lundi, juin 25, 2018

L'ENFANT DE LA PLANTATION ( José Lins Do Rego)
 
"Lisez donc L'enfant De La Plantation.
Je ne sais pas comment cela se fait, mais quand je lis ces pages,  des oiseaux sautent d'une ligne à l'autre. Mon sang bat plus vite.
Tout le Brésil est dans ce livre transparent. "
Blaise Cendras.

José Lins Do Rego est né le 3 juin 1901 dans une plantation du Paraíba, un état rural du Nordeste du Brésil. Il publie en 1932 l'Enfant De La Plantation, son premier livre, qui est immédiatement acclamé par la critique.
 
HUMANITE ET UNIVERSALITE: Voici donc l'histoire d'un orphelin de père et de mère. Entre quatre et douze ans, le jeune Carlinhos a entendu de nombreuses histoires, a joui d'une liberté presque totale et a acquis une précocité terrible autour de sujets "interdits" mais inévitables.
L'enfant de la plantation est un roman sensible et imprégné de tendresse, au style savoureux, naturel et débordant et imparfait - comme la parole.
L'enfant de la plantation, miroir de la société  rurale et des secrets de l'enfance, est d'une réalité profonde et d'une intense humanité. ". C'est le reflet de tout le Brésil, et un peu du monde entier. C'est la vie telle qu'elle est. Son régionalisme touche à l'universel.  Paula  Anacaona, Mars 2013
 
"J'avais à peu près quatre ans lorsque ma mère est morte. Un matin, alors que je dormais dans ma chambre, je fus réveillé par une intense agitation dans toute la maison. Des gens criaient et couraient en tous sens, et la chambre à coucher de mon père était remplie d'inconnus. Je m'y précipitai et je vis maman étendue par terre, papa écroulé sur elle, l'air hagard. page 9
Pauvre papa! Je le vois encore sortir de la maison encadré de soldats, le jour du crime. Quel air de désespoir sur son visage encore jeune.  page 12
 
Trois jours après le drame, on m'emmena à la plantation de canne à sucre de mon grand-père maternel. C'et là désormais que j'allais vivre. Un  monde nouveau s'ouvrait à moi. page 14
J'avais toujours vécu au premier étage d'une maison. Je ne connaissais de la campagne que ce que j'en voyais du tram, lorsque nous quittions la ville pour nous promener à Dois Irmaos. page 20
 
Nous retournâmes à la maison à la nuit tombante. Le soir allongeait  les ombres sur la route.  Les feuilles de canne réverbéraient les derniers rayons du soleil de la journée. Les gamins commencèrent à parler des revenants. Serrés autour de  ma tante, terrorisés par les âmes de l'autre monde, nous fîmes le trajet du retour en silence. page 37

Toute la maison fut réveillée au milieu de la nuit par le vacarme de l'eau  qui montait toujours. Si cela continuait de la sorte, la maison serait inondée au petit matin. page 44
Depuis l'extrémité de la véranda, grand-père contemplait ses plants de canne submergés, sa récolte presque entièrement détruite.  Mais il ne se plaignait pas car il connaissait  la valeur du limon que le fleuve avait laissé sur ses terres. page 45

Pour apprendre l'alphabet, on m'envoya  chez un certain Figueiredo , qui venait  de la capitale et s'était momentanément établi à Pilar. Pour la première fois, j'allais passer toute la journée  avec des étrangers.
Je fus reçu avec les ménagements et les égards réservés au petit-fils du seigneur de la terre. page 51

Les Noires restaient  en cuisine , assises, se racontant à voix basse les épisodes de la Passion. On n 'allait pas se baigner dans le fleuve afin de ne pas montrer nus devant les autres. On ne maltraitait pas les animaux. On n'injuriait personne. On m'obligea à relâcher un canari que j'avais capturé.  Nous allions même jusqu'à désapprouver  la volonté de Dieu: Jésus Christ aurait dû anéantir  tous les juifs et s'emparer de Jérusalem.  Cette semaine-là; on ouvrait l'oratoire , on recouvrait l'autel d'un drap noir et on retournait toutes les images contre  le mur. Les saints avaient honte de regarder le monde. Voilà la religion où j'ai grandi. page 64
 
J'étais un enfant triste. J'aimais jouer avec mes cousins, et faire toutes leurs bêtises. J'étais toujours fourré avec les gamins mais , dans le fond, j'étais un enfant triste. Parfois, je restais seul, avec mes pensées et me promenais sous les arbres, écoutant le chant des oiseaux. page 95
Je m'attardais sur tout ce à quoi je n'osais penser en présence des autres. Cela faisait maintenant plus de quatre ans que j'habitais à la plantation. J'avais changé beaucoup depuis mon arrivée à Recife. page 96
 
Le vieux José Paulino gouvernait sa plantation avec bonté. Je ne l'ai jamais vu avec des armes dans sa chambre ou des carabines  qu'il gardait derrière son armoire étaient tellement inutiles qu'on nous permettait de jouer avec elles. page 105
 
Les cousins étaient revenus de pension, transformés  les premiers jours du moins.
"Il n'y a que le collège pour dresser les enfants"
C'est ainsi que tout le monde parlait de cette cure miraculeuse. Mais rapidement, ils devenaient les mêmes diables qu'avant. page 116
 
J'étais tellement habitué à voir ces hommes réduits à cette misère qu'elle ne me choquait pas.  Jamais, dans mon enfance, je n'eus pitié d'eux. Je trouvais tout naturel que ces hommes dorment dans des porcheries, ne mangent rien et travaillent comme des bêtes de somme. Dans ma compréhension du monde, j'y voyais l'œuvre de Dieu.
Dieu avait voulu que ces hommes naissent ainsi et que nous ,les  Blancs, nous soyons leur maîtres, de même que nous l'étions des bœufs,  des mulets et des terres. page 128

La belle Judith, qui m'avait appris à lire sur ses genoux , avait été mon premier amour. Mais mon cœur de huit ans commençait à battre avec plus de violence. Des cousines de Récife vinrent passer quelque temps à la plantation. C'étaient des filles qui gardaient leurs bas du matin au soir, qui ne parlaient que français entre elles et ne causaient que théâtre. "Le ténor Untel, quel bel homme". "L'actrice untel, quel chic." page 134

Grand-père avait eu des nouvelles de mon père.  J'avais surpris, sans le vouloir, une conversation entre lui et l'oncle Juca, alors que j'étais dans le salon  à feuilleter de vieilles revues. Le directeur de l'hôpital avait écrit pour demande s'il fallait garde mon père car sa famille avait cessé de payer la pension de puis de mois. page 141

Tu entreras en pension le mois prochain. ...
Et on préparait mon trousseau, on me faisait des chemises d'homme, des pantalons longs et des caleçons. Le linge de lit s'entassait dans ma nouvelle  malle pour l'internat. La perspective du collège me consolait de mon chagrin. Je n'avais pas peur d'entrer en pension. Au contraire, j'attendais même avec impatience le jour de mon départ. Mes cousins étaient partis et il pleuvait tous les jours. page 155
 
J'entrerais en pension au mois de juin. La date de mon départ était fixée.
On avait recours au collège comme à une maison de correction. Personne ne s'occupait des enfants qu'on laissait libres de tout faire, comptant ensuite  sur les punitions de l'internat pour les corriger. L'enfance ne semblait  ne pas avoir d'importance, alors que ce sont des années cruciales.
...Je prendrais le train le lendemain. Oncle Juca allait me confier aux prêtres du collège, leur laissant carte blanche  à mon sujet. page 166
 
Le vieux Paulino m'avait dit au moment de partir:
" Ne perds pas ton temps. Etudie, tu ne t'en repentiras pas". 
...J'étais un enfant perdu, j'étais l'enfant de la plantation. page 170
 

lundi, juin 18, 2018

LE REVE DU VILLAGE DES DING ( Yan Lianke)

Sous les rayons du soleil couchant, la plaine du Hénan est rouge, rouge comme le sang. Ce sang que vendent les habitants du village des Ding pour connaître une vie meilleure. Mais, quelques années plus tard, atteints de la "fièvre", ile se flétrissent et quittent ce monde, emportés par le vent d'automne comme des feuilles mortes. Seul, le fils du  vieux Ding, qui a bâti sa fortune sur la collecte de sang, continue de s'enrichir en vendant des cercueils et en organisant des "mariages dans l'au-delà" pour unir ceux que la mort a séparés.
Le Rêve du village des Ding est un roman bouleversant. Bouleversant dans la tragédie qu'il raconte, bouleversant parce qu'il n'est que la fiction d'une réalité plus terrible encore. C'est l'histoire de centaines de milliers de paysans du Hénan contaminés par le sida que l'auteur évoque dans ce roman d'une émotion poignante, traversé de rêves et de prémonitions. "Colère  et passion sont l'âme de mon travail" dit Yan Lianke. Son livre  est interdit en Chine et l'auteur privé de parole.
 
Mon grand-père Ding Shuiyang, revenait de la ville. Le chemin qui conduisait au village des Ding avait été cimenté dix ans plus tôt quand tous les villageois vendaient leur sang. page 8
 
La situation était grave. dans ce petit village qui comptait moins de deux cents familles et moins de huit cents habitants, plus de quarante personnes étaient mortes en deux ans. Il mourait une personne tous les dix ou quinze jours mais, quand l'an prochain, la saison des morts battrait son plein, les tombes seraient aussi nombreuses que les gerbes de blé en été. Les morts seraient des adultes de cinquante ans ou des enfants de trois ou cinq ans. page 15

.."Quand tu as appelé à vendre son sang, tout le monde  a vendu son sang. Tout le monde a vendu son sang à ton aîné Ding Hui. A l'époque, il utilisait la même aiguille pour trois personnes...N'en parlons plus. C'est toujours à lui que j'ai vendu mon sang et maintenant, quand je le rencontre,  dans la rue, il ne daigne même pas m'adresser la parole. page 21

Mon grand-père repartit en direction de notre maison qui était dans la nouvelle rue  au sud du village. C'était une nouvelle rue car les maisons avaient été construites  après que le village était devenu riche. A cette époque, quiconque avait de l'argent, se faisait construire aussitôt dans cette rue une maison d'un étage conforme aux normes officielles....Les gros collecteurs de sang étaient devenus riches. Mon père qui avait le premier à exercer cette activité, avait aussi été le plus gros d'entre eux. Notre maison était donc la mieux située...pages 22,23
 
C'était il y a plusieurs dizaines d'années. Les instituteurs percevaient un salaire mais mon grand-père, en guise de rétribution, avait droit au contenu solide et liquide des latrines. Cette source d'engrais avait permis à sa famille d'obtenir de belles récoltes. page 33
 
"Maintenant , rentrez chez vous et réfléchissez bien! Dans les villages du district où les gens vendent leur sang, ils ont construit de belles maisons, alors que vous autres, habitants du village des Ding, bien que libérés depuis plusieurs décennies, guidés par le parti communiste depuis plusieurs décennies, vous habitez toujours dans des chaumières"
Sur ces mots, il s'éloigna.
Mon grand-père partit de son côté.
Les villageois se dispersèrent et rentrèrent chez eux . Il dépendait d'eux  de rester pauvres ou de devenir riches. page 38
 
Les choses se compliquaient. Il n'était plus possible de tendre le bras à volonté puis de rester, un flacon accroché à la ceinture, à manger et à boire en laissant le flacon se remplir, pour finalement toucher son argent et manger  quelque temps à sa faim. Les gens ne pouvaient se rendre à un poste de collecte quand bon leur semblait et examiner au soleil, un beau billet de cent yuans pour s'assurer de son authenticité.....
Or, un jour, mon père se rendit à la ville et revint avec un sac d'aiguilles, des tubes, du coton hydrophile et des flacons.  Il posa tout l'attirail sur le lit et alla chercher une planche dans l'enclos à cochons sur laquelle il peignit: "Poste de  collecte du sang de la famille des Ding"...."Que tous ceux qui veulent vendre leur sang viennent ici me trouver! Les autres donnent quatre-vingts yuans par flacon. Moi, je donne quatre-vingt-cinq yuans ! " pages 50, 51
 
La lune s'était levée quand Ma Xianglin commença  à chanter....Les villageois étaient venus après le repas du soir. Ils devaient être deux ou trois cents, assis par terre, serrés les uns contre les autres, les malades devant, les autres derrière.
C'était la fin de l'automne et le froid tombait sur la plaine de l'Est du Hénan. pour assister au concert, certains avaient revêtu leur veste matelassée, d'autres l'avaient simplement posée sur leurs épaules. les malades étaient ceux qui craignaient le plus d'attraper froid car , pour eux, un simple rhume pouvait être fatal. Ils étaient donc couverts comme en hiver. On ne parlait que 'une chose: le nouveau médicament. Une seule piqure et c'était la guérison. Les visages rayonnaient de bonheur. pages 56, 57

"Moi, Ding Shuiyang, je m'agenouille et je me prosterne. J'implore tout le monde de ne pas haïr ma famille"
Il se prosterna une seconde fois.
- Moi, Ding Shuiyang, je vous demande pardon. C'est moi qui, au départ,  vous aidit que plus on prélevait le sang, plus il se renouvelait.
Il se prosterna une troisième fois.
- En outre, c'est moi qui, pour obéir aux instructions des autorités, vous ai rassemblés pour vous emmener visiter le district de Caixian où ce que vous avez vu vous a décidés à vendre votre sang. A la suite de quoi, vous avez attrapé la maladie....
A partir de demain ...tous les malades pourront venir vivre dans l'école. Ils y seront nourris. je vais  aller voir les autorités pour leur demander de fournir le nécessaire. Moi, Ding Shuiyang, je vous autorise, si je ne tiens pas ma promesse, à empoisonner mon fils aîné, mon deuxième fils, leurs cochons, et leurs volailles et tous les membres de la famille.
Il poursuivit:
- Je vous dois la vérité. Les autorités  ne m'ont pas dit  qu'un nouveau  médicament a été mis au point. En revanche, elles m'ont dit que la maladie était le sida.  pages 65, 66

"Pourquoi as-tu vendu ton sang?
- Je voulais acheter un flacon de shampoing. Une fille du village qui se lavait la tête avec du shampoing avait des cheveux superbes...J'ai vendu mon sang pour pouvoir en acheter. page 85

Je ne sais combien tu as mis d'engrais  mais je sais que c'est l'engrais que tu as acheté en vendant ton sang. En vendant un flacon, tu peux acheter deux sacs d'engrais...
- D'accord, mais ..ceux qui vendent trop de sang, n'ont plus la force de travailler...page 95

- J'en prends combien? demandait mon père.
-  Prends en jusqu'à ce que tu vois mon visage devenir jaune.
Mon père prenait la plus grosse poche  dont il disposait, ne retirant son aiguille que  lorsqu'il voyait le visage de Zhao Dequan devenir blanc. page 112
 
Si vous avez quelque chose dans le ventre, dénoncez-vous! Chacun doit fournir vingt-cinq kilos de farine. Celui qui a mis quatre briques doit donc dix kilos à la collectivité. Quel malhonnête! page 150

Qui a mis ce cadenas? Alors que nous n'avons plus que quelques jours à vivre, devons-nous nous préoccuper de cette histoire d'adultère? Pourquoi leur refuser un moment de bonheur? Ouvre la porte Grand Frère Ding Liang. Tu es mille fois meilleur que ton frère Hui.
Il continua en regardant le cadenas.
- Il faut ouvrir la porte. Ding Liang et Lingling n'ont guère plus de vingt ans....page 158

Mon oncle  se rendit chez ma tante Song Tingting dont le village se tenait à plusieurs kilomètres  du Village des Ding....Mon oncle dit:
" Je veux épouser Lingling avant e mourir pour profiter  pleinement des derniers jours de ma vie.
Ma tante resta muette un instant avant de répondre:
- Je suis d'accord pour divorcer à condition que tu me fournisses deux bons cercueils. Ils devront être de qualité  et parfaitement décorés.
- C'est pour qui?
-ça te regarde pas.
Mon oncle sourit de son sourire moqueur. page 257
 
 

dimanche, juin 17, 2018

LE TRAQUET KURDE (Jean Rolin)
 
Au printemps 2016, un ornithologue amateur observe au sommet du Puy De Dôme un petit oiseau, le traquet kurde, jamais vu en France auparavant, et dont nul ne sait comment il est arrivé jusque là. Sur la piste du traquet kurde, des vertes prairies du Hertfordshire aux montagnes du nord de l'Irak, le narrateur de ce récit, quant à lui,  croisera les ombres de T.E. Lawrence, St. John Philby, Wilfred Thesiger et autres figures de l'histoire impériale britannique.
 
BOF, j'ai vite arrêté la lecture....

dimanche, juin 03, 2018

LAROSE ( Louise Erdrich)
 
Dakota du Nord,  1999. Un vent glacial souffle sur la plaine et le ciel, d'un gris acier, recouvre les champs d'un linceul.Ici, les coutumes immémoriales marquent le passage des saisons, et c'est une chasse au cerf qui annonce l'entrée  dans l'automne. Landreaux Iron , un Indien Ojibwé,  est impatient d'honorer la tradition. Sûr de son coup, il vise et tire. Et tandis que l'animal continue de courir sous ses yeux, un enfant s'effondre. Dusty, le fils de son ami et voisin Peter Ravich, avait cinq ans.
Ainsi débute le nouveau roman  de Louise Erdrich, couronné par le National Book Critics Circle Award, qui vient de clore de façon magistrale le cycle initié avec La Malédiction des colombes  et Dans le silence du vent . L'auteur continue  d'y explorer le poids du passé, de l'héritage culturel , et la notion de justice. Car  pour réparer son geste, Landreaux  choisira d'observer une ancienne coutume en vertu de laquelle il doit donner LaRose, son plus jeune fils aux parents en deuil. Une terrible décision dont Louise Erdrich , mêlant passé et présent , imagine , avec brio, les multiples conséquences.
 
Il la calma, lui parla, pria avec elle.( Landreaux et Emmeline). La rassura. Ensemble, ils avaient pratiqué la danse du Soleil. Ils évoquèrent ce qu'ils avaient entendu lorsqu'ils étaient entrés en transe. Ce qu'ils avaient vu pendant qu'ils jeûnaient  au sommet d'une falaise rocheuse. Leur fils était sorti des nuages en demandant pourquoi il devait porter les vêtements d'un autre garçon. Ils avaient vu LaRose flotter dans les airs. Il avait posé sa main sur leur cœur et murmuré : "Vous vivrez". Ils savaient comment interpréter ces images à présent. ...Dans la famille d'Emmaline, il y avait eu des LaRose à chaque génération, depuis plus d'un siècle. A un moment donné, la famille s'était scindée en deux. La mère et la grand'mère d'Emmaline s'étaient appelées aussi LaRose. Elles étaient donc apparentées aux LaRose des générations passées. les deux femmes connaissaient les histoires, les récits. page22

Cette nuit là, LaRose dormit entre son père et sa mère. Il se souvenait de cette nuit. Il se souvenait de la nuit suivante. Il ne se souvenait pas de ce qui s'était passé entre les deux. page 25

Landreaux et Emmaline Iron  étaient toujours sur le pas de la porte. (Ils sont chez les parents du garçon que Landreaux a tué en croyant visé un cerf). Personne ne les avait invités à entrer. "Qu'est-ce que vous voulez?  s'enquit Peter. ...
Ils répondirent simplement : Notre fils sera votre fils maintenant.
Landreaux posa la petite valise  à ses pieds. Emmaline était en miettes. Elle posa l'autre sac dans l'entrée et détourna les yeux.
Ils durent expliquer à Peter le sens de leurs paroles : Notre fils sera votre fils et lui expliquer encore.
Il en resta abasourdi , bouche bée  et accablé.
-Non répondit-il, je n'ai jamais  entendu une chose pareille.
- C'est ainsi que l'on faisait autrefois, lui assura Landreaux. Il le dit très vite, prononça les mots une fois de plus. leur décision était bien plus complexe que ça mais il n'arrivait plus à parler. Emmeline jeta un coup d'œil à sa demi-soeur, (la maman du garçon tué par son mari) qu'elle n'aimait pas . Elle se retint d'émettre le moindre son, leva la tête et aperçut Maggie (la sœur du garçon tué) , accroupie dans l'escalier....Elle s'avança dans un brusque sursaut , posa sa main sur la tête de son enfant , embrassa LaRose, lui tapota la joue, profondément absorbé par son jeu.
"A plus dit-il pour imiter ses grands frères.
-Non,répéta Peter en agitant les mains, non. C''est impossible. Ramenez....
Puis, d'un coup, il regarda Nola et vit que son visage  s'était ouvert d'un coup.
Toute sa douceur  s'en échappait à flots. Et aussi l'avidité, une volonté désespérée d'appropriation qui la fit se tendre insidieusement  de tout son corps vers l'enfant. pages 28, 29
 
Maintenant, allongé là où la vie de Dusty s'était épanchée dans le sol, il ferma les yeux et écouta les bruits de la forêt environnante. Il entendit une mésange à tête noire, puis une sitelle, un corbeau épuisé au loin. Il entendit sa propre voix qui criait. page 38
A présent, come tous les quinze jours, Landreaux allait donner un coup de main  à la mère d'Emmaline. Avant d'être sa belle-mère, elle avait été son institutrice préférée. En réalité, elle l'avait sauvé comme elle sauvait toujours les gens. Elle ne figurait pas sur la liste de ses patients, mais il venait quand même l'aider. ;. page 38

Au bout de quelques semaines, LaRose tâcha de ne plus pleurer, au moins en présence de Nola. Maggie lui répéta toute l'histoire, pourquoi il était là. Ses parents lui avaient déjà expliqué, mais il ne comprenait toujours pas. Il avait besoin de l'entendre indéfiniment.
"Tu ne sais même pas ce que ça veut dire, mort, remarqua Maggie.
- C'est quand on ne bouge pas, affirma LaRose.
- C'est quand on ne respire pas, corrigea Maggie.
- Respirer c'est  pareil que bouger!
- Bon, dit Maggie, viens , on va dehors et je vais tuer un truc pour te montrer...page 51

LaRose attendit que Nola lui demande quelque chose. Plus tard, ce jour-là, elle décréta que LaRose devait l'appeler maman.
- D'accord maman.
- Tu me fais un calin?
Ce qu'il fit. Nola lui ramena ses cheveux en arrière, le regarda dans les yeux  et son visage se gonfla et  s'empourpra comme si elle allait rougir.
- C'est quoi ton plat préféré? s'enquit-elle. Les gâteaux?
Elle promit de lui préparer plein de gâteaux. Quand il lui passa les bras autour du cou, il sentit les os  pointer sous sa peau. page 52
LaRose aperçut sa vraie mère au supermarché. Il se précipita  vers Emmaline et leurs deux corps se fondirent l'un dans l'autre. page 53

L'an 2000 accaparait Peter, et pendant qu'il travaillait aux préparatifs, il pouvait penser à autre chose qu'à Dusty.....Le père Travis et  lui coupaient du bois pour se calmer; à des kilomètres de distance, ils empilaient leur chagrin. page 66
Son rire avait changé, se dit Peter. ( celui de Nola) Maintenant, elle riait  de ce qui était triste, pas de ce qui était drôle. page 70

Tous les ans Emmaline confectionnait pour chacun une paire de mocassins neufs taillés dans de la peau de watipi fumée et doublés de chutes de couverture; le tour de la cheville était bordé de fourrure de lapin....Elle avait confectionné ceux de LaRose, raconta  Landreaux à son ami Randall, qui tenait des loges de sudation et enseignait la culture et l'histoire  ojibwés au lycée tribal, ainsi que la manière de dépouiller le cerf. page 75

Le père Travis répondit au téléphone, bascula sa chaise en arrière.  Lorsqu'il entendit le nom du nouvel évêque, il ne dit rien.
Aucune surprise.
Ce nouveau prélat, Florian  Sereno,  adopterait une position ferme  vis-à-vis de tous les sujets sensibles - l' Etat était rouge républicain. Le père Travis travaillait dans  un secteur bleu. Les réserves étaient des points ou des taches  bleu qui votaient démocrate....Avec la nomination du nouvel évêque, le père Travis risquait d'hériter  d'un dominicain tourné vers la théologie de la libération., parce qu'il voulait punir ce genre de prêtre en l'expédiant  sur une réserve. .. Les autres sujets, toutefois, tels que l'avortement, le laissaient indifférent. Son père lui avait appris que les affaires de femmes sont les affaires de femmes. Il y avait une autre possibilité - les autorités ecclésiastiques continuaient  à jouer au bonneteau avec leurs prêtres pédophiles. pages 84, 85
 
31 décembre 1999, Peter fourra suffisamment de bûches dans les paniers à bois pour alimenter le poêle toute la nuit - il était convaincu que l'alimentation électrique informatisée tomberait en panne. Il remplit des pichets d'eau potable et des seaux pour les toilettes, puis coupa l'eau au cas où les tuyaux gèleraient ....page 86
 
Ils ne s'étaient pas parlé depuis que Landreaux  avait emmené son fils chez les Ravich.  Landreaux hocha la tête et prononça quelques mots insignifiants en guise de réponse....Il (Peter) demanda à Landreaux s'il voulait passer.
-Bien sûr, dit Landreaux, sans songer à la bière...Landreaux sortit lentement de sa voiture, et d'un geste, Peter le pria d'entrer. Le chien que leurs familles avaient nourri se tenait derrière lui...Merci dit Peter, les yeux rivés à la table.
Merci dit Landreaux , les yeux rivés à la cannette. Ils laissèrent une vague d'émotions les envelopper. Pages 95, 96
...Dusty . je rêve de lui toutes les nuits. (dit Peter)
- Même avec LaRose ici?
-Oui,  et je me sens coupable, tu sais, j'adore ton garçon. Landreaux se détendit en entendant ce ton garçon. Il regarda Peter.
Je donnerais ma vie pour te rendre Dusty, assura-t-il, LaRose est ma vie. J'ai fait du mieux que j'ai pu.
Peter se posa une main sur le visage, bascula sa chaise en arrière, puis la ramena en avant et regarda  Landreaux  dans les yeux. page 98

(Mrs Pearce évoque le pensionnat où sont allées Nora et Emmaline) Au pensionnat de  Fort Totten, j'avais une robe  de cette couleur dans une cotonnade imprimée blanc et bleu. Juste la ceinture.....Après tout c'était militaire....On buvait du lait. Du porridge et du lait écrémé. Qu'Est-ce qui reste quand on a ôté la crème, hein.  C'était ce qu'on buvait. La cloche sonnait. Tout le temps les cloches...La première année, ils m'ont pris ma couverture, ma petite couverture chaude  en lapin. Ils m'ont pris mes makazinan doublés de fourrure. Mon habit traditionnel, tout ça. Mes petites boucles d' oreilles en coquillages, mon collier;. Ma poupée. Elle est toujours là -_bas , dans la vitrine à souvenirs. Les objets avec lesquels nos familles nous envoyaient là-bas, ils les vendaient comme souvenirs. Ils les échangeaient. C'est à se demander.
Ce qu'ils ont pu faire!
Je sais. Pense à toutes ces nattes qu'ils ont coupées aux garçons et aux filles au fil des ans. pages 100, 101
 
 
...La question c'est... poursuivit Peter.
Le cœur de Landreau s'arrêta.
La question c'est...reprit Peter. Qu'est-ce que ça lui fait?
Le cœur de Landreaux se remit à battre.
Qu'est-ce que ça lui fait, répéta Peter d'une petite voix.
Il est triste, reconnut Peter. Sa famille lui manque. Il ne comprend pas. Vous êtes juste au bout de la rue. je vois son visage dans le rétroviseur, quand on passe. Il regarde son ancienne maison, c'est tout.
Peter ne pouvait supporter d'en révéler  davantage. Sur les pleurs étouffés, rien. Sur LaRose qui donnait des coups de poing  sur la tête, rien. Sur les questions secrètes qu'il ne chuchotait qu'à son oreille. Elle est où, ma vraie maman?, il ne pouvait rien dire. page 107
 
Tout ira bien. Nous vieillirons ensemble., après tout.
Voilà ce que pensa Landreaux la première fois que Peter déposa LaRose.  Ils passeraient ensemble le printemps et l'été jusqu'aux journées de canicule, quand la chaleur imprégnait la maison et que les vieux rondins exhalaient le parfum de terre du torchis. page 126
 
Comment expliquer ce coup de fusil? Il aurait voulu cesser d'exister pour recommencer à tirer, ou ne pas tirer. Mais la plus difficile, la meilleure, la seule chose à faire, c'était de rester en vie. De vivre avec les conséquences, au sein de la famille. D'assumer la honte, même s'il étouffait sous son poids nauséabond. page 210
" Mais d'abord, il faut que je te dise quelque chose.
LaRose attendit.
"C'est un secret, un grand secret. Nous devons jurer que c'est notre secret, d'accord?
 LaRose devint sérieux. Ils se serrèrent la main quatre fois.
"OK, je te fais confiance.
LaRose regarda son père, les yeux écarquillés, sans ciller.
"Je n'avais pas, euh, la tête à l'endroit le jour où j'ai tué Dusty. Ce n'était pas ce que je voulais faire, mais je ne sais pas, j'ai peut-être mal visé. En réalité, ce jour-là, je me suis mal pris.
LaRose fronça les sourcils, et le cœur de son père s'en trouva transpercé.
"Est-ce que tu as vu Dusty là-bas? voulut savoir LaRose. Est-ce que tu as vu le chien?
- Quel chien?
-Dusty est tombé d'une branche d'arbre. Une nuit, en rêve, j'ai tout vu. Dusty a suivi le chien dans les bois. Le chien t'a vu. Demande-lui.
Landreaux fu pris d'un mal de tête.
"Tu as toujours bien visé avant. c'est mon autre papa qui me l'a dit.
-Peter?
-Ouais.Il a dit autrement tu aurais touché le cerf...
Dusty m'a expliqué que tu l'as abattu par accident.
Landreaux ouvrit les bras à son fils et celui-ci vint se glisser contre sa poitrine....page 213
 
Les institutrices de la mission considéraient qu'apprendre aux femmes l'art de bien tenir une maison et de discipliner les enfants était fondamental pour éradiquer la sauvagerie. page 265
Elle corrigeait leur grammaire dans les deux langues. En anglais, il existait un mot pour chaque objet. En ojibwé, il existait un mot pour chaque action.  L'anglais possédait davantage de nuances pour évoque l'émotion intime, mais l'ojibwé  était plus subtil pour évoquer les liens familiaux. page 269
 
Pratt disait aussi: Un général célèbre a déclaré un jour qu'un bon Indien est un Indien mort  et que le profond accord suscité par leur destruction a considérablement encouragé les massacres d'Indiens. page 283
 
Ce même matin, Emmaline se réveilla le cœur serré et presque incapable de respirer. Quand? ...Maintenant LaRose était censé retourner chez les Ravich, mais quand elle caressa l'épaisse chevelure brune du garçon, elle eut la certitude. Il fallait en finir, et le moment était venu.  Derrière la porte fermée de leur chambre à coucher, elle composa le numéro des Ravich, Peter décrocha.
Je n'en peux plus avoua-t-elle
Peter sentit vaciller le lourd fer à repasser en fonte qui tenait  lieu de cœur.  Il attendit , mais la chose  était coincée du mauvais côté de sa poitrine.
Oh non, je t'en prie Emmaline.
je ne peux continuer . Ce n'était pas censé durer toujours , hein? ..
...Nola va tellement mieux , reprit-il. Elle oublie enfin Dusty.  Elle , euh, intègre.  Là, elle est en train de peindre le poulailler....Page 324
 
...Avant,  dès qu'elle était seule, elle (Nola) avait les larmes aux yeux. Aucun médicament n'y faisait rien, même pas LaRose, au début. Mais après l'avoir entendu , la veille,  jouer avec Dusty,  ce matin là, elle s'était réveillée et levée comme avant. ...Quelque chose d'inconnu  s'était remis d'aplomb, à l'intérieur. Qui l'avait  fait se sentir moins seule....Parce que le tissu  entre les réalités , les vivants et les morts, était poreux, et pas uniquement pour elle. Ce passage de l'un à l'autre existait . LaRose allait lui  aussi là-bas. Elle n'était pas folle après tout. Peut-être simplement plus consciente , comme l'était LaRose, sur quoi tout s 'accordait . Spécial.  C'était une bonne  chose qu'il faisait pour elle , de jouer avec son fils  venu de l'autre côté. page 379
On donna à LaRose une plume d'aigle et une coquille d'ormeau au creux de laquelle fumait une boule de sauge. Il déambula en encensant la nourriture. Il passa la fumée sacrée sur les cocottes électriques, les ¨gâteaux, les tables et la corbeille de félicitations....LaRose prépara une assiette  où il mit un peu de tout, même un petit bout de gâteau et une pincée de tabac, . Il longea le bord du jardin et s'enfonça parmi le arbres, posa l'assiette au pied d'un bouleau. debout à côté du tronc, il regarda à travers les jeunes feuilles l'endroit où il avait jeûné, où Dusty et les autres étaient venus le visiter. LaRose ne savait pas quoi leur dire, s'ils étaient effectivement là. Oh bon, il allait les traiter comme des gens normaux.
"Vous êtes invités," annonça -t-il d'une voix naturelle. page 507

vendredi, juin 01, 2018

LE PASSEUR DE DIEU ( MIchel-Marie Zanotti- Sorkine)

Xavier, jeune journaliste à Paris, ne supporte plus la vie qu'il mène. Usé par son rythme trépidant, lassé des amours  éphémères et ne sachant plus où trouver la force pour éclaire sa vie, il décide  de passer quelques jours dans un ermitage auprès d'un vieux moine, haut en couleur, à la stature spirituelle et humaine hors du commun Au creux d'un  monastère perdu dans la montagne, il partage la vie de prières et les travaux des frères. Sa cure de silence est entrecoupée de conversations chaleureuses et exigeantes, menées par le père supérieur  et les frères  dont les différentes personnalités le surprennent, mais moins que le bonheur qu'ils respirent. A la fin de la semaine, il retourne à Paris, renouvelé jusqu'au tréfonds  de son être et l'inattendu arrive.
Un voyage initiatique aussi dense qu'imprévisible, ponctué de dialogues revigorants, riche de sagesse et de bon sens, plein d'émotions, et parfois d'humour où la source du christianisme jaillit comme une leçon de vie.