lundi, septembre 06, 2010

SENS DESSUS DESSOUS (Edouardo Galeano)

Jour après jour, on refuse aux enfants le droit d'être des enfants. Le monde traite les enfants riches comme s'ils étaient de l'argent, pour qu'ils s'habituent à agir comme l'argent agit. Le monde traite les enfants pauvres comme s'ils étaient des ordures pour qu'ils se transforment en ordures. Et ceux du milieu, les enfants qui ne sont ni riches, ni pauvres, il les tient accrochés au pied du téléviseur, pour que, très tôt, ils acceptent la vie en cage comme destin. Les enfants qui parviennent à rester des enfants doivent avoir une bonne dose de magie et beaucoup de chance.
page 11
Pris aux pièges de la panique, les enfants de la classe moyenne, sont de plus en plus condamnés à l'humiliation de la réclusion à perpétuité. Dans la ville du futur, que la cité du présent est en passe de devenir, les télé-enfants, surveillés par des nounous électroniques, contempleront la rue depuis une fenêtre de leur télé-maison: la rue interdite par la violence ou par la peur de la violence, la rue où arrive le toujours dangereux, parfois prodigieux, spectacle de la vie. page 20
Le meilleur de ce que le monde offre se trouve dans les multiples univers qu'il renferme, les différentes musiques de la vie, ses douleurs et ses couleurs: les mille et une manières de vivre et de dire, de croire et de créer, de manger, de travailler, de danser, de jouer, d'aimer, de souffrir et de fêter, que nous avons progressivement découvert au cours de milliers d'années. page 25
La télévision offre le service complet: non seulement elle apprend à confondre la qualité de la vie avec la quantité des biens, mais en plus, elle offre quotidiennement des cours audio-visuels de violence, complétés par les jeux vidéos. page 26
La liberté du commerce a été l'alibi utilisé par toute l'Europe pour s'enrichir en vendant de la chair humaine, dans le trafic d'esclaves. page 35
Les cultures d'origine non-européenne ne sont pas des cultures, mais des ignorances, à la rigueur utiles pour des races inférieures, attirer les touristes et ajouter une note pittoresque les jours de fête...Leurs fruits prodigieux peuvent être contemplés dans les arts les plus prestigieux tout comme dans ce que le mépris désigne comme artisanat, dans les cultures réduites à un folklore et dans les religions disqualifiées comme des superstitions. page 56
Le racisme et le machisme boivent aux mêmes fontaines et crachent des paroles semblables. page 66
"La justice est comme les serpents: elle mord seulement les va-nu-pieds" Monseigneur Romero, archevêque de San Salvador, assassiné en 1980
Les journaux , les radios et la télévision du Brésil définissnt fréquemment les délinquants avec un vocabulaire issu de la médecine et de zoologie: virus, cancer, infection sociale, animaux sauvages, vermine, insectes, bêtes féroces et aussi petites bêtes féroces quand il s'agit d'enfants. Ceux auquels il est fait allusion sont toujours pauvres. Quand ils ne le sont pas, la nouvelle mérite la première page: " le jeune qui est mort en volant était de classe moyenne" titra le journal Folha de Sao Paulo dans son édition du 25 octobre 1995. page 77
La doctrine de la sécurité nationale est détrônée par l'hystérie de la sécurité publique. page 78
Ce qu'on appelle délinquance commune est à présent une obsession universelle. Le délit s'est démocratisé, et se retrouve à la portée de n'importe qui: beaucoup l'exercent, tous la subissent. page 79
Vers 1252, le Pape Innocent IV autorisa le supplice contre ceux qui étaient suspectés d'hérésie. L'Inquisition développa la production de douleur que la technologie du XXè siècle a élevé aux niveaux de la production industrielle. Amnisty International a fourni des informations sur la pratique systématique de tortures par chocs électriques dans cinquante pays. Au XIIIè siècle, le pouvoir en parlait clairement; à présent, la torture se pratique mais on n'en parle pas. Le pouvoir évite les paroles déplacées. page 89.
Le système de pouvoir qui fabrique la pauvreté est aussi celui qui déclare la guerre sans quartier aux désespérés qu'il génère. Il y a un siècle, Georges Vacher de Lapouge exigeait plus de guillotine pour purifier la race. Ce penseur français qui croyait que tous les génies étaient Allemands, était convaincu que seule la guillotine pouvait corriger les erreurs de la sélection naturelle et retenir l'alarmante prolifération des incapables et des criminels. "Un bon bandit est un bandit mort." affirment aujourd'hui ceux qui exigent une thérapie sociale de main de fer. La société a le droit de tuer pour la légitime défense de la santé publique.
page 9o-91
Les enfants abandonnés dans les rues de Bogota, qu'on appelait avant des gamins, s'appellent maintenant des enfants jetables et sont marqués pour mourir. page 96
De bonnes nouvelles pour l'économie militaire, cela revient à dire de bonnes nouvelles pour l'économie. L'industrie des armes, vente de mort, exportation de violence, travaille et prospère. Le monde entier offre de solides marchés en expansion, pendant que la culture de l'injustice universelle continue à donner de bonnes récoltes et qu'augmentent la délinquance et la consommation de drogues, l'agitation sociale et la haine nationale, régionale, locale et personnelle. page 113.
La paix mondiale est entre les mains des cinq puissances qui profitent le plus du commerce de la guerre. page 118.
Mise à part une excursion éclair de Pancho Villa au temps de la révolution mexicaine, aucun ennemi n'a traversé leurs frontières(des USA). Par contre, les Etats-Unis ont toujours eu la désagréable habitude d'envahir les autres. page 122.
Les exportations latino-américaines n'atteignent pas cinq pour cent des exportations mondiales, et les africaines totalisent deux pour cent. Ce que le Sud achète coûte toujours plus cher, et ce qu'il vend, de moins en moins. page 153
On privatise les bénéfices, on socialise les pertes. page 154
Etre, c'est être utile, pour être, il faut être vendable. Le temps qui ne se traduit pas en argent, le temps libre, le temps vécu pour le plaisir de vivre et non le devoir de produire, génère de la peur. page 167
Les meilleures conditions pour les entreprises sont les pires conditions pour le niveau des salaires, la sécurité du travail et la santé de la terre et des gens. Partout dans le monde, les droits des travailleurs sont nivelés par le bas, pendant que la main-d'oeuvre disponible se multiplie comme jamais. page 172

42è PARALLELE (John Dos Passos)

Fresque du début du xxè siècle aux USA. Chaque partie décrit un personnage d'une classe sociale, l'auteur y ajoute des actualités. Le premier personnage est un jeune homme qui veut la révolution à l'image de la Russie. Portaits divers des personnes qui partagent son rêve, poursuites effrénées de la police etc.... Le second personnage est une jeune femme de classe aisée: elle réalise ce qu'est la ségrégation raciale dès son jeune âge, le rôle des femmes de milieu aisé cantonné à être épouse et mère, la pression sociale sur la façon de s'habiller, de se détendre etc...le troisième est un idéaliste, il veut écrire et ne parvient pas à concrétiser ses désirs.
(Le personnage principal sort de prison)
"Où étaient ces gros hommes, grands buveurs de whisky et grands camarades, grands diseurs d'histoires contées tout au long, dans les bars des petites villes du Middle West, hommes tranquilles, qui ne désiraient qu'une maison avec un porche pour y flâner, une grosse épouse pour faire la cuisine, quelques coups à boire, des cigares, un jardin à cultiver, des copains avec qui bavarder,
qui désiraient travailler pour gagner cela
et que d'autres aussi travaillent pour le gagner?
Où étaient les chauffeur et les mécaniciens quand on l'emmena au pénitencier d'Atlanta?
Et on le ramena pour finir ses jours à Haute-Terre. page 43
(La mère de Janey lui parleaprès que cette dernière ait joué avec une petite fille noire, dans le jardin familial)
"Maintenant, entends-moi bien., j'aime bien et je respecte les Nègres, certains d'entre eux sont des gens très bien et très respectables quand ils sont à leur place...Mais il ne faut pas que tu invites cette petite négresse. Traiter les gens de couleur avec amabilité et courtoisie est la marque d'une bonne éducation...Mais n'oublie pas que du côté de ta mère, tu viens d'une famille distinguée jusqu'au bout des ongles...Georgetown était une ville bien différente à cette époque-là. Nous habitions une grande maison avec des pelouses délicieuses...mais tu ne dois jamais fréquenter des Nègres sur un pied d'égalité...
Janey essaya de parler mais ne le put pas. page 167