mardi, décembre 15, 2020

KERGUELEN, LE VOYAGEUR DU PAYS DE L'OMBRE (Isabelle AUTISSIER)

 "La mer est une émotion, mais c'est aussi une connaissance sans laquelle il n'y  a pas de navigation possible. Découvrir les lois qui régissent cette  nature, c'est apprendre à l'apprécier et y construire sa liberté".  (Isabelle Autissier)


Agé seulement de 38 ans, le chevalier Yves Joseph Marie de Kerguelen de Trémarec, (1734 - 1797) fut choisi par le roi de France , Louis XV, pour aller découvrir la Terra Australis, la face encore cachée du monde. A son premier voyage, il perçoit au loin " un petit pâté d'un brun violacé sur l'horizon". Il en fait une description idyllique, mais sans y poser le pied. Kerguelen obtient le commandement d'une seconde mission, aux moyens sans précédent. L'expédition tourne mal. A bord, l'accusation d'inconduite, Kerguelen  ayant embarqué avec lui sa très jeune maîtresse , Louison, le scorbut, les tempêtes de glace, la putréfaction des hommes et des marchandises, mènent le navire au bord de la mutinerie. A terre, ce sont  les intrigues qui auront raison du trop rêveur Breton. Le voyageur du pays de l'ombre a donné son nom à une terre qui fit  sa perte. 

Isabelle Autissier a su apporter à Kerguelen , une  biographie au long cours, une force romanesque , une puissance d'évocation personnelle. 

  ( Départ de l'Ile de France, aujourd'hui, Ile Maurice) Il se concentra sur ce petit bonheur qui lui signifiait qu'il était de nouveau en mer. ...En ce soir du 16 janvier 1772, lui, Yves Joseph Marie de Kerguelen de Trémarec, commandait l'expédition qui allait bouleverser les connaissances, la géographie, et sans doute, l'avenir. page 11

La terre australe était pourtant la dernière grande énigme..;Il fallait une volonté politique pour  se concentrer sur l'objectif, réunir les moyens, aller jusqu'au bout, comme avaient su faire les Portugais deux siècles auparavant.  La découverte du cinquième continent devenait une affaire d'Etat.  page 15

Enfin, Kerguelen prit la parole: - Marins, Hommes de La Fortune!  Nous voici cap au sud et vous vous rappellerez toute votre vie  le 16 janvier 1772! Notre roi nous envoie pour une mission des plus glorieuses, la plus glorieuse , même de ce siècle. Nous sommes en route....pour découvrir la face encore cachée du monde.  Droit au sud..;." page 18

Kerguelen travaillait depuis trois ans à ce départ de La Fortune et du Gros Ventre. ....Il faut se battre pour embarquer et ne pas laisser le ministre vous oublier au fond  de votre campagne quimpéroise. Kerguelen peinait à se distinguer et commençait à enrager. Si elle était de bonne souche et d'une aisance certaine,  sa famille ne ressemblait  pas moins à l'une de ces innombrables lignées de province, vivant  de la terre et des alliances locales. Son père était modestement capitaine  garde-côtes..   Yves Marie, le seul garçon, se retrouvait à porter toute l'ambition du nom.  Il avait suivi le cursus classique qui conduit de chez les Jésuites à l'Ecole des gardes de la Marine. La mort rapprochée de ses  parents l'avait laissé orphelin à seize ans et chef de famille, une situation peu propice à contenter ses espoirs naissants. ...Seul son talent dans les domaines de la construction navale et de la cartographie lui avait permis de se faire remarquer.....Sa femme ( Marie- Laure ) était issue de familles aisées, titrées, apparentée aux puissants lignages de Flandres...page 34

 ( Kerguelen est à Hennebont chez Mannevillette, un marin qui avait publié un corps de 24 cartes marines) IL ( Mannevillette) caressa la mappemonde et lui imprima une légère rotation du pouce...." Il est honteux qu'on ne connaisse  encore que si peu notre boule...Verrai-je un jour , avant ma mort, une carte de notre monde? " ..." Les Terres Australes, Kerguelen, les Terres Australes, voilà le dernier défi du genre humain! Découvrir, cartographier, recenser les richesses et les peuples de ces contrées inconnues, quel destin! " pages 40, 41

Il (Kerguelen ) réfléchit au mémoire qu'il lui faudrait présenter au ministre Choiseul. il tenait la phrase d'introduction: " La découverte des Terres Australes est un des objets les plus importants pour la navigation, l'étendue du commerce et même la puissance de l'Etat". page 46

Le lendemain, le 14 février 1772, le temps se mit au beau et un bon vent de nord-ouest permit de naviguer dessus...Dans la matinée, les hommes poussèrent des hourras , en voyant une poule mauve et deux heures plus tard,  des loups marins, signes de terre. ...Il était presque 17 heures, on allait appeler pour le grand quart...Une voix tomba de la hune, éraillée tant elle était forcée:" Terre! Terre! par l'avant à bâbord". Une sorte de rugissement collectif y répondit. Tout le monde se précipita au bastingage. page 70....Deux petits îlots....Kerguelen prit son temps. Maintenant , rien ne pressait, il pouvait savourer ce moment unique. Des terres que aucun  homme n'avait jamais vues, l'antichambre d'un monde nouveau qui feraait entrer son nom dans l'histoire. Page 71

A 7h30 du matin, Saint-Allouarn rejoignit son bord Il éteignit Kerguelen longuement et lui glissa à l'oreille: " Allez , mon ami, sois heureux! l'aventure commence"! Kerguelen le regarda s'éloigner, se demanda subitement s'il n'aurait pas dû aller lui-même prendre les commandes du Gros Ventre pour cette journée historique. Saint -Allouarn agitait joyeusement son chapeau pendant que ses hommes souquaient vers le navire. ...Il ignorait qu'il ne reverrait jamais son ami Kerguelen. page 77

" Monsieur, voyez là-bas. Cette foule massée sur la plage!  ....Ce sont des pingouins, des centaines d e pingouins, des lions et des loups marins, la plage est couverte! page 81 

"Au nom du Roi, notre Bien-Aimé Louis le Quinzième, sur son ordre, prenons ce jour, le 14 févier 1772,  possession  de  cette terre, ses îles, dépendances, bêtes et gens, pour qu'ils soient ajoutés au royaume de France". .Page 82

"Allons, le roi décidera du sort de ces terres. Contentons-nous de les lui ramener. Buvons aux Terres Australes. Tiens , nous devrions les appeler Terres de Kerguelen". Kerguelen leva son verre sans rien dire. page 98

( A Paris) De Boynes, le ministre de la Marine, intervint ...;" Si je peux me permettre , Majesté, l'intérêt des terres que Monsieur de Kerguelen  a découvertes est justement leur complémentarité avec les Mascareignes  .Leur climat plus frais pourrait assurer une production de bois et de grains que nous devons expédier aujourd'hui. Page 120...Tant que Monsieur de Saint-Allouest n'est pas rentré, nous ne savons pas vraiment ce qu'il en est ( de ces Terres ) ..;Vous l'auriez abandonné à un sort fâcheux....page 123  - Certes, nous avons perdu le Gros Ventre de vue mais je puis vous assurer qu'il était en bonne posture et ne manquait de rien" dit Kerguelen. page 124

L'idée d'être le maitre d'oeuvre et le pivot de la colonisation de la terre australe plaisait à Kerguelen. page 131

Enfin les instructions officielles arrivèrent  l'établissement d'une colonie n'était plus évoqué que comme une éventualité .  L'essentiel était la connaissance des terres australes et des antipodes. page 159

Les savants étaient euphoriques, tout à l'excitation d'arriver sur le terrain de leur mission, Ce qu'ils attendaient depuis six mois ....   Avec un peu de chance, ils allaient rapporter des résultats qui allaient les rendre incontournables dans leurs domaines respectifs pendant près de trois semaines, la navigation   fut donc presque agréable page 214

A partir du 17 novembre , la flottille entra dans les quarantièmes  enfin, on arrivait au rendez-vous page 218

Le 14 décembre.....Kerguelen était sur le pont de le rembarrer quand une voix tomba à nouveau :" Terre! Terre devant, à courir sur tribord. A 10 lieues! "...." Monsieur Ligniville, mettez en panne. Dites- leur d'aller à terre, de chercher un mouillage et de venir rendre compte".  page 231

Pour comble, la brume fit son apparition....Toute la nuit, dans un noir d'encre, on se maintenait tant bien que mal à proximité de L'oiseau.... page 203

On croisa quelques îles sur lesquelles il était hors de question de débarquer. Elles ne présentaient aucune plage et le ressac grognait au pied des falaises où jouaient des loups-marins.  De toute façon, on n'y voyait aucun arbre et encore moins de constructions, seul le tournoiement des oiseaux les signalait.  page 234

Le jour de Noël était obscur. Les nuages roulaient les uns sur les autres, comme des ventres gras et sombres. page 238 " Nous avons de nombreux malades..." (Kerguelen )page 240 ..;Kerguelen répondit d'une voix si basse qu'il fallait tendre l'oreille, au milieu des craquements du navire. - "Tu vas me prendre pour un fou ou pour un sot. je n'ai pas confiance en cet endroit, j'avais déjà ressenti cela la première fois.....J'ai un mauvais pressentiment, c'est tout, il est si fort que je ne peux passer outre...Chaque vague est traîtresse , chaque nuage est porteur d'un mauvais coup et surtout, il n'y a pas de répit, jamais...jamais. page 241

Personne n'avait jamais vu de pareille furie, surtout si vite levée.... les trois navires, à sec de toile, se perdirent derrière le rideau sombre....Tous les marins étaient regroupés.... Certains priaient, d'autres pleuraient, la plupart les genoux repliés....pages 251, 252

Kerguelen donna le signal d'une route au nord. En moins de deux heures, les sombres falaises des cinquantièmes disparurent. L'océan austral avait remporté les deux manches. A aucun moment, il n'avait laissé Kerguelen sentir sous son pied le roc ou le sable humide de l'île qui porterait malgré tout son nom. page 253

Kerguelen le ( le grain) regarda noircir les eaux de la Penfeld. page 255

Quand il avait lu l'acte d 'accusation, il avait sérieusement pensé au suicide page 261

Le procès fut une mauvaise farce. Kerguelen , acculé, avait décidé de se défendre pied à pied, de justifier chaque ordre et chaque décision, sans se laisser démonter par l'ironie inquisitrice de ses pairs, trop heureux de pointer les errements  d'un autre. page 264...Il n'avait pas rempli sa mission...Où étaient les résultats scientifiques? la confirmation du capital extraordinaire de la France  Australe? Pourquoi n'avait-on pas laissé des colons, comme prévu? ...N'avait-il pas exagéré  ses avaries de gréement et le nombre de ses malades?  Les vivres étaient-ils si pourris?  N'aurait-il pas dû forcer pour aller  à terre? ....Jour  après jour, il dut se justifier, perdant peu à peu l'espoir. 

Il était 10 heures,  ce 13 mai....Il était coupable de tout. pages 25, 266, 268: 269

mercredi, décembre 09, 2020

LA SOURCE Anne-Marie Garat. 2015

 Venue au Mauduit, petit village de Franche-Comté, au motif officiel d'obtenir de la mairie, l'autorisation, pour ses étudiants en sociologie, de consulter les archives communales de cette si banale petite bourgade française, la narratrice, hantée par la sombre énigme de son propre passé familial, ignore qu'elle va y faire une rencontre décisive en  la personne de Lottie, solide et intimidante nonagénaire, désormais seule occupante de la vaste demeure des Ardennes, construction aussi baroque qu'extravagante édifiée sur des terres de mauvaise assise, dans un méandre  de la rivière qui coule en contrebas du bourg. 

Soir après soir, la vieille dame qui, faute d'hôtel au village, accepte de  loger la visiteuse, dévide pour elle l'histoire du domaine où elle est entrée comme bonne d'enfant à l'orée du XXème siècle. Mais faut-il la croire sur parole, elle qui dit n'être que la récitante des fantômes qui ont jadis habité ces murs, ou sont partis vers l'Afrique, le Tonkin ou les forêts du Yukon?  Et que faire du récit de cette conteuse acharnée qui, sans avoir jamais quitté sa campagne, rêve peut-être à haute voix quelque peu exotique roman de  sa filiation dont elle contraint la narratrice à devenir sa dépositaire. 

Où les histoires prennent-elles source e toù vont-elles une fois racontées? La narratrice , écoutant la vieille Lottie, devine-t-elle en quoi celle-ci va éclairer on propre destin? 

Car les récits ni les contes ne sont d'inoffensives machines et leurs puissants sortilèges s'entendent à recomposer jusqu'à la matière même du temps. 


Je n'ai pas terminé ce roman

jeudi, novembre 26, 2020

PARLEZ MOI D'AMOUR Xinran 2018

 Comment parle-t-on d'amour en chinois? 

A travers les récits de quatre générations de femmes d'une même famille, nous découvrons un témoignage bouleversant sur la vie réservée aux Chinoises par l'Histoire. 

Des unions arrangées pour comptabilité révolutionnaire aux jeunes filles d'aujourd'hui pour qui la mariage n'est plus une fin en soi. , ces femmes racontent le sentiment amoureux, l'attente, les souffrances et la perte, la solitude. 

La politique, l'Histoire sont là, mais hier bien davantage tout ce dont on ne parle pas d'habitude: les secrets qui se transmettent d'une génération à l'autre, les sentiments, les désirs. Et tout le poids du  non-dit, qui brise ici les tabous en se révélant au grand jour. 

Un jeu de miroirs où société chinoise et domaine de  l'intime se répondent pour esquisser une histoire amoureuse des femmes chinoises : combien elles ont changé leur manière de concevoir les relations sexuelles, les sentiments et la famille, et comment l'amour, envers et contre tout, peut résister et survivre à l'Histoire. 

Dates clés du XXe siècle en Chine: 1912: chute de la dynastie Qing et instauration de la République. 1916-1928: Epoque des Seigneurs de la guerre. 1928: le parti nationaliste, le Kuomintang( KMT) arrive au pouvoir. 1928-1936: Première guerre civile ente le KMT et le parti communiste chinois. . 1937-1945: Occupation japonaise de la Chine. 1946-1949: Seconde guerre civile entre le KMT er le parti communiste chinois.  1949: Mao Zedong proclame  la République Populaire de Chine. 

Dans une culture qui proscrivait tout contact physique entre les hommes et les femmes, " parler d'amour" est une locution moderne, définit comme suit par le dictionnaire chinois. 

" Parler d'amour" est une forme d'activité sociale. Elle consiste à entretenir un sentiment amoureux ou une relation fondée sur l'amour. Il s'agit essentiellement d'un échange entre deux parties. En général, si cet échange est réussi, les deux personnes concernées  se marient, vivent ensemble et élèvent la génération suivante.  Les obligations morales impliquées sont les suivantes: premièrement respecter l'égalité au sein du couple, deuxièmement, assumer ses responsabilités, troisièmement, s'aimer avec humilité. " page 9

 (La mère de Xinran ) " A notre époque, beaucoup de gens se mariaient non par amour ou par affection, mais par comptabilité révolutionnaire.  Notre conception du sexe, des sentiments, de l'amour était très différente de la vôtre et de celle des jeunes maintenant. Beaucoup de couples ne faisaient que parler d'amour, ils ne l'ont jamais connu ni osé suivre leurs sentiments." Les paroles de ma mère me laissaient sans voix.  page 11

Les générations de mes grands-parents avaient souvent été contraintes par les parents d'accepter des mariages arrangés, alors que ce sont les bouleversements politiques qui ont façonné la vie amoureuse de mes parents. Quant aux femmes de ma génération, il semble que ce soit l'argent qui ait joué un rôle moteur dans leur  quête d'un mari. page 20

Le pays n'a jamais donné aux Chinois la possibilité de prendre "conscience" d'eux-mêmes en tant qu'individu ni de parler de leurs propres sentiments.  page 22

La grande majorité des Chinois ne savent pas ce que c'est de vivre libre, bien dans  sa peau. Tout  ce qu'ils ont connu, c'est la peur , l'abnégation. lls ne supportent pas que des inconnus les voient exprimer ouvertement  et de façon indue leurs émotions, car des années d'expérience leur ont appris que cela pourrait être utilisé contre eux, comme la preuve d'un caractère instable, irrespectueux, voire malhonnête. page 24

PREMIERE PARTIE. L'histoire de Rouge: le plafond à témoin.

Xinran interviewe une dame âgée: Rouge née en 1920. Mariage en 1949 avec Bao Gang, Rouge avait neuf ans lorsque son père arrangea son mariage avec  le fils de son ami, qui lui-même avait treize ans à l'époque.  

( De 1966 à 1976) La Chine venait de traverser une longue période de troubles. De violentes tempêtes politiques et économiques avaient pratiquement anéanti toutes les familles possédant un  tant soit peu de terre ou de fortune. Les campagnes des Trois Anti est des Cinq Anti avaient provoqué lé chaos aux quatre coins du pays. La réorganisation du monde agricole avait tourné au désastre. Puis, il y avait eu la folie du Grand Bond en avant, la division des dirigeants communistes....page 58

Baogang ( son mari) n'était pas exactement  le genre à parler de la pluie et du beau temps. Mis à part ce qui touchait à Linda ( la femme qu'il aime) , tout ce dont il voulait discuter, c'était des sujets d'actualité historique majeure: l'actualité internationale et nationale, les paraboles anciennes, la nature. jamais un mot sur la vie quotidienne. Toutefois, il n'y avait pas de fil conducteur dans nos vies. En dehors d'être obligés de dormir dans le même lit et de faire semblant d'être mari et femme, nous passions la plupart de nos journées dans nos unités de travail.  Parlait-il de  sa famille?  Pas vraiment. Avant la Révolution culturelle, nous n'évoquions jamais ni l'une ni l'autre  de nos familles respectives. Je crois qu'il essayait de me montrer que nous n'étions liés en aucune façon, ou peut-être voulait-il seulement me prouver  qu'il n'y avait pas de place dans  son coeur que pour une seule femme. Mais la première fois qu'il m'interrogea  sur ma famille,  ce fut comme si un coup de baguette magique avait ouvert un puits secret. ..Je m'épanchai toute la nuit, égrenant mes souvenirs, tandis que Baogang buvait mes paroles......Mes parents appartenaient tous deux  à des familles honorables. L'une  provenant du monde  de l'administration, avait connu des revirements de fortune. L'autre  venant du monde des affaires, avait  traversé bien des épreuves. page 63

Les grands-parents de mes parents....Leurs familles n'étaient pas vraiment riches, mais possédaient  des biens et jouissaient de revenus modestes qu'elles ne voulaient pas perdre...... Les gènes de ma famille prédisposaient  à un amour profond  pour la poésie. je crois que c'est surtout ça qui a rassemblé nos familles....page 65

Parce que le Mouvement pour la nouvelle culture s'opposait à la féodalité, il cherchait à se rebeller contre tout ce qui relevait de la culture traditionnelle chinoise. Aujourd'hui, je suis persuadée que ce mouvement a été la première Révolution Culturelle en Chine, ne serait-ce que par la façon dont il a détruit  de grands pans  de notre culture classique. En tant que femme ma mère n'avait  ni le droit  de s'aventurer  loin de la maison familiale, ni son mot à dire dans les décisions importantes concernant la famille. page 67

Je suis l'aînée de  neuf enfants. page 69

Chaque fois que je parle de ma famille, je me sens envahie par des sentiments de chagrin et e désarroi. Baogang essayait de me réconforter en me demandant : " Quelle famille aurait pu éviter la tourmente? Qui est capable de nager contre courant de son époque? Quel amour peut se soustraire à l'influence de la société? " Le plus drôle, c'était qu'il ne semblait pas reconnaître que notre mariage était un simulacre et que nous ne faisions que parler d'amour.........Ne pas avoir d'empereur était comme ne pas avoir de religion , ni de règles ni aucun sens de l'ordre. personne ne savait qui était aux commandes.  page 81

En 1948, la cause nationaliste était pratiquement perdue, selon les rumeurs qui circulaient à foison. Les communistes viendraient " se partager vos biens et vos femmes".  Les milieux d'affaires en Chine qui s'étaient toujours imaginé que les Etats-Unis interviendraient pour régler les conflits de la guerre civile, commencèrent à déménager leurs avoirs, et même leurs familles vers Hong Kong, alors sous domination britannique. Certains envoyèrent leurs enfants vivre aux Etats-Unis. page 83

Un soir de 1963, Baogang  arriva à l'improviste alors que je dînais au mess....En rentrant à la maison, il me proposa tout à coup d'aller faire un tour.....Il me prit la main et me conduisit au milieu du terrain de manoeuvres.... Nous étions seuls dans ce vaste espace désert. Levant les yeux vers le ciel Baogang me dit: "  La Chine a  de gros problèmes. Nous devons commencer  à faire nos préparatifs. - Quel genre de problèmes?  Quels préparatifs?  Ses propos m'avaient quelque peu  secouée.  - Je ne peux rien affirmer avec certitude , mais j'ai reçu des nouvelles de Hong Kong selon lesquelles une multitude de paysans seraient morts dans les provinces agricoles....Il semblerait qu'une grande famine se soit abattue "....." Les forces  armées de Taïwan se rassemblent  autour de l'île de  Kinmen....La guerre semble inévitable....Il y a de fortes chances que je sois muté au Sud.....il y a quelque chose que je tiens à vous dire maintenant: je vous remercie de votre compagnie et de la compréhension dont vous avez fait preuve envers moi durant toutes ces années. ...Nous sommes comme frère et soeur.  page 93

Quand arriva le chaos sanglant de la Révolution culturelle, Baogang et moi furent expédiés  dans la région montagneuse  du district de   Daxing, juste au sud de Pékin.  page 94

En 1981,  nous arrivions tous deux à l'âge de la retraite. ..En 1983, nous avons emménagé dans cette maison. page 95

.....Cela faisait trente ans que je m'évertuais  à tenter de m'habituer  à cette peine  de prison qu'était mon mariage. page 96

A partir de ce moment-là, (Boaogang a appris, en 1992, la mort de Linda à Taïwan vers 1963) nos bavardages de nuit ne connurent plus  de limites, ni de restrictions, ils devinrent même spontanés. Nous étions arrivés à un âge où nous n'avions plus besoin de faire attention. Baogang avait pris sa retraite des services  de renseignements et, de toute façon, toutes ces informations secrètes étaient désormais de notoriété publique. Quant à moi, je n'avais plus de règles à observer ni de choses importantes à me rappeler. Nous évoquions le passé et tout ce que les jeunes d'aujourd'hui trouvent si difficile à comprendre. Nous parlions du présent nous disant que jamais nous ne pourrions nous habituer au monde moderne.....C'est pour ça que la société nous considère comme  "de trop". ....Nous n'avions plus peur qu'on découvre que notre mariage était un leurre. page 99

Nous avions l'un et l'autre servi dans les rangs de la révolution rouge en tant que membres des services  secrets....Notre instinct avait été étouffé par le climat politique. Notre conception du bien et du mal n'était plus manichéenne, elle  était brouillée par des forces que nous ne contrôlions pas. Au bout  de plusieurs décennies, nos rêves les plus chers n'avaient plus aucun caractère individuel ou personnel. Nous faisions partie de la production  de masse de notre époque. ...S'il me reste quelques pensées personnelles, ce sont les souvenirs du paradis de mon enfance et les poèmes que je partageais alors avec ma famille........Boagang? Je ne l'ai jamais entendu parler beaucoup de sa famille. page 101

Dans les mois qui ont précédé sa mort,...Boaogang au prix d'un gros effort s'est tourné vers moi, redressa la tête pour capter mon regard...." J'ai toujours voulu vous le dire: vous me rappeler Linda./....Quand on perd le souvenir de quelqu'un, il cesse d 'exister pour vous. Quand on perd complètement la mémoire, on n'existe plus pour le monde. ...page 101

Boaogang  ne manifesta jamais aucun intérêt pour moi sur le plan physique. Dans son coeur, je ne faisais pas partie de sa  famille, j'étais encore moins son épouse.  C'est très difficile à croire pour les gens de l'extérieur... page 103

Tout en parlant, Rouge gardait les yeux rivés au plafond, comme pour supplier ce témoin de soixante et une années d'emprisonnement conjugal d'en attester, de fournir ne serait-ce  que le plus petit soupçon d'indice probant. ....;( Xinran):  Il est peut-être ici en ce moment même pour écouter ces mots venus du coeur, que vous n'aviez jamais osé dire auparavant.  -Vraiment? dit-elle doucement, sans  cesser de  regarder le plafond. - Vraiment." Je crus entendre le plafond répondre: "Oui, telle est l'histoire d'un homme et d'une femme, qui ont parlé amour pendant soixante et un ans. Page 107

Quand Boaognag était sur son lit de mort, je me suis imaginé qu'il allait m'exprimer une sorte de reconnaissance pour les soixante et une années que nous avions vécues ensemble.  Il irait peut-être jusqu'à me dire merci. je savais depuis longtemps qu'il ne s'excuserait jamais de quoi que ce  fût, car les regrets n'étaient pas dans  sa nature. ...C'était lui qui décidait. Il avait été l'architecte de notre prison conjugale, et moi,  sa prisonnière. Pourtant j'avais choisi de le suivre. page 105

DEUXIEME PARTIE: L'histoire de Verte: la bienheureuse ignorance  de la jeunesse.

Verte née en 1932, soeur de Rouge, huitième enfant de la fratrie. , mariée en 1953, a eu  trois fils et deux filles.

Nous étions neuf frères et soeurs au total. Trois sont partis pour l'étranger, trois sont entrés dans la révolution par leur mariage et trois sont morts avant l'heure. Pour être honnête, je n'ai jamais été très proche de ma grande soeur Rouge. Ce n'est pas seulement à cause des douze ans  qui nous séparent mais surtout du fait qu'elle ait rompu tout contact avec nous autres, les plus jeunes de ses soeurs, quand elle s'est mariée et a commencé à travailler pour les services de renseignements.  Jusqu'à ce qu'elle prenne sa retraite en 1981, les seules nouvelles que nous recevions d'elle nous arrivaient  par l'intermédiaire de notre frère aîné à Hong Kong. page 111

Pour Bleue s'opposer à Père aurait été considéré comme un acte honteux de rébellion. , pour moi se dresser contre Père faisait partie simplement de la Révolution, de la destruction des quatre vieilleries.  ( Les vieilles coutumes, la culture ancienne, les vieilles habitues et les anciennes idées) (Le Père a marié sa fille Bleue or elle voulait poursuivre l'école et ne pas se marier. Son enfant mourut, son mari fut exécuté après que les Japonais avaient volé tout ce qu'ils possédaient, à Shanghaï) page 115

La Chine entre 1949 et 1960 était un endroit étouffant, c'est à peine si l'on pouvait respirer avec tout le désordre qui régnait. ...Des annonces diffusées par haut-parleurs retentissaient dans les rues pour avertir la population que les impérialistes américains...les espions nationalistes....Et pour couronner le tout, cinq cents millions de personnes n'avaient rien à manger quatre-vingt-quinze pour cent de la population étaient illettrés......;Je me pliais à la discipline du Parti et à tout instant, j'agissais en fonction de ses besoins. page 116

(Verte à sa soeur Rouge) " Tu savais qu'Orange était tombée amoureuse? "...." Je sais ce que cela veut dire mais j'ignorais qu'Orange était amoureuse. Si elle ne nous l'a pas annoncé, ce n'est pas à nous de lui poser des questions.  Tomber amoureux est une chose qui arrive entre deux personnes, pas un sujet de commérage à colporter partout, et pas une affaire dont la famille doive se mêler" - " Alors tu sans vraiment ce que c'est? "répliquai-je en dévisageant Rouge d'un air ébahi.....Grande soeur m'expliqua que tomber amoureux était une voie dans laquelle un homme e tune femme s'engageaient ensemble, et  que s'ils choisissaient de la suivre jusqu'au bout, alors elle les incitait à construire une famille fondée sur l'amour. page 127

De notre temps, même quand on était amoureux, un homme et une femme n'auraient jamais rêvé  de passer un moment seuls ensemble avant d'être mariés. page 129

Sous l'influence d'Orange; j'étais devenue une ardente partisane des communistes. Il n'y avait pas que nous à l'être...Epouser un révolutionnaire était du dernier cri. page 138

Au moment de la libération, nous débordions d'enthousiasme  et étions sincèrement convaincus - comme le disaient les lettrés d'autrefois - que l'Etat passe toujours avant l'individu. page 140

Les Chinois ont retenu au fil de tous ces siècles de bouleversements, apprenant à s'adapter chaque fois qu'un nouveau régime prenait le pouvoir. page 141

La cérémonie marquant la fondation de la République populaire de Chine eut lieu l'après-midi du samedi 1er octobre 1949 à Beijing.  page 145

L'idée que c'est l'homme  qui doit faire des avances à la femme est réellement ancrée dans la culture chinoise - comme un principe divin. Dans le passé, les hommes et les femmes qui y dérogeaient étaient chassés  de la demeure familiale, parfois condamnés à mort.  .... Comme Rouge l'avait dit, le Mouvement pour la nouvelle culture de 1917 fut, à bien des égards, la Révolution culturelle originale. Les femmes n'étaient plus forcées de se bander les pieds, elles pouvaient se couper les cheveux, aller à l'école. Elles n'étaient plus soumises aux pariages arrangés, ni obligées  de prendre le nom de leur mari.  Tous ces signes de progrès social proviennent  de cette période. page 150

Les consignes du Parti: " Ne pas poser de questions sur ce que l'on ne connaît pas, ne pas dire aux autres ce que l'on sait". page 155

Les Etats-Unis nous semblaient un pays sans réelle influence historique. page 193

A partir de ces année-là, ( 1950)les relations amoureuses et l'amour en général sont devenues moins répandus. page 195

A Chengde , notre ancienne maison servait désormais de centre de convalescence pour certains de nos dirigeants. A l'endroit où mon père avait noué des rubans de couleur autour des arbres pour ma mère,, il y avait si longtemps de cela, juste avant leur mariage, se dressait désormais une énorme pancarte: Terrain militaire, accès exclusivement réservé au personnel autorisé.  page 199

A l'exception de ce que nous mangions, des vêtements que nous portions et de quelques produits d'usage courant, tout était gratuit. L'appartement, la crèche, l'école, le travail à la sortie des études,, le soins médicaux pour toute la famille, tout était fourni par l'unité de travail du mari. page 200

La Révolution culturelle? Ce fut une période pénible, notamment parce que le  Front uni où travaillait Dafi (son mari) fut démantelé et laissé à l'abandon.  Mais Dafu lui-même poursuivait son ascension. Ses origines modestes se révélèrent bien utiles, de même que le fait qu'il ne soit pas encore devenu assez puissant pour être pris pour cible. C'est pourquoi notre maison ne fut pas fouillée, personne ne vint confisquer nos biens, ni nous dénoncer comme contre-révolutionnaires. ...Comme tout le monde, nous vivions dans une angoisse permanente, sans savoir de quel côté les vents politiques tourneraient. ....C'était très dur pour les familles de survivre au quotidien. page 202

TROISIEME PARTIE. L'histoire de Grue, l'émotion enfouie. 

Grue est l'une des filles de Verte; Elle a eu cinq enfants, nés entre 1950 et 1960.

"Donnez-moi un sujet, et je ferai de mon mieux pour vous aider à comprendre les histoires chinoises que vous recherchez". (A Xinran)....." Je lui annonçai sans détour que ce livre, que je tenais à écrire, traiterait de la vie amoureuse des Chinois sur les cent dernières années. page 213

Aujourd'hui, ma mère raconte à qui veut l'entendre que dans notre famille, nous avons toujours été heureux ensemble., parce qu'elle préfère garder les bons souvenirs. Mais, moi, ce dont je me souviens, c'est que la guerre a mis notre famille à rude épreuve. Mes parents couraient en tous sens, sans jamais un moment de tranquillité.......A vrai dire, en ce temps-là, à part pour étudier les citations du président Mao et l'histoire du Parti communiste, nous n'avions aucun cours. ....mes frères, ma soeur et moi nous n'avons jamais vraiment joué  avec les autres enfants. Le monde extérieur était rongé par l'instabilité politique, les famines, la Révolution culturelle, la rupture des relations sino-soviétiques. mais on aurait cru que cela ne nous concernait pas. ..Seuls les adultes pouvaient lire les journaux et très peu de foyers possédaient un poste de radio. ...C'est seulement en 1975, quand j'ai été envoyé à la campagne, que j'ai pris conscience que le monde dans lequel j'avais grandi était complètement différent de celui  de la plupart des autres enfants. parmi les jeunes  de mon groupe de jeunes instruits déportés dans les campagnes, beaucoup n'avaient pas revu leurs propres parents  depuis l'enfance  - certains avaient été expédiés dans des camps de réforme par le travail, d'autres incarcérés, d'autres encore battus à mort par les gardes rouges.  page 215....Nous avons grandi dans un milieu très favorisé, grâce à la protection de nos parents. ...Vous devriez aller écouter l'histoire de ma cousine, Kangmei, la fille de ma tante Orange. C'est à croire qu'elles ont vécu dans un monde différent...leurs vies ont été aussi pitoyables que celles des personnages des Misérables. page 216

La Chine d'aujourd'hui  est de nouveau divisée en deux mais les privilèges n'appartient plus aux militaires. Ils reviennent  désormais à l'argent et au pouvoir. page 217

Les familles citadines n'étaient autorisées à garder qu'un enfant  à la maison - .Comme j'avais un frère et une soeur plus jeunes, je n'ai eu d'autre choix que de partir.  (dans la province de Hubei) page 219

Les habitants des campagnes croyaient beaucoup plus en Mao Zedong que nous. Ils le vénéraient comme un dieu et se tournaient vers lui en quête de réconfort, quand en fait c'était leur propre ignorance qui causait leur malheur.  page 224....On estime que quatre-vingt pour cent des habitants des villes ont participé à la destruction  des sites de notre patrimoine culturel ou à des actes inhumains envers leurs semblables. page 226.....

C'est à ce moment-là que nous sûmes l'un et l'autre que nous étions amoureux. (Tang Haï lui fait et refait un bandage suite à une coupure accidentelle du dos de la main gauche). L'amour, pour nous, c'était nous promener ensemble dans les grandes étendues sauvages à l'orée du village. Dommage qu'il n'y eût pas de forêt alentour, plus propice aux amours furtives. Nous ne faisions rien de plus intime que de nous tenir main dans la main et même cela, nous le faisions en secret. Page 245

(Grue et Tang Haï sont au cinéma) Non, nous ne nous sommes pas embrassés, ce jour-là et je suis pratiquement sûre que tous ces couples autour de nous ne le faisaient pas non plus. Nous nous sommes contentés de nous enlacer, de nous tenir la main, ce genre de choses. S'embrasser, en public, était toujours considéré comme une indécence......Dans la Chine des années  d'avant les années 1990,  des gens se sont retrouvés en prison pour s'être embrassés en public. ...Dans les années 1970, l'amour était considéré comme " un produit réglementé"., le sexe encore plus.  ,page 248

Dans les années 1950, on se mariait pour des raisons politiques, dans les années 1960, pour des questions de classe, dans les années 1970, tout le monde voulait épouser un officier de l'APL, dans les années 1980, on recherchait surtout les étudiants de l'université. Dans les années 1990, les gens ont commencé à se fier à leurs propres intuition pour choisir leur futur conjoint et dans les années 2000, c'st chacun pour soi. page 255

Tang Haï et moi nous nous sommes mariés à sa sortie de l'Académie militaire, où il était devenu instructeur. Séparés par les divisions de classe de l'époque, nous avions chacun entamé un parcours de notre côté , mais nous avons fini par nous retrouver....page 271, page 273

" Vous avez entendu les récits de trois générations de ma famille. Mes grands-parents ont enraciné leur amour dans la poésie ancienne. Mes parents se comprenaient à travers la littérature classique occidentale et les da-you. La Chine dans laquelle je suis née n'avait ni littérature, ni romantisme, elle n'avait ni films, ni livres, ni pièces de théâtre. Elle avait des slogans. page 274....Nous sommes nés dans un monde de guerre permanente et de politique étouffante: la guerre de Corée, la campagne des Trois-Anti et des Cinq -Anti., le Grand Bond en avant. ....Toute notre vie,  nous avions connu les montagnes russes de politiques différentes , passant à plusieurs reprises de l'euphorie au désespoir. page 275

Quand nous étions jeunes, nous étions  nombreux à prendre part à la révolution comme si nous avions été possédés. Le jour, Le Petit Livre Rouge ne nous quittait jamais, nous lui rendions grâce avant  de saisir  nos baguettes. Le soir, avant d'éteindre les lumières, nous nous prosternions devant son portrait , implorant son pardon ou le suppliant d'abattre celui ou celle qui nous avait causé du tort. page 279....Lors de notre nuit de noces, ton frère se coucha et éteignit immédiatement la lumière, disant que ce serait manquer de respect envers Mao que de se déshabiller devant son portrait. page 280

Pour finir, Grue conclut: " J'ai toujours pensé qu'être amoureux était la source de toute vie, que l'amour ne pouvait être bridé par la foi, la politique, la culture, les traditions, les biens matériels. Cela dit, quand je considère ce qu' a vécu notre génération,  en Chine, je me dis que je me suis peut-être trompée".  page 298

Si la Révolution culturelle chinoise a lavé les taches dénoncées par le Parti communiste, - le féodalisme, le capitalisme et le révisionnisme - elle a en même temps, fané les couleurs de l'amour en Chine. page 300


QUATRIEME PARTIE: L'histoire  des trois petites - filles: la génération 3 D. 

LILI , petite-fille de Verte, née en 1988. 27 ans au moment de l'interview.  "Vous savez déjà tout de ma famille j'imagine. du moins des générations antérieures à la mienne. Ne dirait-on pas que mes arrière-grands-parents vivaient dans un conte de fées? En tout cas si l'on ne croit la légende familiale. Les parents de ma mère, eux, ressemblaient davantage à des statues, moulées dans le bronze de la révolution chinoise. - je veux dire qu'on les voit rarement manifester une émotion quelconque. Ils disent que ma mère et ses frères et soeur vivaient dans un  zoo, ...je crois , pour ma part, que notre génération s'apparente plus à une Organisation des Nations unies en miniature - chacun de nous  a une vision u monde très différente de celle des autres. ...Nous avons des cousins aux Etats-Unis et à Hong-Kong..;On se parle à peine....page 306

En ce qui nous concerne, nous trouverions bizarre d'avoir des frères et soeurs, mais tout à fait normal d'avoir couché avec une douzaine de types avant l'âge de seize ou  dix-sept ans. page 309

Ma mère et moi ne sommes jamais d'accord. Elle pense que l'amour est la base de toute la vie, qu'il transcende la foi, la politique, la culture, les traditions et tout ce qui relève du monde matériel..Les Chinois ne disent-ils toujours pas qu'il faut parler " de réalité" avant de "parler  d' amour". Donc,...s'il est réaliste de vivre ensemble avant que puisse naître un quelconque sentiment d'amour. ...Dans les années 1950, , il fallait connaître avec certitude son passé politique, dans les années 1960, c'était son statut social, dans les années 1970, il n'y avait que les ouvriers, les paysans, les soldats, mais comme les paysans &étaient pauvres, il valait mieux trouve run soldat ou un ouvrier. Dans les années 1980, la vérité se cachait derrière tant de rumeurs qu'il ne vous restait plus qu'à  vous fier à votre instinct. Qu'en est-il aujourd'hui? Avec l'arrivée d'Internet, il n'existe plus de vérité universelle. ...les gens se cherchent des partenaires sur la base de critères très stricts comme la taille, les revenus, etc...page 310

Ce que j'aime en lui? (Ben un Britannique qu'elle a connu aux USA) et qui travaille en Chine)  Ce que j'aime en lui? Il est d'un naturel enjoué , curieux, plein d'esprit.  Pour Ben, rien ne vaut la peine de se plaindre....Ce qui nous attire le plus l'un vers l'autre, c'est cette façon  que nous avons de nous chamailler..;.Je suis en faveur du Parti démocrate américain, du parti Travailliste britannique et de l'Association chinoise pour la promotion de la démocratie. Ben est pour les Républicains américains, le Parti conservateur anglais et le Parti communiste chinois. page 324

J'ai (Xinran) demandé à Lili si elle avait 'intention d'épouser Ben un jour. Elle m'a répondu qu'elle n'avait pas encore pensé à un moyen de le présenter à ses parents. Elle craignait des objections....L'arrivée d'un gendre étranger entraînerait encore des vérifications d'antécédents politiques et rendrait les réunions familiales compliquées.  page 335

J'étudie ( Xinran) les tendances dans les médias sociaux chinois. Toutes indiquent que la grande majorité des internautes chinois se rangent à l'opinion générale. Page 337

"Pour moi, (Ben) Lili est la partenaire idéale...Mais à ses yeux, je ne suis même pas sûr de compter comme son compagnon à temps plein, ni dans n'importe quelle proportion, d'ailleurs?  - Avez-vous songé au mariage? taquinai-je. les yeux  de Ben se perdirent dans le lointain. " Je tiens beaucoup à Lili, comme je vous l'ai dit , j'ignore ce que je représente pour elle. Parfois, je me demande  si elle n'est pas comme ces jeunes femmes qui ont plusieurs amoureux sur les réseaux sociaux..;...Pour les Chinois aujourd'hui, il n'y a plus aucune règle ni aucune limite pour les rencontres amoureuses. ...De nombreuses jeunes Chinoises (sont) persuadées que le seul moyen de leur prouver la profondeur de leur amour est de posséder une maison, une voiture et de gros revenus. page 338 Je ne suis qu'un pauvre étudiant, mon esprit est ma seule richesse. j'ai plusieurs frères et  soeurs et mes parents ne peuvent pas m'aider matériellement. Dans la Chine d'aujourd'hui, je serais ce qu'on appellerait un "marié nu".  Est-ce que Lili oserait s'opposer aux coutumes sociales pour m'épouser? Je ne peux l'affirmer avec certitude. .page 339

YOYO,  nièce de Grue, petite-fille de Verte)  Je considère l'amour comme une aire de jeu au milieu de centaines de fleurs épanouies. page 343

Je connais beaucoup de femmes de trente à cinquante ans qui ont tellement souffert qu'elles ont renoncé à l'idée de chercher un autre homme. Du moins, un homme pour de vrai. page 352 ..moi, j'appartiens à la génération 3D , je ne peux naturellement pas me permettre d'être en retard sur mon temps. J'ai eu quatre amants virtuels. page 352....J'ai ensuite essayé un " mariage  de location", juste pour venir en aide à un type qui en avait besoin. Sa famille à Changchun lui mettait sans cesse la pression pour qu'il se trouve une femme. page 358

WUHEN: née en 1980, trente-six ans au moment de l'interview en 2016.  Ma mère Kangmei et mon père Wu Ping sont des enfants des années 1950 - tous deux nés dans des familles des "catégories noires" et tous deux rééduqués par les classes ouvrière et paysanne. Ils ont non seulement subi  l'oppression politique et l'humiliation révolutionnaire mais également  souffert de la faim  et d'une extrême pauvreté. Il sont vécu exactement  comme ces ouvriers et ces paysans  des échelons les plus bas  de la société chinoise, qui, à la sueur de leur front, ont porté la Chine sur leur dos, en pleine tempête politique page 364

Plus votre famille est pauvre, plus tôt vous devez participer aux tâches ménagères.  J'ai commencé à aider ma mère à prendre soin de ma grand-mère à l'âge de huit ans. ...Je disposais  de très peu de temps pour étudier...page 366 (Wuhen s'est mariée , a eu une fille, Dong Dong mais son mari , après être allé voir ses parents s'est volatilisé) Je me suis demandé à quoi cela servirait d'avoir un homme.  Pourquoi ne pas créer une "famille parfaite " en ligne pour ma fille Dong Dong. ....Très vite, je suis tombée  sur un flot d'amour " en ligne et j'y ai rencontré plusieurs amoureux virtuels. le 28 octobre 2015, la Chine  amis fin à trente-six ans de politique  de l'enfant unique. ...L'amour sur Internet me plaît vraiment  , et je me débrouille de mieux en mieux.  page 380

Rouge est décédée le12 juillet 2016, Orange est décédée le 12 septembre 2016.


mercredi, novembre 18, 2020

LE PAYS DES AUTRES ( Leïla Slimani) 2020

  En 1944, Mathilde, une jeune Alsacienne, s'éprend d'Amine Belhaj, un Marocain combattant  dans l'armée française. Après la Libération, le couple s'installe au Maroc, à Meknès, ville de garnison et de colons.  Tandis qu'Amine tente de mettre en valeur un domaine constitué de terres rocailleuses et ingrates, Mathilde se  sent étouffée par le climat rigoriste du Maroc. Seule et isolée à la ferme avec ses deux enfants, elle souffre de la méfiance qu'elle inspire en tant qu'étrangère et un manque d'argent. Le travail acharné du couple portera -t-il ses fruits?  Les dix années que couvre le roman sont aussi  celles d'une montée inéluctable des tensions et des violences qui aboutiront en 1956, à l'indépendance  de l'ancien protectorat.

Tous les personnages de ce roman vivent dans  "Le pays des autres": les colons comme les indigènes, les soldats comme les paysans ou les exilés. Les femmes, surtout, vivent dans le pays des hommes et doivent lutter pour leur émancipation. Après deux romans au style clinique et acéré, Leila Slimani, dans cette grande fresque, fait revivre une époque et ses acteurs avec humanité, justesse, et un sens très subtil de la narration. 

( Le jeune couple arrive à la ferme où ils vont vivre.) Ils arrivèrent au sommet d'une colline aux flancs râpés. Plus de fleurs, de cyprès, à peine quelques oliviers....Une impression de stérilité se dégageait de cette colline. On n'était plus en Toscane pensa Mathilde, mais au far west. Ils descendirent de la carriole et ils marchèrent vers une petite bâtisse blanche et sans charme, dont le toit consistait en un vulgaire morceau de tôle. Ce n'était pas une maison, mais une vulgaire enfilade de pièces de petite taille, sombres et humides. L'unique fenêtre, placée très  haut pour se protéger des invasions de nuisibles....Mathilde , malgré la douceur de l'air, se sentit glacée. Les projets qu'Amine lui exposait la remplissaient d'inquiétude. page 18

" Nous allons vivre chez ma mère en attendant. ( que le fermier s'en aille de la ferme) Mathilde sauta sur ses pieds et se mit à rire. " Tu n'es pas sérieux? " Elle avait l'air de trouver la situation ridicule, hilarante. Comment un homme comme Amine....pouvait-il lui faire croire qu'ils allaient vivre chez sa mère. Mais Amine ne goûta pas la plaisanterie. Il resta assis..." Ici, c'est comme ça". Cette phrase elle l'entendra souvent. A cet instant précis, elle comprit qu'elle était une étrangère, une femme, une épouse, un être à la merci des autres. Amine était sur son territoire à présent....page 22

Mathilde s'assit sur le lit..; Que faisait-elle ici? Elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle-même et à sa vanité. C'est elle qui avait voulu vivre l'aventure, qui s'était embarquée, bravache dans ce mariage....Page 25

" Ne fais pas la petite fille. Tu es ma femme maintenant . Ta vie est ici." page 26

Dans les lettres qu'elle écrivait à sa soeur, Mathilde mentait. Elle  prétendait que sa vie ressemblait aux romans de Karen Blixen , d'Alexandra David- Neel, de Pearl Buck. ...Elle se décrivait en bottes et chapeau, altière sur un pur-sang arabe. Elle voulait qu'Irène soit jalouse, qu'elle souffre à chaque mot, qu'elle crève d'envie, qu'elle enrage.  page 28

C'est dans la cuisine (de sa belle-mère) qu'elle apprit l'arabe. Elle finit par s'y imposer et Mouilala accepta qu'elle s'assoie pour regarder....Selma, qui apprenait le français à l'école, lui servait d'interprète... Elle grondait Mouilala qui se fichait que sa fille ait de bonnes notes et qu'elle soit assidue...Mathilde avait tenté de convaincre Mouilala que Selma pourrait gagner , par l'éducation, son indépendance et sa liberté. Mais la vieille femme avait froncé les sourcils.  page 32

A chaque lettre, Mathilde demandait à Irène de lui envoyer des livres. Des romans d'avbentures, des recueils de nouvelles qui auraient pour décor des pays froids et lointains. Elle n'avoua pas qu'elle ne  se rendait plus à la librairie, dans le centre de la ville européenne....Deux femmes l'avaient bousculée. La plus brune s'était mise à rire: " Regarde celle-là. C'est un Arabe qui l'a engrossée". ..page 37

Quand elle s'installa à la ferme, au printemps 1949, elle se sentit libre de mentir sur la vie de  propriétaire terrienne  qu'elle y menait. ...Souvent  elle écrivait: " J'aurais voulu que tu me voies " et elle ne mesurait pas que là se trouvait l'aveu de son immense  solitude. page 37 Quel intérêt y aurait-il eu à dire la vérité à Irène? A raconter qu'elle passait ses journées à travailler, comme une folle, comme une illuminée, son bébé de deux ans dans le dos. .;Amine apparaissait très peu dans  ses récits. Son mari était un personnage secondaire autour duquel planait une atmosphère opaque.  page 38 Comment aurait-elle pu avouer que l'homme qu'elle avait rencontré pendant la guerre n'était plus le même? ....page 39

Amine ne lui parlait que de travail. Des ouvriers, des soucis, du prix du blé, des prévisions météorologiques. ...Amine ne s'intéressait qu'à la ferme et au labeur. Jamais  de rire , de danse, de temps à ne rien faire, à parler. Ils ne se parlaient pas, ici. Il s'adressait à elle comme à une petite fille dont il fallait faire l'éducation. page 40

Lorsque Amine l'avait épousée, Mathilde avait à peine  vingt ans....;Il avait vingt-huit. page 41

Amine rentra au Maroc en 1945, à vingt-huit ans, victorieux et marié à une femme étrangère. Il se battit pour reprendre possession de son domaine, former ses ouvriers, semer, récolter, voir loin et large, comme l'avait dit une fois le maréchal Lyautey. page 48

Dans cette maison, loin de tout, Mathilde avait peur, elle regrettait ses premières années au Maroc, où ils avaient vécu  dans la médina  de Meknès, au milieu des gens du  bruit, de l'agitation humaine. Quand elle s'en ouvrait à son mari, il se moquait d'elle.  page 60...Elle caressait l'épaisse chevelure de sa fille qui chuchota: "Je ne veux pas aller à l'école. je veux rester avec toi. Mouilala ne  sait pas lire, Ito et Tamo non plus. Qu'est-ce que ça peut faire? " Mathilde sortit brutalement de sa léthargie..." Ni ta grand'mère, ni Iton ne l'ont choisi". page 61

(Sa fille est conduite à l'école) C'est elle qui avait voulu l'inscrire ici, dans une école de Français, où pointait le clocher d'une église, où se disaient des prières pour un dieu étranger. ...page 65

Aïcha portait avec elle un lourd fardeau de honte. Honte de ses tenues, que  sa mère cousait pour elle. Des blouses grisâtres auxquelles Mathilde ajoutait parfois une petite coquetterie. Des fleurs sur les manches, un liseré bleu au niveau du col.  Mais rien n'avait l'air du neuf. Rien n'avait l'air à elle.  Tout semblait usé. Elle avait honte de ses cheveux. C'est ce qui lui pesait le plus. .......La coiffure d'Aïcha lui valait les moqueries les plus humiliantes. Au milieu de la cour , on ne voyait qu'elle.  Silhouette menue, visage d'elfe, chevelure énorme, explosion de mèches blondes et rêches qui, quand le soleil tapait,  lui faisaient une couronne dorée. page 70

Aïcha détestait cette maison...Aïcha avait peur de tout....Elle doutait d'être capable de se défendre. ...Aïcha , surtout, avait peur du noir. Du noir profond,  dense, infini, qui entourait la ferme de ses parents. page 75

Tous les matins, avant la classe,  les jeunes filles se rendaient dans la chapelle....Aïcha  s'y rendait avec une détermination et une gravité qui contrastaient avec son âge. Quelques mètres avant la porte, il lui arrivait de  s'agenouiller et de s'avancer ainsi, les bras en croix, les graviers lui transperçant la chair, le visage impassible...On lui avait dit que la souffrance rapprochait du Ciel. Elle y croyait. page 79

A la récréation, ...Adossée au mur de la classe, le visage tourné vers le soleil d'hiver qui réchauffait ses os et l'apaisait, Aïcha observait les petites filles qui jouaient... Car Aïcha n'était pas tout à fait une indigène, ni une de ces Européennes, filles de paysans, d'aventuriers, de fonctionnaires de l'administration coloniale qui sautaient à pieds joints sur la marelle. Elle ne savait pas ce qu'elle était , alors elle restait seule, contre le mur brûlant d ela classe. page 83

Aicha avait entendu ses parents se disputer. Amine s'emportait contre cette école de chrétiens où sa fille n'avait pas sa place.  page 85

Parfois, il (Amine) était si accablé de fatigue et de soucis qu'il aurait voulu s'allonger par terre... et dormir pendant des semaines..     ...page 88

Depuis des semaines, Mathilde  répétait qu'elle voulait   un Noël  comme autrefois en Alsace. page 108

Petite, Mouilala n'avait pas eu le droit d'aller à l'école avec ses frères.  Puis, Si Kadour, son défunt mari, avait construit la maison de la médina. Il avait fait une concession aux coutumes avec cette fenêtre unique à l'étage aux persiennes toujours fermées dont Mouilla avait défense de s'approcher...Lorsque Amine était enfant, il avait parfois vu  sa mère espionner par les interstices les mouvements de la rue et poser son index sur sa bouche pour sceller entre eux un secret. ....Pour Mouilala, le monde était traversé par des frontières infranchissables. Entre les hommes et les femmes; entre les musulmans, les juifs et les chrétiens...La paix demeurait si chacun restait à sa place. page 111

Amine aimait sa femme, il l'aimait....mais il lui arrivait de douter de lui-même.  Quelle folie lui était passée par la tête? comment aurait-il pu penser qu'il pourrait vivre avec une Européenne?  une femme aussi émancipée que Mathilde? page 112

(Dans le train) La première classe était interdite aux indigènes et elles ( deux Européennes) n'en revenaient pas de la bêtise et de l'impudence de ces analphabètes.  page 116

Adolescente, Mathilde n'avait jamais pensé qu'il était possible d'être libre toute seule, il lui paraissait impensable, parce qu'elle était une femme, parce qu'elle était  sans éducation, que son destin ne soit  intimement  lié à celui d'un autre.  page 124

S'il avait pu, il lui aurait offert l'hiver et la neige, et elle s'y serait crue dans son Alsace natale.  page 126

(Dragan , un médecin hongrois et son épouse ont invité Mathilde et Amine chez eux, à Meknès) Il aimait les femmes non pas comme un séducteur mais comme un ami, comme un frère. Dans sa vie d'adulte, qui avait été marquée  par l'exil et l'errance, les femmes lui étaient toujours apparues comme des alliées....D''elles , il avait appris un mélange de résignation et de combativité, il avait compris que la joie était une vengeance contre ceux qui voulaient vous nier. page 158

Pendant l'été 1954, Mathilde écrivit souvent à Irène mais ses lettres restaient sans réponse.  Elle pensait que les troubles qui agitaient le pays,  étaient responsables de ces disfonctionnements et elle ne s'inquiéta pas du silence de sa soeur.  page 169

" Des gens  qui vivent en paix ne devraient pas vivre comme cela" répétait Mathilde que la misère révoltait.  Son mari et elle se rejoignaient dans une même aspiration au progrès pour les hommes: moins de faim, moins de douleur. Chacun se passionnait pour la modernité. page 184

(Le père de Mathilde est décédé) Dans les jours qui suivirent, Mathilde fut inconsolable.    Amine perdit patience et lui reprocha de négliger la ferme et les enfants.  " On dit adieu aux morts et on continue à vivre" page 197

( Position d'Omar, le frère d'Amine)Amine avait survécu. Pire, il était revenu de la guerre en héros, le torse alourdi par des médailles, La bouche pleine de récits fantastiques. En 1940, Amine avait été prisonnier et il avait fallu feindre l'angoisse et le désespoir. En 1943, il était revenu et Omar avait joué la comédie du soulagement, puis de l'admiration quand son  aîné avait décidé de retourner sur le front comme engagé volontaire......Omar haïssait son frère autant qu'il haïssait la France. La guerre avait été sa vengeance, son moment de grâce. Omar avait fondé beaucoup d'espoir sur ce  conflit et il avait pensé qu'il en sortirait doublement libre. Son frère serait mort et la France  serait vaincue. page 210

 Mourad ( l'aide de camp d'Amine pendant la guerre est venu chez son ex-commandant) Il n'avait rien pour vivre: un lit de camp, une couverture qu'il pliait chaque  matin avec un soin irritant, une gamelle et un  grand broc d'eau pour une sommaire toilette. ..Il utilisait les toilettes extérieures, celles qu'on avait installées dans la cour de la cuisine pour Tamo, la bonne, qui n'avait pas le droit de pisser là où pissait Mathilde. Aux ouvriers, Mourad imposa une rigueur toute militaire et il fallut moins de trois semaines pour que les gens du bled le  haïssent......Il était pire que certains Français.....C'était un traître, un vendu...page 249

( La famille fête Noël ) Omar se baissa, saisit Mourad au col et lui cracha au visage. " Sale vendu! Pauvre trouffion! tu te fais exploiter par les Français. Tu es un traître à l'islam, un traître pour ton pays".  " Je m'en vais. je ne sais pas ce que je fais dans cette maison de dégénérés, à célébrer un dieu qui n'est même pas le mien.  Tu devrais avoir honte de mépriser ton peuple. Tu ferais mieux de te méfier". page 258

Pour Selma, la disparition d'Omar ouvrit une époque de joie et de liberté. Plus personne désormais ne la surveillait, ne s'inquiétait de ses absences et de ses mensonges. page 272

 (Une voisine, française, de Selma) " J'ai appris que vous n'alliez plus au lycée."  Selma haussa les épaules. " Pour quoi faire? Je n'y comprends rien". - Vous êtes une idiote. sans instruction, vous n'arriverez jamais à rien." Selma fut surprise. jamais , elle n'avait entendu Mademoiselle s'exprimer ainsi, faire preuve auprès d'une jeune fille d'une telle sévérité.  " Il s'agit d'un garçon? " Selma rougit , et si elle avait pu, elle se serait enfuie en courant et ne serait jamais revenue dans cette maison. Ses jambes  se mirent à trembler et Mademoiselle Fabre posa une main sur son genou.  " Vous pensez que je ne comprends pas? Vous imaginez sans doute que je n'ai jamais été amoureuse".  " Faites qu'elle se taise, Faites qu'elle me laisse m'en aller. "pensa Selma, mais la vieille femme continua, effleurant du bout des doigts sa croix en ivoire..." Aujourd'hui, vous êtes amoureuse et c'est merveilleux. Vous croyez tout ce que les garçons vous disent. Vous vous imaginez que cela durera et qu'ils vous aimeront toujours autant qu'ils vous aiment à présent.  A côté de cela, les études ont peu d'importance. Mais vous ne savez rien de la vie! Un jour, vous aurez tout sacrifié pour eux, vous serez dépossédée de tout et dépendante du moindre de leurs gestes.  Dépendante de leur bonne humeur et de leur affection, à la merci de leur  brutalité. Croyez-vous quand je vous dis que vous devez penser à votre avenir et étudier. Les temps ont changé. Vous n'avez pas à embrasser le même destin que votre mère. Vous pourriez devenir quelqu'un....;Vous serez ce que vous voudrez, pourvu que vous vous en donniez la peine. Et jamais, jamais vous ne demanderez de l'argent à un homme". Selma l'écouta;...Elle l'écouta avec autant d'attention que Mademoiselle Favre pensa qu'elle l'avait convaincue . "Retournez    au lycée .Préparez vos examens  et je vous aiderai si vous en avez besoin". ..Selma la remercia......page 282

(Amine est furieux contre Mathilde, Selma: il a vu en ville , dans une vitrine d'un photographe la photo de sa soeur , Selma et d'un inconnu français) " Jamais ma soeur n'épousera  un Français! " Il attrapa Mathilde par la manche et la tira de son fauteuil. Il la traîna dans le couloir plongé dans l'obscurité. " Tu m'as humilié! " Il lui cracha au visage , il la gifla. ...De sa grande main sombre, il attrapa une mèche de ses cheveux, l'obligea à se redresser et approcha son visage du sien.  " On n'a pas fini" lui dit-il en la cognant du poing. dans l'entrée du couloir qui menait aux chambres, il la lâcha. Elle se tenait devant lui, à genoux, le nez en sang.....Mathilde aperçut  la silhouette d'Aïcha qui les épiait..." Je vais toutes vous tuer"!  Dans sa main, il tenait un révolver dont le canon était pointé vers le beau visage de Selma.....page 315

Aïcha connaissait ces femmes aux visages bleus. Elle avait vu souvent, des mères aux yeux mi-clos, à la joue violette, des mères aux lèvres fendues. A l'époque, elle croyait même que c'était pour cela qu'on avait inventé le maquillage. Pour masquer les coups des hommes.  page 318

Amine lui avait parlé de la nécessité de se rebaptiser, de prendre un prénom musulman.... " Mariam dit-elle finalement, et l'adoul parut très satisfait de ce choix. " Qu'il en soit ainsi, Mariam. Bienvenue dans la communauté de l'islam". page 323....Selma et Mourad se retrouvèrent dans le bureau et que sous les yeux de Mathilde et d'Amine et de deux ouvriers qu'on avait fait venir pour servir de témoins, l'adoul les maria.  page 324  ( Selma est enceinte du Français avec qui elle  a été photographiée et qui s'est évaporé à la nouvelle de la grossesse de Selma).

En cet été 1955, le sang ne manquait pas. Il coulait dans les villes où les meurtres se multipliaient  en pleine rue, où des bombes déchiquetaient des corps.  Le sang se répandait dans les campagnes où es récoltes étaient brûlées, les patrons battus à mort. ...La peur régnait partout. page 330

"Mais nous, est-ce que nous sommes du côté  des gentils ou bien des méchants?  "  Aïcha s'était redressée et le regardait ( Amine) avec inquiétude. Il pensa qu'il ne savait pas parler aux enfants, qu'elle ne comprenait sans doute pas ce qu'il essayait de lui expliquer.  " Nous, dit-il, nous sommes come un arbre, à moitié citron et à moitié orange. Nous ne sommes d'aucun côté.  - Et  nous, aussi, ils vont nous tuer?  - Non, il ne nous arrivera rien. je te le promets. tu peux dormir sur tes deux oreilles. " page 358

Un monde était en train de disparaître sous leurs yeux. En face, brûlaient les maisons des colons. Le feu dévorait les robes des gentilles petites filles, les manteaux chics des mamans, les meubles profonds au fond desquels on range, enroulées dans des draps, des robes précieuses portées une seule fois. Les livres étaient réduits en cendres, comme les héritages venus de France et exhibés avec fierté au nez des indigènes. Aïcha ne pouvait détacher ses yeux de ce spectacle. jamais la commine ne lui parut aussi belle. Elle aurait ou crier tellement elle se sentait heureuse. Elle aurait voulu dire quelques chose, se mettre à rire.;...Mais Aïcha ne bougea pas. Elle s'assit auprès de son père et elle serra  ses jambes contre son torse.  "Qu'ils brûlent , pensa-t-elle . Qu'ils s'en aillent.  Qu'ils crèvent". page 366

vendredi, novembre 06, 2020

J 'IRAI NAGER DANS PLUS DE RIVIERES ( Philippe LABRO ) 2020

 "Les femmes françaises - des portraits inédits de Hallyday, Gainsbourg, Gary - les 5 leçons de Churchill - les mots d'une infirmière - les glaciers bleus et le tronc d'un aspen - le frère disparu - Picasso et Prévert face à la mer - Belmondo qui meurt dans les bras de Denner - la tendresse infinie des enfants - Luchini, Trintignant, Chirac - les résistantes....C'est comme une rivière qui coule, celle d'une vie. 

Surprenant, révélant la face intime de Philippe Labro, sagesse et passions, aveux et citations, voici le roman vrai d'un homme qui évoque " les choses fondamentales" et vient nous dire: " L'amour existe.

"Les chapitres sont courts et nombreux. ( 46) Beaucoup commencent par "j'emporterai" suivi d'une longue liste faisant allusion en quelques mots à des souvenirs, des moments d'aventure, quelques vers, un morceau de musique, des personnages, que l'auteur se plaît à imaginer emmener dans l'au-delà. Une " playlist - de moments chéris distingués come pour s'en souvenir et les graver dans sa mémoire avec la pensée que - j'ai vécu des moments formidables - un chapitre du livre expose d'ailleurs dans une vraie playlist - ses morceaux de musique préférée.  très présentes aussi  des citations remarquées  et approuvées par Philippe Labro pour appuyer ses conseils de sagesse issus d'une vie bien remplie. "

Les mots, si l'on sait les percevoir, ont un sens plus précis qu'en apparence....Il n'y a guère de phrases innocentes, il faut savoir écouter plutôt que se contenter d'entendre.  page 13

" Nous faisons ce que nous pouvons. On travaille dans le noir. On fait ce qu'on peut. On donne ce que l'on a"   Henry James page 16

Romain Rolland :" En voulant, on se trompe souvent. Mais en ne voulant pas, on se trompe toujours" Marguerite Yourcenar a tout résumé dans une phrase que je vais souvent citer: " Quoi qu'il arrive, j'apprends. je gagne à tout coup." Page 16

(Bernard Loiseau à l'auteur venu dîner  dans son restaurant et refuse de lui donner la note° " Philippe , me dit-il, on n'emportera rien".  Pour dissiper mes reproches, ce que je considérais comme un cadeau excessif, et lui comme un geste normal, il voulut répéter : " on n'emportera rien" ...Et pour moi, j'emporterai tout. page 24... J'emporterai le chant nocturne d'un torrent de montagne...le sourire radieux de l'enfant...la détresse du petit Syrien au visage maculé de boue, les cris de joie de juillet 1998....J'emporterai le goût des mûres cueillies dans les ronces ..;J'emporterai l'histoire du petit matin en Afrique...J'emporterai les longs bouleaux du Colorado, gris et blancs...J'emporterai la route 66...Pages 26, 27

Ralph Emerson a écrit: " Les femmes valent mieux que les hommes. Les hommes, du moment qu'ils ne s'apprêtent pas à agir, voient paresseusement. Les femmes  voient , même sans aucune intention d'agir. "  La femme donne la vie, elle est la vie. page 29

Il y a toutes sortes et toutes formes de courage. Celui sacrificiel, du capitaine  qui va prendre la place d'une caissière kidnappée et y perdre la vie. ...Il  a les petits courages de tous les jours; se lever à cinq heures tous les matins.....Il y a le courage des "grands frères" qui arpentent les allées des cités et tentent de ramener à la raison des gamins séduits par la drogue, l'incendie, la baston, la violence, la facilité du deal. Il y a le courage d'une institutrice qui reçoit un concert d 'insultes.....Le courage d'un gosse de sept ans  dont les  parents sont ailleurs (au boulot)  et qui traverse les rues tout seul, remonte les cinq étages .;trouve la clé et va chercher un bout de fromage avant de choisir de faire ses devoirs plutôt que  de se figer  devant l'écran d'un poste de télé...;Tous les jours ,matin , midi et soir, nous croisons des femmes, des hommes , des enfants, qui font acte de courage mais ne le savent pas , ou s'ils le savent,  ne le disent pas. page 33

Cioran :" une conversation avec quelqu'un qui n'a pas souffert est une perte de temps".  J'étais tombé  sept fois,, je me suis relevé huit page 41..

Un homme ne naît pas homme, il le devient. page 57

Talleyrand " On ne croit les hommes que ceux qui croient en eux." page 60

Il sait écouter, interroger, attendre une réponse avec assez de silence pour que l'on se sente obligé d'aller plus loin. page 61 ....Je ne crois pas aux amitiés supplémentaires mais aux amitiés complémentaires.  Je crois surtout que , la plupart des sentiments - amour, amitié, affection, attention, complicité, loyauté,  fidélité - ne se commandent pas. Ils arrivent avec le temps, les expériences communes, les croisements, les comparaisons. page 61

Roger Caillois a eu cette pensée lumineuse:  Il n'y a pas d'efforts inutiles.  Sisyphe faisait les muscles.  page 76

Charles Denner me fait penser au texte de Péguy sur les artisans menuisiers. Notre père nous l'avait  souvent récité et il est fréquemment mentionné par les uns et les autres. " Il fallait qu'un bâton de chaise fût bien fait. C'était un primat. Il ne fallait pas qu'il fût bien  fait pour un salaire..... Il fallait qu'il fût bien fait lui-même, en lui-même, pour lui-même, dans son être même. Une tradition venue, montée du plus profond, une histoire, un absolu, un honneur, voulait que ce bâton de chaise fût bien fait. " Péguy conclut: " Toute partie dans la chaise qui ne se voyait pas , était aussi parfaitement faite que ce que l'on voyait".  page 81

Quand vous mettez la barre trop haut, vous êtes condamné à la modestie. page 86

De même qu'il y a toutes sortes d'écrits, de fleurs, d'oiseaux, de misères et de mystères. Il y a toutes sortes d'intelligences. Si Stephen Hawking nous dit: " l'intelligence, c'est la capacité de s'adapter au changement" qui va le contredire? ....Lequel d'entre nous devant son miroir, peut se vanter d'avoir échappé à la vanité, aux faux-semblants, à l'amour de l'apparence, à la construction d'une image qui permet d'avancer masquer"?....page 93

Simon Leys : " Quiconque, en fin de parcours, a le sentiment d'avoir réussi sa vie, ne devait pas au départ avoir visé bien haut." page 94

Georges Pompidou a eu cette phrase crue et vraie: " A l'heure du destin, il n'y a pas de place pour la combinaison". page 95....Pompidou a quitté Matignon, il n'est plus Premier ministre, il est  en vacances de pouvoir" et mon patron , Lazareff,  dit : "Allons le voir, c'est quand ils ne sont plus aux commandes que les hommes sont les plus intéressants". page  96

(Pompidou) " On n'a assez  lu; jamais assez. Tocqueville, Pascal, Descartes, Balzac Montesquieu, se rend-ton compte du trésor qui nous a été laissé par tant de siècles et de lumière? ...."Et n'oubliez pas La Fontaine, car il a tout dit"  page 97 Et il récita quelques vers de La Fontaine:  " Ne faut-il que délibérer, La Cour  en conseillers foisonne. Est-il besoin d'exécuter, L'on ne rencontre plus personne. "  page 98

Mes grands hommes? Mon père bien sûr, "Juste parmi les nations" avec ma mère, Juste, elle aussi. J'ai déjà raconté comment ils avaient protégé et hébergé des juifs pendant l'Occupation nazie dans les années quarante.  page 103

Autre grand homme: Churchill, dont le pouvoir des mots traduit l'entêtement de la volonté: " qui croient-ils que nous sommes? ....nous sommes tous des vers de terre, madame, mais je pense que je suis un ver luisant."...Nous nous battrons sur les plages, nous nous battrons sur les terrains de débarquement, nous nous battrons  dans les champs et dans les rues, nous nous battrons dans les collines; nous ne nous rendrons jamais"...".nous nous battrons avec des fourches et des manches à balai, si c'est tout ce qui nous reste. . "  Un de ses biographes ,Paul Johnson disait:  " les mots sont la seule chose qui durera toujours". pages 105, 106

D'autres grands hommes , et bien sûr, De Gaulle. Parce qu'il a dit non quand tout le monde disait oui. Parce qu'il avait un don prophétique, une vision. Il avait tout prévu. comme on n'écrit plus . Parce que sa pensée était compatible avec son action. parce qu'il avait souffert; et qu'il ne le montrait pas, dans l'intimité de sa famille. Sa fille Anne, trisomique, morte à vingt ans:: "Elle m'a aidé à dépasser tous les échecs et tous les hommes , à voir de plus haut". ......page 108

Le message ultime d'Hawking a quelque chose d'émouvant dans  sa simplicité et son optimisme. Nous allons comprendre? Il faudrait le faire passer aux enfants des écoles - nos enfants dans nos écoles - en même temps que les paroles de l'hymne national ou la table de multiplication: "Rappelez-vous qu'il faut regarder les étoiles, pas vos pieds. Essayez de donner du sens à ce que vous voyez et de vous interroger  sur l'existence de l'Univers.  Soyez curieux... N'abandonnez jamais. faites confiance à votre imagination. Faites advenir le  futur." page 115

De Gaulle: " Jamais las de guetter dans l'ombre la lueur de l'espérance". page 116

Paul Eluard: " dans la vie, il n'y a pas de hasard. Il n'y a que des rendez-vous. "

Prévert: " Le hasard ne frappe jamais par hasard". page 120

Michel Berger: " Aimons-nous tant que nous vivons". page 125

Aldous Huxley  a dit sur son lit de mort: " Essayez d'être un peu plus gentils". page 131

Charles Trenet: " Philosophes, écoutez cette phrase est pour vous. / Le bonheur est un astre volage/ qui s'enfuit à l'appel de bien des rendez-vous. / Il s'efface et se  meurt  devant nous. / Quand on croit qu'il est loin il  est là tout près de vous. / Il voyage, il voyage, il voyage. / puis, il part, il revient, il s'en va n'importe où. / Cherchez- le, un peu partout. " page 140

J'avais appris un poème d'Aragon pour le lui  ( son épouse Françoise)  réciter devant des amis à l'occasion de son anniversaire. " Ma vie en vérité commence/ Le jour que je t'ai rencontrée/ Toi dont les bras ont su barrer/ sa route atroce à ma démence/ Et qui m'a montré la contrée/ Que la bonté seule ensemence. ....page 149

Jean Contrucci: " Les amis, c'est comme les fiacres. Y en pas beaucoup quand il pleut". page 151

"Quel que soit le progrès et ce qu'on a prouvé, les simples choses de la vie sont telles qu'on ne peut les changer. " Hupfeld  page 162  "Les choses fondamentales sont à leur place, tandis que le temps passe."........Autre phrase fondamentale des Indiens, en réponse à la question: "Qu'est-ce que la vie? " L'éclat d'une luciole dans la nuit, le souffle d'un bison en hiver. La petite ombre qui court dans  l'herbe et se perd au couchant". Chef indien Crowfoot, de la tribu des Blackfoot, 1879.  page 163......Gorbatchev: " Celui qui est en retard est puni par la vie". 

La télévision: " Donnez-nous aujourd'hui notre superflu quotidien"  François Mauriac. Enfin la phrase fondamentale: " Toutes les tragédies que l'on peut imaginer reviennent à une seule et unique tragédie: l'écoulement du temps".  Simone Weil. page 165

Mais une star n'est pas un héros. Une star peut être une poubelle humaine. le vrai héros ne cultive pas la starité. En 1940, les vrais héros ignoraient jusqu'à ce mot. Ce furent les Compagnons de la Libération, les compagnons de valeur qui dirent tous après leur épopée: Nous n'étions pas des héros". page 173

Il y a ceux qui survivent à la calomnie, au complot, à l'insondable ignominie. Ainsi Dominique Baudis. Je le revois, alors qu'il présidait le CSA, au début des années 2000., dans les longues séances de travaux pour faire avancer le dossier encore improbable de la TNT....Baudis dirigeait les débats, distribuait la parole et cependant, en même temps, subissait l' assaut quotidien du " bûcher de Toulouse" -accusé de toutes les turpitudes par un tueur nommé Alègre, roulé dans la fange par deux prostituées mythomanes, par quels gendarmes manipulés.....Les hommes politiques, du moins une partie, ne se pressèrent pas beaucoup pour le soutenir. ...Baudis faisait face, il tenait bon, c'était une figure héroïque, celle d'un homme honnête qui persiste à accomplir son devoir ( CSA) tout en subissant les assauts des corbeaux et des vipères. page 175 Il lui est arrivé au Parlement européen de croiser un homme qui, passé du journalisme à la politique,  avait contribué à la tuerie médiatique. " Que lui dis-tu quand tu le vois? - Rien. Je ne lui parle pas. ".....J'avais compris qu'il avait suivi, à la lettre, le proverbe corse:  Pardonner, c'est chrétien. Oublier, c'est couillon.  Les héros ne  sont pas des couillons. page 175

Accepter toute vérité contraire: l'autre n' a pas tort.  page 176

Il existe un vertige l'ego. L'ego est une réalité de la nature humaine. Ce qui donne ce vertigo, c'est la surdimension de cet ego, le Moi souverain. ...On peut reconnaître le vertigo de l'ego à la façon dont les gens s'expriment, celui - ou celle -qui commence toutes ses phrases par " moi, je..."    L'ego a  besoin d'une bonne santé ..Il n' y a aucune surdimension d'aucun ego  sur les trottoirs de Manille.... page 179

J'emporterai . Le bleu de la ville la nuit; l'insatisfaction des Rolling Stones, le culte japonais de la beauté....; la rosée du matin sur les prairies vertes du pays d'Auge....page 197

" je voudrais que la rose fût encore au rosier" Il s'agit d'un vers de la chanson " La Claire Fontaine". que dit-elle d'autre sinon que nous aimerions que le temps s'arrête, que l'on revienne en arrière....L'auteur de cette chanson, composée au XVè ou XVIè siècle aurait été "jongleur de rue" au Canada, au Québec, en Nouvelle France. Soldats et explorateurs s'en étaient  emparés et en firent un chant et un trésor national des insurrections de 1837-1838. page 203

Francis Scott Fitzgerald: " La France était une terre, l'Angleterre était un peuple, l'Amérique était difficile à définir. C'était une volonté du coeur".  page 205

L'Amérique est un pays d'ingénieurs, d'inventeurs, de créateurs. Ils ont fait un pays moderne. L'Amérique est aussi un pays d'incultes, de racistes, de butés, armes semi-automatiques à la main, bières dans le ventre et vote inconditionnel pour les fabricants de guerres inutiles et ingagnables. page 208....Prédominance  de l'argent. Le mot dollar dans chaque conversation...Dictature de la bien-pensance....page 209

Paul Valéry: "Le degré avancé d'une civilisation se mesure aux contradictions qu'elle comporte". page 211

Tom Wolfe: ça ne me gênerait pas que l'on dise  de moi: il essaye d'exprimer le chaos de la vie et de la société, en apportant une qualité documentaire, avec l'espoir de créer un effet tel que le lecteur en sera stupéfait". Il les a tous stupéfiés. Il suffit de lire ou relire un ou deux de ses chefs-d'oeuvre, Le bûcher des Vanités et Un Homme , un vrai....page 215

Les rencontres sont les cadeaux de la vie. page 219

Paul Eluard: "Dans la vie, il n'y a pas de hasard. Il n'y a que des rendez-vous. "  Swift: " La vision est l'art de voir les choses invisibles". page 223

Kant: Trois choses atténuent les duretés de la vie: l'espoir, le soleil, le rire". ....A quarante-sept ans , un  professeur de la Carnegie Mellon University  de Pittsburg en Pennsylvanie, Randy Pausch, apprend qu'il a un cancer fatal du pancréas. Il lui reste quelques mois à vivre. Il donne alors ce qui sera connu comme  " La Dernière Conférence"...:Ne jamais sous-estimer l'importance de s'amuser, se distraire,  rire. Je suis en train de mourir, certes et cependant, je m'amuse. Je le ferai jusqu'au dernier jour". ..." Revoyez vos priorités dans vos relations, avec vos enfants"...Page 224

Barrès: Il a l'air tellement bête que je croyais qu'il faisait semblant. Mais non, il est aussi bête qu'il en a l'air.".....On peut aussi singulariser le pire des cons: le con intelligent, tellement convaincu desa supériorité que sa suffisance intellectuelle le rend très con. ...On en voit régulièrement maquillés et bien coiffés, installés autour des tables de la verbosité télévisuelle, le parler inutile. page 257

George Orwell: "Ecrire, parce qu'un démon auquel on ne peut résister et que l'on ne peut comprendre, cela correspond-il au même instant qui pousse un bébé à hurler afin d'attirer l'attention? " Peut-être. page 264

Romain Gary., avant son suicide.  Je relis la lettre laissée par Romain, rédigée au stylo, de sa lisible et belle écriture: Je me suis bien amusé. Au revoir et merci" page 269

Gérard Fromanger ' artiste) avec Prévert rend visite  à Picasso : T'as compris quelque chose , toi?  Et il eut un geste vers la mer et il parlait de la vie, de l'infini, du destin....Jacques a répondu : "Non"  Et Picasso a répliqué: "Moi non plus".  page 294

mercredi, octobre 28, 2020

L' ARMEE DES PAUVRES ( B. Traven) 1937

Mexique, début du XXè siècle. Juan Mendez, un jeune chef indien, révolté par les conditions de vie inhumaines des péons qui travaillent dans les plantations d'acajou pour de riches propriétaires terriens, décide de lever une armée. Une armée de pauvres, de pauvres paysans illettrés, en haillons, affamés, qui, en dépit de leur faiblesse, vont aller de petites victoires en petites victoires, prenant d'abord quelques fermes avant de marcher, toujours plus nombreux, sur des villes de plus en plus importantes. Cette révolte inquiète bientôt le pouvoir central du dictateur Porfirio Diaz, qui va envoyer les troupes gouvernementales à l'assaut du "général de la jungle" et de son armée de péons. 
On retrouve dans ce roman inédit de Traven écrit en 1937, tout l'humanisme et le talent  de l'auteur. Jamais manichéen, il restitue avec une grâce inouïe toute la complexité de son sujet, n'ignorant aucun aspect de cette révolte, profondément inspirée de l'aventure d'Emiiliano Zapata: sens de l'histoire, , mouvements sociaux, culture indienne, dictature, racisme, esclavage par dettes, corruption du pouvoir, etc...Surtout, Traven montre la même compassion pour les opprimés et pour les oppresseurs, tous victimes finalement des mêmes mécanismes de domination, au-delà desquels l'auteur excelle à mettre en relief l'humanité meurtrie. 


Sous la dictature, à part le dictateur, le Caudillo, personne n'était plus redouté que les rurales. Mais personne non plus autant haï que lui.  ( les rurales: forme de police spéciale, composée en majorité de hors-la-loi. Elle constituait le bras droit de la dictature) ...Les rurales étaient une police montée qui contrôlait tout le pays. page 10

Pour la majorité de ces ouvriers indiens des plantations d'acajou, qui étaient à quatre-vingt dix pour cent des agriculteurs, le concept de liberté se résumait en un voeu simple, clair et net: que l''Etat les laisse en paix. Ils ne voulaient plus subir d'oppression, quel que soit le nom qu'on lui donnât: gouvernement,  amour de la patrie,  augmentation de la production, expansion économique, conquête des marchés; discipline,; droit ou devoir. Ils rejetaient toutes ces prétendues vertus, absurdes et insens ées, que la dictature proclamait pour abrutir le peuple et l'empêcher de regarder en face la racine de tous ses maux.  page 13

Ce qu'ils voulaient: ne plus être dominés,, ne plus être commandés. page 14...Ils voulaient cultiver leur terre, élever leur bétail, porter sans entrave leurs marchandises au marché, fonder une famille ; avoir des enfants, célébrer de temps en temps une fête et faire une ou deux fois par an le pèlerinage des grandes férias de l'Etat.  Et puis, une fois devenus vieux, ils espéraient pouvoir mourir en paix,  entourés de leurs chers amis et de leurs voisins. page 15 Ils avaient été torturés, fouettés, humiliés, frappés sur la bouche, par les monstres, ravageant le pays et massacrant tous ceux qui ne faisaient pas partie de leur classe page 15

L'armée était conduite par un jeune homme de 21 ans, qui s'appelait Juan Mendez, en tout  cas, c'était son nom. Mais tous les muchachos l'appelaient Général. Il avait fait partie du petit groupe d'ouvriers qui avait entamé l'insurrection. Comme il avait une formation militaire, il était tout naturel qu'on lui eût confié le commandement suprême de l'armée. page 17  C'était apparemment un Indien huaxtèque;, mêlé de sang espagnol. Il s'était engagé dans l'armée à l'âge de 16 ans. ... ( il a déserté l'armée suite à la noyade d'un jeune soldat indien par un officier , ce qui l'a révolté. ) Le sergent Mendez n'était pas  encore totalement abruti par le service de la dictature, peut-être parce qu'il tenait plus de l'Indien que du soldat obéissant. page 18

Ces hommes ayant vécu pendant quatre cents ans, ou plus, dans la servitude, avaient été contraints pendant tout ce temps d'abandonner toute pensée, toute responsabilité, toute organisation, toute parole, tout commandement à leurs maîtres et aux autorités page 29 Les rebelles qui arrivaient  à présent dans ce ranch ignoraient qu'une révolution ne change pas un système à elle seule. Elle transfère simplement la propriété.  Seuls les noms des propriétaires changent. page 29

Le tragique n'était pas qu'il puisse y avoir des dictatures, ni même qu'il y en ait, c'était que toute dictature, même la plus florissante et la plus bénie des dieux en apparence, se termine par la destruction, la dévastation , le chaos, suivant les lois de la nature que nul homme ne peut changer ou influencer.  page 30

Parmi les habitants de ce petit village, seule une famille sur trois possédait une machette, chaque homme ayant un couteau rouillé et à moitié cassé. Chaque famille avait une seule cuiller tordue. dans tout le village, on  ne pouvait trouver le moindre lit, la moindre chaise, la moindre table. On aurait trouvé une vingtaine de mètres de fil de fer en fouillant toutes les cabanes. C'était du fil de fer que les hommes avaient trouvé par petits morceaux  et ramassé lors de longues marches  à travers le pays, ou coupé sur  des fils téléphoniques tombés à terre ou arrachés à des clôtures près desquelles ils passaient . page 33. 

La brutalité, la bestialité, la cruauté et la perversité refoulée des bourgeois hypocrites, des policiers et des minables lavettes qui pouvaient  provisoirement se sentir les maîtres s'exprimaient pleinement et la manière la plus répugnante en donnant libre cours à leur sadisme chaque fois que les prolétaires indiens qui avaient osé se soulever contre la tyrannie et la dictature avaient été écrasés. Pour chaque morveux en uniforme tombé au combat, cent, parfois trois cents prolétaires indiens étaient torturés, fouettés, puis assommés comme des chiens , pendus à vingt , à un seul  arbre, tels des brigands.  page 53

Les tyrans, les dictateurs et les oppresseurs n'ont jamais droit qu'à une brève période dans l'histoire de l'humanité, même si cette période  est toujours riche en terreur et en épouvante.  page 75

Les péons, habitués depuis des siècles à dépendre de maîtres, de tyrans, d'oppresseurs e tde dictateurs, ne furent pas libérés par la révolution, même pas là où les grands domaines féodaux furent partagés entre les familles de péons  en petites propriétés communales, les ejidos. ils restèrent des esclaves, avec la seule différence qu'ils avaient avec leurs nouveaux maitres, les leaders révolutionnaires madrés s'étaient enrichis.  page 81..Celui qui possède la carabine et le revolver est le maitre de celui qui n'en a pas. 

La dictature se distingue des autres formes de gouvernement essentiellement par l'intolérance vis - à - vis des autres hommes et par l'exercice impitoyable de la vengeance aux dépens des faibles et des humiliés. page 83 La dictature enseigne aux gens à ne rien voir, à ne rien entendre, à ne rien savoir, à ne rien penser et à n'ouvrir sa gueule que pour crier Viva! page 84

Nous ( l'armée gouvernementale)viendrons à bout de ces bandits; et alors nous leur montrerons qui sont les vrais maîtres du pays. Les bonnes vieilles traditions, le droit, l'ordre, le calme et la morale, voilà ce que nous défendons. page 127..Cette table de bois brut ici était recouverte de nappes de coton multicolores, bon marché. Elle portait aujourd'hui une profusion de plats emplis de haricots rouges,  de dindons  et de coqs rôtis, de salade toute fraîche, d'oignons en grande quantité, de boîtes de sardines et de saumon de l'Alaska, de grandes corbeilles débordant d'ananas, de bananes, de mangues, de pommes-cannelles et autres fruits tropicaux de cette région. Cinq bouteilles de vermouth et de muscat d'Espagne semblaient égarées sur les longues planches qui composaient la table. Il n'y avait pas beaucoup de vin. page 128

Seules les officiers, les grands propriétaires terriens et les capitaines d 'industrie avaient le droit dese rebeller quand le dictateur n'était pas à leur botte.  page 134

(Des péons ont été capturés) Monsieur le commandant, je propose que nous fassions venir tous les péons de mon domaine afin qu'ils puissent être témoins du châtiment infligé aux rebelles. Ce sera une bonne chose pour nous tous, qu'ils assistent au spectacle.  Cela leur fera oublier leurs éternelles protestations contre la tyrannie et l'injustice. Et pour toujours, il faut l'espérer. page  136
Les dictateurs ne se sentent heureux que quand ils sont entourés d'esclaves qui les applaudissent, leur servent  souvent de laquais.  page 137

Quatre des muchachos , sentant qu'au prochain coup de pied, ils ne pourraient plus sortir le moindre mot, crièrent vigoureusement que le permettait la terre qu'ils avaient dans la gorge : " Tierra y  Libertad! Vive la révolution des péons" Ces cris étaient à peine audibles et mal articulés. Pourtant les autres muchachos qui eux aussi, vivaient leurs derniers instants, recueillaient ces sons étouffés péniblement proférés. ...Cet hymne n'annonçait pas la venue d'un sauveur, il annonçait la  venue d'hommes nouveaux. Il célébrait des héros, tels que la dictature et la tyrannie sont capables d'enfanter. Non pas pour maintenir le despotisme, mais pour l'anéantir. page 143  (un groupe de muchachos ont été pris par les rurales et sont mis à mort: enterrés vivants, on a fourré de la terre  dans leur gorge, leurs yeux, leur nez et les oreilles., puis piétinés avec les bottes...°
Ce jour-là, les péons (qui sont employés chez le fermier et sont présents aux exécutions)  sentirent germer en eux de la fierté quand ils entendirent les cris de victoire étranglés de ces muchachos mourants. Malgré une conscience restée jusqu'à présent si vague et si floue, ces hommes comprenaient de quoi ils pouvaient être capables en tant qu'êtres humains.  Car ils se rendaient compte que ces rebelles, assez courageux pour lancer au milieu des souffrances les plus épouvantables leur haine au visage des laquais du dictateur, appartenaient à leur race, à leur classe, et non à la classe de leurs maîtres. Aucun d'eux n'avait jamais vu un fermier mourir aussi dignement que ces rebelles. ...Ils racontèrent à leurs femmes, et à leurs enfants ce qu'ils venaient de voir et de vivre....Hommes et femmes s'agenouillèrent devant les miniatures portraits de la Sainte Vierge salis et noircis par la fumée...Ils prièrent pour les âmes des rebelles exécutés avec autant de ferveur que s'il s'était agi de celles de leurs défunts pères. page 145 

Professeur regarda Général avec un sourire. " ça m'intéresserait quand même beaucoup de savoir ce qui était écrit sur la première page des lettres que tu écrivais à ta mère, Général". - C'est très simple et tout à fait clair. je lui écrivais : " Ma bien-aimée, ma noble et digne mère" après quoi, je mettais un point.  - Et qu'y avait-il d'autre sur la première page?  - Il ne pouvait rien y avoir de plus, étant donné que la première page était déjà remplie....- Et ensuite sur la deuxième page? Qu'est-ce qui était écrit? interrogea Professeur, toujours avec un sourire.  - C'est tout aussi simple et out aussi clair, dit Général  se porte bien.  "Ton fils reconnaissant qui t'embrasse les mains et les pieds. Juan Mendez. " page 178

(L'armée des rurales fait bombance dans une ferme (une finca) après avoir massacré des muchachos (voir page 145). Si on ne peut pas de temps en temps se comporter comme le commun des mortels et profiter des plaisirs de la vie, alors être soldat perdrait tout son charme. page 181

" C'est dans la terreur et l'épouvante que la dictature est née! Elle s''est maintenue au pouvoir par l'épouvante et les coups de fouet.! Elle va être renversée dans la terreur, l'épouvante et le massacre de millions d'hommes! L'âge d'or du mensonge va être noyé dans des flots de sang vermeil! Vive la révolution du prolétaire! Terre et liberté! " " Vive la révolution! A bas les tyrans! Terre et liberté pour tous! Ni maîtres ni contremaîtres! Vive la rébellion! Vive la rébellion des Indiens! page 192

L'armée (des muchachos) resta une semaine dans cette finca riche et prospère, autrefois si belle et même royale.  La veille du départ, Professeur partagea les terres entre les péons qui, comme leurs ancêtres, avaient consacré à ce grands domaine durant trois cents longues années leur sueur, leur sang et leurs larmes.  page 195

Les écoles n'existaient que pour les enfants des Latinos. Et s'il arrivait que les enfants indiens de la ville, les enfants des prolétaires qui vivaient dans des masures d'argile croulantes à l'orée de la ville, fussent admis à l'école, ils étaient les souffre-douleur du maître. Une chose impensable pour les Latinos , car leurs pères n'auraient pas hésité à venir à l'école, armés de leurs révolvers, et à dire leur façon de penser au maître qui e serait laissé aller  à donner à l'un de leurs enfants ne serait-ce qu'une tape sur la main.  page 202

En quatre cents ans de privation de droits, l'Indien était devenu si méfiant qu'il disait oui à tout du bout des lèvres, mais n'accordait jamais avec sa raison ni créance ni confiance,  et surtout pas à ceux qui venaient le trouver en affirmant qu'il  étaient ou voulaient devenir leurs amis. page 219

Chaque repas servi au général vaut pout le moins quatre pesos, mais il ne  paie qu'un demi-peso. Le fermier redoute de  réclamer plus que le prix habituel , de peur de susciter colère et contrariété chez le général et de tomber en disgrâce auprès de tous les petits dictateurs qui décident de son destin. Si le général était seul, ce serait encore supportable, et le fermier se dirait qu'il faut faire quelque chose pour le bien de la patrie. Mais le général est accompagné d'une longue cohorte d'officiers et d'ordonnances qui se mettent en devoir de dévaster à coup de mâchoires le pauvre ranch. Pour un demi-peso, il faut leur servir des mets qui, dans l'idée d'un pauvre paysan, constituent l'ordinaire des généraux, des commandants et des lieutenants. page 241
On comprendra mieux ainsi pourquoi le propriétaire des lieux faisait quatorze fois la prière suivante: " O vous mon Dieu qui êtes aux cieux, faites que les rebelles arrivent, qu'ils soient exterminés et que toute cette horrible mascarade se termine afin que je récupère mon ranch, même s'il n'est plus que ruines"  Pour l'instant, le général n'était pas pressé de marcher sur les rebelles. Il percevait sa solde de temps de guerre tant qu'il était en campagne. Une fois les rebelles massacrés jusqu'au dernier, il serait obligé de rentrer dans sa garnison et il ne recevrait ni solde  de temps de guerre ni riches repas à un demi-peso. page 242

Une bataille. J'entends toujours parler de bataille,  lieutenant Bailleres. Une bataille!  Vous ne parlez  tout de même pas de livrer bataille contre ces bandits en guenilles. On ne mène pas une bataille contre des émeutiers, des rebelles ou des grévistes, on leur donne une correction et  on les pend. Ou bien, on les enterre vivants pour économiser la corde et le travail du bourreau. Une bataille! ..page 264 Il était inutile de poster d'autres sentinelles. face aux rebelles, on ne poste pas de  sentinelles. ce serait leur reconnaître le rang de soldat. page 266..;face à des rebelles, il ( le général) ne procédait pas comme un général mais comme un inspecteur de police envoyé avec ses hommes pour capturer des criminels évadés.  page 292

La valeur d'un militaire, non seulement d'un bon soldat, mais surtout celle d'un officier et même parfois d'un général, est partout mesurée et jugée d'après le peu d'usage qu'il fait de son cerveau. la paresse intellectuelle devient vertu sous une dictature. Au contraire, dans une démocratie, elle est signe de pourriture.  page 296
 
Quand on est du côté du pouvoir, on n' a pas besoin d'être brave. page 308

"Tu es professeur. Et qui plus est professeur de village. - Eh oui, c'est vrai. ...professeur rural itinérant. Tous les deux mois, je change de village parce que les fonds accordés pour mon traitement ne couvrent que deux mois. Et le deuxième mois est particulièrement sombre, car je peux m'estimer heureux si je touche pendant cette partie de mon travail la moitié de ce qu'on m'avait promis.  Ensuite, je reçois une lettre du recteur d'académie où on m'annonce le nom du prochain village où je dois enseigner. Il me faut parfois jusqu'à trois ou quatre  jours pour y arriver.... page 378.. A quoi sert un bon salaire si on ne se sent pas bien.? Et si je ne peux pas ouvrir ma gueule et dire ce que je pense, cent pesos de traitement par jour ne peuvent compenser cette part de mon coeur et de mon âme que je perds morceau par morceau. On n'est pas des bêtes ou des marionnettes. je suis un homme sacré bon Dieu! Ici, je peux être un homme. Ici, nous pouvons tous être des hommes. Et nous voulons le  rester. Et ça , nous défendrons jusqu'à la dernière goutte de notre sang contre le Caudillo, contre cette maudite et satanée dictature. page 379

Voilà le résultat obtenu par la dictature. ..Le chaos. Voilà le résultat qu'a obtenu ce crétin de dictateur, ce fou de chef d'Etat. Il a créé le chaos.....C'est pourquoi chacun crie. Et chacun hurle sa propre mélodie parce qu'il n'en connaît pas d'autre....page 384

Il se leva. Se dressa bien droit....et cria en guise de salut. " Muchachos, la terre et la liberté" Et les muchachos répondirent d'une seule voix: " La terre et la liberté! " page 387