mercredi, octobre 28, 2020

L' ARMEE DES PAUVRES ( B. Traven) 1937

Mexique, début du XXè siècle. Juan Mendez, un jeune chef indien, révolté par les conditions de vie inhumaines des péons qui travaillent dans les plantations d'acajou pour de riches propriétaires terriens, décide de lever une armée. Une armée de pauvres, de pauvres paysans illettrés, en haillons, affamés, qui, en dépit de leur faiblesse, vont aller de petites victoires en petites victoires, prenant d'abord quelques fermes avant de marcher, toujours plus nombreux, sur des villes de plus en plus importantes. Cette révolte inquiète bientôt le pouvoir central du dictateur Porfirio Diaz, qui va envoyer les troupes gouvernementales à l'assaut du "général de la jungle" et de son armée de péons. 
On retrouve dans ce roman inédit de Traven écrit en 1937, tout l'humanisme et le talent  de l'auteur. Jamais manichéen, il restitue avec une grâce inouïe toute la complexité de son sujet, n'ignorant aucun aspect de cette révolte, profondément inspirée de l'aventure d'Emiiliano Zapata: sens de l'histoire, , mouvements sociaux, culture indienne, dictature, racisme, esclavage par dettes, corruption du pouvoir, etc...Surtout, Traven montre la même compassion pour les opprimés et pour les oppresseurs, tous victimes finalement des mêmes mécanismes de domination, au-delà desquels l'auteur excelle à mettre en relief l'humanité meurtrie. 


Sous la dictature, à part le dictateur, le Caudillo, personne n'était plus redouté que les rurales. Mais personne non plus autant haï que lui.  ( les rurales: forme de police spéciale, composée en majorité de hors-la-loi. Elle constituait le bras droit de la dictature) ...Les rurales étaient une police montée qui contrôlait tout le pays. page 10

Pour la majorité de ces ouvriers indiens des plantations d'acajou, qui étaient à quatre-vingt dix pour cent des agriculteurs, le concept de liberté se résumait en un voeu simple, clair et net: que l''Etat les laisse en paix. Ils ne voulaient plus subir d'oppression, quel que soit le nom qu'on lui donnât: gouvernement,  amour de la patrie,  augmentation de la production, expansion économique, conquête des marchés; discipline,; droit ou devoir. Ils rejetaient toutes ces prétendues vertus, absurdes et insens ées, que la dictature proclamait pour abrutir le peuple et l'empêcher de regarder en face la racine de tous ses maux.  page 13

Ce qu'ils voulaient: ne plus être dominés,, ne plus être commandés. page 14...Ils voulaient cultiver leur terre, élever leur bétail, porter sans entrave leurs marchandises au marché, fonder une famille ; avoir des enfants, célébrer de temps en temps une fête et faire une ou deux fois par an le pèlerinage des grandes férias de l'Etat.  Et puis, une fois devenus vieux, ils espéraient pouvoir mourir en paix,  entourés de leurs chers amis et de leurs voisins. page 15 Ils avaient été torturés, fouettés, humiliés, frappés sur la bouche, par les monstres, ravageant le pays et massacrant tous ceux qui ne faisaient pas partie de leur classe page 15

L'armée était conduite par un jeune homme de 21 ans, qui s'appelait Juan Mendez, en tout  cas, c'était son nom. Mais tous les muchachos l'appelaient Général. Il avait fait partie du petit groupe d'ouvriers qui avait entamé l'insurrection. Comme il avait une formation militaire, il était tout naturel qu'on lui eût confié le commandement suprême de l'armée. page 17  C'était apparemment un Indien huaxtèque;, mêlé de sang espagnol. Il s'était engagé dans l'armée à l'âge de 16 ans. ... ( il a déserté l'armée suite à la noyade d'un jeune soldat indien par un officier , ce qui l'a révolté. ) Le sergent Mendez n'était pas  encore totalement abruti par le service de la dictature, peut-être parce qu'il tenait plus de l'Indien que du soldat obéissant. page 18

Ces hommes ayant vécu pendant quatre cents ans, ou plus, dans la servitude, avaient été contraints pendant tout ce temps d'abandonner toute pensée, toute responsabilité, toute organisation, toute parole, tout commandement à leurs maîtres et aux autorités page 29 Les rebelles qui arrivaient  à présent dans ce ranch ignoraient qu'une révolution ne change pas un système à elle seule. Elle transfère simplement la propriété.  Seuls les noms des propriétaires changent. page 29

Le tragique n'était pas qu'il puisse y avoir des dictatures, ni même qu'il y en ait, c'était que toute dictature, même la plus florissante et la plus bénie des dieux en apparence, se termine par la destruction, la dévastation , le chaos, suivant les lois de la nature que nul homme ne peut changer ou influencer.  page 30

Parmi les habitants de ce petit village, seule une famille sur trois possédait une machette, chaque homme ayant un couteau rouillé et à moitié cassé. Chaque famille avait une seule cuiller tordue. dans tout le village, on  ne pouvait trouver le moindre lit, la moindre chaise, la moindre table. On aurait trouvé une vingtaine de mètres de fil de fer en fouillant toutes les cabanes. C'était du fil de fer que les hommes avaient trouvé par petits morceaux  et ramassé lors de longues marches  à travers le pays, ou coupé sur  des fils téléphoniques tombés à terre ou arrachés à des clôtures près desquelles ils passaient . page 33. 

La brutalité, la bestialité, la cruauté et la perversité refoulée des bourgeois hypocrites, des policiers et des minables lavettes qui pouvaient  provisoirement se sentir les maîtres s'exprimaient pleinement et la manière la plus répugnante en donnant libre cours à leur sadisme chaque fois que les prolétaires indiens qui avaient osé se soulever contre la tyrannie et la dictature avaient été écrasés. Pour chaque morveux en uniforme tombé au combat, cent, parfois trois cents prolétaires indiens étaient torturés, fouettés, puis assommés comme des chiens , pendus à vingt , à un seul  arbre, tels des brigands.  page 53

Les tyrans, les dictateurs et les oppresseurs n'ont jamais droit qu'à une brève période dans l'histoire de l'humanité, même si cette période  est toujours riche en terreur et en épouvante.  page 75

Les péons, habitués depuis des siècles à dépendre de maîtres, de tyrans, d'oppresseurs e tde dictateurs, ne furent pas libérés par la révolution, même pas là où les grands domaines féodaux furent partagés entre les familles de péons  en petites propriétés communales, les ejidos. ils restèrent des esclaves, avec la seule différence qu'ils avaient avec leurs nouveaux maitres, les leaders révolutionnaires madrés s'étaient enrichis.  page 81..Celui qui possède la carabine et le revolver est le maitre de celui qui n'en a pas. 

La dictature se distingue des autres formes de gouvernement essentiellement par l'intolérance vis - à - vis des autres hommes et par l'exercice impitoyable de la vengeance aux dépens des faibles et des humiliés. page 83 La dictature enseigne aux gens à ne rien voir, à ne rien entendre, à ne rien savoir, à ne rien penser et à n'ouvrir sa gueule que pour crier Viva! page 84

Nous ( l'armée gouvernementale)viendrons à bout de ces bandits; et alors nous leur montrerons qui sont les vrais maîtres du pays. Les bonnes vieilles traditions, le droit, l'ordre, le calme et la morale, voilà ce que nous défendons. page 127..Cette table de bois brut ici était recouverte de nappes de coton multicolores, bon marché. Elle portait aujourd'hui une profusion de plats emplis de haricots rouges,  de dindons  et de coqs rôtis, de salade toute fraîche, d'oignons en grande quantité, de boîtes de sardines et de saumon de l'Alaska, de grandes corbeilles débordant d'ananas, de bananes, de mangues, de pommes-cannelles et autres fruits tropicaux de cette région. Cinq bouteilles de vermouth et de muscat d'Espagne semblaient égarées sur les longues planches qui composaient la table. Il n'y avait pas beaucoup de vin. page 128

Seules les officiers, les grands propriétaires terriens et les capitaines d 'industrie avaient le droit dese rebeller quand le dictateur n'était pas à leur botte.  page 134

(Des péons ont été capturés) Monsieur le commandant, je propose que nous fassions venir tous les péons de mon domaine afin qu'ils puissent être témoins du châtiment infligé aux rebelles. Ce sera une bonne chose pour nous tous, qu'ils assistent au spectacle.  Cela leur fera oublier leurs éternelles protestations contre la tyrannie et l'injustice. Et pour toujours, il faut l'espérer. page  136
Les dictateurs ne se sentent heureux que quand ils sont entourés d'esclaves qui les applaudissent, leur servent  souvent de laquais.  page 137

Quatre des muchachos , sentant qu'au prochain coup de pied, ils ne pourraient plus sortir le moindre mot, crièrent vigoureusement que le permettait la terre qu'ils avaient dans la gorge : " Tierra y  Libertad! Vive la révolution des péons" Ces cris étaient à peine audibles et mal articulés. Pourtant les autres muchachos qui eux aussi, vivaient leurs derniers instants, recueillaient ces sons étouffés péniblement proférés. ...Cet hymne n'annonçait pas la venue d'un sauveur, il annonçait la  venue d'hommes nouveaux. Il célébrait des héros, tels que la dictature et la tyrannie sont capables d'enfanter. Non pas pour maintenir le despotisme, mais pour l'anéantir. page 143  (un groupe de muchachos ont été pris par les rurales et sont mis à mort: enterrés vivants, on a fourré de la terre  dans leur gorge, leurs yeux, leur nez et les oreilles., puis piétinés avec les bottes...°
Ce jour-là, les péons (qui sont employés chez le fermier et sont présents aux exécutions)  sentirent germer en eux de la fierté quand ils entendirent les cris de victoire étranglés de ces muchachos mourants. Malgré une conscience restée jusqu'à présent si vague et si floue, ces hommes comprenaient de quoi ils pouvaient être capables en tant qu'êtres humains.  Car ils se rendaient compte que ces rebelles, assez courageux pour lancer au milieu des souffrances les plus épouvantables leur haine au visage des laquais du dictateur, appartenaient à leur race, à leur classe, et non à la classe de leurs maîtres. Aucun d'eux n'avait jamais vu un fermier mourir aussi dignement que ces rebelles. ...Ils racontèrent à leurs femmes, et à leurs enfants ce qu'ils venaient de voir et de vivre....Hommes et femmes s'agenouillèrent devant les miniatures portraits de la Sainte Vierge salis et noircis par la fumée...Ils prièrent pour les âmes des rebelles exécutés avec autant de ferveur que s'il s'était agi de celles de leurs défunts pères. page 145 

Professeur regarda Général avec un sourire. " ça m'intéresserait quand même beaucoup de savoir ce qui était écrit sur la première page des lettres que tu écrivais à ta mère, Général". - C'est très simple et tout à fait clair. je lui écrivais : " Ma bien-aimée, ma noble et digne mère" après quoi, je mettais un point.  - Et qu'y avait-il d'autre sur la première page?  - Il ne pouvait rien y avoir de plus, étant donné que la première page était déjà remplie....- Et ensuite sur la deuxième page? Qu'est-ce qui était écrit? interrogea Professeur, toujours avec un sourire.  - C'est tout aussi simple et out aussi clair, dit Général  se porte bien.  "Ton fils reconnaissant qui t'embrasse les mains et les pieds. Juan Mendez. " page 178

(L'armée des rurales fait bombance dans une ferme (une finca) après avoir massacré des muchachos (voir page 145). Si on ne peut pas de temps en temps se comporter comme le commun des mortels et profiter des plaisirs de la vie, alors être soldat perdrait tout son charme. page 181

" C'est dans la terreur et l'épouvante que la dictature est née! Elle s''est maintenue au pouvoir par l'épouvante et les coups de fouet.! Elle va être renversée dans la terreur, l'épouvante et le massacre de millions d'hommes! L'âge d'or du mensonge va être noyé dans des flots de sang vermeil! Vive la révolution du prolétaire! Terre et liberté! " " Vive la révolution! A bas les tyrans! Terre et liberté pour tous! Ni maîtres ni contremaîtres! Vive la rébellion! Vive la rébellion des Indiens! page 192

L'armée (des muchachos) resta une semaine dans cette finca riche et prospère, autrefois si belle et même royale.  La veille du départ, Professeur partagea les terres entre les péons qui, comme leurs ancêtres, avaient consacré à ce grands domaine durant trois cents longues années leur sueur, leur sang et leurs larmes.  page 195

Les écoles n'existaient que pour les enfants des Latinos. Et s'il arrivait que les enfants indiens de la ville, les enfants des prolétaires qui vivaient dans des masures d'argile croulantes à l'orée de la ville, fussent admis à l'école, ils étaient les souffre-douleur du maître. Une chose impensable pour les Latinos , car leurs pères n'auraient pas hésité à venir à l'école, armés de leurs révolvers, et à dire leur façon de penser au maître qui e serait laissé aller  à donner à l'un de leurs enfants ne serait-ce qu'une tape sur la main.  page 202

En quatre cents ans de privation de droits, l'Indien était devenu si méfiant qu'il disait oui à tout du bout des lèvres, mais n'accordait jamais avec sa raison ni créance ni confiance,  et surtout pas à ceux qui venaient le trouver en affirmant qu'il  étaient ou voulaient devenir leurs amis. page 219

Chaque repas servi au général vaut pout le moins quatre pesos, mais il ne  paie qu'un demi-peso. Le fermier redoute de  réclamer plus que le prix habituel , de peur de susciter colère et contrariété chez le général et de tomber en disgrâce auprès de tous les petits dictateurs qui décident de son destin. Si le général était seul, ce serait encore supportable, et le fermier se dirait qu'il faut faire quelque chose pour le bien de la patrie. Mais le général est accompagné d'une longue cohorte d'officiers et d'ordonnances qui se mettent en devoir de dévaster à coup de mâchoires le pauvre ranch. Pour un demi-peso, il faut leur servir des mets qui, dans l'idée d'un pauvre paysan, constituent l'ordinaire des généraux, des commandants et des lieutenants. page 241
On comprendra mieux ainsi pourquoi le propriétaire des lieux faisait quatorze fois la prière suivante: " O vous mon Dieu qui êtes aux cieux, faites que les rebelles arrivent, qu'ils soient exterminés et que toute cette horrible mascarade se termine afin que je récupère mon ranch, même s'il n'est plus que ruines"  Pour l'instant, le général n'était pas pressé de marcher sur les rebelles. Il percevait sa solde de temps de guerre tant qu'il était en campagne. Une fois les rebelles massacrés jusqu'au dernier, il serait obligé de rentrer dans sa garnison et il ne recevrait ni solde  de temps de guerre ni riches repas à un demi-peso. page 242

Une bataille. J'entends toujours parler de bataille,  lieutenant Bailleres. Une bataille!  Vous ne parlez  tout de même pas de livrer bataille contre ces bandits en guenilles. On ne mène pas une bataille contre des émeutiers, des rebelles ou des grévistes, on leur donne une correction et  on les pend. Ou bien, on les enterre vivants pour économiser la corde et le travail du bourreau. Une bataille! ..page 264 Il était inutile de poster d'autres sentinelles. face aux rebelles, on ne poste pas de  sentinelles. ce serait leur reconnaître le rang de soldat. page 266..;face à des rebelles, il ( le général) ne procédait pas comme un général mais comme un inspecteur de police envoyé avec ses hommes pour capturer des criminels évadés.  page 292

La valeur d'un militaire, non seulement d'un bon soldat, mais surtout celle d'un officier et même parfois d'un général, est partout mesurée et jugée d'après le peu d'usage qu'il fait de son cerveau. la paresse intellectuelle devient vertu sous une dictature. Au contraire, dans une démocratie, elle est signe de pourriture.  page 296
 
Quand on est du côté du pouvoir, on n' a pas besoin d'être brave. page 308

"Tu es professeur. Et qui plus est professeur de village. - Eh oui, c'est vrai. ...professeur rural itinérant. Tous les deux mois, je change de village parce que les fonds accordés pour mon traitement ne couvrent que deux mois. Et le deuxième mois est particulièrement sombre, car je peux m'estimer heureux si je touche pendant cette partie de mon travail la moitié de ce qu'on m'avait promis.  Ensuite, je reçois une lettre du recteur d'académie où on m'annonce le nom du prochain village où je dois enseigner. Il me faut parfois jusqu'à trois ou quatre  jours pour y arriver.... page 378.. A quoi sert un bon salaire si on ne se sent pas bien.? Et si je ne peux pas ouvrir ma gueule et dire ce que je pense, cent pesos de traitement par jour ne peuvent compenser cette part de mon coeur et de mon âme que je perds morceau par morceau. On n'est pas des bêtes ou des marionnettes. je suis un homme sacré bon Dieu! Ici, je peux être un homme. Ici, nous pouvons tous être des hommes. Et nous voulons le  rester. Et ça , nous défendrons jusqu'à la dernière goutte de notre sang contre le Caudillo, contre cette maudite et satanée dictature. page 379

Voilà le résultat obtenu par la dictature. ..Le chaos. Voilà le résultat qu'a obtenu ce crétin de dictateur, ce fou de chef d'Etat. Il a créé le chaos.....C'est pourquoi chacun crie. Et chacun hurle sa propre mélodie parce qu'il n'en connaît pas d'autre....page 384

Il se leva. Se dressa bien droit....et cria en guise de salut. " Muchachos, la terre et la liberté" Et les muchachos répondirent d'une seule voix: " La terre et la liberté! " page 387


 

mardi, octobre 20, 2020

LAKE SUCCESS ( Gary Shteyngart) 2020

 A quarante-trois ans, Barry Cohen, New-Yorkais survolté à la tête d'un fonds spéculatif de 2,4 milliards de dollars, est au bord du précipice. Sous le coup d'une enquête de la Commission boursière, accablé par la découverte de l'autisme de son jeune fils, il prend une décision aussi subtile qu'inattendue et embarque dans un car Greyhound. Destination: le Nouveau Mexique où demeure celle qui jadis fut son premier amour et avec qui, il imagine pouvoir refaire sa vie.  Un e vie plus simple, plus s    aine, plus heureuse. Commence  alors une folle traversée du continent. D'est en ouest, de highways et freeways, Barry découvre une autre Amérique: celle des marginaux, des pauvres, des déclassés. Pendant que sa femme entame une liaison avec un romancier, Barry fonce vers une improbable rédemption.  Sans se départir de son humour loufoque, Gary Shteyngnart dresse le portrait d'une Amérique déboussolée à la veille de l'élection de Trump et nous entraîne dans un road-trip qui tient plus des montagnes russes que du voyage d'agrément. 

BOF.....

dimanche, octobre 11, 2020

MARCHER LA VIE. UN ART TRANQUILLE DU BONHEUR David Le Breton. 2020

 La marche connaît un succès planétaire en décalage avec les pratiques de sédentarité ou de sport en salle prédominant dans nos sociétés. Cette passion contemporaine mêle des significations multiples pour le même marcheur: volonté de retrouver un monde par corps,  de rompre avec une vie trop routinière, de peupler des heures de découvertes, suspendre les tracas du jour, désir de renouvellement, d'aventure, de rencontre.

Une marche sollicite toujours au moins trois dimensions: on la rêve d'abord, on l'accomplit, et ensuite on s'en souvient, on la raconte. Même terminée, elle se prolonge dans la mémoire et dans les récits que l'on en fait: elle vit en nous et est partagée avec les autres. 

Dans ce livre  - ludique , intelligent et stimulant - , l'auteur revient sur le  plaisir et la signification de la marche, et nous en révèle les vertus thérapeutiques face aux fatigues de l'âme dans un monde de plus en plus technologique.

Depuis une vingtaine d'années, la marche connaît un succès planétaire en décalage avec les valeurs les plus ancrées dans nos sociétés. Cette passion contemporaine mêle des significations multiples pour le même marcheur: volonté de retrouver  le monde par le corps, de rompre avec une vie routinière, de peupler les heures de découvertes, suspendre les tracas du jour, désir de renouvellement, d'aventure, de rencontre.... La vie ordinaire est souvent faite d'une accumulation d'urgences qui ne laissent plus de temps à soi...pagre 14

Autrefois, on marchait pour arriver, par nécessité, à défaut d'avoir les moyens d'acheter une bicyclette, une mobylette ou une voiture. Aller à pied n'était pas un privilège mais une nécessité.  Le chemin importait peu, seule la destination comptait.  page 15 Dans les années 50, en France, on marchait en moyenne sept kilomètres par jour. Aujourd'hui, à peine trois cents mètres.  page 16 ..Nelson Mandela parcourait chaque jour plusieurs kilomètres dans l'étroitesse de sa cellule. Il marchait pour reprendre corps dans  son existence à travers l'affirmation de son désir là où les gardes lui imposaient de casser les cailloux. page 18

Dans le monde de l'hyperconnexion,  les conversations deviennent rares. Quand elles existent, elles sont souvent rompues par des interlocuteurs toujours là physiquement mais qui disparaissent soudain après une sonnerie de leur portable ou dans le geste addictif de retirer ce dernier de leur poche dans  la quête lancinante d'un message quelconque qui rend secondaire la présence bien réelle de leur vis -à -vis. La conversation s'efface au profit de la communication, et cette dernière implique la virtualité, la distance, la décorporation, l'absence physique ou morale. A l'inverse, la conversation sollicite une disponibilité, une attention à l'autre, la valeur du silence et du visage ..../Cheminer ensemble est un éloge de la conversation, de la disponibilité à l'autre. Quant au marcheur solitaire,  il est dans un seul lieu, ouvert aux événements, plongé dans  sa rêverie, dans un dialogue intérieur sans  fin.           pages 18, 19..;La marche est une plongée en soi de quelques heures ou de quelques semaines, un décrochage des soucis du quotidien.. Page 20 Marcher, c'est exister au sens fort . Page 22

Rousseau dit à maintes reprises: " J'aime à marcher à mon aise et m'arrêter quand il me plaît".  page 29 Dans la marche prime le cheminement et non l'arrivée, pas après pas, tous ont leur importance. page 32 L'humain n'a pas de racines mais des jambes qui l'emmènent là où il le souhaite. page 36

L'humanité est désormais assise, encombrée d'un corps et d'une bipédie qu'elle voit de plus en plus comme un handicap. page 36 Emprunter une route, c'est négliger toutes les autres. page 43 Tout choix est sacrifice. on ne sait jamais ce que l'on perd ou ce que l'on gagne en décidant de prendre ce sentier plutôt  qu'un autre.  page 43 Sauf exception pour ceux qui se sont sérieusement égarés, le GPS est contraire à la philosophie de la marche. Il transforme le chemin en parcours., il le subordonne au but, et le dissout en pur passage indifférent. Il efface la poétique du monde. page 46

Le Boudha, le Christ, Mahomet sont d'abord des hommes à pied, livrés à leur seul corps et dont la parole se répand au rythme de leurs déambulations et de leurs rencontres avec les autres.  page 67....En marchant, on change son corps, ses perceptions sensorielles, ses émotions, son temps, son espace.  Le marcheur transforme sa connaissance  du monde, il abandonne les écrans, ou n'en use qu'à de  rares moments.. Page 83 Marcher c'est d'abord savoir s'arrêter, regarder, prendre son temps - un temps bien différent du temps humain - savoir attendre, garder en soi cette patience ...page 85 ( chez les Indiens Lakota) Le sol apaisait; fortifiait, lavait et guérissait. C'est pourquoi les vieux Indiens se tenaient à même le sol plutôt que de rester séparés des forces vives. S'asseoir ou s'allonger leur permettait de penser plus profondément, de sentir plus vivement; ils contemplaient alors avec une plus grande clarté les mystères de la vie et ils se sentaient plus proches des forces vivantes.  page 99...Pour les Aborigènes australiens, les paysages ont été façonnés par leurs ancêtres lors de leurs déambulations. ..Les Aborigènes connaissent des cartes sonores issues du commencement du monde telles que leurs aînés les ont léguées.   .Des chants  décrivent avec  précision des paysages innombrables, racontent les épisodes  de la création, ils jalonnent tous les parcours. ( Bruce Chatwin : Le Chant des Pistes) page 103...Dans la cosmologie japonaise,  l'homme est inclus dans la nature..  Page 103 Les mythologies andines voyaient également la terre comme un corps vivant avec des  veines composées de rivières, les herbes figurant les cheveux etc....page 104 ..  .Pour nos sociétés, la nature, les arbres, les animaux, sont radicalement distingués de l'humain.   .page 105   Le voyage dans la géographie est toujours doublé par le voyage dans l'histoire, mais inaccessible le plus souvent car se sont des siècles, des millénaires parfois qui ont façonné l'espace. page 107...La marche solitaire , même de quelques heures, aiguise le sentiment de la présence au monde, elle confère une liberté de conscience et e mouvement. Le regard n'appartient qu'à soi, de même le temps et la méditation. Rien ne trouble le vagabondage de la pensée. page 117 La marche en solitaire est cosmique en ce qu'elle n'impose aucune distraction entre l'individu et le monde, elle sollicite les ressources intérieures, sans la diversion provoquée par les conversations avec les autres, ou la nécessité de tenir compte de leur présence et de partager leur emploi du temps. page 121  Marcher en couple ou avec un (e) ami (e)  exige une attention à l'autre, chacun progresse à son rythme, dans sa propre intériorité, non sans partage quand un lieu ou une trouvaille arrête les regards. page 122 Le fait d'être à plusieurs à regarder la beauté d'un paysage, avec les commentaires des uns et des autres, arrache à la méditation, à la transcendance  que le marcheur solitaire vit de plein  fouet  ou en couple. dans un silence de complicité. page 123

Marcher , c'est reprendre corps, cesser de perdre pied et de faire des  faux pas.  On ne sort pas seulement de chez soi, on sort surtout de soi. page 141 Plus jeune, je suis parti pour un voyage que je pensais sans retour. Je voulais disparaître. C'était au Brésil. J'y ai fait la traversée de la nuit pour me convaincre de vivre...Je marchais sans fin mais rien à l'époque ne ralentissait ma chute, le sentiment  que mon existence n'avait pas de sens . c'est le retour seulement qui m'a soudain donné la conviction d'une sorte de renaissance ...Les voyages...ne mènent  jamais qu'à soi quel que soit leur itinéraire., même le plus invraisemblable...;Finalement le vrai voyage, c'est de se quitter soi, non pas de partir ailleurs. page 155...;Une marche solitaire sollicite toujours au moins trois dimensions: on la rêve,  d'abord, on l'accomplit, et ensuite, on s'en souvient, on la raconte. Même terminée,  elle se prolonge  dans la mémoire et dans les récits qu'on en fait. page  156...;On ne marche pas avec le même abandon quand le portable est toujours sous la main...On emporte son univers personnel avec soi, on n'est plus dans l'émerveillement du monde, dans la présence à ce qui est, mais on reste dans une dimension profane, rassurante , sécurisante.. Au retour , le marcheur n'a plus rien à raconter  car il a dilapidé  en menue monnaie la valeur de ses souvenirs par ses connexions innombrables. page 157


vendredi, octobre 09, 2020

ROUGE IMPERATRICE ( Léonora Miano) 2019

 Dans un peu plus d'un siècle, nous voici à Katiopa: un continent  africain presque entièrement unifié, devenu prospère, où les Sinistrés de la vieille Europe sont venus trouver refuge. 

Les Fullasi, descendants d'immigrés français, qui avaient quitté leur pays au cours du XXI è siècle , parce qu'ils s'estimaient envahis par les migrants, sont désormais appauvris et recroquevillés sur leur identité. 

Le chef de l'Etat veut expulser ces populations inassimilables, mais la femme dont il tombe  amoureux  est partisane de leur tendre la main.

La rouge impératrice, ayant ravi le coeur  du héros de la libération du Continent, ne risque-telle pas de désarmer sa volonté? 

Par les "durs " du régime, il faut à tout prix séparer le couple contre- nature, car cette passion menace de devenir une affaire d'Etat. 

Jouant avec les codes de l'utopie et les techniques narratives de la série, cette vaste fresque poétique et politique, d'une ampleur rares, opère un renversement ironique: l'obsession nationaliste et le malaise des minorités y sont mis en scène dans un environnement panafricain.

J'ai lu une quarantaine  de pages et je n'ai pas "accroché", J'arrête la lecture.