lundi, août 24, 2020

LES SOEURS DE BLACKWATER (Alyson Hagy) 2018, traduction 2020

 Sorcière pour les uns, sainte pour les autres, elle seule sait encore lire, écrire, fabriquer de l'encre et du papier, et on vient de loin pour obtenir d'elle une lettre. Dans une Amérique balayée par d'étranges fièvres, des hordes de mercenaires et les Indésirables, elle a su garder sa ferme, fidèle à la mémoire de sa soeur. Mais l'arrivée de Mr Hendricks met fin à ce fragile équilibre. Son étrange magnétisme libère en elle tous les fantômes, l'entraînant dans un voyage bien au-delà de la rivière  de Blackwater, sur les terres du tout-puissant Bill Kingery.

Les Soeurs de Blackwater est une ode magistrale et envoûtante au pouvoir des mots - seule arme et seul remède dans le monde dystopique d'Alyson Hagy. 


"J'suis pas d'ici" dit l'homme, courbant  le front comme s'il elle devait s'y attendre. Mais j'ai entendu parler de vous. Ma femme a grandi à Snow Creek,où vous êtes connue pour aider les gens dans le besoin. Vous faîtes de bonnes lettres, bien appliqués, vous avez écrire la peine d'un homme et en soulager son coeur àl jamais, c'est ce que les gens disent.."page 14

"J'ai connu mon lot e migrations quand j'étais jeune, lui dit(il. je suis né avant la guerre et on a dû bouger sans arrêt une fois qu'elle a été finie, pas trop eu le choix. On dirait que rien n'est plus pareil depuis toutes ces batailles et cette démolition, même jusqu'ici peu. On dirait qu'on est tailladé en pièces. je sais lire et écrire, enfin les bases,assez pour me rendre utile dans un voyage en barge, et c'est ce qui compte à la fin. " page 15

" C'est fini maintenant, d'avoir des esclaves comme ça, dit-il.  On s'est battu jusqu'à ce qu'un des deux camps l'emporte sur l'autre. 

- Vous le pensez vraiment? Mr Hendricks? Que l'esclavage est derrière nous?  Parce que dans ce  cas, je ne suis pas d'accord avec vous. Tout ce qu'on a à faire,  c'est d'admettre ce qu'on a sous nos propres yeux. Nous pourrions demander à ces gens qui campent au bord de la rivière, pour connaître leurs opinions.  La plupart d'entre eux ont porté  des chaînes."page 18

Ce qu'il voulait lui demander, c'était la chose la plus ardue. Il voulait une lettre à déclamer, et il voulait être présent à ses côtés - ou du moins dans l'enceinte de sa propriété - pendant qu'elle l'écrirait. Et puis, il exigeait ce que les gens ne demandaient plus que très rarement, désormais: il voulait  qu'elle mémorise la lettre avant de la détruire devant lui, à tout jamais. page 20

Elle empoignait les pierres et s'efforça de prier pour devenir une meilleure personne. Elle demanda à sa soeur , comme elle le faisait souvent, de lui accorder un pardon qui ne viendrait jamais. Cette requête, elle la renouvelait chaque fois qu'elle devait  écrire une lettre pour un étranger. page 28

" Vous êtes venu  me voir pour être soulagé. Je cherche peut-être la même chose. Mais le soulagement est la perle de grand prix, par ici. Le simple fait de le désirer devient vite une malédiction". page 32

Il dit" J'aime voir la nuit tomber sur tous ces gens là-bas"..page 45 

" Une histoire, dit-elle,  c'est un pont solide à travers la nuit. Et la nuit est là, devant nous". page 46

 Des assurances. Elle avait  eu tort de venir chercher cela. Personne ne méritait de telles assurances désormais  et elle moins que les autres. page 61

Il n'était ni simple, ni prudent d'endosser les fardeaux de l'histoire personnelle d'autrui.page 76

( Je n'ai pas terminé la lecture de ce livre,  Il m'a semblé confus.., une histoire incompréhensible, on ne sait pas si on est dans le mythe, le conte, un roman..)


mercredi, août 19, 2020

LA LAITIERE DE BANGALORE ( Shoba Narayan) 2020 traduction française

 Après plus de vingt ans passés aux Etats-Unis, Shoba rentre en Inde avec sa famille. dans les rues de Bangalore, hommes d'affaires côtoient vendeurs à la sauvette , mendiants, travestis et..vaches! Shoba se lie bien tôt d'amitié avec Sarala, sa voisine laitière dont les vaches vagabondent dans les champs.

Mais lorsque Sarala propose à Shoba de participer à l'achat d'une nouvelle bête commence une drôle d'épopée! Acheter une vache en Inde n'est pas une mince affaire...Il y a des règles strictes et d'innombrables traditions à respecter. Et comment choisir parmi les quarante races indigènes de bovins - sans compter les hybrides! Des foires aux bestiaux aux marchandages sans fin, Shoba redécouvre l'omniprésence  de l'animal dans la vie indienne: on boit son lait, mais aussi on utilise sa bouse pour purifier les maisons, son urine pour fabriquer des médicaments.....

Dans une succession de scènes cocasses et émouvantes, où les vaches ont le premier rôle, Shoba Narayn évoque aussi les mantras, Bollywood, la médecine  ayurvédique le système de castes,  et dresse ainsi un portait contrasté de l'Inde aujourd'hui.. 


" On peut en attrapant la queue d'une vache,  marcher jusqu'au paradis. c'est pour cette raison que la vache est si importante dans l'hindouisme".  Un prêtre hindou paraphrasant.  le Garuda Purana.

Entre la fin des années 1990 et le début des années 2000, j'étais une maman active et stressée à New York. j'aimais les chiens, pas les bovins.  page 16

" Tu ne devineras jamais ce que j'ai vu dans l'ascenseur." Pas de réponse. " Une vache." Là Mon mari lève les yeux.Un nouvel immeuble à Bangalore, beaucoup de nouveaux arrivants. lls veulent tous qu'une vache vienne se promener chez eux. page 24

Apparemment, des locataires allemands veulent louer un éléphant pour promener les enfants à une fête d'anniversaire de leur fille....Le parking est une cavité, il pourrait s'effondrer sous le poids d'un éléphant." dit Ram ( le mari de Shoba) Un cheval est hors de question, disent-ils. Ils se promènent à cheval en Allemagne. ils veulent un animal exotique. Quid d'une vache? ...Apprenant que j'ai discuté avec la laitière, le syndic me charge de l'approcher. Ma mission consiste à sympathiser et à obtenir une de ses vaches pour faire le tour de l'immeuble aux enfants....;" Les vaches ne portent personne sur leur dos, Madame. Elles donnent du lait." " Et un taureau?  ..."Et un buffle? " Sarah secoue la tête. "Les buffles sont la monture de  Yama. ( dieu hindou de la mort)  Pourquoi voulez-vous que les enfants montent la mort? ..;Et un tracteur?  demande-t-elle" Elle peut trouver un tracteur. avec une remorque....- Mais  ce n'est pas acceptable pour la famille allemande.  Ils veulent expédier en Allemagne des photos de leur fille  à califourchon sur un animal. Ils veulent une expérience un peu sauvage, une expérience  de l'Inde véritable.  Finalement, la copropriété les autorise à faire venir un chameau.... pages 44, 45

Chaque matin et chaque soir, j'observe avec une anxiété fébrile le rituel de la traite qui se déroule en face de chez moi. Je suis inquiète pour la santé de ma famille:, mais je suis attirée par la nouveauté consommer le lait d'une vache familière. page 49

Convertir ma famille prend plusieurs semaines. Mes filles refusent de boire du lait provenant directement d'un animal...Elles veulent du lait Nestlé. Homogénéisé et sans odeur.  Ram - son mari- y est farouchement opposé. ..Nous trouvons un compromis. J'achèterai du lait de vache mais le ferai bouillir deux fois et l'utiliserai uniquement pour préparer des yaourts maison.  Ram est d'accord pour tester cette formule  pendant un mois. pages 57, 58

En quelques semaines , me voilà déjà apôtre du lait de vache frais. 

En Inde, les bidonvilles jouxtent les tours rutilantes...."J'habite depuis trente ans à Bangalore, et je n'ai jamais fermé ma porte à clé dit Sarala. Pas une fois. Je vis avec des musulmans et des chrétiens  et nous nous aidons tous les uns les autres. "page 65

La caste et la religion sont importantes pour Sarala. S'occuper des vaches, pour elle, est un métier hindou. Le nom de son mari est Naïdu, un nom assez commun en Inde du Sud. Il indique aussi l'appartenance à la caste naïdu...page 66

" Tant que je suis en vie, je m'occuperai de ces vaches. Après moi? " Elle lève les yeux au ciel. page 69

Dans un article de l'Encyclopaedia of religion and Ethics, l'indianiste  allemand  Hermann Jacobi explique que le caractère sacré de la vache" semble être un héritage des Indiens de l'époque  préhistorique, avant la séparation des peuples indien et iranien. page 72

Sarala veut dire facile en sanskrit, mais sa vie est loin d'être facile. Comme bon nombre des deux cents millions de pauvres en Inde, elle rencontre de nombreuses difficultés. page 74

Pour elle ( Sarala) l'amitié tient au partage des malheurs. Elle me parle et je l'écoute avec empathie. ..L'échange de  renseignements  et l'entraide sont naturels pour elle. page 80

Je me sens tout à fait détendue. Aussi détendue, je dois dire qu'avec une bonne amie. Mais en vérité, Sarala n'est pas mon amie. Nous passons du temps ensemble, mais il y a de grands pans de sa vie dont je ne sais rien  et il y a de grands pans  de ma vie dont elle n' a pas idée. Elle et moi avons pourtant un lien., et il est en train d'évoluer.  page 84

La plupart des études sur le bonheur placent l'Inde au bas de leur liste. Comment explique-t-on alors la nonchalance toute résiliente des pauvres d'Inde? Les chercheurs appellent cela l'adaptation.  Les gens s'habituent  à un certain niveau de vie, à une certaine manière d'être. ils s'adaptent à leur sort. ils apprennent à se satisfaire de ce qu'ils ont.  Sont-ils heureux? Oui, En partie. Comme la plupart des gens , me direz-vous. Mais , en Inde, l'éventail des choses "acceptables " est beaucoup plus vaste. . le concept de pauvreté est plus large. page 93

Question: "Comment allez-vous aujourd'hui?  - Merveilleusement bien".  En Inde , vous n'obtiendrez pas mieux que " ça pourrait être pire".  " page 94

Comme Sarala, aucune des personnes qui travaillent pour moi n'a d'argent de côté. Une maladie peut les mettre en difficulté. Si le mari de ma cuisinière Geeta tombe malade, elle doit mettre ses bijoux en gage pour avoir un peu d'argent. ..C'est une travailleuse enjouée, guère différente d'un e employée de bureau, mais beaucoup plus pauvre. ...Quand la vie est difficile, vous vous débrouillez pour tenir le coup.  Vous développez certains réflexes.  page 109

Pour ma laitière, donner un nom à une vache, est une décision cruciale. Elle donne un nom provisoire pour voir s'il prend, si  de bonnes choses arrivent après l'attribution. Si le nom ne prend pas, la vache donne moins de lait. Ou se fait percuter par un camion. page 113

Sarala et moi sommes toutes les deux d'Inde du Sud. Elle parle ma langue maternelle, le tamoul, mais je ne parle pas la sienne, le telugu. La plupart de ses clients militaires sont des Indiens du Nord locuteurs u hindi., ils ne connaissent aucune des deux.  Voilà pourquoi les Indiens sont si doués pour apprendre l'anglais: nous avons trop de langues régionales. page 118

Le "frère"  de Sarala n'est pas vraiment son frère, en tout cas pas dans le sens où on l'entend en Occident. C'est un parent éloigné, un homme plus âgé qu'elle, qu'on appelle donc Anna " grand frère". En inde, on cherche toujours à faire primer les relations sur les transactions, on accorde plus d'importance aux liens qu'aux opportunités. Les amis deviennent des membres de la famille.page 122

L'Inde abrite environ trois cents millions de bovins. davantage que tout autre pays au monde. page 127

En 1998, l'Inde  a ravi la place de plus grand producteur de lait aux Etats-Unis. Mais se concentrer sur la production de lait  a porté un coup fatal aux races indigènes à faible rendement.  Sajal Kulkarni , un chercheur de la Fondation Bhharatiya pour le développement de la recherche agro_industrielle, de Pune, : " Les Indiens doivent  commercialiser leur lait comme  les Français commercialisent leurs fromage . Il nous faut créer une niche , un marché haut de gamme comme en France  et en Italie. Il nous fait demander un taux plus élevé pour le lait de vaches locales adaptées à l'Inde et à son climat." page 134

La clinique de Bangalore est un avant-poste de la maison-mère d'Indore, où quelque trois mille cinq cents vaches indigènes sont élevées pour leurs différents produits.  page 139

Les anciens préconisent les mariages arrangés pour leurs petits-enfants éduqués aux Etats-Unis...page 158

Dans la poésie indienne , on utilise la vache comme métaphore pour décrire la vitesse, la fertilité, l'instinct maternel et la bienveillance nourricière. page 162

Sarala veut que je lui achète une vache. Cela coûtera autour de 1000 dollars. Elle compte me rembourser. Durant les jours suivants, Sarala et moi discutons et rediscutons  du prêt, ou de "l'avance "comme on dit ici. "Avance " semble plus inoffensif que "prêt". Pour une économie en voie de développement telle que l'Inde, une avance  semble on ne peut plus logique vu la jeunesse de la population...page 166

Chaque personne en Inde est "originaire" d'un village ancestral. Un village où son arbre généalogique se déploie sur dix générations, où la divinité familiale, souvent d'origine tribale, a élu domicile, et où l'on se rend tous les ans en pèlerinage  pour apaiser son dieu ou sa déesse tribale et garantir ainsi la pérennité à son clan. page 183

Maintenant que je suis en Inde, je" veux accompagner mes parents pour leur visite annuelle dans notre village natal. En chemin, j'annonce à mon père que nous songeons à faire don d'une vache pour célébrer son prochain anniversaire. Sa réaction ressemble à celle du père de Ram - très bien, si c'est ce que nous voulons.  page 186

La caste est l'une des plus vivaces contradictions de l'Inde. Pour certains, c'est un marqueur d'identité transmis par la naissance et la famille. On naît dans l'une des quatre castes:les brahmanes ( les prêtres), les kkshatriyas) ( les guerriers), les vaishas ( les commerçants), ou les shudras ( les balayeurs, les intouchables). page 188

Même si je suis de culture hindoue, j'ai de nombreux désaccords avec la religion dans laquelle j'ai été élevée. D'abord, c'est une religion patriarcale. Or, je suis féministe. Les prêtres dans l'hindouisme sont tous des hommes..;Seuls les hommes célèbrent les événements importants de leur vie en grande pompe. Les grandes célébrations d'anniversaire que nous organisons pour nos pères en sont le bon exemple. page 189

Les Hindous n'ont pas toujours vénéré les vaches.  Même les pieux ancêtres hindous qui nous ont légué les Vedas et les Upanishad mangeaient du boeuf. ...On pouvait sacrifier une vache stérile mais on ne touchait pas à une vache laitière. page 191

Acheter une vache est une affaire sérieuse.  page 196

( Le chien de la maison est mort) Nous roulons en convoi jusqu'à Kengeri, à une heure de Bangalore. L'association People for Animals y tient un refuge pour recueillir et soigner les animaux sauvages maltraités et un cimetière pour animaux de compagnie, sur une colline boisée. Nous y enterrons Inji avec tous les honneurs et les rites habituels. Quatre personnes portent le cercueil, couvert d'une pluie de riz, comme le veut la tradition hindoue. et nous déposons pour son ultime voyage sa nourriture préférée ( du lait, des bananes) ainsi qu'une guirlande de jasmin.  page 244

Quelques mois plus tard, ma vache est pleine. Sarala me l'annonce un matin de novembre d'un ton détaché....page 247 Al ( la vache) donne naissance à un petit  alerte et en bonne santé...Mais il y a un hic: c'est un mâle! page 249

Sarala cherche à marier des deux fils cadets. L'un est dans l'armée indienne, l'autre travaille  pour une société informatique. Ils sont instruits. Elle veut des belles-filles instruites,"au moins avec un master" pour ses garçons de trente et trente-quatre ans. S'ils ont du mal à trouver, c'est en partie parce que les parents ne veulent pas que leurs filles se lient à une famille de producteurs laitiers.  L'aîné des deux fils  est en poste au Cachemire. 

" La fille ira vivre dans le Nord?  Près du Pakistan? - Pourquoi pas Madame? Nous enverrons une ou deux vaches  avec elle. Elle se sentira chez elle comme ça. "...Sarala fait face à un dilemme. Chercher des fiancées  pour  ses fils la consume. Ils ont déménagé pour s'éloigner  de l'étable.  pages 269, 270

' Sarala et Shoba sont dans la famille de Sarala , au village où elle est née)  A la fin du repas, les femmes débarrassent et nettoient - un exercice sexiste ancré dans la tradition, pas seulement en Inde mais dans la plupart des zones rurales. ..J'entends  les femmes s'égayer à l'arrière. D'énormes éclats de rire s'échappent de la cuisine, vifs et libres...J'attribue ça à la nourriture locale t biologique. mais comme le montre une étude, c'es t peut-être dû à la bouse de vache. Mycobacterium vaccae est une bactérie présente dans la bouse de vache. On l'a décelée pour la première fois en Autriche . Le mot vacca est le latin pour "vache." Des recherches  ont montré que l'exposition à cette bactérie peut accroi^tre l'intelligence et remonter le moral.  Je ne plaisante pas. Deux professeurs de biologie du Russell Sage College de Troy, New-York, ont présenté  cette découverte  ..en 2010.  page 278

Quelques mois plus tard, Sarala se présente à ma porte avec un faire-part de mariage. Elle a finalement choisi les deux soeurs ( de son village natal) pour ses deux garçons et elle semble enthousiaste. page 281

Un matin de décembre, mon beau-père nous quitte. Les rituels à accomplir après sa mort me ramènent , encore une fois aux vaches. Les diverses cultures et religions font face à la mort de manière différente.  L' hindouisme, nous le découvrons, est résolument tourné vers l'avenir. ..Après la crémation du mort, par exemple, les vivants doivent partir sans se retourner.  Un autre rituel consiste à répandre les cendres dans les fleuves sacrés. page 283

Le jour du mariage  de Selva débute comme tous les autres jours en Inde: ça carillonne, ça meugle, ça klaxonne et ça coasse.  ...Selva porte une chemise blanche en soie et un dhoti assorti. Une guirlande  de tubéreuses blanches et de sequins pend lâchement à son cou. La mariée  est à côté de lui, dans un sari en soie rouge vif et beaucoup de bijoux...Le prêtre fait entrer le couple dans le sanctuaire du temple devant les dieux.  page 291


mardi, août 11, 2020

LA NUIT FEROCE ( Ricardo Menendez Salmon)

 Dans les villages espagnols des années 30, trop isolés pour qu'un instituteur y fût nommé, les maîtres d' école étaient recrutés par des villageois au moment des foires. Ils avaient un salaire mais prenaient leurs repas chez les habitants qui les recevaient à tour de rôle. On les appelait catapote " pique-au-pot" . La Nuit féroce se déroule à cette époque, dans un de ces villages au nom étrange. Le maître d 'école est invité à partager une table dans une des maisons du lieu. Mais le terrible meurtre d'une jeune fille fige cette scène et libère la brutalité qui sous-tend ce bourg perdu lorsque un groupe d'hommes part à la chasse au meurtrier. Deux innocents fuient, bientôt persécutés par la colère  aveugle. Un mal profond, enraciné dans le passé, irréfutable et impassible, gouverne le temps et l'espace de ce conte noir et métaphysique aux résonances de tragédie grecque.

Né en 1971, à Gijon où il vit, Ricardo Menendez Salmon est considéré comme un des écrivains les plus remarquables de la littérature espagnole contemporaine. Une grande partie de son oeuvre est publiée en France aux éditions Actes Sud et Jacqueline Chambon. 

Tragédie sur la culpabilté, sur le mal pendant la guerre d'Espagne, le nouveau roman de l'écrivain espagnol ne montre pas d'espoir en l'homme ( Le Monde, juillet 2020)

Le contexte: 1936, c'est le début de la guerre d'Espagne qui a opposé pendant trois ans, en résumant les gens d'extrême droite dirigée par le tristement connu Franco et la gauche communiste..Un crime a été commis et les deux premiers "étrangers" qui passent par là sont traqués par les hommes du village. .Les personnages de ce roman sont divisés en trois: les "hôtes, des villageois un peu moins bourrus, un instituteur qui n'est pas d'ici, les "chasseurs" qui pourchassent les "innocents" pour faire justice eux-mêmes. (une lectrice)

La paix est un peu plus qu'un simple mot: la paix peut se respirer. page 17

"Aux mains d'un homme, on peut connaître son âme, philosophe  le maître de maison en coupant le pain

- Aux mains d'un homme , on peut connaître son travail. L'âme, jusqu'à aujourd'hui, personne ne l'a vue. 

Homero soutient le regard du maître de maison page 24

- La guerre ne m'intéresse pas, dit Homero, ce n'est pas mon affaire. 

- Mais, vous, les maîtres d'école,  demanda la maîtresse de maison, vous n'êtes pas tous républicains? 

..-Je vous l'ai dit, réplique Homero, je suis bolchevique. S'il faut couper la tête à une canaille,on la lui coupe.  page 26

" Et toi, dit-elle au cadet. au lit.

Le petit regarde Homero d'un air obstiné, comme s'il devait faire son portrait. 

- Maître, dit-il d'une voix virile, insolite. Parlez-moi de nouveau du fondateur. 

- Du fondateur?

- Oui, , du fondateur du village. Vous nous avez parlé hier, quand vous nous avez appris les capitales 'Europe. 

- Tu te tais, dit le maître de maison, au lit. 

- S'il veut...intervient Homero.

- Non, il vaut mieux qu'il se couche. Demain, il faut qu'il m'aide  de bonne heure au travail. page 32

Sur un mur, près d'un Christ de bois spartiate..;un calendrier d'une marque de savon assure qu'on est en 1936, mais Homero est tourmenté par tant de superstition..;Ces hommes sont des hommes du Moyen-Age, ou même plus anciens, des hommes qui ignorent tout de l'hygiène, de l'électricité ou  de l'imprimerie.   page 33

Bien qu'il ne fût plus un enfant, quand il est arrivé ici, ( le fondateur du village) écrit Homero, .;;ce n'était pas encore un homme..;même si cela faisait des années qu'il n'était plus un enfant. page 37....Le Français avait mis pour la première fois les pieds dans ce bourbier..un matin de février 1809. Quelques semaines plus tôt, il avait déserté les troupes du maréchal Soult qui, depuis décembre, balayaient les Anglais de tout village ou hameau situé entre Benavente t La Corogne.  La raison  pur laquelle le Français avait déserté restera à jamais cachée, mais  à coup sûr, sa décision ne fut pas étrangère aux horreurs qu'il avait dû, à cette époque, observer dans son périple depuis les terres de Castille jusqu'au port de Galice.  En fait, il ne semble pas insensé de déduire que  c'est durant ces semaines de furie au cours desquelles il avait combattu dans les armées napoléoniennes qu'il avait quitté ses vêtements d'enfant. page 38

Fonder est un des mots les plus joyeux de l'univers. Imaginons donc avec quel enthousiasme Le Français dut s'approprier tout ce qui l'entourait.  page 42

( Deux vagabonds arrivent chez Homero)  Ce qui étonne le plus Homero, c'est leur saleté. Ils sont si sales qu'ils ne semblent pas venir de la nuit et des chemins, mais des chaudières de l'enfer. leur peau est presque noire, à cause de toute la crasse et de toute la poussière dont ils sont couverts. 

- "Vous avez faim?

Les deux hommes  se regardent. ils pourraient être frères. Il sont la même résignation sur le visage, les mêmes oreilles, grandes , mais en même temps décharnées..;Mais ce qui les rend frères ce n'est .pas le sang mais la misère. 

-Très, dit celui qui avait parlé. Nous n'avons rien mangé depuis hier matin.

Tandis qu'ils dévorent un morceau de pain et les oranges..Homero les regarde. 

- Vous êtes au courant pour la petit fille? 

....Nous n'avons rien fait. Nous sommes des ouvriers...;

- Je n'en doute pas, dit Homero; Mais je ne peux pas vous cacher ici..;je crois que la battue tarde à revenir sur ses pas...." Homero pense à sa famille, à tous les humiliés qui à pied, à dos de cheval, sur de vieilles bicyclettes ou juchés sur la caisse d'horribles camions militaires, fuient leurs idéaux et leurs amours, cherchent refuge dans ce monde qu'on dit si grand pour pouvoir y enterrer leurs peurs, nourrir de nouvelles aspirations, conquérir certaines formes de joie. ...Une minute plus tard, il dit au revoir aux hommes...page 46

( Le Père Agyuire) C'est un leader né, un conducator, ce que les romanciers appellent "un personnage". A Promenadia, seuls Irizabal et Homero  osent ne pas lui céder le pas. .les autres, jusqu'au dernier des athées, tremblent en sa présence..page 51

la maitresse de maison regarde son mari, comme on regarde une cuvette cassée ou une fenêtre déglinguée.

- Les cimetières sont pleins d'hommes courageux. En plus, dehors, il y a une guerre. page 57

" Tu n'as pas vu ses mains ? (celles de Homero)

- Et ce mot bizarre qu'il a dit insiste sa femme depuis la pénombre. Bolchevique, bolchevique, bolchevique, bolchevique...

- Qu'est-ce que ce mot d'où vient-il et pourquoi?  que veut-il de lui page 58

Les coups sur la porte arrachent Homero à son sommeil. 

- Que venez-vous faire ici?  Que voulez-vous? ( le maître de maison chez qui Homero a dîné ce soir). 

- J'ai besoin de vous parler. 

- D'accord, dit Homero. Mais ça, - il montre le fusil- ça reste dehors.

...Je vous écoute

..-Je voulais vous demander si vous pensez que je suis un lâche? 

- Vous dîtes ça parce que vous n'êtes pas avec la battue?

...Le maître de maison fait non de la tête 

- Vous craignez beaucoup le jugement des hommes?  

- Moins que celui de Dieu, dit le maître de maison en se  signant.

- Dieu n'a rien à voir ici, dit Homero. Ni ici, ni nulle part ailleurs. Dieu est un fantôme. 

...- Vous ne craignez rien? 

...- Je crains les hommes, mais pas leur jugement, leur orgueil...pages 70, 72

( Le Père Aguirre)  De tous les plaisirs que connaît l'homme, aucun n'est plus grand que celui de causer de la douleur. La contemplation de la beauté ou la transe de l'amour physique ne peuvent se comparer avec la jouissance de briser un os. ..Tout son génie (celui de l'homme) toute sa patience et toute sa ferveur pâlissent devant l'énigme de sa méchanceté. page 78

En ces temps postérieurs à la proclamation de la République, quand le Père Aguirre était arrivé à Promenadia, ce n'était pas du dogme que se préoccupait l'Eglise mais de  sa survie. page 79

Un homme n'est pas seulement une vie, mais toutes celles qu'il accueille dans ses actes, dans ses désirs et dans ses défaites- page 83

Bien pire que le froid, bien pire que la faim, bien pire même que la peur, il y a le sentiment de honte, de dignité souillée, la blessure que provoque en eux ( les deux fugitifs)  le fait d'être chassés comme des animaux. page 91..;ET c''st alors - au moment précis où il découvre le Père Aguirre et l'ombre de celui qui le suit, à ce moment précis,où il comprend qui est cet homme et la sentence qu'il garde sur les lèvres- qu'il sent le capuchon lui couvrir les cheveux et les yeux, si bien que la dernière chose qu'il peut voir avant que l'obscurité ne l'aveugle, c'est une main à laquelle manque le majeur qui s'avance vers lui en forme de bélier ou de simple emblème de l'horreur. page 93

Parce que c'est du mal qu'il s'agit, pense Homero, voilà de quoi il s'agit. Parce que ce qui se résout ici cette nuit, ce n'est pas si la grâce de la rédemption ou le châtiment existent ou non, mais s'il y a une justification pour ce que nous faisons, pour ce que nous faisons,   pour ce que nous pensons, pour cette vie qui  nous est échue. page 103 Avant de quitter l'école, la dernière seconde, il a eu encore le temps de glisser dans sa poche la photo de sa femme. Il émane d''elle une chaleur vénéneuse...Pouvoir lui ( à Irizabal) parler de son père, et de la femme sur la photo, du coeur du pique-au - pot. Mais quels mots pourrait-il employer, comment parler sans manquer à la vérité, sans sentir que le langage est un instrument usé, inutile, brisé comme un jouer désuet. page 104

- J'ai un fils que j'adore, poursuit Irizabal , tout en menant ses chevaux.... et...qui me hait. Il est possible qu'un jour il me tue...je n'ai été capable de lui dire combien je l'aime.  page 106

" Votre père. Continuez, allez

- Non dit Homero, Je ne peux pas. C'est inutile. Il n'y a pas de mots pour dire ce qu'il m'a fait. " - Eh bien s'il n'y a pas de mots , dit Erizabal...montrez- moi au moins ce qui s'est passé..Il y a des choses qui ne peuvent pas se dire mais elles peuvent toujours se montrer. 

Montrer, pense Homero. On ne peut pas montrer l'injustice, le déshonneur ou la honte....page 107

Les hommes pendent comme des draps noirs.Ils portent tous deux des capuchons de pénitents. le vent les balance de côté, comme s'il leur mordait les genoux. Les quatre assassins ,quelques mètres plus loin, veillent  en silence;page 111



vendredi, août 07, 2020

NOCES ( Albert Camus)

 Ce recueil se compose de quatre essais écrits en 1936 et 1937, publiés en 1950.

Noces à Tipasa évoque un " jour de noces avec le monde". sur la plage de Tipasa, dans les odeurs sauvages de l'été d'Algérie, un jeune homme, fils d'une " race née du soleil et de la mer" chante sa joie de vivre dans la beauté et son orgueil de pouvoir aimer sans mesure

Le vent à Djémila. Au crépuscule, dans le décor tragique d'une ville morte traversée par le vent, l'auteur exprime sa " certitude consciente d'une mort sans espoir". Mais l'horreur même de cette mort ne l'en distraira pas. Jusqu'au bout, il sera lucide. 

L'été à Alger. Description psychologique n d'une ville sans passé qui ignore le sens du mot vertu, mais qui a sa morale et où les hommes trouvent " pendant toute leur jeunesse une vie à la mesure de leur beauté.

Le désert. Partant de la leçon des grands peintres toscans, l'auteur s'approche de cette " double vérité du corps et de l'instant...qui doit nous en chanter mais périr à la fois. "  Il découvre que l'accord qui unit un être à sa vie, dans un monde dont la beauté doit périr , est la "double conscience de son désir de durée et son destin de mort. " Notre salut est sur la terre où le bonheur peut naître de l'absence d'espoir. 

TIPASSA

Au printemps, Tipassa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le  soleil et l'odeur des absinthes, la mer cuirassée d'argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs e tla lumière à gros bouillons dans les amas de pierres A certaines heures, la campagne est noire de soleil...page 13

Nous marchons à la rencontre de l'amour et du désir. Nous ne cherchons pas de leçons, ni l'amère philosophie qu'on demande à la grandeur. Hors du soleil, des baisers et des parfums, tout nous paraît futile. page 15

Ce n'est pas si facile devenir ce qu'on est, de retrouver sa mesure profonde. page 17

Tout ici, me laisse intact, je n'abandonne rien de moi-même, je ne revêts aucun masque: il me suffit d'apprendre patiemment la difficile science de vivre qui vaut bien tous leurs savoir-vivre. page 21

Pourquoi nierais-je la joie de vivre, si je ne sais pas tout renfermé dans la joie de vivre? Il n'y a pas de honte à être heureux. page 22

Il y a un temps pour vivre et un temps pour témoigner de vivre. Il y a aussi  un temps pour créer, ce qui est moins naturel. Il me suffit de vivre de tout mon corps et de témoigner de tout mon coeur; page 23


LE VENT A DJEMILA

Il est des lieux où meurt l'esprit pour que naisse une vérité qui est  sa négation.Lorsque je suis allé à Djemila, il y avait du vent et du soleil, mais  c'est une autre histoire. Ce qu'il faut dire d'abord, c'et qu'il y régnait un grand silence  lourd et sans félure. page 31

IL faut beaucoup de temps pour aller à Djemila. Ce n'est pas un eville où l'on s'arrête et que l'on dépasse. Elle ne mène nulle part et n'ouvre sur aucun pays.  C'est un lieu d'où l'on revient La ville morte eest au terme d'une longue route en lacets...page 32

Comme le galet verni  par les marées, j'étais poli par le vent, usé jusqu'à l'âme. page 34

Oui, je suis présent..;Comme un homme emprisonné à perpétuité - et tout lui est présent- Mais aussi comme un homme qui sait que demain sera semblable  et tous les autres jours. Car pour un homme, prendre conscience de son présent, c'est ne plus rien attendre. page 36

Si je refuse tous les " plus tard" du monde, c'est qu'il s'agit aussi bien  de ne pas renoncer à ma richesse présente. page 37

Un homme jeune regarde le monde face à face. Il n'a pas eu le temps de polir l'idée de mort ou de néant dont pourtant il a mâché l'horreur. page 38

Le seul progrès de la civilisation,  celui auquel de temps en temps  un homme s'attache, c'est de créer des morts conscientes. page 39


ALGER

Ce qu'on peut aimer à Alger, c'est ce dont tout le monde vit: la mer au tournant de chaque rue, un certain poids de soleil, la beauté de la race. page 47

Il faut sans  doute vivre longtemps à Alger pour comprendre ce que peut avoir de desséchant un excès de biens naturels..Ce pays  est sans leçons; Il ne promet ni ne fait entrevoir. Il se contente de donner, mais à profusion. ce qu'il exige, ce sont des âmes clairvoyantes, c'est - à - dire sans consolation. page 48

Il n'est pas une vérité qui ne porte avec elle son amertume. Comment s'étonner alors si le visage de ce pays, je ne l'aime qu'au milieu de ses hommes les plus pauvres? page 49

Ces silences n'ont pas tous la même qualité, selon qu'ils naissent de l'ombre ou du soleil. Il y a le silence de midi.;;Il y a le silence de la sieste..mais surtout, il y a les silence des soirs d'été. page 54

Le signe de la jeunesse, c'est peut-etre une vocation magnifique pour les bonheurs faciles. Mais surtout, c'est une précipitation à vivre qui touche au gaspillage..;la vie n'est pas à construire mais à brûler.page 59

" Tout passe disent les ex-voto en forme de coeur, sauf le souvenir" Et tous insistent sur cette éternité dérisoire que nous fournit à peu de frais le coeur de ceux qui nous aimèrent . Ce sont les mêmes phrases qui servent à tous les désespoirs. Elles s'adressent au mort et lui parlent à la deuxième personne.  page 62

Sentir ses liens avec une terre , son amour pour quelques hommes, savoir qu'il est toujours un lieu où le coeur trouvera son accord, voici beaucoup de certitudes pour une seule vie d'homme. Et sans doute, ce la peut suffire. page 66

Je sais seulement que le ciel durera plus que moi. Et qu'appellerai-je éternité sinon ce qui continuera après moi. .Il n'est pas toujours facile d'être un homme, encore moins un homme pur. page 67

La vie d'un homme s'accomplit sans le secours de son esprit, avec ses reculs et ses avancées, à la fois, sa solitude et ses présences. page 68

Vivre ce n'est pas se résigner.page 70


LE DESERT ( A Jean Gernier)

Vivre, bien sûr, c'est un peu le contraire 'exprimer. Si j'en crois les grands maîtres toscans, c'est témoigner trois fois, dans le silence, la flamme et l'immobilité.page 77

Les mythes sont à la religion ce que la poésie est à la vérité, des masques ridicules posés sur la passion de vivre. page 91

Toute négation contient une floraison de "oui". page 98

Florence! un des seuls lieux d'Europe où j'ai compris qu'au coeur de mes révoltes dormait un consentement.  Dans son ciel mêlé de larmes et de soleil, j'apprenais à consentir à la terre et à brûler dans la flamme sombre de ses fêtes. page 100