lundi, mai 28, 2007

LA CONDITION HUMAINE (André MALRAUX)

Il s'intéressait aux êtres au lieu de s'intéresser aux forces.
Beaucoup d'hommes ne rencontrent pas celui qui les sauverait.
Elle était médecin de l'un des hôpitaux chinois , mais elle venait de la section des femmes révolutionnaires dont elle dirigeait l'hôpital clandestin:
"Toujours la même chose, tu sais : je quitte une gosse de 18 ans qui a essayé de se suicider avec une lame de rasoir de sûreté dans la palanquin de mariage.On la forçait à épouser une brute respectable....On l'a portée avec sa robe rouge de mariée toute pleine de sang. La mère derrière, une petite ombre rabougrie qui sanglotait , naturellement....Quand je lui ai dit que la gosse ne mourrait pas, elle m'a dit "Pauvre petite, elle avait pourtant eu presque la chance de mourir
.." La chance....Ca en dit long sur nos discours sur l'état des femmes ici...

Son pouce frottait doucement les autres doigts de la main droite comme s'il eût fait glisser une poudre de souvenirs. Il parlait pour lui:
"C'est sans doute une question de moyens : nous entendons la voix des autres avec nos oreilles.
-Et la nôtre?
-Avec la gorge : car , les oreilles bouchées, tu entends ta voix.
Pour moi, pour une femme, la souffrance, c'est étrange, fait penser plus à la vie qu'à la mort....A cause des accouchements , peut-être.
On ne connaît d'un être que ce qu'on change en lui, dit mon père.
"On entend la voix des autres avec ses oreilles, la sienne avec sa gorge". Oui, sa vie aussi, on l'entend avec sa gorge, et celle des autres? ..Il y avait d'abord la solitude, la solitude immuable derrière la multitude mortelle comme la grande nuit primitive derrière cette nuit dense et basse sous quoi guettait la ville déserte , pleine d'espoir et de haine."Mais moi, pour la gorge, qui suis-je? Une espèce d'affirmation absolue, d'affirmation de fou : une intensité plus grande que celle de tout le reste. Pour les autres, je suis ce que j'ai fait."Pour May , seule, il n'était pas ce qu'il avait fait; pour lui seul, elle était tout autre chose que sa biographie.
Ferral avait un talent unique pour leur refuser l'existence (à ses hommes). Alors qu'un Jaurès, un Briand, leur conféraient une vie personnelle dont ils étaient souvent bien privés, leur donnaient l'illusion de faire appel à chacun d'eux, de vouloir les convaincre, de les entraîner dans une complicité où les eût réunis une commune expérience de la vie est des hommes.
Reconnaître la liberté d'un autre, c'est lui donner raison contre sa propre souffrance, je le sais d'expérience. Page 199
La liberté que tu me donnes, c'est la tienne. La liberté de faire ce qui te plaît. La liberté n'est pas un échange, c'est la liberté.
-C'est un abandon... Page 200
Il revint sur ses pas en courant. La pièce aux phénix était vide: son père sorti, May toujours dans sa chambre. Avant d'ouvrir, il s'arrêta, écrasé par la fraternité de la mort, découvrant combien davant cette communion, la chair restait dérisoire malgré son emportement. Il comprenait maintenant qu'accepter d'entraîner l'être qu'on aime dans la mort est peut-être la forme totale de l'amour, celle qui ne peut être dépassée.
Il ouvrit.
Elle jeta précipitamment son manteau surses épaules et le suivit sans rien dire.
Page 204
Par des paroles, il ne pouvait presque rien; mais au-delà des paroles, il y avait ce qu'expriment des gestes, des regards, la seule présence. Il savait d'expérience que la pire des souffrances est dans la solitude qui l'accompagne. L'exprimer aussi délivre; mais peu de mots sont moins connus des hommes que ceux de leurs douleurs profondes. S'exprimer mal ou mentir , donnerait à Hemmelrich un nouvel élan pour se mépriser: il souffrait surtout de lui-même. Katow le regarda sans fixer son regard, tristement - frappé une fois de plus de constater combien sont peu nombreux , et maladroits, les gestes de l'affection virile.
Page 210
Il y a ceux qui ont besoin d'écrire , ceux qui ont besoin de rêver, ceux qui ont besoin de parler...C'est la même chose.
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-T'sais ce qui t'attend?
-on a pris soin de m'en avertir, je m'en fous: j'ai mon cyanure. Tu as le tien?
-Oui
........Tous deux avaient besoin d'échapper à cette veillée funèbre, de parler, de parler: Katov , de la prisede la Permanence; Kyo de la prison...
Katov était couché sur le côté, tout près de lui , séparé par l'étendue de la souffrance: bouche entrouverte, lèvres gonflées sous son nez jovial, les yeux presque fermés, mais relié à lui par l'amitié absolue, sans réticences et sans examen, que donne la mort: vie condamnée, échouée contre la sienne dans l'ombre pleine de menaces et de blessures, parmi ces frères dans l'ordre mendiant de la Révolution: chacun de ces hommes avait rageusement saisi au passage la seule grandeur qui pût être la sienne . Pages 300-301
"Vous connaissez la phrase: "Il faut neuf mois pour faire un homme, et un seul jour pour le tuer" Nous l'avons su autant qu'on peut le savoir l'un et l'autre...May , écoutez: il ne faut pas neuf mois, il faut soixante ans de sacrifices, de volonté, de... tant de choses! Et quand cet homme est fait, quand il n'y a plus en lui rien de l'enfance, ni de l'adolescence, quand, vraiment, il est un homme , il n'est plus bon qu'à mourir". Page 337

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