jeudi, mai 28, 2020

La VIE DE MERDE DE MON PERE, LA VIE DE MERDE DE MA MERE Et MA JEUNESSE DE MERDE A MOI. Andreas Aliman

Andreas Alimann a passé son enfance à Altötting, un haut lieu de pèlerinage en Bavière. Toutefois, dans le récit de sa vie, il n'est pas question de grâce ni de miracles, mais de violence et de terreur: un père psychiquement détruit par la Seconde Guerre mondiale frappe son fils jusqu'à lui faire perdre connaissance; une mère trop faible pour protéger ses enfants sombre dans la dépression; un fils bouc émissaire cherche des stratagèmes pour ne pas succomber. Une histoire (vraie)  peuplée de prêtres fanatiques et pédophiles, d'anciens nazis sans remords, de femmes humiliées ou complices. 
L'ironie et la colère sont les deux armes de cet écrivain allemand qui refuse le statut de victime et montre la  voie d'une reconquête d'une vie libre et digne. 

Curieusement, j'ai tout de suite pris conscience du fait que ce livre ( Mein Kampf)  était le seul souvenir ( matériel ) que j'avais conservé de mes parents. ( Une amie à qui il avait loué son appartement le lui a  volé) Comme tout couple de ce temps-là, ils l'avaient reçu pour leur mariage. Cette perte m'a mis du baume au coeur. Désormais, plus aucun objet ne pouvait me les rappeler.  Seul l'argent perdu me tracassait, nullement le pavé lui-même. Avant, chaque fois que mon regard tombait dessus, je sentais une bouffée de haine  monter en moi.  Non pas contre un  auteur génocidaire, mais contre deux êtres que je tenais responsables des infortunes de ma vie. page 12

Le fait d'exister me plongeait dans une colère noire. Je n'avais le droit d'exister. Pour qu'il cesse d'être, je tentais d'émietter mon corps. A moins que ce ne soit dans le but inverse: peut-être faisais-je tout pour pouvoir le sentir. Même la seule femme qui comptait n'avait jamais voulu qu'il existe, ce  corps. ...;La douleur ne m'empêchait pas de ressentir un certain plaisir. Et puis ma mère a eu une réaction vive. Elle s'était précipitée  sur le combiné en poussant des hauts cris  pour appeler le médecin. Une heure durant , j'avais été au centre de ses attentions. ..page 20

Après quelques brillantes années passées au lycée, Franz Xaver ( son père) fut obligé  d'abandonner le lycée. Non pas pour parcourir l'Europe. Ou pour aller étudier à Cambridge la littérature étrangère.Ou descendre l'Amazone en pirogue et chanter la beauté du monde. Non, il s'aplatit, s'installa sous le toit familial pour devenir ce qu'un être aussi doué peut devenir de plus minable, il devint, comme son père, comme son grand-père, il devint Marchand de Rosaires. page 27

Tout ce qu'un individu  est capable d'imposer à un autre, c'est vertigineux. Simplement parce que l'un a le pouvoir et l'autre non.  Parce que l'un ( mon père) agit, tandis que l'autre ( ma mère) est manipulée, tel un objet. page 36

J'ai reçu une éducation religieuse jusqu'à mon baccalauréat, âge auquel j'ai quitté l'Eglise.  Qu'un enfant fût, dès ses dix ans, seul "décisionnaire en matière de religion.", voilà hélas une chose que je n'appris que trop tard.  Bien sûr, une idéologie qui s'estimait la seule à pouvoir nous faire accéder à la béatitude n"allait pas ménager de l'espace pour l'enseignement d'autres idéologies religieuses...page 47

Mon père avait décidé de briser ma mère.. Il avait un bouc émissaire à portée de main, qui lui permettait de supporter sa propre détresse, et ce fut elle qui, la première,  endossa ce rôle. Ensemble, ils ne se parlaient pas, du moins , pas au sens commun où quelqu'un dit quelque chose pendant que l'autre écoute, chacun à tour de rôle. page 51

J'ai appris à haïr. Mon père torturait ma mère. Et( me torturait , en me forçant à assister à ce théâtre cruel. page 56

Comment Franz Xaver Altmann était-il devenu cet homme-là?  Etait-ce la guerre?  Certainement.  page 89

Jusqu'au jour de ma propre fuite,  presque aucun adulte ne nous rendit visite. page 90

Cet électricien à la retraite (qui vivait à la maison) paraissait aussi endommagé par la guerre que mon père. C'était peut-être pour cela qu'ils  ne communiquaient entre eux qu'en criant. Ils se  ressemblaient tellement/ Tous deux payaient le spots cassés d'Hitler, tous deux étaient  rentrés  en vaincus, tous deux portaient en eux des images atroces , leurs deux destins avaient abouti à Altötting et leurs mariages  étaient une catastrophe.  page 124

Il n'a jamais deviné ce qui se passait en moi.. Quelques instants auparavant, je croyais encore pouvoir lire dans son coeur détruit par les bombes. espérant, pauvre abruti, qu'il me tendrait la main et viendrait m'enlacer. Ou qu'il glisserait un mot gentil, ou, du moins, me regarderait sans déplaisir. Et , de joie, de ce besoin d'un père,  j'aurais craqué, je me serais rué vers lui les bras grands ouverts, je lui aurais enlacé le ventre, je ne l'aurais pas lâché, aurais mouillé sa chemise avec mes larmes mêlées de morve. page 129

Mon père faisait partie de la race des entêtés, de ceux qui ont un coeur de pierre, une tête de béton,  et le cerveau rempli de courts-circuits et d'impasses.  page 173

Goethe  nous avertit qu"'il n'y a rien de plus difficile à supporter qu'une suite de jours heureux." page 185

Quand mon père se rendait à l'église le dimanche, il emportait toujours deux minuscules livres avec lui, de la taille de la paume de sa main., des recueils contenant des maximes de Confucius et de Lao- Tseu, auxquelles il ajoutait des textes se rapportant à ces deux personnages. Page 189

(Andrea est allé  voir sa mère pour son anniversaire - il a séché les cours. Ses parents se sont séparés il y a cinq ans). J'avais à nouveau préparé une douzaine de questions. Y répondre s'avérait chaque fois un calvaire pour ma mère, mais c'était la seule personne que je pouvais interroger. Et qui connaissait les réponses.page 214

Un jeune gars débarqua dans notre classe. Il ne fallut que quelques jours pour comprendre qu'il allait m'aider à vivre.  Comme personne avant ou après . Il rayonnait, bien au-dessus de tous les moutons.  A ses côtés, ils paraissaient encore plus moutonniers. page 228

Chaque juif, chaque musulman, chaque bouddhiste, et même chaque protestant . On ne trouvait que deux races d'individus sur Terre, ceux qui s'apprêtaient à rejoindre le Paradis et ceux qui étaient condamnés à l'Enfer. Et aucune  miséricorde, aucune compassion n'était de mise. page 230

Il se produisit quelque chose  de révolutionnaire. Une inconnue pénétra dans la maison. Et resta coucher dix nuits.  Carola S...., âgée de quarante ans, docteur en philosophie, psychothérapeute,
, était couronnée de succès, belle et d'une intelligence inquiétante. Cette femme rayonnante entra de son plein gré dans le foyer en plein délitement du roi des rosaires.  Et la raison de sa venue? Mission impossible.
Carola S... était la seule femme que mon père respectait.
Pourtant, elle échoua dans sa tâche. page 253

Le crépuscule de mon père advenait. mais non sans détours et délais.  page 262

" Tu peux partir quand tu veux" C'est qu'il n'y avait plus de choix, son visage perdu entre nous, il avait réduit à néant toute possibilité de récupérer son autorité? Je partis en courant, faisant claquer des deux mains la porte de la cuisine derrière moi, rejoignis précipitamment ma chambre, j'étais si excité, si tremblant, mes membres si épuisés que je dus m'y prendre à deux ou trois fois pour saisir mes vetements et les fourrer dans deux sacs de sport, ranger mes affaires scolaires dans un troisième sac en tissu, cherchant enfin d'un regard animal quelque chose de vital que j'aurais pu oublier, m'attardant encore un instant près de la fenêtre pour clôre un rituel....
Je riais bêtement, je sanglotait de bonheur. J'étais libre...page 280

Mon père aura vécu au mauvais moment et au mauvais endroit, où il aura exercé le mauvais métier, tout en payant les pots cassés de l'histoire. page 326

samedi, mai 23, 2020

CHRONIQUE D'HIVER ( Paul Auster) 2012

Trente ans après L'Invention de la solitude, Paul Auster  pose sur son existence  le regard  du sexagénaire qu'il est devenu. . Bien loin, cependant, du journal  intime ou du classique récit autobiographique , cette Chronique d'Hiver aborde  la méditation sur la fuite du temps sous l'angle du compagnonnage  que tout  individu entretient avec son propre corps. 
C'est en effet de respiration, de sensation, de jouissance  ou de souffrance, d'épiphanies charnelles ou de confrontations plus ou moins traumatiques avec la matière du monde  qu'il est question à travers l'évocation, à la deuxième personne, d'un simple petit Américain du nom de Paul Auster, né dans l'immédiat après-guerre, et requis d'apprivoiser  les espaces  et le temps qui lui ont été impartis. 
Dans ces pages, aussi sincères que retenues, Paul Auster se décrit moins en littérateur  qu'en acteur  convoqué sur la scène troublée de l'existence  pour y  incarner, à son tour, toute l'ardeur  des passions humaines..
De cet homme-cicatrice, dont le corps exulte  ou somatise, de ce fils hanté  par la mort prématurée  de son père  et tourmenté  par les destin chaotique  de sa mère, de l'heureux citoyen  de Brooklyn, époux et père aujourd'hui comblé, de cet héritier  d'une lointaine Europe, amateur  de base-ball, fumeur invétéré et romancier fécond, de cet homme, enfin, qui souffre de ne pouvoir ou de ne savoir  pleurer, le lecteur entendra ici "le grain de la voix"  surgissant du savant puzzle  où se déconstruit  toute représentation univoque du moi afin que se produise, sous le signe d'une humanité partagée, la plus loyale des rencontres. 

Parle-moi tout de suite avant qu'il ne soit trop tard , et puis espère pouvoir continuer à parler jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien à dire. Il ne reste plus beaucoup de temps, finalement. page 9

Tu as cinq ans, tu es accroupi au-dessus d'une fourmilière dans le jardin, et tu étudies avec attention les allées et venues de tes minuscules amies à six pattes.  page 11

On est en juin 1959. Tu as douze ans et, dans une semaine, toi et tes camarades quitterez l'école primaire que tu fréquentes depuis l'âge de cinq ans. C'est une journée splendide, une fin de printemps dans son incarnation la plus magnifique, la lumière  du soleil se déverse d'un ciel bleu sans nuages., il fait chaud, mais pas trop., il y a un peu d'humidité  et la douce  brise  qui agite l'air  caresse ton  visage, ton cou, tes bras  nus.  page 16

Tu es assis dans un fauteuil sans parler à personne, juste assis en silence, à regarder les gens dans la pièce, et tu vois Trintignant, à quelque trois mètres de toi, lui aussi assis en silence, qui regarde le plancher, le menton posé dans la main, apparemment perdu dans ses pensées. Il finit par lever la tête, croise ton regard et déclare, avec un sérieux et une gravité inattendus: " Paul, il y a juste une chose que je voudrais vous dire.  A cinquante-sept ans, je me sentais vieux. Maintenant, à soixante- quatorze ans,  je me sentais mieux, je me sens beaucoup plus jeune qu'à l'époque". Sa remarque te trouble. Tu n'as aucune idée de ce qu'il essaye de te transmettre, mais tu sens que c'est important pour lui;qu'il s'efforce de partager avec toi quelque chose qui revêt pour lui une importance vitale, et c'est la raison pour laquelle tu ne lui demandes pas d'expliquer ce qu'il veut dire. Depuis près de sept ans,  à présent,  tu n'as cesser de peser ses paroles, et bien que tu ne saches toujours pas comment les interpréter exactement, il y a eu de brèves lueurs, de tout petits moments pendant lesquels tu as eu l'impression d'avoir presque pénétré la vérité de ce qu'il disait. Il se peut que ce soit quelque chose d'aussi simple que ceci: qu'un homme a davantage peur de la mort à cinquante-sept ans qu'à soixante-quatorze..page 38

Tu voulais aller seul à Paris, mais une partie de ton être était terrifiée  par un bouleversement aussi radical; du coup, ton ventre avait été mis sens dessus dessous et avait commencé à te déchirer. C'est l'histoire même de ta vie. Chaque fois que tu arrives à une croisée des chemins, ton corps s'effondre, car ton corps a toujours su ce que ton esprit  ignorait. page 80

Je n'ai pas terminé ce roman pour diverses raisons

vendredi, mai 15, 2020

CHANSON BRETONNE (J.M.G.Le Clézio) 2020

" Pour rien au monde nous n'aurions manqué cette fête de l'été. Parfois, parmi les orages d'août y mettaient fin vers le soir. Les champs alentour avaient été fauchés et la chaleur de la paille nous enivrait, nous transportait. Nous courions avec les gosses dans les chaumes piquants, pour faire lever des nuages de moustiques. Les 2 CV des bonnes soeurs roulaient à travers champs. Les groupes d'hommes se réunissaient pour  regarder les concours de lutte bretonne, ou les jeux de palets. Il y avait de la musique de fanfare sans haut-parleurs qui perçaient les sons aigres des binious  et des bombardes. "
A travers ces "chansons" , J.M.G. Le Clézio propose un voyage  dans la  Bretagne de son enfance, qui se prolonge jusque dans l'arrière-pays niçois.  Sans aucune nostalgie,  il rend compte d ela magie ancienne dont il fut le témoin, en dépit des fracas de la guerre toute proche, par les mots empruntés à la langue bretonne  et les motifs d'une nature magnifique. le texte est bercé par une douceur pastorale qui fait vibrer les images des moissons en été, la chaleur des fêtes au petit village de Sainte-Marine ou la beauté d'un champ de blé face à l'océan. 

Bien que je n'y sois pas né, et que je n'y aie  jamais vécu plus de quelques mois, chaque été, entre 48 et 54, c'est le pays qui m'a le plus apporté d'émotions et de souvenirs. page 13

Aujourd'hui, on entre dans Sainte-Marine en voiture, mais on ne s'y arrête pas...On entre puis on s'en va.
Difficile de connecter le village d'hier à ce qu'il est devenu. Bien sûr, le monde a changé. Sainte-Marine n'est pas le seul endroit.  page 16

L'unique source d'eau potable était donc cette pompe à bras, au bord de la route, qui puisait l'eau dans un puits profond relativement préservé. C'était notre tâche , à nous les enfants,  et à tous les enfants du village, d'aller deux fois par jour chercher de l'eau à la pompe.  Lorsque je suis retourné à Sainte(Marine, dix ans plus tard, j"ai constaté que la pompe était toujours là, mais hors d'usage, verrouillée, peinte en vert pomme. ..Ornée de  bouquets de fleurs , comme une vieille brouette dans un jardin. page 21
On dit souvent que la corvée d'eau est une activité distrayante dans la vie des enfants du village, que le point d'eau bruisse du rire des filles et des cris des garçons. Ce n'est pas exactement le souvenir que j'en ai.  Je me souviens de l'interminable  chemin entre les maisons, sous le soleil, et de la colonne de gosses en train de rapporter les brocs, un peu penchés de côté pour faire contrepoids, et des clapots de l'eau précieuse qui jaillissait des brocs. Mais en fin de compte, c'était une activité plutôt agréable , car cela donnait aux enfants, j'imagine, le sentiment d'être utiles. page 22

Cette génération là était encore née dans la langue bretonne. Même si, à l'école publique, on leur interdisait  de parler "patois" - c'est comme cela qu'on appelait le breton à l'époque. - l'été on célébrait la liberté de  la langue; ..C'était une langue pour être dehors, pour crier, pour jurer, pour s'injurier. L'autre langue,  celle des Parizianer, ils avaient trois mois pour l'oublier, pour la laisser dans un coin, dans le sac d'école avec les bouquins  et  les cahiers usagés.
Ils parlaient tous breton, comme leurs parents et leurs grands-parents. page 25

La vraie cause de l'abandon de la langue bretonne , ce sont les Bretons eux-mêmes qui en portent la responsabilité.  Cela fut, à cette époque, comme un vent violent qui a  balayé toute la Bretagne eta bouleversé de fond en comble , les institutions, confondant l'attrait pour  la modernité avec la honte des origines, identifiant l'héritage ancestral à la crainte de l'arriération, redoutant la pauvreté abjecte dans laquelle , depuis des siècles, les ruraux avaient parfois survécu et que l'Etat, craignant les failles identitaires, avait maintenue. . page 26

La femme dont je garde le souvenir attendri , c'était la fermière  chez qui  nous allions chercher le lait  chaque jour, Mme Le Dour. Elle vivait  dans une petite ferme à l'ancienne, murs de granite et toit de chaume, à la limite de Kergaradec, non loin de la mer. Je n'ai jamais su son prénom,  ni son nom de jeune fille.  On disait Mme Le Dour, c'est tout. Elle parlait cette langue chantante du pays bigouden, en breton et en français. page 33
Aller chercher le lait , chez Mme Le Dour,  c'était un prétexte Bien su^r, il était  meilleur que le lait servi du bidon chez Biger.  Nous aimions bien aller chaque soir , avant la tombée du jour, à travers la lande jusqu'à cette petite maison isolée au milieu des ajoncs, contre les dunes, qui ressemblait à une maison de fées. page 34

Chaque année, à la mi-août, il y avait une fête au château du Cosquer.  ça semble banal de le dire , mais c'était une fête comme je n'en ai jamais connu ailleurs, une fête de rêve. ...La  marquise   ne se montrait jamais . trop âgée  peut-être, elle restait à l'intérieur  du château, tandis que la fête se déroulait sous  ses fenêtres. ....Pour rien au monde, nous n'aurions manqué cette fête de l'été. page 44

Sainte Marine, c'est l'odeur  de l'eau...page 47

Le battage avait lieu dans les grandes fermes, comme celle de la famille Cossec. ..;Dire que c'était une fête serait en _dessous de la vérité. C'était à la fois un événement, une épreuve et une bataille. IL fallait tout finir dans une seule journée, pour ne pas  risquer la pluie qui ferait fermenter le grain. page 49

(Dans la nuit, quelqu'un joue du biniou) Nous ne nous sommes pas approchés du sonneur mystérieux. Nous avons écouté la musique  apportée par le vent, et, quand elle s'est arrêtée nous sommes retournés au village, à Ker-Huel, sans rien dire. Je crois que cette musique qui porte l'éternité  de ce lieu. Le monde  a changé , c'est entendu. Il a remplacé ses coutumes et ses costumes. Il a un peu oublié sa langue. Mais si quelqu'un joue du biniou , là, un soir, dans la lande, dans le vent et la pluie, loin des maisons pour ne pas faire aboyer les chiens, tout ce qu'on a cru disparu reviendra. page 54

Du grec, dory, et phoros, porteur, celui qui porte une lance. Il en est pourtant dépourvu., cet insecte timide  et envahissant qui a failli  détruire  un pan entier  de l'agriculture bretonne  dans les années 50 en mangeant toutes les feuilles  de pommes de terre . .;.J'ai régné sur  ce petit peuple plusieurs étés de suite, je sens encore sur la paume de mes mains et sur  la peau de mes avant-bras le léger chatouillement  de leurs pattes munies de minuscules griffes. pages 56, 57

L'absence des doryphores m'a paru alors un très grand vide .. De même que la disparition des coquelicots ; complètement  inutiles eux aussi; au milieu des champs de blé. page 58

Ce ne sont pas les coquillages ni les crevettes qui m'intéressent. C'est comme marcher au fond d'un rêve, partir à la rencontre avec les trésors engloutis et les monstres. page 66

La lande, nous avions appris à la reconnaître. par la langue bretonne d'abord, en Bretagne , lann cela ne veut pas dire n'importe quoi. Cela veut dire les étendues  d'ajoncs, cette fourrure gris-vert qui recouvre la terre, qui s 'empare de tous les lieux inhabités. . Est-ce que nous savions qu'elle était cultivée?  Je ne me souviens pas d'avoir vu des tombereaux  de cette plante qui servait de nourriture aux chevaux de trait et au bétail, ni d'avoir vu dans la cour des fermes l'appareil à main qui permettait de la déchiqueter. Cela avait probablement disparu  dans l'après-guerre.  page 77

Nous avons fait notre retour aux sources. Aujourd'hui,  cela ressemblerait à une excursion. A l'époque, à bord de la vieille bagnole , c'était toute une expédition. Partis tôt le matin,  nous roulions dans la direction de  Quimperlé, puis nous remontions  vers l'intérieur jusqu'à Pontivy. C'était une autre Bretagne, loin de la côte, un pays vert  au bout des vallées étroites. es hameaux plutôt  que es villages.....Au bout de ces routes, nous sommes arrivés  au village  du Cleuziou que notre père , sans aucune certitude , avait déterminé  comme notre lieu d'origine.  Quelques fermes anciennes , l'air de maisons fortifiées autour d'une cour boueuse. " Saluez vos cousins", nous disait  notre père, mais nous n'avions pas très envie.  Deux gosses se tenaient immobiles  devant l'entrée  de la ferme, ils nous regardaient comme si nous étions des envahisseurs. Ils devaient avoir notre âge ou à peu près. page 87

dimanche, mai 10, 2020

LE REGNE EPHEMERE DE PEPIN IV( John Steinbeck)

Steinbeck avouait une tendresse toute particulière à l'endroit de ce roman "français"( 1957) qui fut pour lui et ses lecteurs d'alors comme une cure de santé. 
Nous sommes dans la France des années 50 et l'on nous explique que la République, fatiguée par les changements de gouvernement qui sont à l'époque l'une des plus sûres spécialités du pays, décide de confier le pouvoir à un roi. On offre donc la couronne à un lointain descendant de Charlemagne, Pépin Héristal, modeste rentier parisien , propriétaire e quelques pieds de vigne du côté de Chablis, astronome amateur à ses heures.
Steinbeck a toujours aimé la veine humoresque: il n' est pour s'en convaincre que de relire la merveilleuse série de romans qu'il a consacrés aux paisanos, et aux joyeux clochards de Monterey  (Tortilla, Flat, Rue de La sardine, Tendre Jeudi)  Il y ajoute ici, une jolie point de satire, mais sur un mode plus amusé qu'accusateur (car on sent qu'il aime la France pour ses défauts non moins que pour ses vertus. La description de la cour royale est en soi un régal: la reine Marie et sa confidente , la soeur Hyacinthe, une danseuse des Folies Bergère devenue religieuse sur le tard, l'oncle Charles martel, propriétaire d'une galerie et grand expert en faux; la princesse Clotilde, auteur à 15 ans d'un best-seller intitulé Adieu la vie... Quant à Pépin, il déteste Versailles et ses appartements mal chauffés et n'est jamais aussi heureux que lorsqu'il peut s'offrir une escapade en scooter: occasion pour lui de découvrir incognito les états d'âme de son cher  et vieux pays.
On songe aux comédies américaines  où excellaient alors Billy Wilder et William Wyler, aux grimaces émouvantes d'Audery Hepburn; on ennted sonner l'orchestre heureux d'Un Américain à Paris , on  rit, on sourit, on se souvient...et l'on n'est pas loin d'essuyer une larme quand l'auteur nous pousse du coude pour nous rappeler que si le monde mérite quelques claques, il n'y a peut-être pas de quoi en faire un drame. 

En vivant et travaillant en France, j'ai pu me convaincre  que, de tous les peuples du monde, les Français  savent se moquer d'eux-mêmes aussi bien que des autres. page 19

Sa santé était si bonne qu'il ne s'apercevait pas qu'il en avait une. page 25,

Elle admirait son mari  sans essayer de le comprendre. Page 25

J'ai connu bien des personnes qui demandaient des conseils, très peu qui les acceptaient, et personne pour les suivre. page 37

Il put non seulement se faire entendre mais comprendre. page 45

Pépin penchait beaucoup vers une forme institutionnelle, non seulement parce qu'il était profondément libéral mais aussi parce que l'absolutisme implique une lourde responsabilité. page 65

Si l'homme se contentait de parler, il pourrait lui arriver d'être sincère mais il n'aurait pas l'air  d'être sincère. page 71

En Amérique , on ne devient un membre des classes populaires que quand on fait faillite. page 85

Pépin dit lentement; " je crois que tous les hommes sont honnêtes quand leur intérêt n'est pas en jeu. je crois que la plupart sont vulnérables quand il y va de leur intérêt. page 106

Devenu roi, il fut seul; mis à part  et seul; et c'est cela aussi être roi. La monarchie avait  créé un roi. page 137