mercredi, janvier 30, 2013

MARIE - BLANCHE (Jim Fregus)

Une fresque familiale à travers un siècle et trois continents. 1995, Jim Fergus rend visite à sa grand'mère, Renée, âgée de 96 ans. Fille d'aristocrates désargentés, mariée trois fois, celle -ci a connu un destin hors du commun., qui l'a menée de son village natal de la région de Senlis jusqu'aux Etats Unis, en passant par l'Egypte. D'un caractère entier, froide et tyrannique, elle a brisé la vie de sa famille, en particulier celle de sa propre fille, Marie-Blanche, la mère de Jim Fergus. Pour essayer de la comprendre, et peut-être de lui pardonner, celui-ci va tenter de retracer son parcours.
Jim Fergus s'inspire ici de son histoire personnelle pour nous offrir cette saga familiale bouleversante.

Renée se mit à penser qu'elle avait mené à terme le projet ébauché bien des années plus tôt, lorsqu'elle était petite fille, elle avait réussi à empêcher ses parents de divorcer, sa mère d'épouser  Gabriel , elle lui avait volé ce  dernier. Si elle en retirait une grande satisfaction, elle ne nourrissait aucune animosité envers sa mère. page 193

L'argent compte plus que jamais et lorsqu'on a le choix  entre épouser une bourse pleine ou une bourse vide, croyez-moi, il est aussi facile de tomber amoureuse d'un riche que d'un traîne-misère. page 326

"Toujours" la vie  se charge de nous le rappeler - ne dure jamais très longtemps. page 342




mercredi, janvier 16, 2013

RU ( Kim Thuy)

Ru est un petit livre aux chapîtres courts ,l'auteur voyage à travers le désordre de ses souvenirs: l'enfance dans sa cage d'or, à Saïgon,  l'arrivée de Communisme dans le Sud-Vietnam apeuré, la fuite dans le ventre d'un bateau au large du golfe de Siam, l'internement dans un camp de réfugiés en Malaisie, les premiers frissons  dans le froid du Québec ....

"Je suis venue au monde  pendant l'offensive du Têt, aux premiers jours de la nouvelle année du singe."page 11

(Dans un camp de réfugiés en Malaisie) .Le docteur  en poste ne m'a pas adressé la parole. Il a tiré l'élastique de mon pantalon pour confirmer mon sexe  plutôt que de me le demander. Boy or girl? je connaissais aussi ces deux mots. J'imagine que la physionomie d'un garçon et celle d'une fille de 10 ans devaient se ressembler énormément vu notre maigreur. page 28

L'amour  tel que mon fils Pascal le connaît se définit par le nombre de coeurs dessinés sur une carte...Je dois attendre encore quelques années avant de pouvoir lui rapporter, qu'en d'autres temps, d'autres lieux, l'amour d'un parent se révélait dans l'abandon volontaire de ses enfants, comme les parents du Petit Poucet. page 45

On oublie souvent l'existence de toutes ces femmes qui ont porté le Vietnam sur leur dos tandis que leur mari et leurs fils portaient les armes sur le leur. On les oublie parce que, sous leur chapeau conique, elles ne regardaient pas le ciel. Elles attendaient seulement que le soleil tombe  sur elles pour pouvoir  s'évanouir plutôt que s'endormir. page 47

Quelqu'un m'a dit que les liens se tissent  avec les rires, mais encore plus avec le partage, les frustrations du partage.  page 59

Ma mère a commencé à vivre, à se laisser emporter, à se réinventer, à cinquante-six ans. page 72

Très tôt, mon père a appris à vivre loin de ses parents, à quitter les lieux, à aimer le temps présent, à ne pas s'attacher au passé. page 73

Dans les permiers hivers (au Canada) nous ne savions pas  que chaque vêtement avait sa saison., qu'il ne fallait pas tout simplement porter les vêtements que nous possédions. page 80

Chaque cadeau  que nous nous offrions était réellement un cadeau car il n'était jamais futile. En fait, chaque cadeau était réellement un cadeau car il provenait  d'abord et avant tout d'un sacrifice et était la réponse à un besoin, à un désir ou à un rêve.page 84

'Un jeune serveur de Hanoî dit à l'auteur qu'elle est trop grosse pour être Vietnamienne) "J'ai compris plus tard  qu'il ne parlait pas de mes quarante-cinq kilos , mais de ce rêve américain qui m'avait épaissie, empâtée, alourdie. Ce rêve américain a donné de l'assurance à ma voix, de la détermination à mes gestes, de la précision à mes désirs,  de la vitesse à mes gestes et de la force à mon regard...Ce rêve américain m'a fait croire  que je pouvais tout avoir, que je pouvais me déplacer en voiture avec chauffeur, et en même temps, mesurer le poids des courges transportée sur une bicyclette rouillée par une femme aux yeux embués par la sueur, que je pouvais danser au même rythme que les filles qui se déhanchaient  au bar pour étourdir les hommes aux portefeuilles bien garnis de dollars américains....Mais ce jeune serveur m'a rappelé que je ne pouvais tout avoir, que je n'avais plus le droit de me proclamer vietnamienne parce que j'avais perdu leur fragilité, leur incertitude, leurs peurs. Et il avait raison de me reprendre. page 86

La plupart de ces enfants de GI sont devenus des orphelins, des sans-abri, ostracisés par la profession de leur mère, mais aussi par celle de leur père. Ils étaient la face  cachée de la guerre. page 90

Les ancêtres, qu'ils aient été joueurs, nuls ou violents,  devenaient tous respectables  et intouchables une fois morts, une fois mis sur l'autel avec de l'encens, des fruits, du thé. page 101

Seuls autant qu'ensemble, tous ces personnages de mon passé ont secoué la crasse accumulée sur leur dos afin de déployer leurs ailes au plumage rouge et or, avant de s'élancer vivement vers le grand espace bleu, décorant ainsi le ciel de mes enfants, leur dévoilant  qu'un horizon en cache toujours un autre et qu'il en est ainsi jusqu'à l'infini...page 142

dimanche, janvier 13, 2013

CERTAINES N'AVAIENT JAMAIS VU LA MER (Julie Otsuka)

Des Japonaises au début du siècle dernier ont quitté leur pays pour épouser aux Etats-Unis un homme qu'elles n'avaient pas choisi. Après une éprouvante traversée du Pacifique, elles rencontrent pour la première fois celui pour lequel elles ont tout abandonné. Celui dont elles ont rêvé, celui qui va tant les décevoir. Elles racontent leur misérable vie d'exilées, leur nuit de noces, souvent brutale, leurs rudes journées de travail, leur combat pour apprivoiser une langue inconnue, l'humiliation venue des Blancs, le rejet pour leur progéniture de leur patrimoine et de leur culture...jusqu'à la guerre 39-45, le silence et l'oubli.

"Nous nous sommes mises à penser à autre chose. Au kimono que nous porterions le jour de notre arrivée. A notre coiffure. A ce que nous dirions  quand nous le verrions. Parce qu'à présent, nous étions sur le bateau, le passé était derrière nous et il n'y avait pas de retour possible. page 20

"Nous souffrions toutes - nos mains pleines d'ampoules saignaient, nos genoux brûlaient, notre dos ne s'en remettrait jamais...Si nos maris nous avaient dit la vérité dans leurs lettres - qu'ils n'étaient pas négociants en soieries, mais cueillaient des fruits, qu'ils ne vivaient pas dans de vastes demeures aux pièces nombreuses mais dans des tentes, des granges, voire  des champs, à la belle étoile - jamais nous ne serions venues en Amérique accomplir une besogne qu'aucun Américain qui se respecte  n'eût acceptée...Le jour, nous travaillions dans les vergers et leurs champs mais, chaque nuit,  dans notre sommeil,  nous retournions chez nous.page 38, 39

...Nous vivions dans une hutte en terre battue sous un saule, au milieu d'un vaste champ sans clôture, er dormions sur un matelas de paille. Nous allions faire nos besoins dehors, dans un trou. Nous tirions notre eau du puits. Nous passions nos journées à planter, à ramasser des tomates du lever au coucher du soleil, et nous ne parlions à personne hormis à nos maris pendant des semaines d'affilée...Et nous comprenions que jamais nous aurions dû partir de chez nous. Nous avions beau appelé notre mère de toutes nos forces, nous savions bien qu'elle ne pouvait nous entendre, aussi essayions-nous  de tirer le meilleur parti  de ce que nous avions. page 44

Certaines d'entre nous avaient grandi dans de belles propriétés, avec leurs propres domestiques, et ne supportaient pas qu'on leur donne des ordres. page 54

Nous avons accouché sous un chêne, l'été, par quarante-cinq degrés.Nous avons accouché près d'un poêle à bois dans la pièce unique de notre cabane par la plus froide nuit de l'année. Nous avons accouché sur les îles venteuses du Delta, six mois après notre arrivée, nos bébés étaient minuscules, translucides, et ils sont morts au bout de trois jours. Nous avons accouché 9 mois après avoir débarqué de bébés parfaits, à la tête couverte de cheveux noirs. Nous avons accouché dans des campements poussiéreux, parmi les vignes. Nous avons accouché dans des fermes reculées, avec la seule aide de nos maris....page 65

Dès que possible (les enfants) nous les avons mis au travail dans les champs. Ils cueillaient des fraises avec nous..ils ramassaient des petits pois avec nous...ils se faufilaient derrière nous  dans les vignes....page 74..Une autre, un jour,  s'est assise parmi les rangs d'oignons en disant qu'elle aurait préféré ne jamais naître. Et nous demandions  si nous avions bien fait de les mettre au monde. page 75

Quelques-unes des nôtres ne parvenaient pas à en avoir (des enfants) , et c'était bien là le pire. Car, sans héritier pour transmettre le nom de famille, l'esprit de nos ancêtres cesserait d'exister. page 80

Un par un les mots anciens que nous leur(les enfants) avions enseignés disparaissaient de leurs têtes .Ils oubliaient les noms des fleurs en japonais.Ils oubliaient le nom des couleurs. Celui du dieu renard, du dieu du tonnerre, celui de la pauvreté, auquel nous ne pouvions échapper. page 83

Nous les reconnaissions à peine. Ils étaient plus grands que nous, plus massifs...Surtout, ils avaient honte de nous.De nos pauvres chapeaux de paille et de nos vêtements miteux. De notre accent prononcé. De nos mains calleuses, craquelées. De nos visages aux rides profondes, tannées par des années passées à ramasser des pêches, à tailler des vignes en plein soleil. Ils voulaient de vrais pères qui partent le matin en costume - cravate et ne tondent pas la pelouse que le dimanche. Ils voulaient des mères différentes, meilleures, qui n'aient pas l'air aussi usées. page 85

(pendant la guerre 39-45) Les Japonais ont disparu de notre ville. Leurs maisons sont vides, murées. . Les boîtes aux lettres débordent. Les journaux s'amoncellent sur les vérandas affaissées et dans les jardins. Les voitures restent immobiles dans les allées...page 125
Le maire nous a assuré qu'il n'y avait aucune raison de s'inquiéter."Les Japonais sont en sécurité" dit-il dans le Star  Tribune de ce matin. Il  n'a pas hélas le droit de nous révéler où ils se trouvent. "ils ne seraient plus en sécurité , n'est-ce pas , si je vous révélais l'endroit."page 126

Ce sont nos enfants qui semblent prendre la disparition des Japonais le plus à coeur. Ils répondent plus que d'habitude. Ils refusent de faire leurs devoirs.Ils sont anxieux. Font des histoires..."Chaque fois que je ferme les yeux, je les vois" dit l'une. Une autre pose des questions " Où peut-on aller les chercher?" Y-a-t-il une école où ils sont?" page 128

Certains membres de notre communauté, pourtant, ont été plus que soulagés de les voir partir. page 129

Les gens commencent à exiger des réponses. Les Japonais  se sont-ils rendus dans les centres d'accueil de leur plein gré ou sous la contrainte? Quelle est leur destination finale? Pouquoi n"avons-nous pas été informés de leur départ à l'avance?  Qui va les défendre si la chose est possible? Sont-ils innocents?  Sont-ils coupables? page133

Un  an plus tard, toute trace de leur présence  a disparu  de notre ville ou presque. ...Tout ce que nous savons,  c'est que les Japonais sont là-bas quelque part, dans tel ou tel lieu et que nous ne les reverrons jamais plus en ce bas monde. page 139