jeudi, mai 31, 2007

LES YEUX BLEUS DE MISTASSINI (Jacques Poulin) écrivain québécois

"Et dans la vie, demanda-t-il avec un net accent de sympathie, qu'est-ce qui compte pour vous?
-Des détails, dit Jack. Ce qui brille dans les yeux des enfants..Un chat qui se nettoie la moustache avec sa patte...les jeux infinis de la lumière dans le feuillage des arbres...La plainte déchirante d'une Ferrari dans la ligne droite des stands à Monza...
-Quelle est la principale qualité d'un écrivain?
-L'inconscience.
-Pourquoi vous dîtes cela?
-Je n'en sais rien.

Je ne lui posais jamais de questions: elle était libre.Elle me brisait le coeur , mais elle était libre. On n'a aucun droit sur ceux qu'on aime.

Je feuilletai le Manuel d'Epicure..; Je ne trouvai que cette phrase , soulignée lors d'une première lecture: "Ne cherche pas à faire que les événements arrivent comme tu veux, mais veuille les événements comme ils arrivent , et le cours de ta vie sera heureux."

La bonne question est si on choisit la vie ou la représentation de la vie.
-Et alors , que faut-il choisir?
-La représentation de la vie est mille fois plus intéressante. Excepté que vers la fin...

"Tu devrais partir en voyage.
-Pourquoi? demandai-je
-Pour te mettre du plomb dans la tête, répondit-il en riant.puis il reprit son sérieux.. Non , dit-il, c'est pour avoir une bonne réserve d'images.
...En tout et pour tout, je n'étais resté que trois semaines.D'après lui, c'était insuffisant : on ne pouvait connaître un pays que si on partageait la vie quotidienne des gens pendant plusieurs mois.

Mistassini m'attendait à l'aéroport de Québec. Je lui avais dit , au téléphone, de ne pas venir. mais elle était là.Elle se tenait tout de travers , les mains dans le dos , et son sourire était irrésistible. Elle me parlait avec ses yeux et j''étais heureux de voir que rien n'avait changé entre nous. C'était comme si nous avions une moitié qui appartenait à l'autre.
La femme sortit un livre de son sac. Je reconnus le recueil de nouvelles La Fêlure de Scott Fitzgerald. Encore quelques pages et elle allait arriver au chapître qui donnait son titre au livre, et dont la première phrase , vous atteignait comme un coup de poing dans l'estomac:
Toute vie est bien entendu une entreprise de démolition.

J'aperçus une autre note ...qui rapportait les propos suivants d'Epictète :
La fête a une fin. Sors, retire-toi, reconnaissant et discret. Laisse la place à d'autres. Il faut aussi que d'autres naissent, comme toi aussi tu es né, et qu'une fois nés, ils aient de la place, des maisons, et le nécessaire. Si les premiers ne se retirent pas , que reste-t-il aux autres? Pourquoi es-tu insatiable , impossible à satisfaire. Pourquoi encombres-tu le monde?

C'est quoi un vieil écrivain?
-Un écrivain qui regarde seulement derrière lui.

lundi, mai 28, 2007

LA CONDITION HUMAINE (André MALRAUX)

Il s'intéressait aux êtres au lieu de s'intéresser aux forces.
Beaucoup d'hommes ne rencontrent pas celui qui les sauverait.
Elle était médecin de l'un des hôpitaux chinois , mais elle venait de la section des femmes révolutionnaires dont elle dirigeait l'hôpital clandestin:
"Toujours la même chose, tu sais : je quitte une gosse de 18 ans qui a essayé de se suicider avec une lame de rasoir de sûreté dans la palanquin de mariage.On la forçait à épouser une brute respectable....On l'a portée avec sa robe rouge de mariée toute pleine de sang. La mère derrière, une petite ombre rabougrie qui sanglotait , naturellement....Quand je lui ai dit que la gosse ne mourrait pas, elle m'a dit "Pauvre petite, elle avait pourtant eu presque la chance de mourir
.." La chance....Ca en dit long sur nos discours sur l'état des femmes ici...

Son pouce frottait doucement les autres doigts de la main droite comme s'il eût fait glisser une poudre de souvenirs. Il parlait pour lui:
"C'est sans doute une question de moyens : nous entendons la voix des autres avec nos oreilles.
-Et la nôtre?
-Avec la gorge : car , les oreilles bouchées, tu entends ta voix.
Pour moi, pour une femme, la souffrance, c'est étrange, fait penser plus à la vie qu'à la mort....A cause des accouchements , peut-être.
On ne connaît d'un être que ce qu'on change en lui, dit mon père.
"On entend la voix des autres avec ses oreilles, la sienne avec sa gorge". Oui, sa vie aussi, on l'entend avec sa gorge, et celle des autres? ..Il y avait d'abord la solitude, la solitude immuable derrière la multitude mortelle comme la grande nuit primitive derrière cette nuit dense et basse sous quoi guettait la ville déserte , pleine d'espoir et de haine."Mais moi, pour la gorge, qui suis-je? Une espèce d'affirmation absolue, d'affirmation de fou : une intensité plus grande que celle de tout le reste. Pour les autres, je suis ce que j'ai fait."Pour May , seule, il n'était pas ce qu'il avait fait; pour lui seul, elle était tout autre chose que sa biographie.
Ferral avait un talent unique pour leur refuser l'existence (à ses hommes). Alors qu'un Jaurès, un Briand, leur conféraient une vie personnelle dont ils étaient souvent bien privés, leur donnaient l'illusion de faire appel à chacun d'eux, de vouloir les convaincre, de les entraîner dans une complicité où les eût réunis une commune expérience de la vie est des hommes.
Reconnaître la liberté d'un autre, c'est lui donner raison contre sa propre souffrance, je le sais d'expérience. Page 199
La liberté que tu me donnes, c'est la tienne. La liberté de faire ce qui te plaît. La liberté n'est pas un échange, c'est la liberté.
-C'est un abandon... Page 200
Il revint sur ses pas en courant. La pièce aux phénix était vide: son père sorti, May toujours dans sa chambre. Avant d'ouvrir, il s'arrêta, écrasé par la fraternité de la mort, découvrant combien davant cette communion, la chair restait dérisoire malgré son emportement. Il comprenait maintenant qu'accepter d'entraîner l'être qu'on aime dans la mort est peut-être la forme totale de l'amour, celle qui ne peut être dépassée.
Il ouvrit.
Elle jeta précipitamment son manteau surses épaules et le suivit sans rien dire.
Page 204
Par des paroles, il ne pouvait presque rien; mais au-delà des paroles, il y avait ce qu'expriment des gestes, des regards, la seule présence. Il savait d'expérience que la pire des souffrances est dans la solitude qui l'accompagne. L'exprimer aussi délivre; mais peu de mots sont moins connus des hommes que ceux de leurs douleurs profondes. S'exprimer mal ou mentir , donnerait à Hemmelrich un nouvel élan pour se mépriser: il souffrait surtout de lui-même. Katow le regarda sans fixer son regard, tristement - frappé une fois de plus de constater combien sont peu nombreux , et maladroits, les gestes de l'affection virile.
Page 210
Il y a ceux qui ont besoin d'écrire , ceux qui ont besoin de rêver, ceux qui ont besoin de parler...C'est la même chose.
Page 260
-T'sais ce qui t'attend?
-on a pris soin de m'en avertir, je m'en fous: j'ai mon cyanure. Tu as le tien?
-Oui
........Tous deux avaient besoin d'échapper à cette veillée funèbre, de parler, de parler: Katov , de la prisede la Permanence; Kyo de la prison...
Katov était couché sur le côté, tout près de lui , séparé par l'étendue de la souffrance: bouche entrouverte, lèvres gonflées sous son nez jovial, les yeux presque fermés, mais relié à lui par l'amitié absolue, sans réticences et sans examen, que donne la mort: vie condamnée, échouée contre la sienne dans l'ombre pleine de menaces et de blessures, parmi ces frères dans l'ordre mendiant de la Révolution: chacun de ces hommes avait rageusement saisi au passage la seule grandeur qui pût être la sienne . Pages 300-301
"Vous connaissez la phrase: "Il faut neuf mois pour faire un homme, et un seul jour pour le tuer" Nous l'avons su autant qu'on peut le savoir l'un et l'autre...May , écoutez: il ne faut pas neuf mois, il faut soixante ans de sacrifices, de volonté, de... tant de choses! Et quand cet homme est fait, quand il n'y a plus en lui rien de l'enfance, ni de l'adolescence, quand, vraiment, il est un homme , il n'est plus bon qu'à mourir". Page 337

jeudi, mai 24, 2007

YOUSSOUF LE TACITURNE (Sabahattin Ali) roman turc

Ces arbres ridés, tordus,totalement déformés à force d 'être élagués tous les ans, étaient comme des lettres étranges d'une longue histoire écrite dans une langue que Youssouf semblait comprendre.
Youssouf comprenait également , et mieux que quiconque, la langue des ouvriers. Alors que certains propriétaires n'accordaient aux femmes pas même la permission d'allaiter les nourrisssons qu'elles avaient sur elles, Youssouf les envoyait se reposer dès qu'il les voyait un peu fatiguées. Tout en admettant que le sort de ces malheureuses était fixé par le destin, il avait terriblement pitié d'elles. Lorsque , au petit matin, il croisait dans les rues du bourg, ces cohortes d 'ouvriers au teint blafard, transis de froid, qui, un petit panier à provisions au bras et leurs enfants sur le dos, affluaient vers les oliveraies où ils travaillaient pour un salaire de famine, il avait parfois envie d'arrêter l'un d'eux et de lui parler; parler de la pluie et du beau temps, parler de n'importe quoi. Car depuis six ans, il n'avait encore rencontré personne qui parlât la même langue que lui, et il avait le vague sentiment que ces hommes et ces femmes auraient pu le comprendre

La prison , c'était pour les vagabonds, les paysans, les individus de basse classe.Le fils d'un Hilmi Bey, même s'il avait tué quelqu'un , ne pouvait être traité de la même façon que ces gens. En général, les fils de notables , fussent-ils condamnés à un epeine de quinze ans, partageaient leur temps entre la prison et leur domicile. Ils ne restaient derrière les barreaux que lorsqu'un inspecteur ou le gouverneur de la province venait en visite, ce qui se produisait très rarement.

lundi, mai 21, 2007

LE MONDE DU BOUT DU MONDE (Luis Sepulveda)

Les distances ne font souffrir que lorsqu'elles sont associées à des souvenirs.

Il connaissait des histoires intéressantes et il savait très bien raconter. mais je ne voulais pas écouter : je voulais vivre.
La presse "sérieuse" ne s'intéresse aux événements du monde que lorsque ceux-ci prennent un caractère de scandale....Nous avons créer une agence ....pour répondre aux mensonges employés par les nations riches pour justifier le pillage des pays pauvres. Pillage non seulement des matières premières mais de l'avenir.
Nous marchâmes en silence. Un de ces silences qui sont la meilleure forme de communication. Et en arrivant à la pension, nous savions que nous pouvions avoir confiance l'un dans l'autre.
Je sentais enfin que moi aussi , j'étais de quelque part. Je sentais enfin un appel plus impérieux que l'invitation de la tribu, celle que l'on entend ou croit entendre, ou que l'on s'invente pour pallier à sa solitude.

samedi, mai 12, 2007

SUR LA DUNE (Christian Oster)

Paru en mars 2007, ce roman est imbuvable par son style, l'inexistence d'une trame, l'inintérêt des personnages.....Pourquoi publie-t-on de telles inepties??

mardi, mai 08, 2007

INDIAN CREEK ( Pete Fromm )

Le premier automne suivant mon hiver à Indian Creek, je retournai à l'université de Missoula. Non, non-on me l'a souvent demandé-, je n'avais pas désappris à parler pendant mes sept mois de relatif isolement . Mais quelque chose en moi avait changé. D'après mes amis, c'était plus que quelquechose: "T'avais toujours une arme sur toi? T'étais libre de faire ce que tu voulais? Dis donc, mon vieux, t'étais complètement givré!"
Ce n'était pas ainsi que je voyais les choses, mais le retour à l'université fut difficile: tant de règles, tant de monde....
Après un hiver passé à rêver de m'échapper quelques jours, je n'avais plus envie de sauter dans mon camion pour m'en aller. Je restai dans la montagne à regarder le printemps s'installer et transformer mon univers.
De nouveau , je marchais, marchais, et les jours s'allongeaient mais je les aurais voulus plus longs encore. J'avais l'impression de n'avoir pas assez de temps pour voir tout ce que j'avais besoin de voir. Tout là-haut, au sommet, je restais à regarder les orages approcher, les nuages se déchirer sur les crêtes déchiquetées....J'éclatais de rire au milieu du vacarme de l'orage et du vent, si violent qu'il couvrait ma voix.
J'étais presque heureux de n'avoir pu partir. Il me restait toute une vie à vivre dans la civilisation , mais à peine quelques mois ici.
Je ne risquais plus de manquer un visiteur en quittant ma tente-aucun chasseur pour débarquer en motoneige- , aussi décidai-je de sortir preque chaque jour.Je passais beaucoup de temps sur les sommets, me délectant de panoramas et de longues heures au soleil après être resté si longtemps enfermé dans mon étroit canyon.

Récit de Pete Fromm , il passe 7 mois seul au coeur des Rocheuses . Son travail: surveiller deux millions d'oeufs de saumon dans l'Etat de l'Idaho. Son livre est un hymne aux grands espaces sauvages

jeudi, mai 03, 2007

LE BUTIN DE CENDRES (Antonio GIL)


Don Diego De Almagro a découvert le Chili après avoir conquis le Pérou avec Pizarro en 1534. A son retour, trahi et vaincu par Pizarro , il est condamné à mort. Le butin de cendres est le récit que Almago se fait à lui-même , dans la solitude de sa cellule. Ces écrits seraient la transcription fidèle des souvenirs et des récits faits par Don Diego De Almago, découvreur du Chili, dans la prison de Cuzco quelques jours avant son exécution.

Aujourd'hui, seul, je me chante à moi-même. Transi de froid dans le puits de l'été. Gelé comme si je passais d'un versant à l'autre de l'Andi (les Andes) , bien qu'immergé dans la marmite de mon cachot.
Ou serait-ce ce que d'autres appellent la peur? Que je n'ai jamais ressentie ni sous ma cuirasse, ni dans mon coeur. Mais qui , comme le vent et la neige , en a fait trembler bien d'autres.

Je sais qui je suis. Et sur le cheval bai que j'ai nommé Perdrix, je vais de l'avant.

Cuzco. Les cloches sonnent. La nuit tombe à nouveau pour ce soldat. Peut-être un autre jour. Peut-être la longue nuit de ceux qui suivent le chemin sans trêve. Peut-être.
Dans le souvenir, tout le vécu et le rêvé se confondent
Les murs sont vivants pour celui qui est mort dans les réclusions.
Assieds-toi à mes côtés. L'ombre du noyer est fraîche et le chant de la fontaine repose mes oreilles. Imagine un jardin où toi et moi nous puissions être ensemble. Un endroit tranquille avec des roseraies. Un endroit où je puisse te faire entendre mon long et beau récit.
Commerce et guerre sont en soi la même chose. Guerre et aventure sont la même chose que sang et incendie.Pour moi et Pzarro, c'est pareil, la même chose. Les unes confondues aux autres. cela va sans dire. Nous ne le savons que trop , du seul fait de marcher ensemble au bord de cette mer..Il m'égrène ses plans comme on déplierait un dessin de cartographe.Grossier. Imprécis. Plein de vides. Une carte d'un monde qui n'existe pas encore, mais que moi et ce vieux renard, nous inventerions pierre par pierre, colline après colline. Avec ses villes. Avec ses exploits. Avec ses gibets.

Je suis ce que je suis, et comme toutes les pièces de monnaie, j'ai un côté pile et un côté face.

J'ai un Dieu et j'ai un roi. J'ai un nom. J'ai un fils qui chante en marchant dans la montagne. Ils n'ont que moi. c'est-à-dire qu'ils n'ont plus que la fumée d'un feu qui s'éteint, l'ombre de la fumée..

Le clocher des bonnes soeurs est toujours dans les airs . Les grillons sont là. Les étoiles sont et seront là après moi. Après toi. Après tous ceux qui passent comme des grondements de tonnerre dans ce ciel tourmenté.
Tu auras remarqué que je ne t'ai pas parlé d'Atahualpa....L'Inca qui caché derrière ses masques d'ara, de rossignol, de rouge-gorge et de héron, nous donna sa confiance dans un battement d'ailes...Nous le fîmes prisonnier...Puis sa vie fut mise à prix contre tout l'or qu'il pouurait amonceler dans le refectoire des dominicains, jusqu'à la hauteur de son bras idolâtre, levé.

Le réfectoire une fois rempli d'or: poudre, pépites, vases, bûches d'or et trésors mortuaires, l'épée s'abattit et ce fut le silmence
En roulant par terre avec sa coiffe de faucon solaire, la tête humaine d'Atahualpa mit fin aux travaux de conquête. Elle rassembla le Trésor éparpillé dans les provinces du Nord et du Sud. Elle entérina notre domination et la suprématie de la Castille et de son empereur, nous laissant plongés dans un silence opulent. Le pouvoir, désormais sans partage, divulgua jusque dans les moindres recoins , nos doctrines et nos ordres.
C'est ainsi et ça suffit pour les souvenirs.
Ce qui fut une expédition bien planifiée, culmina dans une partie d'épouvantails.....Rien que la misère...Une turquoise de temps à autre . Quelques pépites d 'or et cette étrange sensation d'être à chaque pas plus près du néant. .....Le néant même, où seule la fraise, ce joyau incomparable, mûrit quand la cigale chante dans la tiédeur. Quand le fier colibri parcourt son fief.

Les épagneuls d'Aguayo aboient dans la campagne. L'eau coulera dans l'abreuvoir de la chair. Le vent soufflera dans les caroubiers. Mon fils Diego sera loin , assis auprés d'un feu loyal. les Pizarro seront à leurs affaires. Et le Pape de Rome donnera sa bénédiction. A Cuzco, mes soldats demanderont l'aumône aux religieuses. Le soleil, comme toujours, chauffera les pierres des collines. Les hommes et les femmes seront étendus, nus, dans leur lit ou dans les paillers. Le blé des semailles jaunira et mes Indiens auront déjà appris la moitié du catéchisme. Le figuier de barbarie fleurira . Bientôt l'automne cédera le pas à l'hiver. Et cela coule de source, les neiges dece seizième siècle fondront en cascades de jours et d'heures.