mercredi, février 15, 2012

DANS LES FORETS DE SIBERIE ( Sylvain Tesson)

Je suis au seuil d'un rêve vieux de sept ans...Se lever de son lit demande une énergie formidable.. Surtout pour changer de vie. Cette envie de faire demi-tour lorsqu'on est au bord de la saisir. page 22

Vivre entre quatre murs de bois au milieu de marais glacés rend modeste....Le Romain bâtissait pour mille ans, pour le Russe, il s'agit de passer l'hiver. page 31

Quand on se méfie de la pauvreté de sa vie intérieure, il faut emporter de bons livres: on pourra toujours remplir son propre vide. page32

Etre seul, c'est entendre le silence. page 36

La sobriété de l'ermite est de ne pas s'encombrer d'objets, ni de semblables. De se déshabituer de ses anciens besoins. Le luxe de l'ermite, c'est la beauté. Son regard où qu'il se pose, découvre une absolue splendeur. Page 48

La solitude est une patrie peuplée du souvenir des autres. Y penser console de l'absence. Les miens sont là, dans un repli de ma mémoire. Je les vois. page 51

Les société n'aiment pas les ermites. Elles ne leur pardonnent pas de fuir. Elles réprouvent la désinvolture du solitaire qui jette son "continuez sans moi" à la face des autres. Se retirer, c'est prendre congé de ses semblables. L'ermite nie la vocation de la civilisation, en constitue la crtique vivante. Il souille le contrat social. page 58

(L'auteur a reçu dans sa cabane une touriste australienne et Youra, un météorologue russe. après de squestions stupides: Do you have a car? A TV? etc..il écrit) Je préfère les natures humaines qui ressemblent aux lacs gelés à celles qui ressemblent aux marais. Les premiers sont durs et froids en surface mais profonds, tourmentés et vivants en dessous. Le seconds sont doux et spongieux d'apparence mais leur fond est inerte et imperméable. page 59

Et si la liberté consistait à posséder le temps?Et si le bonheur revenait à disposer de solitude d'espace et de silence? Toutes choses dont manquerons les générations futures. Tant qu'il y aura des cabanes au fond des bois, rien ne sera tout à fait perdu.


La vie dans les bois conduit à se dégraisser On s'allège de ce qui encombre, on déleste l'aérostat de son existence...Il existe un rapport proportionnel entre la rareté des choses que l'on possède et l'attachement qu'on leur porte. pages 61, 62




L'homme libre possède le temps. L'homme qui maitrise l'espace est simplement puissant...Dans la cabane, le temps se calme...On ne sait même pas qu'il est là. Je suis libre parce que mes jours le sont. page 72



Le bonheur est fugace comme une bouffée de cigare. page 75



Quand les hommes se concentrent, l'administration naît. Pour l'ermite, la régence administrative commence lorsqu'on est deux.Elle porte le nom de mariage. page 92



Pour parvenir au sentiment de liberté intérieure, il faut de l'espace à profusion et de la solitude. page 94

Le silence me revient (après le départ de visiteurs) , l'immense silence qui n'est pas l'absence de bruit mais la disparition de tout interlocuteur. page 100


Le bonheur d'avoir dans son assiette le poisson qu'on a pêché, dans sa tasse, l'eau qu'on a tirée et dans son poêle, le bois qu'on a fendu: l'ermite puise à la source,. La chair, l'eau, le bois sont encore frémissants. page 119

L'ermitage reserre les ambitions aux proportions du possible. page 134

L'anarchiste rêve de détruire la société dans laquelle il se fond.Le hacker aujourd'hui fomente l'écroulement de sociétés virtuelles depuis sa chambre. Le premier bricole ses bombes dans des tavernes, le second arme des programmes depuis son ordinateur. Tous deux ont besoin de la société honnie. Elle constitue leur cible et la destruction de la cible est leur raison d'être. L'ermite se tient à l'écart., dans un refus poli. Il ressemble au convive qui, d'un geste doux, refuse un plat . Si la société disparaissait, l'ermite poursuivrait sa vie d'ermite. Les révoltés, eux, seraient en chômage technique. L'ermite ne s'oppose pas, il épouse un mode de vie. Il ne dénonce pas le mensonge, il cherche une vérité. Page 148






Avoir peu à faire entraîne une attention à toute chose...


Il y a une jouissance à tenir en ordre son intérieur. page 166



On dispose de tout ce qu'il faut lorqu'on organise sa vie autour de l'idée de ne rien posséder. page 176


Autour du cou je porte une petite croix orthodoxe...Dans mon rêve d'enfance, un Robinson des bois à barbe blonde ne pouvait se passer de la croix du Christ sur le poitrail. J'aime cet homme qui pardonnait aux femmes adultères, marchait sur les routes la bouche pleine de paraboles pessimistes, conspuait les bourgeois et s'en fut se suicider au sommet d'une colline où il savait que l'attendait la mort. Je me sens de la chrétienté, ces étendues où les hommes, décidant de vénérer un dieu qui professait l'amour, autorisèrent la liberté, la raison et la justice à envahir le champ de leurs cités. Mais ce qui me retient, c'est le christianisme, ce nom que l'on donne au tripatouillage de la parole évangélique par un clergé , cette alchimie de sorciers à tiares et à clochettes qui ont transformé une parole brûlante en code pénal. Le Christ aurait dû être un dieu grec. page 192




Vivre, c'est continuer et il y a une défaite dans le retour sur ses pas.page 211


Lire compulsivement affranchit du souci de cheminer dans la forêt de la méditation à la recherche de clairières. page 248


Aujourd'hui, quand on rencontre quelqu'un, juste après une poignée de main et un regard furtif, on note les noms des sites et des blogs. La séance devant les écrans a remplacé la conversation. Après la rencontre, on ne conservera pas le souvenir des visages ou des timbres de voix mais on aura des cartes avec des numéros. La société humaine a réussi son rêve: se frotter les antennes à l'image des fourmis. Un jour, on se contentera de se renifler.page 250


Je suis venu ici, sans savoir si j'aurais la force de rester, je repars en sachant que je reviendrai. J'ai découvert qu'habiter le silence était une jouvence. J'ai appris deux ou trois choses que bien des gens savent sans recourir à l'enfermement. La virginité du temps est un trésor. Le défilé des heures est plus trépidant que l'abattage des kilomètres...J'ai appris à m'asseoir devant une fenêtre. Je me suis fondu à mon toyaume...Six mois comme une vie. page 264


Ma vie s'est dépliée ici pendant des mois. Je la replie...C'est fini. Demain, le retour. page 266








mardi, février 14, 2012

LE VENTRE DE L'ATLANTIQUE (Fatou Diome)

Salie vit en France, son frère Madické rêve de l'y rejoindre et compte sur elle. Mais comment lui expliquer la face cachée de l'immigration. Le Ventre de l'Atlantique charrie entre l'Europe et l'Afrique des destins contrastés saisis dans le tourbillon des sentiments.

La pauvreté, c'est la face visible de l'enfer, mieux vaut mourir que de rester pauvre. page 34

Quand on vient de France, on peut épouser qui on veut, il (l'homme de Barbès) le savait. En revanche, personne ne pouvait se targuer de connaître son activité en France. A son arrivée (chez lui, au Sénégal) on se contenta d'admirer son pouvoir d'achat, faramineux par rapport à la moyenne de l'île. Lui, au moins, pouvait se permette de remplacer l'éternel riz au poisson par un délicieux riz au poulet. A son troisième congé, il commença à bâtir son imposante demeure...Cette maison lui assurerait à jamais le respect et l'admiration des villageois. ...A son septième voyage, l'homme de Barbès se construisit une boutique bien approvisionnée à l'entrée de sa demeure et s'installa définitivement au village. Devenu l'emblême de l'émigration réussie, on lui demandait son avis sur tout. page 37



Après la colonisation historiquement reconnue, règne maintenant une sorte de colonisation mentale: ...tout ce qui est enviable vient de France. Tenez, par exemple, la seule télévision, ...elle vient de France, Son propriétaire , devenu un notable au village, a vécu en France. L'instituteur, très savant, a fait une partie de ses études en France. Tous ceux qui occupent des postes importants au pays , ont étudié en France. page 60




Déraciné, Ndétare (l'instituteur) avait su , dès son arrivée, mettre à profit l'adage sévère selon lequel l'ouie et la vue seraient les meilleures hôtesses d'acueil. Il avait regardé, longtemps observé; avait tendu l'oreille, beaucoup entendu et fournissait l'effort nécessaire à son adaptation. Mais son intégration était partielle. Cette société insulaire, même lorsqu'elle se laisse approcher, reste une structure monolithique impénétrable qui ne digère jamais les corps étrangers. page 87


Mon frère galopait vers ses rêves, de plus en plus vers la France.page 93

Les amitiés d'enfance résistent parfois au temps, jamais à la distance; la différence des itinéraires nous sépare et ne nous laisse qu'une liste de prénoms qui, petit à petit, perdent leur tête et leur mélodie autrefois rassurante. page 209

Je pensais à ma vie solitaire en Europe, où personne ne se soucie de mes allées et venues, où seule ma serrure compte mes heures d'absence. Un é-mail ou un message sur le répondeur téléphonique, ça ne sourit pas, ça ne s'inquiète pas, ça ne s'impatiente pas, ça ne vide pas une tasse de café, encore moins un coeur plein de mélancolie. page 220

samedi, février 04, 2012

DESIR NOMADE ( Véronique Elfakir)

"Un touriste, c'est une personne qui pense à rentrer à peine vient-elle d'arriver"

- Alors qu'un voyageur pourrait ne plus rentrer".


Le voyage semble s'apparenter à une sorte de fuite ou de désir de rupture par rapport à une modernité vécue comme aliénante.

Mais "partir", à notre sens, ce n'est pas seulement "aller contre"ou tenter de se défaireau loin d'une réalité contraignante mais c'est aussi et plus fondamentalement "devenir autre";, renaître ailleurs à une nouvelle forme d'existence et d'intériorité en s'éprouvant comme différent, tenter de se changer en changeant de vie. page15


...le départ n'est pas seulement rupture mais aussi construction et création.


Je n'ai pas lu ce livre en entier: trop de psychanalyse. L'auteur étudie les écrivains voyageurs: Ségalen, Bouvier, Rimbaud, De Nerval, Michaux, Bowles.