dimanche, mars 25, 2007

LE PARFUM D'ADAM (Jean-Christophe RUFFIN)

Archie prenait un air navré quand il parlait du malheur des autres . Mais comme tous les grands carnassiers repus de la vie qui comptent bien en extraire chaque goutte jusqu'à la dernière, il n'avait que mépris pour les vaincus et Paul le savait.

Selon lui, la France est sans doute le pays du monde où le débat écologique est le plus mou.Les écolos français sont immergés jusqu'au cou dans le jeu politique. Ils ont pris goût au pouvoir et pratiquent le compromis d'une façon écoeurante. Même ceux qui restent au dehors et se prétendent libres sont effrayés dès lors que leurs actions les mènent un peu trop loin.

Il y a deux courants dans l'écologie américaine. L'une qu'on peut appeler humaniste, considère qu'il faut protéger la nature pour faire le bonheur de l'homme. C'est une perspective morale dans laquelle l'essentiel reste l'être humain et son avenir. L'autre courant est anti-humaniste.Pour les tenants de cette conception, l'être humain n'est qu'une espèce parmi d'autres..Il faut le remettre à sa place. Défendre la nature suppose de donner des droits à toutes les espèces et même aux végétaux , aux roches, aux rivières. La nature est un tout en elle-même et pour elle-même. Elle peut vivre sans l'homme tandis que l'inverse n'est pas vrai

La nature n'existe plus dans les pays du Vieux Continent.Il n'y a pas un mètre carré qui ne soit cadastré, possédé, travaillé et transformé.Les paysages américains conservent au contraire, une force native indomptée. Ils font comparaître l'homme devant eux comme un étranger contraint de se plier à ses lois....

Sur le territoire où ils vivent (les Indiens), ils ne se comportent pas comme des maîtres. Ils ne transforment rien ,n'abîment rien. La terre les tolère et ils la respectent. Jamais ils n'oseraient
se l'approprier, la découper en parcelles comme une viande morte. Ils ont conscience de faire partie d'un tout. Ce qu'on apprend avec eux, c'est l'équilibre de toutes choses.

L'inspecteur Lebel avait ce teint particulier aux vrais Parisiens qui s'accorde à la couleur de leurs pavés et peut varier au gré des émotions qu'ils expriment, du blanc des façades en pierre au gris plombé des toitures en zinc.

Je suis certain, comme vous, que ces types vont s'attaquer aux pays du tiers-monde, aux plus pauvres et que l'Afrique va trinquer en premier. C'est le nouveau nazisme, ces gars-là. Ils ne veulent pas supprimer des populations pour leur race, ni pour leurs opinions ou leurs croyances. Ils veulent les supprimer parce qu'ils sont de trop..

Je me suis souvenu d'une phrase que mon père citait souvent.:
"L'homme humble va vers les fauves meurtriers .
Dès qu'ils le voient, leur sauvagerie s'apaise.
Car ils sentent , venu de lui, ce parfum qu'exhalait Adam avant la chute,
Dès qu'ils allèrent vers lui et qu'il leur donna des noms au Paradis"

Dans la nuit du Colorado et bien souvent par la suite, Harrow m'avait parlé de cette croyance des Indiens selon laquelle la terre était en quelque sorte vivante. Pour eux, il est inconcevable de se l'approprier, de la découper en morceaux.Les Blancs n'ont pas commis de sacrilège plus grand à leurs yeux que de planter des piquets et de clôre par des barbelés...Je crois que c'est vraiment l'essentiel, le péché originel de notre civilisation : planter des barrières...Cette civilisation pose aussi des clôtures. De l'autre côté de ces clôtures, il y a ce qu'elle rejette, ce qu'elle exploite, ce qu'elle souille. Car, elle est aussi, et peut-être d'abord , une gigantesque machine à produire de la pauvreté, du malheur , de la destruction.....
On comprend que les pauvres ne sont pas une espèce à part, une monstruosité venue d'on ne sait où : ils sont le produit de notre société. Elle les a fabriqués , rejetés hors de ses clôtures...La seule solution, à mes yeux, c'est de casser les clôtures et c'est ce que j'ai l'intention d'entreprendre...j'ai seulement décidé d'employer mon temps et mes forces à passer d'un monde à l'autre. Très modestement, j'ai pris un poste d'éducatrice dans une association qui travaille dans les favelas. Je m'occupe des enfants. je leur apprends à écrire, des rudiments de calcul. Et je leur enseigne l'histoire, pour qu'ils en sachent un peu plus sur le monde que ce qu'ils voient de l'autre côté des barbelés. Je ne cherche pas à en faire des militants mais seulement des gens, qui à leur tour, tenteront un jour de franchir les limites.

jeudi, mars 22, 2007

COMPARTIMENT POUR DAMES (Anita Nair)

Akhila est une de ces femmes - là: et celles qui font ce qu'on attend d'elles et qui rêvent du reste. C'est pourquoi elle collectionne toutes les déclinaisons de l'espérance comme les enfants collectionnent les talons de tickets. A ses yeux, l'espoir est tissé de désirs inassouvis.
Les ciels bleus, le beau temps après la pluie, les accalmies, Akhila savait que ce n'était que des illusions entretenues en chaussant des lunettes qui vous font voir la vie en rose. Cela faisait longtemps qu'elle les avait mis en miettes, ces verres rosés, et qu'elle portait des lunettes à monture de métal, neutres à l'intérieur, teintées à l'extérieur. Même les rayons du soleil cessaient de briller lorsque les lunettes d'Akhila viraient au marron foncé.
Voilà donc Akhila . Quarante-cinq ans. Sans lunettes à verres rosés. Sans mari, ni enfants, ni foyer, ni famille. Rêvant d'évasion et d'espace. Avide de vie et d'espérance. Brûlant d'aller à la rencontre des autres.

"Si j'avais voulu une femme qui travaille, j'en aurai épousé une ". Voilà ce qu'il m'a dit au début de notre mariage. "Je veux que ma femme s'occupe de moi et de mes enfants. je ne veux pas qu'un travail l'accapare et qu'elle n'ait plus de temps à consacrer à la maison ou à mon confort.....L'égalité dans le mariage n'existe pas, disait Amma (mère d 'Akhila). Mieux vaut accepter l'idée que la femme est inférieure à son mari, cela évite les disputes et les désaccords....La femme n'est pas faite pour jouer un rôle d'homme sinon , les dieux ne l'auraient pas créée comme elle est. Alors, qu'on cesse de parler d'égalité dans le mariage.

Akhila haussa les épaules."Je ne sais pas si vous allez m'aider. mais il faut que vous me disiez ce que vous pensez vraiment . Est-ce qu'une femme peut s'en sortir toute seule?"."Je ne veux pas de conseils. je veux juste que vous me disiez si une femme peut arriver à se débrouiller toute seule"dit Akhila d'une voix sourde.
..Tout ce que je peux faire , c'est vous parler de moi, de mon mariage et de ce qu'il signifie pour moi commença soudain Janaki, avec lenteur, comme si chaque mot devait être choisi avec un soin particulier.Je suis une femme dont on s'est toujours ocupé. D'abord, mon père et mes frères, puis mon mari.Et quand mon mari ne sera plus là,il y aura mon fils. Qui attend de prendre la relève de son père. les femmes comme moi finissent par être fragiles. Nos hommes nous traitent comme des princesses. Et à cause de cela, nous méprisons les femmes fortes qui arrivent à se débrouiller toutes seules. Vous comprenez ce que je veux dire?....J'ai cru en ce cliché usé...Puis du jour au lendemain,cela n'a plus eu d'importance. Aucune des convictions sur lesqulles j'avais bâti ma vie n'avait de sens"...

"Je n'ai pas le droit de demander aux autres de décider à ma place. Si je devais décider d'après ce que Janaki a raconté de sa vie, je continuerais à vivre avec ma famille . Sans les aimer peut-être. Mais au moins , ils sont là.....Maintenant, je comprends, votre vie est différente de la mienne. Et j'ai tort de penser que si vous me parlez de vous, de votre vie, cela me guidera dans ma décision. Pourtant..."

Sheela savait que sa grand'mère était ici parce qu'elle était mourante...Sheela savait pourquoi Ammumma (sa grand'mère)habitait leur appartement et non la maison gigantesque qu'elle possédait. Ammumma tenait à ce que ses fils sachent qu'ils l'avaient poussée hors de chez elle;Elle espérait qu'ils seraient tenaillés par la culpabilité en pensant à elle. Elle leur en voulait de lui préférer leur épouse. De laisser ces femmes au doux visage et au coeur insensible corrompre leur esprit et ternir l'amour qu'ils lui portaient......
Ammumma lui dit(à Sheela) "Ne deviens pas une de ces femmes qui se soignent pour séduire. La seule personne à qui tu dois plaire, c'est à toi.Quand tu te regardes dans la glace, c'(est à toi que ton reflet doit plaire. J'ai essayé d'apprendre cela à ta mère et à ta tante, mais elles sont stupides. Elles ne comprennent pas ce que j'essaie de leur expliquer.Toi, ....toi, j'espère que tu ne seras pas aussi bornée."
Sheela savait que sa grand'mère voulait se sentir impeccable ce dernier soir...Sheela savait que sa grand'mère faisait cela car si elle mourrait pendant son sommeil, elle mourrait sur son trente et un....Sheela savait que Maman se retrouverait perdue et désemparée , que , pour la première fois, celle-ci sentirait le poids des responsabilités qui lui incomberaient maintenant que Ammumma était mourante.Alors qu'elle ne souhaitait qu'une chose :continuer à être une éternelle enfant. Chouchoutée , protégée et déchargée de vertus maternelles pour le restant de ses jours.

Akhila aimait la manière qu'avait Katherine de parler sans cesse, en ne s'arrêtant que pour pouffer. Mais surtout , Akhila aimait Katherine parce qu'elle était peut-être la seule personne de son entourage à ne pas être obsédée par les quatre fondamentaux du grihasthashrama : mari, enfant, maison et belle-mère.

Je pensais à nous dans ce compartiment..Je pensais à Janaki et à Prabha Devi...J'ai vu combien vous manquiez de confiance en vous; Comme s'il vous semblait avoir fait une erreur...La vérité selon moi et selon mon expérience, c'est qu'une femme a besoin d'un homme , mais pas pour se sentir complète. Vous devez vous dire : qu'est-ce qu'elle en sait? Une femme mariée qui dit qu'on peut se passer d'homme...C'est pour cela qu'il faut que je vous parle de moi et d'Ebe.Quand je l'aurai fait, vous comprendrez pourquoi je dis qu'une femme n'a pas besoin d'homme. C'est un mythe que les hommes ont essayé de faire passer pour la réalité
Ce n'est pas Dieu qui a fait Ebenezer un homme gros. C'est moi.
C'est moi, Margaret Shanti , avec pour seule motivation un désir de revanche. De démolir son amour-propre et d'ébranler jusqu'aux fondements mêmes de son être. De débarrasser ce monde d'une créature, qui si on l'avait autorisée à restér telle qu'elle était, mince, leste et arrogante, aurait continué à semer le malheur avec une joie farouche.
Pendant des années, j'ai été figée à l'état solide....puis quelque chose en moi lâcha prise. Quelque chose se produisit..J'étais devenue ..l'eau supercritique capable de dissoudre tout..
L'amour est un liquide incolore et volatile. L'amour ne laisse aucun résidu: ni fumée, ni cedres. L'amour est un poison déguidé en esprit-de-vin. Au cours de cette première année (de mariage), mon amour pour Ebe eut l'effet d'un solvant. Il relâcha et affaiblit ma ténacité et la détermination qui faisaient jusque là ma force de caractère. J'étais tellement ivre de mes sentiments pour lui que je n'avais qu'un souhait :être avec lui. Lui plaire. Lui montrer de mille façons que je l'aimais . Rien d'autre ne comptait.

A quoi bon avoir un doctorat? ...Les cheveux longs ne te vont pas ;;Coupe-les. Faut-il que nous allions à l'église tous les dimanches?Attendons d'avoir une situation stable tous les deux avant d'avoir un enfant...;Je ne protestais plus. Je souriais et m'associais aux rires. Je devins ce qu'il voulait faire de moi: quelqu'un qui savait être bonne perdante et jouer en équipe.Le solvant universel.

Ebe devient progressivement un homme gros. Un homme calme.Un homme arrangeant. Un homme dont la gourmandise avait émoussé le mordant. Comme c'était moi qui apaisais sa faim, il pouvait de moins en moins se passer de moi..Il avait de plus en plus besoin de moi. Et je pus de nouveau vivre avec lui.

Akhila, si j'ai une vertu (dit Margaret) , c'est l'indifférence à ce que les autres pensent de moi....Vous verrez lorsque vous aurez cessé de vous préoccuper de ce que les autres vont dire de vous , votre vie n'en deviendra que plus aisée. Elle ajouta: "Souvenez-vous seulement que c'est à vous de vous prendre en charge, personne d'autre ne le fera à votre place"

Au cours des années qui suivirent, c'est tout ce que fit Prabha Devi : attendre. Que Jagdish rentre à la maison. Que les bébés naissent. Qu'ils fassent leurs premiers pas, disent leur premier mot, remportent leurs premiers trophées...;;Attendre que quelque chose se passe pendant que sa vie lui filait entre les doigts, dans le brouillard du jour sui se suivent et se ressemblent.
Prabha Devi voulait ressembler aux femmes qu'elle avait vues à New York.Aux cheveux pleins de ressort et à la démarche assurée. Avec cet air de savoir exactement où elles allaient et une fois rendues à destination, ce qu'elles avaient à faire. Elles étaient les seules maitresses de leur vie. Cet aplomb,cette assurance, cette célébration de la beauté, voilà ce que voulait Prabha Devi
Elle s'entraîna donc à acquérir cette allure: le dos droit et les épaules redressées, le ventre rentré avec ce balancement des hanches léger mais provocant.....Ensuite, ce fut le tour du visage....Il ne restait plus à Prabha Devi qu'à renouveler sa garde-robe pour que la métamorphose soit complète.
.....Quand elle eut versé toutes les larmes de son corps, Prabha Devi prit une décision. Elle dissimulerait ce corps qui avait envoyé à tout va des messges aussi incontrô^lés. Elle enfermerait la femme gaie et pleine d'entrain, caused etant de souffrance et elle s'efforcerait d'oublier toutes ces manières qu'elle avait acquises au prixd e tant d'efforts...;Prabha Devi devient la femme que sa mère avait espéré d'elle. Les yeux constamment baissés et les mains toujours occupées à broder, préparer des conserves, essuyer la poussière, mettre des enfants au monde, préserver l'ordre et le bonheur de son foyer, tout en se répétant que tout était mieux ainsi....
Ainsi va la vie , ma vie, se dit-elle, tandis que les larmes lui montaient aux yeux. Des larmes de pitié. Pour la femme qu'elle était devenue. Pour avoir cessé d'exiger toujours plus de la vie.

"Done-moi la définition du bonheur" lui demanda Karpagam. Akhila se disait que ce qu'elle voulait le plus, c'était une identité qui lui soit propre. Elle avait toujours été une prolongation de quelqu'un d'autre. La fille de Chandra, l'Akka de Narayan, la tante de Priya, la belle-soeur de Murphy..Akhila aurait aimé qu 'enfin on la considère comme une personne à part entière.
Karpagam respira profondément avant de répondre:"je me moque de ce que peut penser ma famille ou quiconque d'ailleurs. Je suis comme je suis.Et j'ai autant le droit que les autres de vivre à ma guise. (Elle a perdu son mari).Dis-moi, quand nous étions petites, ne mettions-nous pas des couleurs vives, et des bijoux etun bottu? Ce n'est pas un privilège sanctionné par le mariage.De mon point de vue, il est naturel qu'une femme veuille paraître féminine. Et cela n'a rien à voir avec le fait qu'elle soit mariée ou que son mari soit vivant ou mort. Qui a décidé de ces lois? Un homme qui ne supportait pas l'idée que s'il mourrait , sa femme continuerait à plaire à d'autres hommes." "Vis seule Akhila. Construis-toi une vie où tes besoins ont la priorité. Envoie balader ta famille."

Je m'appelle Marikolanthu. J'ai trente et un ans . Je suis née dans un petit village du nom de Palur. J'ai un fils mais je ne suis pas mariée. mes parents sont morts depuis longtemps et j'ai coupé les ponts avec mes frères......

Akhila est sûre d 'une chose: elle n'autorisera plus sa famille à se servir d'elle . "Regardez-moi , leur dira-t-elle. Regardez-moi. Vous croyez connaître la femme que vous voyez . Ctte soeur qui vous intriguait. Mais je ne suis pas seulement votre Akha. Il y a en moi une femme que je viens de découvrir".

jeudi, mars 15, 2007

L'AFRICAIN (J. M. G. LE CLEZIO)

L'Afrique avait mis en lui une marque qui se confondait avec les traces laissées par l'éducation à la spartiate de sa famille à l'île Maurice. L'habit à l'occidentale qu'il endossait chaque matin pour aller au marché devait lui peser. Dès qu'il rentrait chez lui, il enfilait une large chemise bleue à la manière des tuniques des Haoussas du Cameroun, qu'il gardait jusqu'à l'heure du coucher. c'est ainsi que je le vois à la fin de sa vie . Mais un vieil homme dépaysé, exilé de sa vie et de sa passion, un survivant...

...C'est cette image que mon père a détestée .Lui qui avait rompu avec Maurice et son passé colonial, et se moquait des planteurs et de leurs airs de grandeur, lui qui avait fui le conformisme de la société anglaise , pour laquelle un homme ne valait que par sa carte de visite, lui qui avait parcouru les fleuves sauvages de Guyane, qui avait pansé, recousu,soigné les chercheurs de diamant et les Indiens sous-alimentés; cet homme ne pouvait ne pas vomir le monde occidental et son injustice outrecuisante, ses cocktails parties et ses golfeurs en tenue, sa domesticité, ses maîtresses d'ébène prostituées de quinze ans introduites par la porte de service, et ses épouses officielles pouffant de chaleur et faisant rejaillir leur rancoeur sur leurs serviteurs piur une question de gants, de poussière ou de vaisselle cassée.
En parlait-il? . D'où me vient cette instinctive répulsion que j'ai sentie depuis l'enfance pour le système de la Colonie.Sans doute , ai-je capté un mot, une réflexion, à propos des ridicules des administrateurs, tel le district officer d'Abakaliki que mon père m'emmenait voir parfois au milieu de sa meute de chiens nourris au filet de boeuf et aux petits gâteaux, abreuvés uniquement à l'eau minérale...

Alors mon père découvre , après toutes ses années où il s'est senti proche des Africains, leur parent, leur ami, que le médecin n'est autre qu'un acteur de la puissance coloniale, pas différent du policier, du juge ou du soldat. Comment en être autrement? L'exercice de la médecine est un pouvoir sur les gens et la surveillance médicale est également une surveillance politique. l'armée britannique le savait bien...

Quelque chose m'a été donné , quelque chose m'a été repris. ce qui est définitivement absent de mon enfance : avoir eu un père, avoir grandi auprès de lui dans la douceur du foyer familial. je sais ce qui m'a manqué, sans regret, sans illusion extraordinaire. Quand un homme regarde jour après jour changer la lumière sur le visage de la femme qu'il aime, qu'il guette chaque éclat furtif dans le regard de son enfant. Tout cela qu'aucun portrait, aucune photo ne pourra jamais saisir.Mais je me souviens de tout ce que j'ai reçu quand je suis arrivé pour la première fois en Afrique : une liberté si intense qu'elle me brûlait , m'enivrait, que je jouissais jusqu'à la douleur.
Je ne veux pas parler d'exotisme : les enfants sont absolument étrangers à ce vice. Non parce qu'ils voient à travers les êtres et les choses mais justement parce qu'ils ne voient qu'eux : un arbre, un creux de terre,une colonne de fourmis charpentières, une bande de gosses turbulents à la recherche d'un jeu, un vieillard aux yeux troubles tendant une main décharnée, une rue dans un village africain un jour de marché, c'étaient toutes les rues de tous les villages, tous les vieillards, tous les enfants , tous les arbres, et toutes les fourmis. Ce trésor est au fond de moi , il n epeut être extirpé. Beaucoup plus que de simples souvenirs, il est fait de certitudes.


Cette mémoire n'est pas seulement la mienne. Elle est aussi la mémoire du temps qui a précédé ma naissance, lorsque ma mère et mon père marchaient ensemble sur les routes du haut pays....Si mon père était devenu l'Africain, par la force de sa destinée, moi, je puis penser à ma mère africaine , celle qui m' embrassé et nourri à l'instant où j'ai été concu, à l'instant où je suis né.....