dimanche, février 28, 2021

LE CHANT DE LA PLUIE (Sue Hubbard) 2020

 C'est sur la côte ouest de l'Irlande, au sein d'une nature sauvage, âpre et magnifique à la fois, que Martha, qui vit et enseigne à Londres, est venue faire le point sur sa vie. Son mari, irlandais, brutalement décédé, possédait là-bas un cottage, dans son village natal, face à l'océan et aux inquiétantes îles Skellig. Il y allait souvent - seul? -  et elle plus rarement.

Il y a la pluie, les embruns, les feux de tourbe, d'incroyables couchers de soleil, les pubs enfumés, où , tout le monde chante de vieilles balades. Et des rencontres, souvent inattendues....

Critique d'art et poète dont l'oeuvre a été couronnée par  de nombreux pris, Sue Hubbard est aussi romancière. Elle vit à Londres. Le chant de la pluie, son troisième roman, est le premier traduit en français. 

Brendan est mort. Voilà qui est dit.  A voix haute dans une voiture vide. .." Je suis désolé," a dit le jeune médecin peu après minuit. Mais elle ne l'a pas cru. Venir ici, la force à accepter sa perte.  Cet endroit a toujours été à lui.  Elle l'y a accompagné mais pas depuis très longtemps.  Et pas depuis cet été-là.  Elle ne sait pas si elle s 'est lancée dans ce voyage pour le retrouver ou pour l'exorciser.  page 11

En quittant Londres, elle a dit à de rares personnes concernées que son séjour visait à régler les affaires du défunt. Mais en réalité? Elle ne sait pas trop. Peut-être ce retour dans le comté de Kerry a-t-il pour but de renouer avec tout ce qu'elle a négligé pendant ces trente dernières années, les brefs moments de bonheur  et les souffrances considérables dont l'addition aura constitué leur existence commune.  page 13

Brendan avait onze ans lorsque Dermot les avait emmenés dans le Kerry , lui et Michaêl, pour rendre visite à leur grand-père...;Quand j'étais jeune, la plupart des gens d 'ici parlaient gaélic. Mais il n'y avait pas de travail. Regardez-moi, par exemple. Si je n'avais jamais émigré en Angleterre, je n'aurais jamais rencontré votre mère".  page 27

Elle était détruite par son deuil. Elle se savait prisonnière du passé, mais n'osait avancer vers un avenir incertain. Elle avait atteint le point fatidique qui sépare l'existence du néant. ....La nuit suivante, elle n'avait rêvé de rien, ce qui n'était pas la même chose que de ne pas rêver.  page 36

( un voisin, ami de son mari ) Il ( Eugène, l'agent immobilier) était le genre d'homme qui la rencontrant sur la plage en train de lire un livre, se vantait aussitôt de n'avoir pas le temps de lire. avec son emploi du temps, il ne pouvait se permettre que les journaux et les magazines professionnels. C'était comme si lire était un signe d'inutilité.  La preuve qu'on n'avait rien de plus important à faire. page 51

( un carnet d'adresses de son mari ) Une courte existence  résumée par une liste de noms également éphémère. page 53

Mais la région (d'Irlande)  a complètement changé . Ce premier été, plus d'un quart de siècle plus tôt, elle avait eu l'impression d'atteindre le bout du monde...Aujourd'hui, avec les financements européens, on sent l'afflux d' argent un peu partout.  Des promoteurs remplissent les poches des élus locaux pour faire construire d'infinis alignements d'habitations haut de gamme à l'orée de villages isolés où aucun care supérieur  n'envisagerait d'habiter. .;Tout le monde désormais porte des vêtements de marque ou de  haute couture, on boit du champagne plutôt que de la Guinness ou du stout.  page 59

( un paysagiste) Le Kerry est mon pays depuis toujours. je ne pourrais habiter  ailleurs. j'ai essayé. Mais je ne peux pas...Elle l'avait déjà remarqué lors de ses visites précédentes: en Irlande, il est difficile de réduire les gens à leur fonction.. Cet homme est jardinier, mais sa conversation est émaillée de référence à Yeats et Joyce, page 60

Ne pas être surmené est devenu un vice moderne, le signe d'un échec, la preuve qu'on ne compte pas. la société peut se passer de nous. Elle nous oubliera bientôt. Un agenda plein de rendez-vous de repas d'affaires  démontre notre importance , notre valeur  sur le marché. Et lorsque tout ça disparaît,? Savons-nous  encore qui nous sommes? page 65

Pauvreté et politique, Eglise et superstitions, étaient les maîtres  de ceux qui tiraient tant  bien que mal leur subsistance de cette terre sauvage. page 84 ( l'Irlande à la première partie du XXè siècle)

La mort est à portée de main et ce n'est pas une métaphore. ...Le deuil prend  du temps mais pour combien?  La souffrance  se cache sous la surface comme un virus, prête à se réveiller  au moindre rappel extérieur. page 93

Comme la vie passe. On passe principalement la première moitié à s'y faire, à apprendre le fonctionnement des choses,  à commettre des erreurs , à se préparer à la suite. Et l'espace d'un instant, on a l'impression d'être arrivé, avoir compris quelque chose. Notre vie est faite. La marée monte et efface nos traces de pas, laissant à nouveau la plage immaculée. page 99

'Paddy O'Connell , un voisin de Martha, propriétaire d'une ferme) Elle pense à Paddy O'Connell dans  son champ à l'aube, les bottes couvertes de boue, se suffisant à lui-même. Le dernier vestige de l'ancienne Irlande, lié à sa terre, à son chapeau, à son troupeau, à l'Eglise et à sa famille. Pour les générations précédentes, l'épanouissement individuel était moins important. le mariage, oui, pour les enfants. Mais à part ça, vous faisiez ce qu'on attendait de vous. Gagner sa vie, s'occuper de sa famille et de ses bêtes, cela laissait peu de temps pour les subtilités du développement personnel. L'Eglise fixait les règles. les relations entre époux, parents et enfants, voisins, étaient parfois difficiles mais la Foi imposait un cadre.  Les gens comme Paddy O'Connell, les moines de Skellig , les gardiens de phare: tous contredisaient une évidence moderne selon laquelle les richesses matérielles sont la clé du bonheur. Ne pas les posséder est devenu un manque impardonnable. page 100

A la soirée d'Eugène, les gens ne parlaient que des prix de l'immobilier. L'Irlande , qui était il y a peu l'un des pays les plus pauvres et les plus arriérés d'Europe, est à présent, l'un des plus riches. Son héritage autrefois riche de poètes et de conteurs laisse place à une épidémie de pavillons vulgaires défigurant un paysage majestueux. page 101.;deux enveloppes ...Une blanche qu'il ( Paddy) ne sait pas identifier. ..Il doit la relire par deux fois. 100 000 euros. C'est beaucoup d'argent. Eugène Riordan doit vraiment vouloir son terrain pour offrir une telle somme. IL respire profondément et la remet dans l'enveloppe, puis s'approche de la commode et la glisse derrière l'assiette souvenir des îles d'Aran. page 119

Tout ce qu'on fait dans la vie n'est peut-être qu'une version imparfaite de ce qu'on croit être en train de faire. page 128

" Mais qu'est-ce qui leur donnait envie de vivre sur un rocher au milieu de l'océan, maman? Ils ( les moines ) n'avaient pas peur de sentir seuls? Elle avait répondu que c'était justement ce qu'ils voulaient. Dans cette époque ancienne, les gens pensaient qu'en vivant dans des endroits reculés, ils seraient plus proches de Dieu. C'était leur âme qui leur importait, pas leur corps. ..Dieu était une présence concrète dans leur vie, d'une manière difficile à comprendre dans le monde moderne. page 136

" Maman, où vont les étoiles quand il fait jour?  - Elles ne vont nulle part, mon chéri. Elles sont toujours là. C'est seulement qu'on ne les voit pas." page 138  ( Bruno à Martha sa mère) page 138

Martha apprend à être seule. Il y a quelque chose de pur dans la solitude. Comme du cristal ou de la glace.  page 170

L'aube a la couleur de la pluie. Cela fait douze semaines que Brendan est mort. Pendant plus de trente ans, elle a partagé un lit avec lui...Elle aurait aimé mieux le connaître, cet homme qui était son mari.  page 201

"Même si nous sommes ce que Joyce appelait " l'arrière-pensée de l'Europe, hantés  par une histoire morte qu'on ne veut pas l'admettre". ". (dit Colm)  Nous nous sommes racontés tellement d'histoires que nous avons perdu le fil. ...Il n'y  a pas si longtemps, les rues (de Dublin) étaient pleines d'enfants aux pieds nus, de femmes sans dents, de prêtres aux chaussures cirées  qui parlaient de l'enfer  mais  se vautraient dans leur lit à baldaquin avec leur gouvernante. de petites boutiques qui vendaient de tout, du vaccin au charbon. Vous pouviez acheter de quoi  vous chauffer pour une seule nuit. Le thé et le sucre étaient vendus à la pincée et c'était cinq cigarettes pour 2 pence. Il n'y a pas si longtemps, le prêteur sur gages était un personnage  aussi familier  que le prêtre. ...Oubliés Beckett et Synge.....Nous ne sommes plus un pays de violoneux aux yeux pleins de rêve, mais de  politiciens, de promoteurs immobiliers et de cow-boys de la finance. Et c'est un putain de désastre. page 207

"Nous ne sommes pas obsédés par  la classe ou l'origine des gens....L'Irlande a toujours été pleine de familles dysfonctionnelles, de vies tristes et sans amour,  de vieillesse, de  religion opprimante et de pluie. Le chant de la pluie est notre hymne national, nos passe-temps sont l'ennui et la boisson.  C'est la vérité, Martha. Ma vérité, et c'est ce que j'écris.  ça et  la beauté sauvage de cet endroit. L'autre  genre d'irlandicité? C'est pour  les touristes. page  212

Elle avait pris l'habitude d'être jeune et soudain, sans avertissement préalable, tout a changé. Elle s'est réveillée un matin et sa vie était davantage derrière elle que devant. Elle a perdu son enfant et son mari. Elle a oublié qui elle est et quel sens à la vie....Elle pense à ce poème sur la route qu'on n'a pas empruntée et se demande quelle autre vie elle aurait pu avoir, en prenant d'autres directions. 

Bien vivre, c'est être attentif à chaque  instant,....La déception est liée au désir que les chose soient différentes, n'est-ce pas?  Essayer de changer ce qui ne peut pas l'être....Qui a dit ; chaque histoire  a un début, un milieu et une fin, mais pas nécessairement dans cet ordre? page 283





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