Quelque chose comme au Moyen-Age, avant les grandes déchirures.page 77
'C'était tellement triste"
-"La même tristesse qu'on peut voir chez nous à San Paulo.
-Non, ce n'est pas pareil. D'abord, là-bas, on rit tout le temps, dans les pires situations. Nos esclaves à nous venaient d'Afrique, au moins ils savaient danser. Vraiment danser, je veux dire...Tu connais la phrase de Groucho Marx? "Nous étions au bord du gouffre, mais nous avons fait un pas en avant"? Eh bien, même cela, ils n'y sont pas arrivés ici. Ils les ont évacués juste avant le bord du gouffre, mais ce qui reste, c'est essentiellement de la frime.
-Qu'est-ce qui est de la frime ?
-Tout. Autrefois, ils traçaient leurs peintures dans la sable ou sur leur corps. Elles avaient une signification, et puis elles disparaissaient. Un coup de vent et envolé le dessin. Rien n'était à vendre.page 93

lundi, juillet 23, 2007

LA CONSOLATION DES GRANDS ESPACES (Gretel Ehrlich)

Ce que j'avais perdu, du moins temporairement, c'était mon goût pour l'existence que je venais de quitter: l'atmosphère des grandes villes,mes amis, mon confort matériel. Ce "confort" me semblait une illusion; mes points de repère , un mensonge dans ce monde où rien ne dure...Dans le Wyoming,... pour une fois, j'étais capable de me fixer quelque part sans alibi, sans nourrir de projet au service de mes ambitions.page 14....Ce qui devait être une ligne droite est pleine de cahots et de tournants. page15 Avant-propos de l'auteur.
Wyoming est à l'origine un mot indien signifiant "Dans les Grandes Plaines". Page 17
Je suis venue ici il y a quatre ans. Je ne voulais pas rester , mais je n'ai jamais pu me décider à repartir.Au début, je crois que j'avais l'intention de "me perdre"dans ce territoire neuf, dépourvu d'habitants. Au lieu de m'abrutir comme je le désirais, cette nouvelle vie me réveilla. La vitalité de mes compagnons de travail révéla en moi une nature fruste et rêveuse. J'ai jeté mes anciens vêtements pour acheter des neufs; je me suis coupé les cheveux. Ce pays aride est une ardoise nette. Son absolue indifférence m'a rendu mon équilibre. page 20
La vie d'un individu n'est pas une succession d'événements marquants qui lui vaudraient d'être applaudi ou rejeté , mais une lente accumulation de jours, de saisons, d'années, étoffée par le passé de sa famille et enracinée dans le sentiment d'une appartenance à un lieu. page 22
...Ils pensent que la sincérité est un remède plus efficace que la gentillesse, qui peut consoler mais aussi être un écran. Page 29
L'espace a un équivalent spirituel et peut guérir ce qui est divisé, pesant en nous-mêmes. ...Nous pouvons apprendre à porter l'espace à l'intérieur de nous-mêmes aussi facilement que nous transportons notre enveloppe corporelle. L'espace symbolise la santé mentale, non une vie stérilisée, ennuyeuse mais une existence qui pourrait "accueillir" avec intelligence toutes sortes d'idées et de situations...Nous autres Américains, nous aimons "ajouter" , "remplir" comme si ce que nous avons , ce que nous sommes n'était pas suffisant. Nous avons tendance à le nier, et pourtant, malgré toute notre richesse, nous ne nous reconnaissons plus dans nos biens matériels. Il suffit de regarder nos maisons pour constater que nous construisons contre l'espace, de même que nous buvons contre la souffrance et la solitude. Nous "remplissons" l'espace comme si c'était une coquille vide, avec des choses dont l'opacité nous empêche de voir ce qui est déjà là. pages 34,35.
Pour vivre bien ici, il faut savoir se débrouiller tant au plan affectif que matériel. Traditionnellement au moins, la vie d'un éleveur n'a rien à voir avec le matérialisme; elle représente les petits exploits dont l'homme, uni à l'animal, est capable, ainsi que les plaisirs simples- comme écouter la radio, la nuit reconnaître les constellations. La dureté que j'apprenais n'était pas l'opiniâtreté du martyr, un héroisme stupide , mais l'art d'endurer. Je me disais: pour être dur, il faut être fragile. la douceur est la vraie pugnacité. Page 66
Pour la première fois, ma peine commençait à refluer. On ne surmonte jamais un décès, mais mon chagrin était à présent mêlé de vagues toniques. page 72
Garder les moutons, c'est découvrir un nouveau régime humain, intermédiaire entre la seconde et la marche arrière - un pas vif sans précipitation. Pas de chair superflue à ces journées. Mais le déplacement constant du troupeau de point d'eau en point d'eau , de camp en camp, devient une forme de quête. Ma quête de quoi? page 85
Tout dans la nature nous invite constamment à être nous-mêmes. Nous sommes souvent comme des rivières: insouciants ou dynamiques, craintifs ou menaçants, lucides ou troublés, remuants, miroitants, tranquilles. Amants, fermiers, artistes ont au moins un point commun : la crainte "des périodes de sécheresse", périodes dormantes où pendant lesquelles nous ne donnons pas de fleurs, sécheresse intérieure que seules les eaux de l'imagination et une libération psychologique peuvent domestiquer. De telles manières sont délicates, bien sûr. Mais un bon irrigueur sait ceci : un peu d'eau fait germer la graine - trop dégrade le sol, de même que l'argent facile peut gâter une personnalité. Dans son journal, Thoreau a écrit :" La vie d'un homme devrait être fraîche comme une rivière. Ce devrait être toujours le même canal mais une eau constamment renouvelée." page 118
La nuit , au clair de lune, le pays est rayé d'argent-une crête-une rivière, un liseré de verdure qui s'étend jusque dans la montagne, puis le vaste ciel. Un matin, j'ai vu une lune toute ronde à l'ouest juste au moment où le soleil se levait. Et tandis que je chevauchais à travers un pré, je me suis sentie suspendue entre ces deux astres, dans un équilibre très précaire. Pendant un moment, il m'a semblé que les étoiles qu'on voyait encore, tenaient ensemble toutes choses, comme des cercles de tonnelier.
En sortant de l'étable, nous vîmes une aurore boréale. On eût dit de la poudre tombée d'un visage de femme. Rouge à joues et ombre à paupières bleue veinaient les flèches de lumière blanches qui fusaient et vibraient, associant les couleurs-comme s'associent les destins-avant de s'effacer.
(Lors de son mariage) Je portai un toast en silence:"à la fin de la solitude", sans croire que ce rêve se réaliserait. Pourtant, il se réalisa et rien ne m'avait préparée à la sérénité que je resentis - celle d'un amour si profond qu'il devient amitié - si bien que , pour un temps, je crus que c'était une prémonition de la mort - ce calme funèbre que nous sommes censés connaître après avoir mis nos affaires en ordre. page 122
Nous avions emménagé en février... Notre acquisition nous avait plongés dans des crises d'introspection...Ce désir subit de propriété nous semblait avoir de douteuses origines - nous a vions analysé cela avant notre mariage : comment la propriété se traduit en possessivité, la protection en xénophobie, le pouvoir en rapacité. page 125
Un bon rodéo, comme un bon mariage ou un instrument de musique joué à la perfection, révèle plus qu'il ne promettait au départ. C'est un effort qui ne coûte plus, un équilibre qui touche à la grâce - à la façon dont un grand amour se sublime en amitié. Lors de ces épreuves de force comme celles que nous avons admirées, il ne s'agit pas de vaincre l'animal. Le but n'est pas la conquête mais la communion. Le rodéo n'est pas un sport d'affrontement. Personne ne cherche à porter tort à autrui - ni les animaux, ni les candidats. Personne ne veut être blessé. Dans ce match où se mesurent des talents égaux, c'est seulement le consentement, l'abandon, le respect et le courage qui rendent possible l'union aérienne du cow-boy et de sa monture. Une pensée pas inutile à méditer pour de jeunes mariés. page 138
Le mode de vie américain exerce à tant d'égards une influence corruptrice sur notre besoin d'harmonie sociale. Notre culture a perdu sa mémoire. Parmi les usages et traditions que nous ont légués nos grands-parents, il n'est pratiquement rien qui puisse nous enseigner à vivre dans le monde actuel, nous apprendre qui nous sommes et ce qu'on exigera de nous comme membre de la société...Les conditions toujours changeantes de nos vies ne se ressourcent plus à la même origine. Page 140
La Danse du Soleil, la plus importante cérémonie religieuse des tribus des Plaines, s'est transmise...Il ne s'agit pas d'adorer le soleil, mais de se pénétrer de sa puissance régénératrice qui rend santé, vitalité et harmonie à la terre comme à toutes les tribus. page 144
Tout l'après-midi, les hommes ont dansé en pleine canicule - par groupes de deux, huit ou vingt. Dans cette chaleur sèche, les corps pressés par la soif semblaient rebondir, comme en apesanteur, friables comme des coquilles. Ce n'était pas leur souffrance qui comptait mais leur abandon à un vide intérieur. C'était un rite ancestral : séparation, initiation, retour.Ils affrontaient une douleur physique et des métamorphoses psychologiques sans doute, le soleil consumait-il tout souci et toute mesquinerie. Ils sortiraient changés de cette épreuve. page 151
L'automne nous enseigne que tout accomplissement est une mort, que la maturité est une forme de déliquescence. Les feuilles sont des verbes qui conjuguent les saisons. Page 172

samedi, juillet 21, 2007

L'HEDONISME (Conférence de Michel ONFRAY)

Quelques précisions: dans l'Antiquité, la philosophie se pratiquait différemment d'aujourd'hui. Cette discipline était pratiquée par des gens du "commun" et non comme aujourd'hui, dans l'université.
Dans l'hédonisme, l'autre est un partenaire. L'homme n'est pas un délinquant relationnel. Il est dans un rapport sain à soi et aux autres. Etre clair sur ses propres désirs.

"Fais à autrui ce que tu veux qu'il te fasse. On s'oublie au profit de l'autre. Mais l'autre s'oublie aussi".
Le sadique est celui qui jouit de faire mal. Le masochiste est celui qui jouit de se faire mal.
Il y a du sadisme, du masochisme, du sado-masochisme chez nous. (Connais-toi toi-même)
L'hédonisme suppose une construction de soi, structurée.

Le bonheur, c'est l'aspiration d'un bonheur à venir ou le souvenir d'un bonheur .

Un épicurien est un disciple d'Epicure ou celui qui est bon vivant. Epicure était quelqu'un de chétif, de malade. Il nous dit:" Il faut savoir ce qu'est le plaisir et quels sont nos désirs". Il y a des désirs naturels et nécessaires: communs aux hommes et aux animaux (la soif, le manger). Il y a des désirs naturels et non nécessaires ( la sexualité par exemple). Il y a des désirs non naturels et non nécessaires, (le prestige, la richesse, les honneurs). Seuls doivent être comblés les premiers. La vraie sagesse: la satisfaction des désirs naturels et nécessaires. Lucrèce (un Romain épicuriste) disait: "tous les plaisirs et désirs sont bons à condition qu'ils ne nous aliènent pas"
Nous avons à être. Voir la réalité en face et composer avec elle. Le philosophe se concentre sur l'être et laisse de côté l'avoir. Les philosophes disent :"moins vous avez , plus vous êtes".
Il n'y a pas d'amitié, il n'y a que des preuves d'amitié. Il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour. Si l'on donne des preuves d'amitié, d'amour, on crée des relations d'amitié, d'amour. Diogène dit: "il n'y a pas d'homme, il n'y a que des hommes".
Ne promettez rien que vous ne pouvez tenir.
Jouis et fais jouir sans faire de mal ni à toi ni à personne.

mardi, juillet 17, 2007

UNE EDUCATION ANGLAISE (Christian Lehman)

Le 13 juillet de cette année-là, nous ne nous rendîmes pas directement au bureau. Mon père m'entraîna, sans rien dire, dans un magasin de fournitures professionnelles. Là, aiguillé par un employé zélé, il acheta un engin surprenant, le dernier cri de la bureautique, une machine à écrire Olivetti électrique, munie d'une tête à boule unique. Il la posa sur le siège arrière, à côté de moi , et je caressai furtivement, pendant le trajet en voiture, sa valise de plastic noir. L'ascenseur nous hissa jusqu'au troisième. J'avais hâte de le voir essayer la machine, de voir s'inscrire les premiers mots sur une feuille blanche avec son en-tête.Il poussa la lourde porte recouverte de cuir de son bureau. Un de mes cousins, un de mes innombrables cousins du clan Rohan, se tenait debout dans la pièce, étudiant d'un regard fixe la tranche des ouvrages juridiques qui ornaient les étagères. page 37
"La famille très éprouvée ne recevra pas les condoléances"
-C'est insensé. Après deux heures de plein soleil, ils pourraient au moins recevoir les condoléances"
Brutalement, je pris conscience que la mauvaise humeur des gens qui m'entouraient, des collègues de bureau descendus de Marseille dans le car spécialement affrété par les Postes et télécommunications, n'était pas lièe à la chaleur, ni à la fatigue, mais au fait que depuis le matin, chacun d'entre eux avait dû tourner et retourner dans son esprit à la gloire du défunt, et se voyait soudain floué de ses trente secondes de compassion d'usage. page 56
Ma mère avait une idée arrêtée de ce qui était convenable et de ce qui ne l'était pas: les enfants ne devaient pas regarder de film avec"carré blanc"...Yvonne De Gaulle, elle, s'occupait de l'extérieur; à l'arrière des DS présidentielles, elle avait, à plusieurs reprises, été choquée par des affiches de réclame publicitaire par trop suggestives, et en avait obtenu la suppression quasi immédiate. Seuls les bas Dim se risquaient parfois à enfeindre la tacite loi du silence et des convenances.
L'arrivée d 'Anne-Marie changea totalement le cours de mes vacances...Moi, j'étais fasciné. Je l'écoutais parler, je l'écoutais raconter et nous dévoiler une vision du monde qui n'avait rien à voir, avec celle de mes parents ou des siens.Car si mon oncle René avait choisi la loi et l'ordre, sa fille avait découvert très jeune les joies du marxisme-léninisme. J'étais fasciné par le monde étrange dans lequel elle vivait.
-"C'est une orange d'Afrique du Sud, un fruit de l'apartheid, martelait-elle" Et comme nous restions muets, elle enchaîna: "L'apartheid, la ségrégation raciale. Vous n'êtes pas au courant?"page 80-81
-Bien sûr, c'est facile , pour les belles âmes, de dire que les Américains bombardent le Vietnam! Les Américains ne bombardent pas par plaisir, mais parce qu'ils y sont obligés! Si demain le Vietnam tombe aux mains du Viêtcong, ce sera ensuite le tour des Cambodgiens, des...
-Ce n'est pas le Viêtcong. C'est le Front de Libération National." Anne-Marie avait dit cela d'une voix égale, sa voix tremblait à peine...page 86
Quarante kilomètres qui achevèrent de me convaincre qu'en traversant la Manche, j'avais débarqué dans un autre monde. Tout était neuf et excitant. Les routes étaient différentes, les ronds-points étaient différents, les maisons semblaient avoir sommeillé depuis la deuxième Guerre Mondiale sans modification. page 126

dimanche, juillet 15, 2007

LA FIN D'UNE LIAISON (Graham Greene) 10/18

De ma fenêtre, je le (Henry, le mari de Sarah) suivis des yeux, dans son mince imperméable au col relevé et son vieux chapeau aux bords rabattus; la neige tombait plus fort et déjà, sous le troisième réverbère, il avait l'air d'un petit bonhomne de neige, sur qui la terre transparaît par endroits. Je m'aperçus avec stupéfaction que depuis dix minutes, je n'avais pensé à Sarah ni à ma jalousie. J'étais devenu presque assez humain pour m'intéresser aux soucis d'un autre. page 74.
Lorsque une femme occupe vos pensées toute la journée, on ne devrait pas, par surcroît, rêver d'elle la nuit. page 39
Il y a des hommes qui nous inspirent l'irrésistible envie de les taquiner: ceux dont les vertus ne sont pas les nôtres. page 19
Quand on est jeune, on échafaude un programme de travail dont on s'imagine qu'il durera toute la vie et résistera à n'importe quel cataclysme. page 62
Quand deux êtres se sont aimés, ils ne peuvent se dissimuler la moindre absence de tendresse dans un baiser.page 163
La jalousie , du moins à ce que j'ai toujours cru, est inséparable du désir...Mon désir d'alors était plus proche de la haine que de l'amour. page 75
Je ne savais pas très exactement ce que j'avais voulu dire. Je crois que je me demandais si la vue d'Henry (son mari) avait fait naître en elle quelque remords, mais elle avait un merveilleux talent pour éliminer le remords. Différente de nous tous, elle échappait à la hantise de la culpabilité. Pour elle, quand une chose était faite, elle était faite: le remords s'éteignait avec la fin de l'acte. page 90.
La haine ressemble beaucoup à l'amour physique: elle a ses moments de crise et ses périodes de calme. page 108
8 mai 1945: "suis descendue dans la rue jusqu'au Parc Saint-James dans la soirée pour voir les fêtes de la Victoire. Tout était très calme au bord de l'eau illuminée par les projecteurs, entre la caserne des Horses Guards et le palais. personne ne criait, personne ne chantait, personne n'était ivre. Les gens s'étaient assis sur l'herbe, par couples, main dans la main. Je suppose qu'ils se sentaient heureux parce qu'on était en paix et qu'il n'y avait plus de bombes. J'ai dit à Henry: (son mari) "Je n'aime pas la paix"...Alors la famille royale est sortie sur le balcon et la foule a chanté très solennellement. Ce n'étaient pas de grands chefs comme Hitler, Staline ou Churchill ou Roosevelt, c'était tout simplement une famille qui n'avait fait de mal à personne...J'aurais voulu faire partie d'une famille, moi aussi. pages 178, 179
Les gens n'exigent pas qu'une chose soit rationnelle, pourvu que leur sensibilité en soit émue. page 181
On prétend que les enfants soient influencés par ce qu'on leur chuchote pendant qu'ils dorment, aussi me suis-je mis à parler à Sarah, d'une voix très basse , trop basse pour l'éveiller, dans l'espoir qu'hynoptiquement, mes paroles s'enfonceraient dans son esprit inconscient. page 221
Nous n'appartenons à personne, nous ne sommes même pas à nous-mêmes.page 248
Je voyais qu'elle(Sylvia) faisait des suppositions: homme ou femme? quelle sorte d'amitié? Et cela me faisait plaisir d'être pour elle, un être humain, pas seulement un écrivain, un homme dont les amis mouraient et qui assistait à leur enterrement (celui de Sarah), qui ressentait de la joie ou du chagrin, qui pourrait même avoir besoin de réconfort, au lieu d'être qu'un artisan très habile , dont les oeuvres contenaient sans doute plus de sympathie que celles de Mr Maugham, sans qu'il pût, bien entendu les mettre au même rang. page 258

mardi, juillet 10, 2007

COMME PERSONNE (Denis Lachaud) Actes Sud

"ça fait longtemps que je suis aussi grand que toi à l'intérieur" lui avait dit le gamin de dix ans.
William (son père) lui avait alors demandé ce qu'il entendait par là.
-Un soir, je ne sais + quand, j'étais dans mon lit, je vous ai vus, toi et maman, en train de ranger mes jouets, au moment de me lire mon histoire, je vous ai regardés et je me suis dit: "vous n'avez rien de + que moi à part la taille et les avantages que donne l'âge, je n'ai + qu'à attendre".
William se souvenait à quel point il s'était senti con, dépassé, gêné d'entendre son fils exprimer un tel malaise. Il avait bafouillé quelque chose, "arrête de dire des bêtises tu veux, tu es un petit garçon et un petit garçon ça sent plein de choses...en tout cas, ça ne m'ennuie pas". Il avait souri, n'avait pas chercher à discuter, il était descendu des genoux de son père pour ne plus jamais y remonter. page 36
A ce moment de sa vie, Walter (le fils de William) considérait que quelque chose se perdait toujours chez les gens quand ils devenaient parents, une capacité à rester curieux, ouverts. page 38
William se souvint de son premier mariage. Il lui en restait un goût sucré d'un continuel éclat de rire parmi une bande de copains. Il n'avait + envie de rire. Il se sentait nu, désarmé, tout à la fois intimidé de prononcer un "oui" qu'il voulait gage d'une véritable offrande, d'un engagement sérieux, indéfectible. page 42
Fabien (le copain de Walter) somnolait sur sa chaise. Il ne dansait point, refusait de monter se coucher dans la chambre du manoir qu'il devait partager avec Walter, lui jurait qu'il ne s'ennuyait pas, qu'il aimait regarder les gens danser. Fabien était d'une nature curieuse. Il s'intéressait à découvrir ce qu'il ne connaissait pas. Il n'était pas habitué aux mariages dans les manoirs, aux costumes et aux robes de grandes marques. Ces gens étaient différents de ceux qu'il avait côtoyés pendant son enfance, ils étaient moins bruyants, même quand ils avaient bu ( les deux ou trois trouble-fêtes vraiment bourrés avaient disparu manu militari). Il fut particulièrement marqué par les chaussures des convives, cela paraissait si simple d'en porter de si belles, finesse du cuir, pureté des formes. Il était presque inimaginable qu'elles aient été achetées un jour, elles habillaient naturellement les pieds de ces gens. Fabien essaya d'imaginer le prix qu'une seule de ces paires pouvait bien coûter. Il se sentait ridicule. Il lui faudrait encore plusieurs années à observer ce monde nouveau pour s'ennuyer d'un spectacle dont il aurait fini par connaître tous les ressorts dramaturgiques. page 48
Je ne suis pas conforme. Je ne pourrai jamais l'être. Je pense être allée jusqu'au bout de ce que la loyauté envers mes parents, mes aînés m'a imposé comme arrangements avec (contraintes sur) ma personne. Je me suis absentée de moi-même pendant quinze ans. J'ai donné à mes parents, ma mère vivante et mon père mort, ce qu'ils attendaient de moi en toute bonne foi: un mari (William)et un enfant(Wanda). Ma mère a enfin pu se débarrasser de son plus gros souci (que va-t-elle devenir?), mon père n'était plus là pour le voir, s'en réjouir, mais cette loyauté n'a pas de frontière, je l'ai écouté jusque dans le souvenir...Malgré tout, j'ai pu préserver en moi mon envie d 'être, ce qui est moi, voilà la bonne nouvelle. Je suis solide. page 89
Tout était si fragile. On pouvait s'enfoncer dans une noirceur que rien ne semblait suffire à dissiper, on pouvait constater un jour, après un coup de téléphone, qu'on avait atteint un degré respectable de reconnaissance dans sa profession, on pouvait décider d'écrire soi-même une histoire et se demander si on était en train de devenir écrivain, on pouvait mourir sans prévenir.
page 133
Elle baille beaucoup, dit régulièrement" je suis fatiguée", pense " je n'y arriverai pas". Changer de vie, prendre des risques, accepter un autre monde à côté du sien, encore une fois, déjà? Comment trouver la force de construire en aveugle, comment prendre ces réflexes qui ramènent sur les rails de la conjugalité et tuent l'amour? page 164

vendredi, juillet 06, 2007

CONSTRUIRE UN FEU (Jack London) Actes Sud

(A peine 40 pages)
"Il remit hâtivement sa moufle et se leva. Il avait un peu peur. Il battit des pieds jusqu'à ce que la sensation de piqûre y revienne. C'est sûr qu'il fait froid... Pas d'erreur, il faisait froid. Il continua d'aller et venir, en tapant des pieds et en battant les bras, jusqu'à ce que la chaleur recouvrée le rassure. Alors, il sortit ses allumettes et entreprit de faire un feu. Il trouva du combustible dans le sous-bois, où les crues du dernier printemps avaient entassé une provision de branches mortes. En commençant petitement, il obtint bientôt un brasier ronflant devant lequel il fit fondre la glace de son visage et sous la protection duquel il mangea ses biscuits. Pour le moment, le froid de l'espace était vaincu. Satisfait du feu, le chien s'était étendu assez près pour profiter de sa chaleur, assez loin pour éviter d'avoir le poil roussi. Quand l'homme eut fini, il bourra sa pipe et s'accorda le temps de la fumer à l'aise. Puis, il remit ses moufles, appliqua fermement sur ses oreilles, les rabats de sa casquette et s'engagea sur la piste qui longeait la branche gauche du ruisseau. Le chien, déçu, regardait le feu avec regret. Cet homme ne savait rien du froid. Peut-être toutes les générations de ses ancêtres avaient-elles été ignorantes du froid, du vrai froid, d'un froid de cent sept degrés au-dessous du point de gel. Mais le chien savait. Toute son ascendance savait, et il avait hérité de ce savoir. Il savait qu'il n'était pas bon de se trouver dehors par un froid aussi terrible. C'était le moment de se blottir au fond d'un trou dans la neige et d'attendre qu'un rideau de nuages se déploie devant l'espace infini d'où venait ce froid. D'autre part, il n'existait aucune intimité entre le chien et l'homme. L'un était l'esclave de l'autre, et les seules caresses qu'il eût jamais reçues, étaient celles du fouet...Le chien ne fit donc aucun effort pour communiquer à l'homme son inquiétude. Il ne se souciait pas du bien-être de l'homme; c'était pour son propre bien qu'il regrettait le feu. mais l'homme siffla et fit parler le fouet, et le chien revint se mettre sur ses talons et le suivit. pages 19 et 20
...C'était surprenant la vitesse à laquelle ses joues et son nez gelaient. Et il n'aurait jamais cru que ses doigts pourraient se raidir en si peu de temps. Raides, ils l' étaient, car il pouvait à peine les rapprocher pour saisir un morceau de bois et ils lui paraissaient étranges à son corps, à lui-même. Quand il touchait un bâton, il lui fallait regarder pour voir si oui ou non, il le tenait. Le courant ne passait plus entre lui et le bout de ses doigts. Tout cela comptait peu. Le feu était là, craquant et crépitant, promettant la vie avec chacune de ses flammes dansantes. ...Il n'aurait jamais dû construire son feu sous un sapin.........Tout en haut de l'arbre, une branche déversa son chargement de neige...Et le feu fut anéanti! Là où il avait brûlé, gisait en désordre une cape de neige. L'homme était bouleversé. Il lui semblait qu'il venait de s'entendre condamner à mort. Il demeura un moment assis, les yeux fixés sur l'endroit où s'était trouvé le feu. Et puis, il devint calme. Si seulement il avait eu un compagnon de piste, il ne serait pas en danger maintenant. Son compagnon aurait construit le feu. Eh bien, c'était à lui de le reconstruire, et cette seconde fois, il ne pouvait plus échouer....Il prit son paquet d'allumettes soufrées. mais le terrible froid avait déjà chassé toute vie de ses doigts. Dans l'effort qu'il fit pour séparer une allumette des autres, le paquet entier tomba dans la neige. Il essaya de l'y ramasser, mais n'y parvint pas. Les doigts morts ne pouvaient ni toucher, ni saisir . pages 27,28

jeudi, juillet 05, 2007

LES PAROLES D'UN JOUR (Anne Guglielmetti) Actes Sud

C'est une maison qui raconte sa propre histoire et celle de son "associé", garde-barrière.

"Elle (la maison) contempla longtemps les rails. Peut-être parce que, dans l'ombre des nuages qui s'amoncelaient sur la lumière, l'acier poli miroitait avec un reflet bleuté qui lui rappelait les cahiers de son associé, et que ces cahiers eux-mêmes lui rappelaient le dictionnaire et ses trains de lettres formant les mots. Et le vent soufflait toujours. Et elle attendait toujours. Et cette attente se transformait en rêverie, une rêverie dans laquelle les vingt-six lettres de l'alphabet traversaient des pays inconnus, sur des lignes qui étaient peut-être celles d'une page blanche, peut-être celles de la grande compagnie. Alors quand une page de journal, poussée par le vent, se plaqua contre son pignon, elle eut un frisson, et la page resta sous son nez sans qu'elle la vît, barrée dans toute sa largeur par un unique mot en caractères gras et hauts de cinq centimètres, précédé d'un article. (le mot : c'était "guerre") page 57
(Le garde-barrière a livré à la milice un jeune homme blessé à la cheville, venu se réfugier chez lui).
Et la maison sentit tout son être misérable de briques et de poutres se révulser: les trois(miliciens) franchirent la porte ouverte, raflèrent la clé sur la table, s'engouffrèrent dans l'escalier, déboulèrent dans la chambre, tombèrent à bras raccourcis sur le jeune homme qui revint à lui lorsqu'il sentit des mains fouiller ses poches de sa veste, grouiller sur sa poitrine, tirer de sa chemise un porte-feuille plat comme une crêpe et, de celui-ci, des papiers d'identité sur lesquels ils cherchèrent l'information qu'ils savaient devoir y trouver. C'en était un, ah oui, bien sûr, c'en était un! Il avait eu beau courir, il n'avait pas échappé à ce qu'il était, et il ne leur échapperait pas non plus. Ils le sortirent du lit, le balançèrent dans le boyau de l'escalier, resurgirent dans la cuisine avec lui déjà à moitié mort ou tout comme, puisque dans ce corps qu'ils traînaient, seules l'épouvante de deux yeux écarquillés et une douleur fulgurante au niveau de la cheville vivaient encore, ainsi qu'une main qui effleura la table au passage et, soudain, saisit le bord de la toile cirée sans qu'ils s'en aperçoivent, de sorte qu'avec lui, ils tirèrent ce tapis de table et tout ce qui y était posé...Quelques minutes plus tard, la maison entendit un coup de feu. pages 76-77.