samedi, mai 23, 2020

CHRONIQUE D'HIVER ( Paul Auster) 2012

Trente ans après L'Invention de la solitude, Paul Auster  pose sur son existence  le regard  du sexagénaire qu'il est devenu. . Bien loin, cependant, du journal  intime ou du classique récit autobiographique , cette Chronique d'Hiver aborde  la méditation sur la fuite du temps sous l'angle du compagnonnage  que tout  individu entretient avec son propre corps. 
C'est en effet de respiration, de sensation, de jouissance  ou de souffrance, d'épiphanies charnelles ou de confrontations plus ou moins traumatiques avec la matière du monde  qu'il est question à travers l'évocation, à la deuxième personne, d'un simple petit Américain du nom de Paul Auster, né dans l'immédiat après-guerre, et requis d'apprivoiser  les espaces  et le temps qui lui ont été impartis. 
Dans ces pages, aussi sincères que retenues, Paul Auster se décrit moins en littérateur  qu'en acteur  convoqué sur la scène troublée de l'existence  pour y  incarner, à son tour, toute l'ardeur  des passions humaines..
De cet homme-cicatrice, dont le corps exulte  ou somatise, de ce fils hanté  par la mort prématurée  de son père  et tourmenté  par les destin chaotique  de sa mère, de l'heureux citoyen  de Brooklyn, époux et père aujourd'hui comblé, de cet héritier  d'une lointaine Europe, amateur  de base-ball, fumeur invétéré et romancier fécond, de cet homme, enfin, qui souffre de ne pouvoir ou de ne savoir  pleurer, le lecteur entendra ici "le grain de la voix"  surgissant du savant puzzle  où se déconstruit  toute représentation univoque du moi afin que se produise, sous le signe d'une humanité partagée, la plus loyale des rencontres. 

Parle-moi tout de suite avant qu'il ne soit trop tard , et puis espère pouvoir continuer à parler jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien à dire. Il ne reste plus beaucoup de temps, finalement. page 9

Tu as cinq ans, tu es accroupi au-dessus d'une fourmilière dans le jardin, et tu étudies avec attention les allées et venues de tes minuscules amies à six pattes.  page 11

On est en juin 1959. Tu as douze ans et, dans une semaine, toi et tes camarades quitterez l'école primaire que tu fréquentes depuis l'âge de cinq ans. C'est une journée splendide, une fin de printemps dans son incarnation la plus magnifique, la lumière  du soleil se déverse d'un ciel bleu sans nuages., il fait chaud, mais pas trop., il y a un peu d'humidité  et la douce  brise  qui agite l'air  caresse ton  visage, ton cou, tes bras  nus.  page 16

Tu es assis dans un fauteuil sans parler à personne, juste assis en silence, à regarder les gens dans la pièce, et tu vois Trintignant, à quelque trois mètres de toi, lui aussi assis en silence, qui regarde le plancher, le menton posé dans la main, apparemment perdu dans ses pensées. Il finit par lever la tête, croise ton regard et déclare, avec un sérieux et une gravité inattendus: " Paul, il y a juste une chose que je voudrais vous dire.  A cinquante-sept ans, je me sentais vieux. Maintenant, à soixante- quatorze ans,  je me sentais mieux, je me sens beaucoup plus jeune qu'à l'époque". Sa remarque te trouble. Tu n'as aucune idée de ce qu'il essaye de te transmettre, mais tu sens que c'est important pour lui;qu'il s'efforce de partager avec toi quelque chose qui revêt pour lui une importance vitale, et c'est la raison pour laquelle tu ne lui demandes pas d'expliquer ce qu'il veut dire. Depuis près de sept ans,  à présent,  tu n'as cesser de peser ses paroles, et bien que tu ne saches toujours pas comment les interpréter exactement, il y a eu de brèves lueurs, de tout petits moments pendant lesquels tu as eu l'impression d'avoir presque pénétré la vérité de ce qu'il disait. Il se peut que ce soit quelque chose d'aussi simple que ceci: qu'un homme a davantage peur de la mort à cinquante-sept ans qu'à soixante-quatorze..page 38

Tu voulais aller seul à Paris, mais une partie de ton être était terrifiée  par un bouleversement aussi radical; du coup, ton ventre avait été mis sens dessus dessous et avait commencé à te déchirer. C'est l'histoire même de ta vie. Chaque fois que tu arrives à une croisée des chemins, ton corps s'effondre, car ton corps a toujours su ce que ton esprit  ignorait. page 80

Je n'ai pas terminé ce roman pour diverses raisons

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