jeudi, mai 03, 2007

LE BUTIN DE CENDRES (Antonio GIL)


Don Diego De Almagro a découvert le Chili après avoir conquis le Pérou avec Pizarro en 1534. A son retour, trahi et vaincu par Pizarro , il est condamné à mort. Le butin de cendres est le récit que Almago se fait à lui-même , dans la solitude de sa cellule. Ces écrits seraient la transcription fidèle des souvenirs et des récits faits par Don Diego De Almago, découvreur du Chili, dans la prison de Cuzco quelques jours avant son exécution.

Aujourd'hui, seul, je me chante à moi-même. Transi de froid dans le puits de l'été. Gelé comme si je passais d'un versant à l'autre de l'Andi (les Andes) , bien qu'immergé dans la marmite de mon cachot.
Ou serait-ce ce que d'autres appellent la peur? Que je n'ai jamais ressentie ni sous ma cuirasse, ni dans mon coeur. Mais qui , comme le vent et la neige , en a fait trembler bien d'autres.

Je sais qui je suis. Et sur le cheval bai que j'ai nommé Perdrix, je vais de l'avant.

Cuzco. Les cloches sonnent. La nuit tombe à nouveau pour ce soldat. Peut-être un autre jour. Peut-être la longue nuit de ceux qui suivent le chemin sans trêve. Peut-être.
Dans le souvenir, tout le vécu et le rêvé se confondent
Les murs sont vivants pour celui qui est mort dans les réclusions.
Assieds-toi à mes côtés. L'ombre du noyer est fraîche et le chant de la fontaine repose mes oreilles. Imagine un jardin où toi et moi nous puissions être ensemble. Un endroit tranquille avec des roseraies. Un endroit où je puisse te faire entendre mon long et beau récit.
Commerce et guerre sont en soi la même chose. Guerre et aventure sont la même chose que sang et incendie.Pour moi et Pzarro, c'est pareil, la même chose. Les unes confondues aux autres. cela va sans dire. Nous ne le savons que trop , du seul fait de marcher ensemble au bord de cette mer..Il m'égrène ses plans comme on déplierait un dessin de cartographe.Grossier. Imprécis. Plein de vides. Une carte d'un monde qui n'existe pas encore, mais que moi et ce vieux renard, nous inventerions pierre par pierre, colline après colline. Avec ses villes. Avec ses exploits. Avec ses gibets.

Je suis ce que je suis, et comme toutes les pièces de monnaie, j'ai un côté pile et un côté face.

J'ai un Dieu et j'ai un roi. J'ai un nom. J'ai un fils qui chante en marchant dans la montagne. Ils n'ont que moi. c'est-à-dire qu'ils n'ont plus que la fumée d'un feu qui s'éteint, l'ombre de la fumée..

Le clocher des bonnes soeurs est toujours dans les airs . Les grillons sont là. Les étoiles sont et seront là après moi. Après toi. Après tous ceux qui passent comme des grondements de tonnerre dans ce ciel tourmenté.
Tu auras remarqué que je ne t'ai pas parlé d'Atahualpa....L'Inca qui caché derrière ses masques d'ara, de rossignol, de rouge-gorge et de héron, nous donna sa confiance dans un battement d'ailes...Nous le fîmes prisonnier...Puis sa vie fut mise à prix contre tout l'or qu'il pouurait amonceler dans le refectoire des dominicains, jusqu'à la hauteur de son bras idolâtre, levé.

Le réfectoire une fois rempli d'or: poudre, pépites, vases, bûches d'or et trésors mortuaires, l'épée s'abattit et ce fut le silmence
En roulant par terre avec sa coiffe de faucon solaire, la tête humaine d'Atahualpa mit fin aux travaux de conquête. Elle rassembla le Trésor éparpillé dans les provinces du Nord et du Sud. Elle entérina notre domination et la suprématie de la Castille et de son empereur, nous laissant plongés dans un silence opulent. Le pouvoir, désormais sans partage, divulgua jusque dans les moindres recoins , nos doctrines et nos ordres.
C'est ainsi et ça suffit pour les souvenirs.
Ce qui fut une expédition bien planifiée, culmina dans une partie d'épouvantails.....Rien que la misère...Une turquoise de temps à autre . Quelques pépites d 'or et cette étrange sensation d'être à chaque pas plus près du néant. .....Le néant même, où seule la fraise, ce joyau incomparable, mûrit quand la cigale chante dans la tiédeur. Quand le fier colibri parcourt son fief.

Les épagneuls d'Aguayo aboient dans la campagne. L'eau coulera dans l'abreuvoir de la chair. Le vent soufflera dans les caroubiers. Mon fils Diego sera loin , assis auprés d'un feu loyal. les Pizarro seront à leurs affaires. Et le Pape de Rome donnera sa bénédiction. A Cuzco, mes soldats demanderont l'aumône aux religieuses. Le soleil, comme toujours, chauffera les pierres des collines. Les hommes et les femmes seront étendus, nus, dans leur lit ou dans les paillers. Le blé des semailles jaunira et mes Indiens auront déjà appris la moitié du catéchisme. Le figuier de barbarie fleurira . Bientôt l'automne cédera le pas à l'hiver. Et cela coule de source, les neiges dece seizième siècle fondront en cascades de jours et d'heures.

Aucun commentaire: