dimanche, février 28, 2021

LE CHANT DE LA PLUIE (Sue Hubbard) 2020

 C'est sur la côte ouest de l'Irlande, au sein d'une nature sauvage, âpre et magnifique à la fois, que Martha, qui vit et enseigne à Londres, est venue faire le point sur sa vie. Son mari, irlandais, brutalement décédé, possédait là-bas un cottage, dans son village natal, face à l'océan et aux inquiétantes îles Skellig. Il y allait souvent - seul? -  et elle plus rarement.

Il y a la pluie, les embruns, les feux de tourbe, d'incroyables couchers de soleil, les pubs enfumés, où , tout le monde chante de vieilles balades. Et des rencontres, souvent inattendues....

Critique d'art et poète dont l'oeuvre a été couronnée par  de nombreux pris, Sue Hubbard est aussi romancière. Elle vit à Londres. Le chant de la pluie, son troisième roman, est le premier traduit en français. 

Brendan est mort. Voilà qui est dit.  A voix haute dans une voiture vide. .." Je suis désolé," a dit le jeune médecin peu après minuit. Mais elle ne l'a pas cru. Venir ici, la force à accepter sa perte.  Cet endroit a toujours été à lui.  Elle l'y a accompagné mais pas depuis très longtemps.  Et pas depuis cet été-là.  Elle ne sait pas si elle s 'est lancée dans ce voyage pour le retrouver ou pour l'exorciser.  page 11

En quittant Londres, elle a dit à de rares personnes concernées que son séjour visait à régler les affaires du défunt. Mais en réalité? Elle ne sait pas trop. Peut-être ce retour dans le comté de Kerry a-t-il pour but de renouer avec tout ce qu'elle a négligé pendant ces trente dernières années, les brefs moments de bonheur  et les souffrances considérables dont l'addition aura constitué leur existence commune.  page 13

Brendan avait onze ans lorsque Dermot les avait emmenés dans le Kerry , lui et Michaêl, pour rendre visite à leur grand-père...;Quand j'étais jeune, la plupart des gens d 'ici parlaient gaélic. Mais il n'y avait pas de travail. Regardez-moi, par exemple. Si je n'avais jamais émigré en Angleterre, je n'aurais jamais rencontré votre mère".  page 27

Elle était détruite par son deuil. Elle se savait prisonnière du passé, mais n'osait avancer vers un avenir incertain. Elle avait atteint le point fatidique qui sépare l'existence du néant. ....La nuit suivante, elle n'avait rêvé de rien, ce qui n'était pas la même chose que de ne pas rêver.  page 36

( un voisin, ami de son mari ) Il ( Eugène, l'agent immobilier) était le genre d'homme qui la rencontrant sur la plage en train de lire un livre, se vantait aussitôt de n'avoir pas le temps de lire. avec son emploi du temps, il ne pouvait se permettre que les journaux et les magazines professionnels. C'était comme si lire était un signe d'inutilité.  La preuve qu'on n'avait rien de plus important à faire. page 51

( un carnet d'adresses de son mari ) Une courte existence  résumée par une liste de noms également éphémère. page 53

Mais la région (d'Irlande)  a complètement changé . Ce premier été, plus d'un quart de siècle plus tôt, elle avait eu l'impression d'atteindre le bout du monde...Aujourd'hui, avec les financements européens, on sent l'afflux d' argent un peu partout.  Des promoteurs remplissent les poches des élus locaux pour faire construire d'infinis alignements d'habitations haut de gamme à l'orée de villages isolés où aucun care supérieur  n'envisagerait d'habiter. .;Tout le monde désormais porte des vêtements de marque ou de  haute couture, on boit du champagne plutôt que de la Guinness ou du stout.  page 59

( un paysagiste) Le Kerry est mon pays depuis toujours. je ne pourrais habiter  ailleurs. j'ai essayé. Mais je ne peux pas...Elle l'avait déjà remarqué lors de ses visites précédentes: en Irlande, il est difficile de réduire les gens à leur fonction.. Cet homme est jardinier, mais sa conversation est émaillée de référence à Yeats et Joyce, page 60

Ne pas être surmené est devenu un vice moderne, le signe d'un échec, la preuve qu'on ne compte pas. la société peut se passer de nous. Elle nous oubliera bientôt. Un agenda plein de rendez-vous de repas d'affaires  démontre notre importance , notre valeur  sur le marché. Et lorsque tout ça disparaît,? Savons-nous  encore qui nous sommes? page 65

Pauvreté et politique, Eglise et superstitions, étaient les maîtres  de ceux qui tiraient tant  bien que mal leur subsistance de cette terre sauvage. page 84 ( l'Irlande à la première partie du XXè siècle)

La mort est à portée de main et ce n'est pas une métaphore. ...Le deuil prend  du temps mais pour combien?  La souffrance  se cache sous la surface comme un virus, prête à se réveiller  au moindre rappel extérieur. page 93

Comme la vie passe. On passe principalement la première moitié à s'y faire, à apprendre le fonctionnement des choses,  à commettre des erreurs , à se préparer à la suite. Et l'espace d'un instant, on a l'impression d'être arrivé, avoir compris quelque chose. Notre vie est faite. La marée monte et efface nos traces de pas, laissant à nouveau la plage immaculée. page 99

'Paddy O'Connell , un voisin de Martha, propriétaire d'une ferme) Elle pense à Paddy O'Connell dans  son champ à l'aube, les bottes couvertes de boue, se suffisant à lui-même. Le dernier vestige de l'ancienne Irlande, lié à sa terre, à son chapeau, à son troupeau, à l'Eglise et à sa famille. Pour les générations précédentes, l'épanouissement individuel était moins important. le mariage, oui, pour les enfants. Mais à part ça, vous faisiez ce qu'on attendait de vous. Gagner sa vie, s'occuper de sa famille et de ses bêtes, cela laissait peu de temps pour les subtilités du développement personnel. L'Eglise fixait les règles. les relations entre époux, parents et enfants, voisins, étaient parfois difficiles mais la Foi imposait un cadre.  Les gens comme Paddy O'Connell, les moines de Skellig , les gardiens de phare: tous contredisaient une évidence moderne selon laquelle les richesses matérielles sont la clé du bonheur. Ne pas les posséder est devenu un manque impardonnable. page 100

A la soirée d'Eugène, les gens ne parlaient que des prix de l'immobilier. L'Irlande , qui était il y a peu l'un des pays les plus pauvres et les plus arriérés d'Europe, est à présent, l'un des plus riches. Son héritage autrefois riche de poètes et de conteurs laisse place à une épidémie de pavillons vulgaires défigurant un paysage majestueux. page 101.;deux enveloppes ...Une blanche qu'il ( Paddy) ne sait pas identifier. ..Il doit la relire par deux fois. 100 000 euros. C'est beaucoup d'argent. Eugène Riordan doit vraiment vouloir son terrain pour offrir une telle somme. IL respire profondément et la remet dans l'enveloppe, puis s'approche de la commode et la glisse derrière l'assiette souvenir des îles d'Aran. page 119

Tout ce qu'on fait dans la vie n'est peut-être qu'une version imparfaite de ce qu'on croit être en train de faire. page 128

" Mais qu'est-ce qui leur donnait envie de vivre sur un rocher au milieu de l'océan, maman? Ils ( les moines ) n'avaient pas peur de sentir seuls? Elle avait répondu que c'était justement ce qu'ils voulaient. Dans cette époque ancienne, les gens pensaient qu'en vivant dans des endroits reculés, ils seraient plus proches de Dieu. C'était leur âme qui leur importait, pas leur corps. ..Dieu était une présence concrète dans leur vie, d'une manière difficile à comprendre dans le monde moderne. page 136

" Maman, où vont les étoiles quand il fait jour?  - Elles ne vont nulle part, mon chéri. Elles sont toujours là. C'est seulement qu'on ne les voit pas." page 138  ( Bruno à Martha sa mère) page 138

Martha apprend à être seule. Il y a quelque chose de pur dans la solitude. Comme du cristal ou de la glace.  page 170

L'aube a la couleur de la pluie. Cela fait douze semaines que Brendan est mort. Pendant plus de trente ans, elle a partagé un lit avec lui...Elle aurait aimé mieux le connaître, cet homme qui était son mari.  page 201

"Même si nous sommes ce que Joyce appelait " l'arrière-pensée de l'Europe, hantés  par une histoire morte qu'on ne veut pas l'admettre". ". (dit Colm)  Nous nous sommes racontés tellement d'histoires que nous avons perdu le fil. ...Il n'y  a pas si longtemps, les rues (de Dublin) étaient pleines d'enfants aux pieds nus, de femmes sans dents, de prêtres aux chaussures cirées  qui parlaient de l'enfer  mais  se vautraient dans leur lit à baldaquin avec leur gouvernante. de petites boutiques qui vendaient de tout, du vaccin au charbon. Vous pouviez acheter de quoi  vous chauffer pour une seule nuit. Le thé et le sucre étaient vendus à la pincée et c'était cinq cigarettes pour 2 pence. Il n'y a pas si longtemps, le prêteur sur gages était un personnage  aussi familier  que le prêtre. ...Oubliés Beckett et Synge.....Nous ne sommes plus un pays de violoneux aux yeux pleins de rêve, mais de  politiciens, de promoteurs immobiliers et de cow-boys de la finance. Et c'est un putain de désastre. page 207

"Nous ne sommes pas obsédés par  la classe ou l'origine des gens....L'Irlande a toujours été pleine de familles dysfonctionnelles, de vies tristes et sans amour,  de vieillesse, de  religion opprimante et de pluie. Le chant de la pluie est notre hymne national, nos passe-temps sont l'ennui et la boisson.  C'est la vérité, Martha. Ma vérité, et c'est ce que j'écris.  ça et  la beauté sauvage de cet endroit. L'autre  genre d'irlandicité? C'est pour  les touristes. page  212

Elle avait pris l'habitude d'être jeune et soudain, sans avertissement préalable, tout a changé. Elle s'est réveillée un matin et sa vie était davantage derrière elle que devant. Elle a perdu son enfant et son mari. Elle a oublié qui elle est et quel sens à la vie....Elle pense à ce poème sur la route qu'on n'a pas empruntée et se demande quelle autre vie elle aurait pu avoir, en prenant d'autres directions. 

Bien vivre, c'est être attentif à chaque  instant,....La déception est liée au désir que les chose soient différentes, n'est-ce pas?  Essayer de changer ce qui ne peut pas l'être....Qui a dit ; chaque histoire  a un début, un milieu et une fin, mais pas nécessairement dans cet ordre? page 283





mardi, février 16, 2021

NOS SECRETS TROP BIEN GARDES ( Lara PRESCOTT ) 2021

 A l'aube de la guerre froide,  Olga, la muse de Boris Pasternak, est arrêtée à Moscou et envoyée au goulag -  il s'agit de faire pression sur le plus célèbre écrivain soviétique vivant, dont le roman Le Docteur Jivago critiquerait la révolution d'octobre; En 1956, à Washington, Irina, Américaine d'origine russe, est embauchée par la CIA, officiellement  comme dactylo, mais en vérité pour travailler sur le terrain. La chic et sophistiquée Sally est chargée de la former à l'art de l'espionnage. 

De Moscou aux horreurs du goulag, de Washington à Paris et Milan, Nos secrets trop bien gardés met en scène la passion et le courage de trois femmes inoubliables en saisissant un moment extraordinaire du XXè siècle avec une maîtrise et une vérité étonnantes et rend hommage à toutes les femmes éclipsées par les hommes et oubliées par l'Histoire. 

Ce roman est inspiré de la véritable tentative de la CIA d'introduire clandestinement le chef-d'oeuvre de Pasternak au-delà du rideau de fer, une mission fondée sur la conviction qu'un livre a le pouvoir de changer le monde. 

EST. 1949-1950

(Olga, l'amie de Pasternak est arrêtée chez elle; elle est en prison) " Tu ne peux pas dormir maintenant" m'a dit une jeune femme assise sur le lit contigu....Ils vont venir te réveiller.....Il est interdit de dormir en journée".  ....Et les gardiens sont venus. Chaque nuit, ils venaient chercher l'une d'entre nous, une à la fois avant de la ramener dans le cellule no 7 des heures plus tard. page 30

" Je n'ai rien fait de mal. Vous devez me relâcher. j'ai une famille. Il n'y a.." Il a levé un doigt: " Rien de mal? C'est nous qui déciderons le moment venu". Il a soupiré... " Voyons voir ce que tu as fait? page 32

" Parle -moi de ce roman qu'il est en train d'écrire?  J'ai entendu certaines choses."  - Comme quoi? - Raconte-moi. De quoi parle ce Docteur Jivago?  - Je ne sais pas..." Page 33

Boris Leonidovitch était le poète russe vivant le plus célèbre.. page 35

Je  savais ce qu'il attendait de moi ( Anatoli Sergueïvitch à la prison) Je me souvenais de  ses mots: Le sort de Pasternak dépendra de ton honnêteté" J'ai donc repris mon stylo et ai recommencé: Cher Anatoli Sergueîevitch, Le Docteur Jivago parle d'un docteur. C'est un récit des années  de l'entre deux guerres. C'est l'histoire de Iouri  et Lara, ça parle de Moscou d'autrefois, d'amour, de nous. Le Docteur Jivago  n'est pas un livre antisoviétique.  page 38

Je n'ai pas dit à  Semionov que Boris m'avait avoué que ce qu'il écrivait pourrait signer son arrêt de mort, et qu'il craignait que Staline le condamne...page 41

J'écoutais le verdict du juge. J'ai entendu  les mots prononcés et le nombre d'années..;"Cinq ans" page 47

OUEST  Automne  1956

C'était l'une de ces journées  humides à Washingrton quand au-dessus du fleuve Potomac , l'air s'épaissit page 51

( Celle qui parle est d'ascendance soviétique et va à un entretien d'embauche) ...Là-bas, ma mère avait travaillé dans une usine bolchevique...Elle était  arrivée en Amérique avec la deuxième vague d'immigrants russes ayant quitté la Mère Patrie.  Les frontières étaient sur le point  d'être fermées et si mes parents avaient attendu, ne serait-ce que quelque mois, j'aurais été élevé derrière le Rideau de fer et non au Pays de la Liberté. page 59 Mon père s'était procuré tous les  papiers nécessaires. ..Mon père avait comme projet de trouver un poste dans l'une des nombreuses universités de Baltimore ou de Washington...Page 60...Ils avaient dit au revoir à leurs parents, leur famille, à tous ceux qu'ils avaient toujours connus. Ils savaient bien qu'une fois partis, ils ne pourraient plus jamais revenir; en voulant accéder au rêve américain, ils perdraient définitivement  leur nationalité. page 60 Je suis née à l'hôpital Johns-Hopkins...Mon père n'en a jamais rien su . Il a fallu des années pour que ma mère me raconte pourquoi je ne l'ai jamais connu. page 60 (quand le couple montait dans le paquebot, son père a été embarqué dans une voiture par deux hommes en uniforme) 

Parlez-moi de votre père" a-t-il commencé dès que je me suis assise. Il a ouvert un gros dossier avec son nom écrit dessus: " Mikaël  Abramovitch Drozdova"   a-t-il lu Ma gorge s'est serrée..; - Je n'ai jamais connu mon père" - Un instant...Il est écrit ici qu'il été condamné aux travaux forcés pour s'être procuré illégalement des titres de transport"; C'était comme ça , la raison pour laquelle il avait été arrêté.  ..;"tout ça  a à voir avec la possibilité que vous travaillez ici. ..Savez-vous comment il est  mort a demandé Anderson. ".... " Il n'est jamais parti pour les camps. Il est mort à Moscou....Au cours d'un interrogatoire." page 73 

Les filles qui travaillent pour le gouvernement américain sont reléguées au  rang de dactylos. page 80

" Irina Drozdova  , Anderson viendra la présenter lundi matin . page 82

" Tu n'as pas d'accent russe".  a fait remarquer Norma..." Je ne suis pas russe. Enfin, pas vraiment, Je suis née ici, mes parents sont de là-bas. page 84

Irina a vite appris à travailler. les semaines passaient et elle n'avait encore jamais demandé de l'aide. Heureusement, d'ailleurs, car nous n'aurions pas eu le temps de lui donner un coup de main. En ce mois  de novembre, quand s'est répandue la nouvelle de l'échec de l'insurrection hongroise contre l'union soviétique, - et du rôle que nous avions joué - la tension au sein de la SR a été multipliée par trois. page 88

EST 1950- 1955

(Olga est dans un camp de travail en Sibérie) ( Elle écrit à son interrogateur à Moscou, lettre qu'elle n'expédiera jamais )  Par où commencer? Par aujourd'hui? Et raconter  comment j'ai passé  cette journée, ma quatre-vingt-sixième des 1825 journées nécessaires à ma réhabilitation. ? Ou bien, faut-il que je commence par ce qui a été déjà révélé?  As-tu envie de savoir comment se sont déroulés les six  cents kilomètres de mon voyage jusqu'ici? As-tu pris ces trains qui vont nulle part?  As-tu visité ces cabanes e bois, sans fenêtre dans lesquelles on nous enfermait, tremblantes de froid...? Non, Anatoli, je ne te raconterai rien de ces tourments.... page 120

Le baraquement sentait la transpiration, l'oignon et les corps chauds. L'odeur du vivant, un petit réconfort. ..Cette première nuit à Potman a été calme. ..Mon premier jour dans les champs, la terre était dure, gelée, et la pioche trop lourde pour que je puisse la lever plus haut que ma taille.  En une demi-heure, mes mains  ont été couvertes d'ampoules...Le premier jour, je n'ai rien mangé. le deuxième jour, non plus. Le troisième jour,  je n'ai toujours pas pu qu'égratigner la terre, et donc, je n'ai donc toujours rien eu à manger.  Cependant, une jeune nonne m'a tendu un morceau de sa ration de pain...page 126

J'ai appris ce dont le corps humain  a besoin  pour survivre, - pas grand-chose. En effet, 800 grammes de pain par jour, deux morceaux de sucre, et une soupe si claire qu'il était difficile de la distinguer 'un simple brouet d'eau de mer," m'ont suffi ..Mais l'esprit a besoin  de beaucoup plus. Borya n'était jamais loin de mes pensées. J'avais l'habitude de croire que je pouvais  sentir quand il pensait à moi - et que le frisson dans ma nuque , ou le long de mes bras, c'était lui. Je l'ai senti pendant des mois. Mais une année a passé, sans ce frisson,  puis une autre . Etait-il mort? ...Anatoli, je peux maintenant te dire que cette peine de cinq  ans a été tout à la fois une bénédiction et une malédiction. ...Avec le temps, je me suis endurcie, et je suis devenue plus forte pour effectuer le travail dans les champs. page 129

Peu de temps après la fin du Tsar rouge,  La mort de Staline avait incité nos nouveaux dirigeants à libérer un million et demi  de prisonniers . page 138 C'est en femme réhabilitée que j'ai pris le train pour Moscou, Anatoli.  page 139

Boris se réveille ( Page 141) Le train d'Olga arrivera en gare  après quatre jours  de voyage. Depuis Potma, elle aura donc marché, pris un train, et encore un autre  avant d'arriver à Moscou. page 144

Il avait commencé l'écriture du Docteur Jivago près de dix ans auparavant....A cette époque-là, Boris avait eu le sentiment que seul , le roman le gardait en vie. page 149

Trois ans auparavant, il n'aurait jamais pu imaginer  un monde sans qu'elle soit au centre . Pourtant,  avec le temps,  - et alors qu'il pensait  chaque jour à elle - le manque se faisait moins sentir.  Et sa vie était devenue plus simple ainsi. Il ne se sentait plus coupable de mentir à sa femme, il n'était plus embarrassé par les commérages. .Page 152

Le roman était presque terminé. Borya travaillait  à toute allure, comme lorsqu'ils  étaient tombés amoureux  la première fois. Il écrivait le matin à Peredelkino, puis venait à pied à la Petite Maison. L'après-midi, je l'aidais à corriger  et à finaliser un texte que je retapais (Olga) Jivago était sans cesse présent. page 167

" Il est mort" a annoncé Borya. J'ai serré le combiné du téléphone. " Qui est mort? "  Il a grommelé.. Youri a-t-il fini par dire. .J'ai eu les larmes aux yeux. " Il est mort?" - C'est fini.  Mon roman est terminé". page 169 "Peut-être sera-t-il publié" a avancé Borya.  ..;" Crois- moi, jamais ils ne publieront ce roman pour rien au monde." - tu dois être patient - Ils ne le permettront pas....jamais". page 170

OUEST Février - Automne 1957

Irina . J'avais postulé pour  être dactylo, mais on m'avait donné un autre boulot. Pour la première fois de ma vie,  j'ai eu l'impression d'être vouée à une grande destinée, autre que simplement avoir un travail  Ce soir-là,  quelque chose en moi s'est dénoué - un pouvoir caché que j'avais jusque là ignoré. j'ai découvert que  j'étais faite pour  le travail d'agent secret. page 181

Teddy  a d'abord été peu bavard; il m'a confié  que j'étais la première femme  qu'il devait former. ( pour être agent secret) Page 184 Il m'a entraînée  à glisser discrètement une enveloppe sous une table, un banc, une chaise, un tabouret de bar, le siège d'un bus,  dans les toilettes...Il m'a appris  à savoir si quelqu'un me suivait, à repérer quelqu'un de suspect, quelqu'un qui m'observerait .... page 186

Novembre  est arrivé telle une détonation...Les Soviétiques ont envoyé  Spoutnik II  dans l'espace, avec, cette fois, une  chienne nommée Laïka  à son bord. page 210 Ils avaient leurs satellites, mais nous  nous avions leurs livres page 202

Ce n'était  pas juste un livre ( Le Docteur Jivago) mais une arme, une arme que 'Agence voulait se procurer et renvoyer clandestinement derrière le Rideau de fer pour réveiller l'esprit des citoyen s soviétiques. page  206

EST 1955-1956

Sergio : " Je suis passionné de littérature, a repris Sergio, en essayant de revenir Au Docteur Jivago. J'ai entendu  dire que votre roman était un chef-d'oeuvre. - Qui vous a dit ça?  - Tout le monde en parle. N'est-ce pas Walden.- Oui, tout l monde en parle a surenchéri Walden  - ses premiers mots à Pasternak. " Je n'ai aucune nouvelle d'aucune maison d'édition. Jusqu'à maintenant, je n'avais encore jamais à attendre avant qu'on me parle de mon travail....Je crains que la publication de mon livre soit impossible. ..." Et si vous me confiiez ce manuscrit?  a demandé Sergio.  - A quelles fins? S'ils ne permettent pas   qu'il soit publié ici, il ne pourra pas être publié ailleurs.  - Feltrinelli  peut prendre de l'avance  avec la traduction italienne et ainsi, quand le livre sortira en URSS...- Il ne sortira pas en URSS.  - Moi, je crois que si ,  a continué Sergio. Et quand ce sera le cas, Feltrinelli  sera prêt à lancer l'impression. C'est un membre en règle avec le parti communiste italien"....La porte de la datcha s'est ouverte et Pasternak  en est ressorti  avec un grand paquet enveloppé de papier Kraft.  Il a traversé la cour pieds nus, puis s'est arrêté devant ses visiteurs avant de parler: " Voici Le Docteur Jivago" Il a tendu le paquet et Sergio s'est avancé pour le prendre.;" Souhaitons qu'il puisse faire le tour du monde. " Sergio a soupesé le manuscrit , en sa senti le poids. " Votre roman est entre de bonnes mains avec Signor Feltrinelli. Vous verrez, je lui remettrai  en personne  avant la fin de la semaine". page 220

Le lendemain Le Docteur Jivago était en route pour rejoindre  Berlin-Ouest où Sergio devait le remettre en main propre à Feltinelli lui-même, qui l'emporte jusqu'à Milan. page 222

OUEST Automne 1957- Août 1958

Sally Forester est arrivée  un lundi.  Ce jour-là, je suis allée chez Ralph avec l'équipe de dactylos. page 243

 "Toi et moi, faisons la même chose. Enfin, presque. " - Toi aussi, tu fais passer des messages? - Disons que je suis plutôt celle qui envoie les messages". Elle m'a pressé la main. " Il faut se serrer les coudes, nous les filles. Nous ne sommes pas si nombreuses. D'accord? - D'accord. page 262 

(Sally est en Italie , sous une autre identité) pour  la parution du Docteur Jivago en italien. ) J'ai pris un bain puis ai appliqué une goutte de Tabac Blond derrière chaque oreille, à l'intérieur de chaque poignet et enfin sous les seins avant d'enfiler la robe parfaitement ajustée à mes mensurations.  C'était le meilleur moment où vous devenez quelqu'un d'autre. Un autre nom, une nouvelle profession; un passé, une éducation, une famille, des amants, une religion différents des vôtres - pour moi, c'était facile.  Et je n'ai jamais commis d'impairs, même dans les plus petits détails: savoir si mon personnage mange des toasts ou des oeufs au petit-déjeuner, si elle boit du café avec ou sans lait, si elle est le  genre  qui s'arrêtent pour admirer un pigeon traversant la rue ou si, au contraire, elle le chasse d 'un air dégoûté, si elle dort nue ou avec une chemise de nuit. Ce qui requerrait u talent et un instinct de survie. Après avoir endossé une identité qui me servait de couverture, je trouvais de plus en plus difficile de revenir à ma vraie vie.;...Pour devenir  quelqu'un d'autre, il faut d'abord avoir envie de se perdre.  page 284

Dès que je suis entrée dans la salle de réception, j'ai immédiatement repéré l'invité d'honneur: ce n'était pas l'auteur, dans la mesure où il ne pouvait être présent, mais l'éditeur du roman dont on fêtait la publication. Giangiacomo Feltrinelli était debout au milieu d'une foule d'intellectuels, d'éditeurs, de journalistes, d'écrivains et de pique-assiettes vêtus avec élégance...Au fond  de la salle, une pyramide  de livres recouvrait une grande table. Les Italiens l'avaient  fait: Le Docteur Jivago était publié dans leur propre langue. Dans moins d'une semaine, on verrait le livre dans les vitrines de toutes les librairies en Italie, le titre en une de tius les journaux. J'étais là pour me procurer un exemplaire du livre et le remettre en main propre à l'Agence afin qu'on puisse le traduire et déterminer s'il était effectivement une arme de propagande comme on le pensait. Frank Wisner m'avait aussi missionnée pour me rapprocher de Feltrinelli  afin d'en savoir un peu plus, sur la publication et la distribution du livre, et sur ses relations avec Pasternak. page 286 J'ai donc attrapé un exemplaire d'Il Doctore Zivago et fait courir mes doigts sur la couverture au vernis brillant...page 287

" Je n'ai jamais eu l'intention d'être le premier  à faire découvrir  ce livre aux lecteurs , a continué Feltrinelli . Mon intention était d'en acquérir les droits étrangers après sa publication dans son pays d'origine. Mais , bien évidemment, la vie réserve parfois des surprises".  page 289

Le lendemain matin, j'ai sorti du coffre, l'exemplaire de Jivago en italien; avant de le  ranger dans ma valise, je l'ai ouvert page 296

( Teddy) Je partais à Londres, non pour un livre mais pour le livre. Nous essayions  de nous procurer Le Docteur Jivago depuis des mois.  Nous avions récupéré un exemplaire de l'édition italienne et nous  nous étions mis d'accord pour décider que c'était un texte aussi formidable qu'on le disait. page 303 Ma mission, cette fois,  consistait à convaincre nos amis, les Anglais,  de nous donner leur exemplaire en langue originale - ou tout au moins, de nous le prêter. O avait déjà tenté un accord, mais ils 'étaient rétractés, certainement pour gagner du temps afin de savoir s'ils pouvaient être les premiers à en faire quelque chose. j'ai donc été envoyé au pays de Big Smoke pour trouver une solution.  page 304

 Nous  savons que Chaucer était arrivé pile à l'heure et qu'Irina avait récupéré les deux rouleaux  de microfilm Minox contenant Le docteur  Jivago . Et nous avons qu'elle a pris le bus 20 jusqu'à Tenleytown où elle  a laissé le paquet en lieu sûr dans Albemarle Street.  page 345

EST Mai 1958

J'avais parlé à Borya de ma crainte grandissante mais il était distrait par le flot de lettres de soutien de la part de correspondants qui lui transmettaient des coupures de presse étrangère, dithyrambiques et de propositions d'interviews. ...Tout tournait autour du livre.. "Tu es sûre qu'il n'y a personne dehors ? a demandé Mitya ( la fille d'Olga, l'amie de Boris) page 368

OUEST . Août- Septembre 1958

L'agence est passée à l'action. Dès lors que nous avions récupéré le manuscrit russe, après qu'Irina avait accompli avec succès sa mission dans Bishop's Garden, il n'y a plus de temps à perdre.  page 377

(A l'Exposition universelle de Bruxelles en 1958) A six heures trente précises, j'ai quitté l'appartement (Irina en nonne) pour me rendre à la foire - mon premier jour. page 405 Je suis arrivée finalement en vue de ma destination: la Cité de Dieu. page 407 Nous avions prévu de rester trois jours à l'Expo 58, mais nous avons donné notre dernier exemplaire du Bon Livre ( Le Docteur Jivago) dès la fin de la matinée du deuxième jour. ..Nous avions accompli notre mission. Nous avions laissé s'envoler Jivago s'envoler, espérant que le roman de Boris Pasternak retrouverait le chemin de son pays, en escomptant que ceux qui le liraient se demanderaient pourquoi il avait été interdit. Nous avions planté les graines de la dissidence grâce à un livre clandestin. page 413

EST Septembre- Octobre  1958

Boris travaille derrière une palissade: il sarcle un carré de potager où il a planté des pommes de terre, de l'ail  et des poireaux. " Bonjour mon ami" dit le visiteur.." Il est arrivé? demande Boris.  Le visiteur acquiesce d'un hochement de tête et suit Boris à l'intérieur de la datcha. Le visiteur ouvre son sac à dos et pose le livre, avec sa couverture de toile  bleue, devant son auteur....Il est devenu un bestseller en Europe. page 417.................." Vous êtes prix Nobel de littérature. ....allez-vous accepter ce prix?  demande un autre journaliste....." je ne sais pas" page 419

Boris  se lève, s'installe à son bureau et rédige un télégramme à l'intention de l'Académie suédoise. " INFINIMENT RECONNAISSSANT, TOUCHE , FIER,  STUPEFAIT ET CONFUS" Page 425  Pasternak

OUEST Octobre - Décembre 1958

Pasternak a gagné le prix Nobel"  " Eh bien , ça va augmenter les ventes du livre ai-je dit. Vous l'avez lu? - Evidemment. Tout le monde l'avait lu. Grâce à mon précédent employeur  ( l'Agence)page 429

EST Octobre - Décembre  1958

Il a gagné, il a gagné, il  a gagné. Il était lauréat du prix Nobel. ..;Boris Leonidovitch Pasternak était le second auteur russe  à avoir gagné ce prix. Son nom entrerait dans la légende, on ne pourrait l'oublier. page 439

Après  que Boris a envoyé son télégramme à Stockholm, le Kremlin  a donné sa réponse à l'Académie."  Ce ne sont pas les qualités littéraires ou artistiques du roman qui ont guidé votre décision...mais le message politique qui s'y trouve .Le roman de Pasternak  dénature la réalité soviétique et diffame la révolution socialiste, le socialisme et les Soviétiques". page 44i ......Boris ne lisait pas les journaux moi si. Ils le traitaient de Judas,  un pion qui s'était vendu pour trente pièces d'argent, un complice...page 442

EST Janvier 1959. 

Les premiers exemplaires ont circulé sous le manteau d'abord dans les salons de l'intelligentsia moscovite. ;puis des copies de copies de copies. On parlait du Docteur Jivago à voix basse dans le métro de Leningrad. page 465

 Il a reçu des lettres d 'Albert Camus, de John Steinbeck et du Premier ministre  de l'inde,  Nehru.  Il a reçu des lettres d'étudiants parisiens, d'un peintre installé au Maroc, d'un soldat en poste à Cuba ....; page 472  Il a aussi reçu des lettres d'une teneur différente.;;des lettres de détracteurs,  des lettres du gouvernement, des lettres d'intimidation.  page 472 (Boris Pasternak a été convoqué pour rencontrer Khrouchtchev)  Le lendemain, vingt-deux lettres supposées écrites par de vrais Russes ont été publiées ...sous le titre Le peuple soviétique condamne le comportement de Boris Pasternak....

OUEST  Eté 1959 

Il s'agissait surtout d'attendre: attendre les infos, attendre son ordre de mission, attendre que commence la mission. J'attendais dans des chambres d'hôtel,  des cages d'escaliers...page 483   Après que Le Docteur Jivago avait fait son apparition partout à travers l'URSS et que la notoriété dont jouissait Pasternak avait atteint des sommets, les Soviétiques avaient commencé à fouiller les bagages de tous les citoyens de retour de l'étranger. C'était un coup de propagande pour l'Agence et....elle  avait décidé de redoubler d'efforts - et donc  d'imprimer et de distribuer encore plus d'exemplaires du roman. ...Cette fois, nous avions imprimé une édition au format miniature - sur du papier libre et donc suffisamment mince pour tenir dans une poche. page 484

EST 1960-1961

Le jour de son anniversaire, il ( Boris) avait tenu bon. Il avait eu  l'air en bonne santé.....Il a d'abord perdu l'appétit..il se plaignait de crampes aux jambes...page  494 La dernière fois, c'est à peine  si je (Olga) l'ai reconnu...C'était le coeur. comme Youri Jivago, c'est le coeur qui , pour finir, a lâché page 496

Même si l'annonce de sa mort n'avait fait l'objet que d'un entrefilet dans la presse soviétique, ils étaient là. Des centaines, peut-être même des milliers de gens, pour suivre son cercueil. Des jeunes , des vieux, des voisins, des inconnus,  des étudiants,  des ouvriers, ses pairs, ses adversaires, des ouvriers d'usine, des membres de la police secrète habillés en ouvriers d'usine, des correspondants de la presse étrangère  et des journalistes moscovites. Tous étaient venus pour se rassembler autour de la dernière demeure de Borya., tous avaient changé  par ses mots,  et c'est ce qui les réunissait. page 502

( La maison d'Olga  a été fouillée le lendemain des obsèques, des policiers l'arrêtent, avec une de ses filles, Ira. Elle sont conduites dans un camp de travail)  " Aujourd'hui, Ira et moi avons travaillé dans la fosse pour creuser de nouvelles latrines. Ses mains sont gercées, les paumes couvertes d'ampoules...Je suis épuisée..; "Page 509


 mal? 

jeudi, février 11, 2021

Quelques phrases relevées dans mes lectures

 " La vie est une lampe allumée. Quand elle s'éteint, flotte encore ce qu'en elle, nous avons brûlé". 


" Nous avons vécu de manière bien légère, imprudente, inconsciente, . On pouvait tout faire: le temps de la liberté totale. "


" Dans ma maison, j'avais trois chaises: une pour la solitude, deux pour l'amitié, trois pour la société"  ( Thoreau)

mardi, février 09, 2021

L'INSOUMISE ( Laure Adler) 2008

 " Son nom est connu dans un cercle d'initiés qui la considèrent comme une icône de la pensée con temporaine et qui se ressourcent régulièrement dans ses écrits. 

Je fais partie de ces personnes qui, par les hasards d'une amitié, à l'adolescence, ont eu la chance de tomber sur La Pesanteur et la Grâce, et, comme bon nombre d'étudiants, je le suppose, j'ai appris par coeur certains fragments qui résonnaient en moi comme des aphorismes de sagesse et de compréhension du monde. Pendant des années , ce livre de chevet fut pour moi comme la boussole du marin au milieu de l'océan déchaîné. 

Trente ans  après, mes recherches sur Hannah Arendt me firent lire ou relire certains textes comme La Condition ouvrière ou L'Enracinement. Je fus, de nouveau , frappée par sa profondeur d'analyse, son courage physique et intellectuel, la pertinence de ses propositions, son mystère aussi, ce mystère d'une vie brisée à trente-quatre ans dans le feu de la recherche de la vérité.

Aujourd'hui, nous avons besoin de la pensée de Simonne Weil, de sa clairvoyance, de son courage, de ses propositions pour réformer la société, de ses fulgurances, de ses questionnements, de son désir de réenchanter le monde. "

Une dévoratrice  de tout ce que pouvaient lui offrir la bonté des êtres et la beauté du monde. Page 14

Fille, elle était née. Garçon manqué, ne sachant pas vivre le présent, elle demeurera. C'est sans doute pour cela qu'elle voulut agir sur les événements, se battre sur tous les fronts. Page 16

Depuis le 25 décembre 1942, un petit bureau lui avait été affecté dans l'annexe d'un hôtel particulier de Londres, au 19, Hill Street où s'était installé le commissariat à l'Intérieur. Certains résistants, comme Jean-Louis Crémieux- Brilhac la décrivent, dans ce mystérieux repaire, en retrait de la demeure des maîtres , ouvrant sur une impasse....page 17

Elle croit que tout être possède en lui le désir de faire le bien du berceau à la tombe. page 24

( Elle est atteinte de tuberculose)  Que signifie être en vie? S'approcher de la mort permet-il de rejoindre la vérité. Où se situe la limite entre être encore en ce monde et s'imaginer partir? Seule , la mort est vraie.  page 33 

 " Il se trouve en moi un dépôt d'or pur qui est à transmettre". Le problème, elle le sait, c'est que personne ne veut le recevoir. page 39

Au seuil. Elle essaie de franchir des portes mais elle reste au seuil. Personne  ne veut d'elle. Elle s'impose. Elle a réussi à imposer sa présence dans l'entourage du Général sans jamais le voir. Elle a l'impression d'être plus tolérée qu'acceptée.  Elle ne comprend pas les raisons pour lesquelles elle ne peut aller se battre en France, en première ligne. On la dit gauche, maladroite, elle se sent précise, rigoureuse, les sens en  éveil, l'intelligence en  feu, la détermination entière. Peur de rien. On la prend pour une intello. page 41

Elle se sentait coupable d'avoir professé des opinions pacifistes  jusqu'à l'entrée des troupes d'Hitler dans Prague le  15 mars 1939.page 51

On sait qu'un texte de  Simone Weil fut lu en entier par le Général De Gaulle. Intitulé " Conseil suprême de la révolte,  il fut, selon Simone Pétrement, à l'origine de la décision de créer le Conseil de la Résistance. page 55

Lire, comparer, discuter. Il fallait être à sa hauteur et la prendre au sérieux. page 73

Vertige de l'absolu, désir de s'approcher du renoncement suprême, force incroyable d'ébullition où Simone Weil, simultanément, des lectures de toutes les civilisations, réinterprétées par ses fulgurances poétiques? Désir exacerbé d'anonymat, volonté de se rattacher à ce qu'elle nomme " la pâte de l'humanité", prescience de sa fin à venir? page 80

Simone Weil est la cadette, d'un an, de Claude Lévi- Strauss. des passions communes les unissent: le devenir des civilisations,, l'écrasement, par le matérialisme ,  de l'évolution des sociétés, la place du je, l'appel à une nouvelle science de compréhension des êtres humains.  Relire la fin de Tristes Tropiques: " Pourtant j'existe. Non point certes comme individu; car que suis-je sous ce rapport, sinon l'enjeu, à chaque instant remis en cause, de la lutte entre une autre société...et mon corps qui lui sert de robot.....le moi, n'est pas seulement haïssable, il n'y a pas de place entre un nous et un rien".  page 81

Elle était arrivée à Marseille le 15 septembre 1940. Elle avait quitté Paris déclarée ville ouverte en compagnie de son père et de sa mère. page 83

De l'attitude du peuple français à l'annonce de l'armistice, elle se sent responsable et coupable, à titre individuel, comme à titre collectif. Il n'y a pas, pour elle, d'un côté les bons, de l'autre, les méchants, mais une défaite collective en raison de l'endormissement du peuple français, de son inertie, de sa paresse,  de sa somnolence. page 85

Le 3 octobre 1940, est promulgué le statut des juifs. page 88..;Onn le siat Simone Weil ne s'est jamais considérée comme juive, ses parents sont agnostiques et ne lui ont donné aucune éducation religieuse. page 89

Dans son cahier, elle note: Philosophie =  réflexion sur les valeurs.  La philosophie -  recherche de la sagesse- est une vertu.  C'est un travail sur soi. Une transformation de l'être. Page 95

La philosophie  a donc "pour objet une manière de vivre, une meilleure vie, non pas ailleurs, mais en ce monde". page 104 Simone Weil n'est pas une étoile filante mais  fait partie d'une constellation, même si l'étendue de  son érudition, l'acuité de son intelligence, le courage physique dont elle fait preuve, la générosité  et le don de soi dont elle ne se départit jamais font d'elle une personne unique et exceptionnelle. Page 105

Quand elle était jeune étudiante en khâgne,  elle avait inventé une méthode qu'elle nommait  sa méditation ultra-spinoziste: regarder un objet fixement en se demandant  ce que c'est, sans rapport avec rien d'autre, pendant des heures. C'est ce qu'on appelle un koan, notion qu'elle a trouvée dans les écrits qu'elle annotait fiévreusement de  Suzuki.  page 141

Elle vit, come tous les réfugiés, dans l'attente d'un départ sans cesse différé. page 147

Simone Weil a écrit son testament avant de quitter la France, définitivement. page 149

A la lumière des événements politiques en URSS,  et de son analyse de Marx, elle rédige  un article  qu'elle intitulera  " Méditation sur l'obéissance et la liberté. " Prenant acte qu'un seul homme  puisse faire régner la terreur sur un sixième du globe, Simone Weil, qui est l'une des premières intellectuelles à avoir saisi l'essence même du totalitarisme dans ses mécanismes,  dissèque la notion de minorité au pouvoir qui fait bloc, et donc peut agir, face au plus grand nombre , masse d'individualités  ajoutées sans possibilité de cohésion.. La société, "gros animal" docile,  a besoin de manger, de dormir, de se protéger.. Marx avait tort d'affirmer que  l'économie  était la clef  de l'énigme sociale....page 156

Peu après la déclaration de guerre, Simone Weil rédige un long article intitulé " Quelques réflexions sur les origines de l'hitlérisme".  Elle fait de Richelieu le précurseur l'Hitler, le compare à Louis XIV et à Napoléon puis se livre  à une longue analyse historique en rapprochant la Rome ancienne de l'actuel  système hitlérien: même  méthode d'asservissement des peuples, même certitude  de vouloir dominer le monde , même volonté d'écraser les consciences...Se battre ,résister est donc vital et nécessaire.  Simone Weil pense qu'Hitler n' a pas le talent des empereurs romains et que l'Angleterre saura lui résister. Optimiste, elle pense que la coalition franco-anglaise  saura barrer la route à l'hitlérisme et réfléchit à la manière dont la France, après sa victoire contre l'Allemagne, devra la démembrer sans , pour autant, l'humilier.  page 164

La lutte  contre le colonialisme constitue un fil rouge  et de son oeuvre et de son engagement.  page 165

On ne dira jamais assez que à quel point cette femme  a soif de beauté et de jouissance. On n'insistera jamais assez  sur son sens de la liberté.  page 174

Quand la guerre d'Espagne  commence, Simone Weil est déchirée: d'un côté, elle professe un pacifisme  intransigeant, de l'autre, elle ne supporte pas  d'assister, impuissante,  au malheur d'un peuple.  page 181

Des rescapés de la guerre d 'Espagne diront leur indignation devant sa dénonciation des crimes et des agissements  du camp républicain et mettrons en doute les faits qu'elle avait exposés.  Albert Camus, tout en  comprenant la réaction de ceux qui avaient risqué leur vie, se fera l'interprète de la pensée de Simone Weil: " il est bon que la violence  révolutionnaire, inévitable, , se sépare  parfois de la hideuse bonne conscience  où elle est  désormais installée."  Aujourd'hui, des études historiques  prouvent que tout  ce que Simone Weil a dénoncé  s'est réellement produit. page 195

(La victoire du Front Populaire en 1936): Pour elle, c'est une délivrance. page 201

Le mardi  4 décembre 1934, elle rentre comme manoeuvre  à l'usine Alsthom. Elle a vingt-cinq ans . Vit seule. Se sent fragile  physiquement.  page 213

( A Berlin)  ....dès le 25 août 1932, elle tire la sonnette d'alarme, dénonce le massacre systématique  des communistes dont le parti vient d'être interdit et relève les appels aux meurtres  quotidiennement relayés dans les journaux nazis.  Sa force  d'intuition et sa faculté   de comprendre  la nature même  du parti nazi impressionnent.....Pour elle, Hitler  signifie le massacre organisé, la suppression de toute liberté et de toute culture.   page 223

Simone Weil s'est éteinte  dans son sommeil le 24 août 1943, au sanatorium  d'Ashford, au milieu  d'une nature bienveillante, magnifiée par l'été.  page 268.  le 11 février 1951, Alber Camus  écrit à Selma  Weil: " Simone Weil est le plus grand esprit  de notre temps et je souhaite que ceux qui le reconnaissent en  reçoivent assez de modestie pour ne pas essayer  d'annexer ce témoignage  bouleversant" page 269






jeudi, février 04, 2021

LE FLAMBEUR DE LA CASPIENNE Jean- Christophe RUFIN) 2020

 Le pays: un rêve.

Habitué aux destinations calamiteuses, Aurel Timescu, le petit Consul, est pour une fois affecté dans un lieu enchanteur.  Kakou, capitale de L'Azerbaïjan ex-soviétique, est une ville pleine de charme au climat doux, au luxe  élégant. A la terrasse de cafés d'allure parisienne, on y déguste un petit blanc local très savoureux. 

L'ambassade: un cauchemar. ....

Le chef de poste, autoritaire et brutal ,est bien décidé à se débarrasser d'Aurel et de sa femme. Le fantôme  de sa femme, récemment victime d'un tragique et mystérieux accident, plane au-dessus de l'ambassade. Et l'équipe diplomatique, tétanisés, par le deuil, est livrée à la crainte et au soupçon. 

Il n'en faut pas plus pour qu'Aurel se lance dans une enquête plus folle que jamais. Basée sur de fragiles intuitions, elle prendra, entre mafias locales et grands contrats internationaux, l'ampleur d'une affaire d'Etat. 

Cette fois, Aurel ne lutte pas seulement pour faire triompher la justice. Il se bat pour une cause nouvelle et inattendue: rester là où il est  et connaître enfin le bonheur. 

Les diplomates font tout pour préserver les avantages pécuniaires que leur valent les pays "difficiles".; ils noircissent volontiers le tableau quand il s'agit de décrire leurs conditions de vie. page 9

 Bakou, la ville des vents, était en cette saison ensoleillée et fraîche, traversée par l'air marin venu de la Caspienne. La richesse pétrolière ne s'étalait pas comme au Moyen-Orient, mais on devinait sa présence à la qualité des voitures, au luxe des boutiques, à la restauration soigneuse  des monuments. page 22

C'était exactement le genre de femmes qui terrassaient Aurel. Sa beauté, son raffinement, son mystère la situaient immédiatement dans la catégorie de ce qu'il appelait les grandes dames. . De telles femmes le remplissaient d'admiration et de terreur. Il était prêt, au premier regard à se sacrifier pour elles. pages 24, 25

Le Who's who est terrible pour les épouses. Elles peuvent avoir fait de grandes études, brillé dans le sport, ou la musique, dès lors qu'elles n'exercent pas d'activité, la formule " sans profession" se referme  sur elles comme une pierre tombale. page 64

IL s'agissait pour lui de connaître enfin un long moment de bonheur dans une ville qu'il aimait déjà, ou , au contraire, de retomber dans l'errance et les douleurs de la relégation. page 70

( L'ambassadeur est absent pour la journée). On ne revenait au jeu du chat et de la souris. Quand il n'était pas là, ils dansaient. Seule, la présence physique de l'autorité faisait revenir les conversations à pas feutrés. page  72

Carteyron ( l'ambassadeur) se sentait suffisamment puissant pour manifester qu'il avait cessé d'apprendre, c'est-à-dire de se contraindre, de se soumettre, et qu'il fallait commencer, à décider,  à imposer, à choquer, c'est-à-dire à faire étalage de sa force. page 125

- "Avez-vous noté  un changement entre le moment où ils sont arrivés ici et ces derniers mois? - Considérable. A début, l'Ambassadeur était assez calme et leurs rapports avaient l'air bons; petit à petit, tout s'est dégradé. Il s'est mis à sortir seul, à dépenser beaucoup....à boire.  page 186

Le consul général de France dépensait tellement qu'on  lui a d'abord supposé une fortune personnelle. mais quelqu'un a fini par révéler que le roi était nu, c'est-à-dire que Carteyron n'était  l'héritier de rien, même si sa femme venait d'une famille riche. Surtout, il est apparu évident que seul le soutien financier d'un partenaire très puisant pouvait assurer à un fonctionnaire français un train  de vie à ce niveau. Or, le seul appui de taille qu'on lui connaissait était le Turc.  page 192

L'Ambassadeur se disposait d'avance à obéir à tout, à applaudir n'importe quel propos, à approuver les décisions les plus absurdes pourvu  qu'ils émanent de la divinité à laquelle, pour toujours, il avait dédié sa vie: l'autorité. Et cela, quelque forme qu'elle prît: le pouvoir politique, la richesse, la supériorité hiérarchique . Mais que son regard tombât par hasard un instant sur un inférieur, sans pouvoir ni fortune, comme par exemple, un des agents de son ambassade présent autour de la table, Carteyron reprenait immédiatement une expression de mépris et d'impatience. page  220

" C'est un faible, reprit Aurel et il a toujours cédé à la force. Il suffit de le voir faire des grâces aux sénateurs. Il évalue exactement le poids social de ses interlocuteurs et il adapte son attitude en fonction".  page 227.

IL souriait, avec cet air de béatitude qu'ont les gens désespérés quand ils ont décidé d'ignorer le malheur et de lui préférer la vie. page 263

" Vous donnait-elle l'impression d'aimer son mari? coupa Amélie. - Sans aucun doute. mais c'était un amour particulier. Comment pourrai-je le dire: sacrificiel, voilà. Elle voulait le sauver. Le sauver des autres; mais aussi de lui-même. Il y avait quelque chose de douloureux dans cet amour.  page 268