jeudi, novembre 28, 2019

SOUVENIRS DE L'AVENIR ( Siri Hustvedt) 2019

En 1978, une jeune femme en quête d' aventures, S.H. s'installe à New York dans l'intention d'écrire son premier roman. Mais elle se voit bientôt distraite de ses propres projets par sa mystérieuse voisine, Lucy Brite, dont les propos  aussi confus qu'inquiétants, lui parviennent à travers la mince cloison de leur immeuble décrépi. S.H. se met à transcrire les étranges monologues de Lucy, où il est question de mort brutale de sa fille et du besoin qui la taraude de châtier son assassin. Jusqu'à cette nuit de violence où Lucy fait irruption dans l'appartement de S. H.
Quarante ans plus tard, S. H. retrouve le journal qu'elle  a tenu cette année-là et entame un récit autobiographique - Souvenirs de l'avenir - dans lequel elle juxtapose savamment les textes contenus dans le journal, les ébauches du roman qu'elle tentait d'écrire alors, et les commentaires que ces brouillons de jeunesse inspirent à la romancière chevronnée qu'elle est devenue, afin de créer un dialogue entre ses différents "moi" à travers les décennies.
Virtuose, incisif et poignant, le septième roman de Siri Hustvedt rassemble et magnifie les thèmes qui ont fait d'elle l'un des écrivains les plus reconnus de sa génération: le caractère faillible de la mémoire, la brutalité du patriarcat, les traumatismes qui livrent les secrets bien des années plus tard, l'œuvre du temps et la capacité de l'imaginaire à recréer le présent, voire à le guérir. Ce" portrait de l'artiste en jeune femme", voluptueuse superposition de récits, est un subtil alliage de réminiscences, de drôlerie et de magie narratrice.
 
Je voulais être tout le monde. j'écoutais les langues parlées, les unes reconnaissables - espagnol, mandarin, allemand, russe, polonais, français, portugais - et d'autres que je n'avais jamais entendues . Je me délectais de la variété des couleurs de peau autour de moi, ayant été , à Webster, Minnesota, rassasiée pour une vie entière de pâleur luthérienne et de ses nuances enflammées allant du rouge au brun fermier brûlé.
J'étudiais les clochards et les clochardes à leurs degrés variés de déchéance dans les indignités de la rue. page 11
 
A Webster, dans le Minnesota, personne n'était vraiment riche. Nous comptions comme fortunés quelques éleveurs de dindes et propriétaires de magasins, et, si modestes que fussent leurs moyens , leurs années d'étude valaient aux médecins, dentistes, avocats et professeurs, un avantage social qui était souvent mal ressenti par les fermiers, mécaniciens, et tant d'autres personnes des environs, dont les noms n'étaient suivis d'aucune initiale. A New - York, en revanche, la richesse était là, s'exhibant aux regards, une richesse dont je n'avais jamais vu la pareille. page 15

Elle (sa mère) s'était toujours considérée comme "philosophique". la définition particulière que donnait ma mère de  ce mot est la suivante: nous souffrons tous et nous mourrons tous. " Jamais, jamais, m'avait-elle dit  quand j'avais onze ans, il ne faut dire " disparaître" au lieu de" mourir". Les gens meurent. Ils ne s'évaporent pas. " page 18

Quand je fais le récit de mon initiation urbaine, je disais toujours: " Je dois avoir été l'une des rares personnes qui se sont installées à New-York sans connaître qui que ce soit. Et c'est vrai. Ni amis, ni amis d'amis, ni cousins au troisième degré ou même plus, et donc aucun numéro de téléphone à appeler. J'ajoutais alors, pour  en rajouter dans le pathétique, : "Pendant les trois premières semaines, je n'ai parlé à personne. "  page 23

Je me sentais désorientée. Rentrée chez moi, je me rappelai la phrase de Simone Weil: " Notre vie réelle est plus qu'aux trois quarts composée d'imagination et de fiction".  Weil était un génie, une sainte incandescente, et une diseuse de vérité. page 57

Les êtres humains  ont un besoin désespéré d'être vus et de se voir dans les yeux des autres, d'éprouver le réconfort familial du " nous", les bienheureux câlins de la tribu... page 83
 
J'ai en tête des images qui ont survécu, mais leur exactitude est quelque chose que je saurais garantir. Le temps peut les avoir figées, car elles ressemblent à une série d'images fixes.  page 86
 
1er février 2017. " J'ai regardé lé télé, ma mère m'a dit, hier, au cours de notre conversation téléphonique. Cet homme-là peut-il être président: il est mal élevé , si vulgaire. ça n'a aucun sens. - C'est un ignorant, un bouffon vantard.
Ma mère a claqué la langue et soupiré. " Je suivais de près la politique autrefois. maintenant, j'oublie. Ce doit être l'âge. Quel âge j'ai?
- Tu as presque quatre-vingt- quatorze ans".
Ma mère a ri. " C'est vieux, vieux, vieux, ça, ma chérie, vraiment vieux.  page 115
 
La mère que j'avais été stupéfaite de découvrir assise par terre, immobile, dans la cuisine, après l'assassinat de Kennedy, ma mère qui disait qu'elle partirait au Canada si Goldwater était élu, la mère qui montrait le poing à l'image de  George wallace à la télévision, la mère qui a marché avec moi pour protester contre la guerre au Vietnam, la mère qui suivait dans les plus complexes détails les audiences du Watergate, la mère, qui quelques années auparavant, dénonçait les agissements obscurs de politiciens de sa région dont j'ignorais pratiquement tout, a disparu et  été remplacée par une mère qui allume la télévision pour voir défiler une foule d'images fluctuantes et de sons brouillés aux significations émotionnelles confuses.
" Cet homme peut-il être président?
Le cerveau de ma mère a perdu la dimension du "maintenant", cette béance temporelle qui nous fait transiter du passé immédiat au présent immédiat dans l'attente de l'avenir immédiat, le tout complètement insaisissable, s'estompant et réapparaissant à une allure qui dépasse notre entendement. Nous vivons à une vitesse perceptuelle qui me fait demander pourquoi nous ne volons pas en éclats.  page 118

Je n'ai parcouru des milliers de livres de la bibliothèque, ne suis passée par d'innombrables chambres mentales et ne me suis engagée dans des couloirs dont j'ignorais l'existence que pour découvrir à la fin d'autres portes à ouvrir. Il y a toujours une autre porte et une autre chambre.  page 125

Le passé peut-il servir à cacher le présent? Ce livre que vous lisez maintenant, est-il la quête d'une destination nommée Alors? Dîtes-moi où finit la mémoire et où commence l'invention? ...
Tout livre est un repli de l'immédiat vers le réfléchi. Tout livre inclut un désir pervers de faire cafouiller le temps, de tromper son cours inévitable. Blablaba, et tam-ta-di-dam. Je cherche quoi? Je vais où? Suis-je en train de chercher en vain l'instant où le futur qui est maintenant le passé m'a fait signe, avec son visage vaste et vide, et  où j'ai tremblé ou trébuché ou couru dans la mauvaise direction?  Mes souvenirs  joyeux ou douloureux, sont-ils une preuve de mon existence?....page 137
 
Presque tous les jours , ma mère me disait:  qu'elle n'est pas prête à mourir. Et puis, elle ajoute: "Mais je ne veux pas vivre vieille et décrépite sans plus un seul neurone valide. Je ne veux pas de ça. " (Moi non plus je ne veux pas de ça maman)
"J'ai quel âge? me demande-t-elle une fois de plus.
- Quatre-vingt-quatorze.
- Et toi, tu as quel âge alors?
- Soixante-deux. page 138
 
Nous souffrons tous et nous mourrons tous, mais vous , la personne qui lisez ce livre en ce    moment, vous êtes  encore en vie. Je suis peut-être morte mais  vous ne l'êtes pas. Vous inspirez et expirez tout en lisant et si vous vous interrompez et posez la main  sur votre torse, vous sentirez battre votre cœur...
Des portes ont été ouvertes et fermées, des souvenirs sont venus et repartis....page 307
 

vendredi, novembre 22, 2019

LA VIE EN CHANTIER (Pete Fromm) 2019

Marnie et Ted ont tout pour être heureux. Jeunes et énergiques, ils s'aiment, rient et travaillent ensemble. Lorsque Marnie apprend qu'elle est enceinte, leur vie s'en trouve bouleversée, mais le couple est prêt à relever le défi. Avec leurs modestes moyens, ils commencent à retaper leur petite maison de Missoula, dans le Montana, et l'avenir prend des contours plus précis. Mais lorsque Marnie meurt en couches, Taz se retrouve anéanti, avec sa fille nouvellement née sur les bras. Il plonge alors tête première dans le monde inconnu et étrange de la paternité, un monde de responsabilités et d'insomnies, de doutes et de joies inattendues.
 
La Vie  en chantier est une histoire qui touche au cœur. Pete Fromm écrit magnifiquement sur la vie qui donne toujours une seconde chance à celui qui sait la saisir.

Lorsque le futur marié lève le voile sur ses tempes délicates, je me dis qu'on devrait les prévenir; un avenir fait d'enterrements, d'emprunts automobiles, d'impôts et d'enfants malades la nuit. C'est un boulot que vous ne saurez pas faire, le bras nu enfoncé jusqu'au coude dans l'évier bouché, parmi les pelures d'aubergines brûlées à la dérive absurde. 
Joe Millar, American Wedding. page 7

Tu sais, ce n'est pas parce qu'on ne parle pas d'argent qu'on en a. page 23

"Marnie devait adorer cet endroit, dit-elle ( sa mère, Laureen ) avant de porter sa main à sa bouche, à deux doigts de craquer. je ne sais pas quoi faire, Ted.
Il déglutit, se racle la gorge, incapable de produire le moindre son.
- Moi non plus, finit-il par répondre d'une voix rauque.
- Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit depuis que je , qu'elle, que vous avez appelé.
- Moi non plus. page 52

"Laureen , arrêtez.
- Non,  c'est à vous de m'écouter. Peu importe ce que vous avez pu dire ou penser, je ne m'en suis jamais pris à vous derrière votre dos. Je respectais ce que vous faisiez. Je vous admirais même.
- Vous n'êtes pas obligée de....
- Mais vous devez retrouver tout cela, Ted. Même si c'est l'œuvre de Marnie, ou de vous deux ensemble. Il faut faire votre deuil, bien sûr....Dieu sait que nous ferons le deuil de Marnie toute notre vie, mais....(Elle tend un bras, le doigt pointé sur Midge dans son couffin, comme si elle pouvait voir à travers les murs) Pour elle. A partir de maintenant, tout est pour elle.
- Je....
- ...Une dernière chose.
Il s'appuie contre le dossier de sa chaise, lui laissant la parole.
- J'ai pris mon billet. Je pars cet après-midi. A vous de jouer. ...C'est votre vie maintenant.
Taz lève les mains, les laisse retomber.
- Merci dit-il. Et je suis désolé...
-....Aucun problème. je ne connais personne qui sache réagir à cela.
....- Si une telle personne existait , je n'aurais aucune envie de la rencontrer.
Elle acquiesce, soupire.
..Merci pour tout dit-il. Pour tout. pages 82, 83

(Une jeune fille se présente comme baby-sitter)."Il (Rudy) dit que vous avez le plus beau bébé du monde.
Taz regarde ailleurs.
- Il a tendance à exagérer.
- Je ne pense pas qu'il se trompe pas. page 132

" C'est Marnie qui s'occupait des factures, avant.
Ruby se frotte le visage.
- Ecoute, Taz, ça ne me fait pas plaisir de te le dire , mais il va falloir t'habituer  à l'idée qu'"avant", ça ne marche plus.
Taz pose les mains à plat sur le bar. page 154
 
Elmo est sous le porche, une assiette recouverte d'alu dans chaque main, un Tupperware coincé sous le bras.
" Je me sentais un peu nulle de garder tout ça pour moi, explique-t-elle ( C'est Thanksgiving)
Il recule et l'invite  à rentrer.
- Nulle? On dirait une bénévole de la soupe populaire.
- Et qu'est-ce que ça fait de toi, ça?
Elle pose les assiettes sur la table, veillant à éviter les factures.
Taz l'observe.
- Je croyais que tu invitais des amis chez toi.
- C'est le cas. Juste quelques-uns. Ils te plairaient sûrement. (Elle se débarrasse du Tupperware) Où est Midgie?
- Elle dort. Elle se dirige vers la nursery sans prononcer un mot. Elle revient avec un sourire aux lèvres.
- Je ne l'ai jamais vraiment regardée dormir avant. A la lumière de la veilleuse. Elle est tellement belle.
Taz se rengorge, sans le vouloir., et Elmo éclate de rire. 
- Regarde-toi, le  Papa tout fier.
Il détourne les yeux. page 161
 
Le lendemain de Thanksgiving, Elmo apporte les restes, un gros morceau de blanc, déjà tranché, un  vieux bac à yaourt plein  de purée, un autre bac plein de farce, un pot de crème fraîche rempli à ras bord de patates douces ainsi qu'une sorte de garniture au chamallow, des plats dont il a presque oublié l'existence depuis que ses parents ont déménagé. Une tarte à la citrouille à peine entamée.
Elle étale son festin et accroche la chaise haute de Midge à la table, dressée pour l'occasion, avec les serviettes et le tralala.
- Vous n'avez rien mangé , hier soir ou quoi? demande Taz.
- Je me suis un peu emballée.
Il se demande si elle a  vraiment reçu  des amis, ou si elle a tout préparé pour eux deux.
....Deux semaines plus tard, le souvenir de ce repas partagé continue de résonner en lui, même s'il n'avait pas mené large au début. page 167
 
...Il fait défiler ses contacts, encore et encore, du premier au dernier. Encore et encore, sans reconnaître un seul nom.
Jusqu'à ce qu'il voie, enfin: MARNIE. Il cligne des yeux. Son cœur s'accélère. le souffle lui manque. Il appuie. Et tombe aussitôt sur la messagerie.
- Bonjour, vous êtes sur le téléphone de Marnie, vous connaissez la chanson....
Il raccroche en suffoquant.
Appuie à nouveau. Ecoute le message en entier. Rappelle sitôt que le bip se déclenche. La voix de Marnie. Ses mains tremblent trop pour recommencer.
De toutes manières, il n'arrive plus à distinguer les touches
Il a envie de jeter le téléphone du haut d'une falaise. Au fond d'une mine. Et de sauter à sa suite.
Cherchant à essuyer ses larmes, il tâtonne, aveuglé, et se met à pleurer plus fort. Il laisse tomber le téléphone. Le ramasse. Fait à nouveau défiler ses contacts. Est pris de nausée lorsque Marnie apparaît. Six lettres qi l'annihilent. Il cherche autour de lui ce qui pourrait le sauver. N'importe quoi.
Il se mord les lèvres jusqu'au sang. Se gratte furieusement la tête. Se presse les tempes. Les martèle.
S'il appelait juste une dernière fois?
Impossible
Il appuie sur EFFACER.
EFFACER CONTACT?
Il tergiverse. Non.
Il affiche le contact à nouveau. EFFACER.
EFFACER CO NTACT?
Oui. Jamais plus il ne l'appellera. Jamais plus.
Il repousse violemment sa chaise, qui bascule sur le plancher.
Il va dans le séjour en se cognant les cuisses de ses poings, les dents serrées, pour  éviter de hurler. Il gémit. Une plainte d'animal blessé.  page 189
 
- Je suis navré, dit-il à nouveau. Vous avez raison. Midge devrait savoir à quoi ressemblait sa mère. (Laureen a mis une photo de sa fille Marnie dans la maison)  Je suis le seul qui ne l'oubliera jamais.
Il a le temps  d 'atteindre la nursery avant d'entendre sa réponse.
- Non, vous n'êtes pas le seul. page 205

- Où que tu ailles, dit-elle ( Elmo) les yeux rivés à la fenêtre, n'y passe pas la journée. Pas aujourd'hui.
Il déglutit. Se sent rougir. Comment font les autres? Pour mentir? Pour tricher?
Elle pince les lèvres. Une sorte de moue. Déçue?  Dégoûtée?
- C'est juste, que, commence-t-elle, évitant son regard. je ne sais pas si tu es au courant. Elle se passe une main dans les cheveux et les lève sur lui. Tu as un anniversaire à célébrer aujourd'hui. Et Midge mérite une fête.
Taz le sait sans le savoir.  C'est une idée qui palpite à la périphérie de sa conscience, comme une poussière dans l'œil, quelque chose qu'il perçoit, sans le voir tout à fait. Il déglutit à nouveau.
- Je ne  pense pas...
- On fait une fête, dit Elmo. Que tu le veuilles ou non. (Elle le toise avec insistance). Pour le bien de Midge.
- Je...
- Oui, toi. Tu as le devoir d'être heureux. Pour le bien de Midge.
...- J'ai invité deux, trois personnes. A cinq heures. je m'occupe du gâteau. Midge va s'en mettre partout. Elle sera la reine de la fête.
Taz inspire. Expire. Un an déjà.
- Il est hors de question que tu joues les rabat-joie de service.
Il a envie de lui jeter quelque chose au visage. Pour la faire partir. Pour la faire disparaître. Mais il veut aussi que Midge mange son  gâteau. A pleines mains. page 262
..." Je ne rigole pas, crie Elmo dans son dos. Midge doit trouver sa place dans le monde . Sans fantôme.
Taz tremble. Il prend Midge dans ses bras et peine à descendre les marches....Elmo agite la main;
- Ce n'est pas un fantôme. C'est sa mère et elle est ....
- Partie.
C'est presque un murmure, comme si Elmo aussi était  un fantôme. page 263

"Tu t'en es bien sorti ce soir. Tu as fait de ton mieux, dit-elle d'une voix douce, comme si elle berçait Midge.
Un an, pense-t-il. Et pas le moindre progrès.
- Je sais que c'est dur.
Il se mord la lèvre.
- Je n'aurais pas pu faire mieux. page 271

C'est le dernier jour d'Elmo. Ils lui ont trouvé une remplaçante. Alisha semble gentille. Elle habitera chez Elmo jusqu'à la fin du stage. page 279
Il se tait. Continue de faire semblant.
 
-Tu vas où?
- Comment ça?
- Quand tu as ce genre d'absence?  Comme tu viens de le faire, devant la portière. Tu vas où?
taz franchit le seuil de la cuisine avec l'avant du meuble haut et recule pour laisser entrer Rudy.
- Nulle part, répond-il.
Ils posent le meuble devant les autres. Rudy lève les deux mains en l'air, incapable de retenir un petit ricanement.
- Tu n'es pas obligé de dire quoi que ce soit au Rude. Respect , mec.
- Rude, dit Taz. Si tu insistes, je vais voir Marnie. Voilà.
Le visage de Rude s'assombrit.
- OK, c'est cool, répond-il.
Son expression contre dis ses paroles.
Ils se mettent au travail, les meubles haut d'abor.
- Et ça t'arrive de parler à ta mère?
- J'évite en ce moment.
- Pourquoi?
- Pour essayer un truc. Ni Grand - Mère, ni Elmo. Histoire de voir comment on s'en  sort.
- C'est vraiment ça que tu veux? Tu as envie  d'être seul?
- Ce n'est pas exactement ce qui était prévu. Mais maintenant....
.....Rudy, ça te plairait d'apprendre à parler anglais? Genre, pour avoir une seconde langue?
- Elmo. Je pense que tu as une ouverture. ça me botterait. Sérieux.
Taz attrape Rudy par les épaules et se penche vers lui.
- Rudy, je sais que tu n'as pas l'habitude d'avoir des idées. Du coup, cette fois, tu en as une, tu ne veux plus la lâcher. Mais, cette fois rends-moi service et essaye, d'accord?
-OK, OK. Mais t'es rabat-joie, mec.
- C'était juste la baby-sitter, Rudy. La baby-sitter de Midge.
- Tu me tues à parler au passé.
- Elle n'est plus là, je me trompe?
- Et merde dit Taz.
...-Un dernier truc , lance Rudy, dans son dos.
Taz grogne.
-Non vraiment.
OK, vide ton sac. Mais si ça concerne Elmo...
Il s'arrête
...Mais je me pose une question.
- Quelle question Rude?
- Tazmo er Rude. ça pourrait devenir une réalité, un jour?
- Tu me poses une question sur l'avenir, à moi?  Merde, Rude, je n'en ai pas la moindre idée. Je ne sais pas ce qui va se passer demain....Je n'arrive pas à voir plus loin que ça.  pages 307, 308, 308 310
 
 
 
 

mercredi, novembre 13, 2019

CAP HORN ( Francisco Coloane)

De tous  les livres qu'il a écrits, Francisco Coloane aime à dire que Terra del Fueco est son préféré... mais que ses lecteurs ont toujours placé Cap Horn au plus haut.  Entre ces deux recueils, c'est au reste le même monde qui déploie ses noirs prestiges: ce Grand Sud chilien balayé par tous les vents de l'enfer, terre de désolation et école de solitude.  Le climat brutal des récits, le traitement si particulier de la narration, (débarrassée de toute "littérature"), le style abrupt: autant d'éléments communs à ces deux volumes jumeaux qui semblent avoir été imposés d'une seule coulée.
Une fois de plus, Coloane raconte à son lecteur des histoires qui l'empêcheront de dormir - mais qui l'aideront à respirer en secrète harmonie avec le monde.
 
Cap Horn ( écrit en 1941)  est un registre de quatorze nouvelles dont la plupart ont pour cadre les vastes étendues arides de Patagonie où Coloane a travaillé comme contremaître d'estancia.
Dans une interview au journal Le Monde en novembre 1995, Coloane décrivait avec réalisme ses expériences en la  matière:  " Je suis monté à cheval sans étrier - très pénible pour les testicules - , j'ai châtré des moutons avec les dents - très mauvais pour les gencives _ , et j'ai égorgé des brebis, mais avec délicatesse, car j'avais appris à leur couper l'aorte pour que les pauvres bêtes ne souffrent pas."

Des journées sans vent et de longues chutes de neige avaient suivi le retour du mouton aveugle. Au milieu des flocons silencieux, la solitude devenait plus intense; parfois, un léger bruit se faisait entendre, aussi subtil qu'un battement d'ailes de papillon. A travers le carreau du fenestron, on apercevait un horizon fermé, un ciel gris et bas d'une  tristesse accablante . page 15

J'ai appris à connaître la mer et je sais que l'immensité d'un naufrage est moins éprouvant si l'on est sur le pont en plein vent. En outre, l'attente de  la mort n'est pas aussi effroyable sur un petit bateau que sur un navire de gros tonnage. Sur le premier, la mer est à portée de main; les vagues déchaînées nous offrent l'avant-goût saumâtre des quelques minutes que durera notre agonie, nous titubons à la frontière de la mort dont nous ne sommes séparés que par un petit pas. page 28

La mort rend les hommes égaux entre eux, mais les place aussi sur un pied d'égalité avec les animaux et même avec les vers. page 33

Mac Kay, Arentsen et moi attendions l'inconnu avec une légère appréhension, car cet homme allait partager notre existence, et un compagnon en Terre De Feu est bien davantage qu'un familier ou un ami intime; on mange le même pain quand la faim nous tenaille, on tire sur le même lasso, on tend la main vers le même couteau et la faiblesse de l'un peut être fatale à l'autre. Du main au soir, c'est presque à tout instant qu'il faut former un couple, et l'envie, la lâcheté, l'égoîsme, tous les défauts, petits et grands, sont impossibles à dissimuler et pénibles à supporter. page53

" Et puis , je t'écris surtout cette lettre pour te remercier d'une chose: de ne m'avoir jamais demandé, tout au long de mon séjour là-bas, ni pendant ma fuite, la raison de la haine et du duel entre Mac Kay et moi. " page 68

Dans la journée, notre sensation d'être sur terre est quelque peu sommaire. mais, la nuit, sous un ciel brillant où l'on distingue clairement les astres, nous avons l'impression d'habiter une ville perdue  dans l'espace;  la terre s'estompe, nous cheminons les yeux fixés sur la Voie lactée, et le cœur et l'esprit s'élèvent vers le cosmos, puis  redescendent pour, un jour disparaître sous quatre pelletées de terre.
Manuel se souvint de cet instant où, de l'infinie pampa dont la surface semblait épouser la courbe de la terre, avait soudain surgi un embrasement grandiose, suivi peu après d'une boule de feu, rouge sang, monstrueuse, qui s'élevait lentement à l'horizon. Les pâturages brillaient, d'un frottis d'or, une brebis avait levé son museau doré, les barbelés devenaient des filaments de lumière, et, au loin, les espaces bleutés palpitaient comme des mirages.
Il se souvint aussi de son corps recroquevillé dans un coin sombre de l'automobile et de son étonnement lorsqu'il avait timidement soulevé la capote; ses yeux s'étaient alors emplis de larmes devant un spectacle qu'il contemplait pour la première fois: un lever de lune sur la Terre de Feu. pages 100 et 101
 
Les rumeurs d 'une guerre mondiale imminente allaient bon train, et il n'était pas rare d 'entendre les paysans dire que les bêtes envoyées aux entrepôts étaient destinées à nourrir les hommes condamnés à finir dans les abattoirs, humains ceux-là, par des individus bien plus coupables que ces humbles bergers. page 140
 
Lorsque nous avons chargé notre barque d'illusions et de rêves dorés, et que nous restons abasourdis devant la traîtrise, contemplant l'embarcation qui s'évanouit dans le lointain, emportant tous nos biens et nous laissant que d'inutiles hardes...alors nous faiblissons; puis, jetant un regard derrière nous, nous apercevons un chemin de retour, nous  nous ressaisissons, et, bien que nous marchions ployés sous notre lourde croix, l'âme brisée, nous trouvons encore la force de nous relever, de jeter la croix sur quelque sentier poudreux et de redevenir nous-mêmes.  page 180

lundi, novembre 11, 2019

LA VIE EN CHANTIER (Pete Fromm)

Marnie et Ted  ont tout pour être heureux. Jeunes et énergiques, ils s'aiment,  rient et travaillent ensemble. Lorsque Marnie apprend qu'elle est enceinte, leur vie s'en trouve bouleversée mais le couple est prêt à relever le défi. Avec leurs modestes moyens, ils commencent à retaper leur petite maison de Missoula, dans le Montana, et l'avenir prend des contours plus précis. Mais lorsque Marnie meurt en couches, Taz se retrouve anéanti, avec sa fille nouvellement née sur les bras. Il plonge alors tête première dans le monde inconnu et étrange de la paternité, un monde de responsabilités et d'insomnies, de doutes et de joies inattendues.

La vie en  chantier  est une histoire qui touche au coeur. Pete Fromm écrit magnifiquement sur la vie qui donne une seconde chance à celui qui sait la saisir. 

Lorsque le futur marié lève le voile sur ses tempes délicates, je me dis qu'on devrait les prévenir: un avenir fait d'enterrements,  d'emprunts automobiles, d'impôts et d'enfants malades la nuit. C'est un boulot que vous ne saurez pas faire, le bras nu enfoncé jusqu'au coude, dans l'évier bouché, parmi les pelures d'aubergine brûlées à la dérive absurde.  ( Joe Millar, American Wedding)

"Tu sais, ce n'est pas parce qu'on ne parle pas d'argent qu'on en a." page 23

Marnie devait adorer cet endroit, dit-elle ( la mère de Marnie, Laureen)  avant de porter la main à sa bouche, à deux doigts de craquer. je ne sais plus quoi faire, Ted".
Il déglutit, se racle la gorge, incapable de produire le moindre son.
- Moi, non plus.  finit-il par répondre d'une voix rauque.
-J en'ai pas fermé l'oeil de la nuit depuis que je, qu'elle, que vous avez appelé.
- Moi non plus. page 52


samedi, novembre 09, 2019

BERTA ISLES ( Javier Marias) 2019

Ils étaient si jeunes quand ils se sont rencontrés, qu'ils ne pouvaient pas imaginer leur destin. La Madrilène, Berta Isla et l'Hispano-Britannique Tomas Nevinson pensaient que leur histoire serait celle de beaucoup de  couples de leur époque et de leur condition. Mais il suffit parfois d'une journée - d'une journée quelconque - pour voir sa vie basculer et se retrouver ensuite ans une relation distante , condamnée au secret et à la dissimulation, au faux-semblant et aux conjonctures. Ainsi qu'il l'avait fait dans Comme les amours ( 2013 ), Javier Marias donne ici la parole à un personnage féminin qui vit de ses souvenirs, aux prises avec l'impossibilité de connaître vraiment celui qu'elle aime. Quant à Tomas Nevinson, son récit est celui d'un Ulysse qui, progressivement, devient "personne" et dont l'existence au service de l'Histoire, avec une majuscule, se transforme en une interminable fantasmagorie.
 
Aves Berta Isles, ample roman en dix parties au titre aussi mélodieux qu'intrigant, Javier Marias creuse brillamment son sillon et offre au lecteur non seulement un formidable portrait de femme, mais également, une nouvelle peinture du couple comme l'un des laboratoires les plus secrets de la vie contemporaine.
 
Elle avait découvert que vivre dans la certitude absolue est fastidieux  et vous condamne à ne mener qu'une seule existence ou à ce qu'existence réelle et existence imaginaire ne soient qu'une , et nul n'échappe à cette dernière. Elle avait aussi découvert que vivre dans un état de soupçon permanent est tout aussi peu supportable, car il est épuisant de passer son temps à s'observer, soi et les autres, et surtout l'autre, l'être le plus proche de vous, et de le comparer avec les  souvenirs que vous avez de lui, car les souvenirs ne sont jamais fiables. page 14

J'arrête la lecture de ce roman, à la page 74, pour moi, les caractères sont assez petits ce qui provoque une fatigue des yeux. Dommage car ce livre me plaisait.