vendredi, décembre 31, 2010

LE CHRIST A LA CARABINE (Ryszard Kapuscinski)

(La Palestine, 1974) Les fedayins veulent nous montrer tout: les destructions, le marché aux poissons abandonné, l'unique puits du camp. Ils sont désolés que nous n'ayons pas pris nos appareils photo. Ils voudraient montrer Rashidiya au monde entier. Ils continuent de croire qu'ils vont être écoutés et compris, qu'ils ne resteront pas seuls. L'essentiel est que leur cause soit entendue et connue, que la planète entière sache qu'il existe une cause palestinienne et qu'elle s'interroge: "Pourquoi les Palestiniens luttent-ils?" Pour le moment , toutefois, d'innombrables forces s'emploient à éviter que la question ne soit posée, les gens essaieraient de trouver une réponse en se reportant aux faits et surtout en consultant une carte. Or il suffit de regarder n'importe quelle carte pour s'apercevoir avec stupéfaction que la Palestine est introuvable. C'est bien là le problème. La Palestine est un véritable mouchoir de poche. Ses frontières sont à un jet de pierre l'une de l'autre. C'est ça la Palestine. On peut la traverser en une journée. page 12
Israël est un petit pays, mais il a les prétentions d'une grande puissance. Il a besoin d'une grande administration, d'une grande armée, de grands services de renseignements. Il y des postes vacants partout....Certains juifs ont gardé de la Palestine le souvenir d'un paradis où Arabes, Juifs et chrétiens vivaient en harmonie, personne ne songeait à tirer une balle dans le dos de son voisin. Chacune des trois communautés s'occupait de ses propres temples, il y avait assez de place pour les trois dieux. page14
Tous les prophètes de l'Ancien Testament ont maudit la Palestine, terre de peuples malchanceux. Il suffit de lire la Bible. La Palestine est maudite au début et elle l'est à la fin du Livre des livres. Or l'écriture de la Bible s'est faite sur un millénaire. page 31
Toutes les émigrations historiques déclenchent des mécanismes semblables. Quand on connaît l'histoire des différentes émigrations polonaises, on comprend aisément la situation des Palestiniens; Un pourcentage se met à collaborer avec l'administration du pays d'émigration. Généralement, il s'agit d'une partie de l'aristocratie et de la bourgeoisie ou d'éléments marginaux. Mais la grande majorité se bat pour la liberté. Elle se divise généralement en deux camps: le premier mise sur les démarches diplomatiques ou sur la politique des gouvernements qui lui sont favorables pour gagner son combat; le second, insurrectionnel, considère que le seul moyen de défendre sa cause est de prendre les armes. page 97
(L'auteur rencontre un Palestinien dans l'ascenseur d'un petit hôtel de Beyrouth, il a rendez-vous avec lui) Dans l'ascenseur qui monte, il sort une pomme de son sac et me la tend. pour les Palestiniens, c'est une manière de lier connaissance: on offre un fruit à la personne que l'on rencontre. Les fruits sont la seule et unique richesse de la Palestine. Donner un fruit, c'est donner tout ce que l'on a. page 47
Un homme qui a vécu la guerre est différent de celui qui ne l'a jamais connue. Ce sont deux espèces humaines différentes. Elles ne trouveront jamais de langage commun car on ne peut vraiment décrire la guerre, on ne peut pas la partager, on ne peut pas dire à l'autre: "Prends un peu de ma guerre". Chacun doit assumer la sienne jusqu'au bout. page 48
Lors d'une rencontre avec mes lecteurs, on me demande de comparer la figure de Che Guevara avec celle d'Allende et de dire lequel des deux avait raison. ...A un moment de sa vie, Che Guevara abandonne son cabinet ministériel à La Havane, il laisse son bureau et part en Bolivie où il forme un détachement de guerilleros. Il meurt à la tête de ce détachement. Pour Allende, c'est le contraire: il meurt en défendant son bureau, son cabinet présidentiel. Comme il l'a toujours dit, il n'en sortira que "dans un pyjama de bois" autrement dit dans un cercueil. Apparemment, il s'agit de deux morts différentes. Dans la réalité, la différence ne concerne que le lieu, le temps et les circonstances extérieures. Allende et Che Guevara donnent leur vie au nom du pouvoir du peuple, le premier en le défendant, le second en luttant pour lui. Le bureau d'Allende n'est qu'un symbole au même titre que les savates de paysan de Che Guevara. Jusqu'au dernier moment, tous les deux sont convaincus de suivre la voie la plus juste: pour Guevara, c'est celle de la lutte armée, avec les victimes humaines qu'elle entraîne. Pour Allende, c'est celle de la lutte politique, qui veut éviter les victimes à tout prix. Tous les deux étaient médecins...La façon dont meurent Che Guevara et Allende traduit une détermination et une volonté farouches, une dignité folle. Pendant leurs dernières heures, toutes les possibilités de salut sont rejetées: négociations, pourparlers, compromis, capitulation, fuite. La voie se dégage, s'éclaicit et se purifie, elle ne mène plus que vers la mort. Leurs deux morts sont un manifeste, un dzfi. Elles traduisent leur volonté de témoigner publiquement de la justesse de leur cause et leur résolution à payer le prix fort pour elle... Tous les deux tombent en marchant. Leurs morts sont tellement semblables, leurs vies tellement différentes. Ce sont de spersonnalités différentes, des tempéraments opposés.pages 137,138

jeudi, décembre 23, 2010

LE SANG ET LA MER (Gary Victor)

Estevel (frère de l'héroïne: Hérodiane) garde toujours son calme, ne dévie jamais de la route qu'il s'est tracée. Il sait qu'il doit travailler dur, donner son sang à cette terre s'il veut, un jour, laper sa goutte de ciel. Moi, j'avais cru pouvoir aller plus vite. Nous , les femmes, sommes arrivées, pour notre malheur, parfois, à considérer comme normal, obligatoire même, un chemin , pavé de briques cuites au feu de l'enfer. page 14

Yvan ne comprenait pourtant rien à ma passion pour la lecture. Passion qui me permettait de m'extraire, le temps d'un voyage à travers les pages d'un livre, de l'enfer de Paradi, de l'ambiance fausse et carcérale de Pétion -Ville, du chaos et de la crasse de Port-au -Prince. page 18

J'étais grande et fine. Ma peau noire de nuit, me disait-on, était si parfaite que Dieu aurait pu s'y tromper et y incruster quelques-unes de ses étoiles. J'avais , en plus, les traits fins de mon père qui se vantait d'une obscure descendance taïno. J'avais les lèvres charnues, un nez droit, des yuex légèrement bridés aux prunelles pourpres qui pouvaient par moments, quand j'étais en colère, par exemple, prendre des reflets d'un ciel traversé par des orages. page 40
Un ami de la cousine de notre mère nous emmenait voir une chambrette dans ce bidonville qui portait le curieux nom de Paradi, parce que, nous expliqua celui qui nous guidait, il fallait cheminer vers le ciel pour y accéder. page 47
Je restai un mois à Paradi sans descendre en ville, cloîtrée dans la chambrette qui nous servait de logis. Estevel (son frère) m'avait conseillé de ne pas sortir, le temps qu'il trouve du travail et reconnaisse bien les lieux...Je passai donc mes journées à relire les livres que Soeur Marie-Francine m'avait offerts. Je sortais uniquement le matin avec Estevel chercher de l'eau que nous devions transporter dans des bidons suspendus à une perche sur nos épaules. Le sentier était si étroit que la perche ne pouvait qu'être parallèle au chemin. On trouvait l'eau à une fontaine construite par une ONG quatre cent mètres plus bas. Il fallait presque se battre pour avoir accès aux robinets. page 48
Vu d'en bas, Paradi était un chancre., un non-lieu, un cimetière des vivants, une cité-dortoir pour parias fuyant la province à la recherche d'un mieux-être devenu illusoire dans cette capitale. D'en bas, on ne percevait que ce manteau lépreux de béton et de tôle qui avait tondu la verdure sur la montagne. Mais, d'en haut, face à la ville, on était en proie à une sensation de légèreté et de puissance. Le fait d'embrasser du regard la magnificence trompeuse de la ville incitait aux rêves de conquête et de réussite les plus démentiels. page 50
Je commençai à fréquenter le collège de la Résurrection à Pétion-Ville, étonnée que la résurrection me suive ainsi à la trace, du bord de Saint-Jean aux hauteurs gangrenées de cette cité dont la réputation bourgeoise n'était plus qu'un lointain mythe, depuis que les migrations effrénées avaient permis la colonisation sauvage des montagnes, des rues et des trottoirs. La première semaine, j'allais en civil , ne disposant pas encore d'argent pour me payer la confection de l' uniforme du collège., jupe grise, chemisier blanc et cravate rouge. page 58
(Yvan dans sa Jeep) Il avait la vitre teintée de sa Jeep baissée pour nous faire signe d'approcher. Il était en effet très beau... Nous n'obéîmes pas à son signe. Il pointa son doigt vers moi, doigt qui m'intima péremptoirement l'ordre d'avancer vers lui. Il y avait dans le geste du jeune homme l'affirmation d'une autorité qu'il était sûr de détenir, la certitude qu'une jeune fille d'une classe sociale inférieure ne pouvait se dérober à une telle injonction, peut-être économiquement profitable. Les jeunes gens tels que lui étaient des dieux dans ce pays...J'eus donc conscience de la violence du geste d'Yvan, de tout de qu'il impliquait. C'était l'ordre à son esclave, du seigneur au serf. Je me détournai avec dédain pour m'éloigner d'un pas rapide...Il klaxonnaa furieusement. page 72
Le peu de temps que j'avais passé dans la capitale m'avait permis de découvrir que le sommet de la pyramide sociale n'avait rien à voir avec le mythe de la première république noire du monde. page 82
Habituellement, je venais chez lui,(Yvan) toujours en sa compagnie et dans l'après-midi, quand personne de sa famille n'était présent sauf une vieille servante aussi noire que moi et qui, quand elle me voyait, faisait son possible pour me manifester son mépris même si Yvan la rappelait à l'ordre chaque fois. page 97
"Nous possédions ( la famille d'Yvan) des terres ici, du temps où ce pays était encore une colonie. Nous avons un aïeul proche qui a signé l'acte d'indépendance". Il ajouta..." Cette terre est beaucoup plus à nous qu'aux Noirs. Nous leur avons construit un beau mythe. Qu'ils s'en abreuvent. Qu'ils s'en contentent". page 103
(Hérodiane est en compagnie d'Yvan, un jeune Noir nettoie sa voiture) Yvan ne supportait pas que des mains non autorisées se posent sur sa véhicule qu'il faisait nettoyer et lustrer plusieurs fois par semaine dans un car-wash par un ami à lui. ...Sans me préoccuperde lui, j'avançai vers l'enfant pour lui tendre un billet de cinquante gourdes, puis un autre de même valeur que je crus nécessaire d'ajouter non pas pour atténuer sa douleur , mais pour juguler ma propre douleur et acheter le silence de ma conscience qui me reprochait d'être aux côtés de cet homme. Cet incident me rappelait ma condition de maîtresse d'un bourgeois fortuné, sans doute par une particularité personnelle, ne me permettait pas de me dégager de toute solidarité avec ceux qui restaient , par la force des choses, mes frères et soeurs de détresse et de sang. L'enfant prit l'argent en murmurant un merci à peine audible, ses yeux embués de larmes, une expression de désarroi suprême sur son visage. Je retournai vers la Jeep dont Yvan avait déjà, impatiemment , mis en marche le moteur, les jambes lourdes, traînant après moi le boulet de cette solitude, de cet abandon, de ce mépris qui nous enfonçaient chaque jour un peu plus dans les ténèbres. page 117
"Les Guéras (le nom de famille d'Yvan) n'ont pas la réputation de faire dans le social. Ce sont des prédateurs, des hyènes, rien d'autre. Grâce à leur filiation française, ils ont même profité, plus que d'autres requins de chez nous, de l'argent dit de la dette d'indépendance, argent qui a servi à dédommager des colons français. Ce Guéras vous laissera tomber comme un kleenex dont on vient de se servir" (le directeur de l'école d'Hérodiane). page 122
"Paradi, c'est pour ma famille, avoua-t-il.
-Paradi, pour ta famille? m'étonnai-je.
-Paradi, c'est le nom qu'ont donné au bidonville ses premiers habitants. Mais le terrain sur la montagne nous appartient. Essaie de comprendre. Plus de mille habitations de fortune louées à l'année environ à quinze mille gourdes, cela fait quinze millions de gourdes, soit trois-cent soixante-quyinze mille dollars américains chaque année sans redevance fiscale. Nous nous arrangeons pour faire croire que nos terres sont occupées illégalement et ainsi, nous gardons la possibilté de nous faire dédommager par le gouvernement. Nous plantons de la misère, nous cultivons de la misère et nous récoltons de l'or. page 130
(Hérodiane est enceinte d'Yvan et le lui dit)
-J'ai dix-sept ans, Yvan.
- Je m'appelle Guéras ,me rappelle-t-il. Toi, tu t'appelles comment? Hérodiane...quoi?
Cela avait été une passe d'armes rapide. Une passe d'armes qui résumait notre désespoir à nous de Paradi et de tous les autres Paradi de ce quart d'île maudite, notre abandon, notre souffrance, nos veines perpétuellement ouvertes, nos rêves détruits avant même qu'ils prennent forme. En lui rappelant mon âge, je l'avais menacé de le poursuivre en justice. Lui, il avait rappelé à mon souvenir que sa famille comme toutes celles qui trônaient aux commandes de la première république noire, était au-dessus des lois, que j'étais inexistante, une nouvelle forme d'esclave qui avait moins de valeurs qu'au temps de la splendeur de ses pères blancs. Aujourd'hui, je ne valais que par ma soumission, que par mon corps, mon sexe offert sans réticence à la jouissance des nouveaux maîtres. Et les nouveux esclaves, on ne les achetait plus. On les extrayait d'une mine à jamais inépuisable. Celle de la misère.. Celle de l'exclusion. Et ma place était quelque part si enviable qu'on pouvait trouver facilement dix, vingt, trente Hérodiane, moins rebelles, pour le même service. page 168

mercredi, décembre 22, 2010

ZENITH (Duong Thu Huong)

"Les anciens disent que si tu veux un homme, choisis sa notoriété, si tu veux une femme, choisis sa famille. Réfléchis-y" page 53

(Pendant la guerre contre les Américains)
(A l'armée) Même salle, mêmes beignets, même bouillon de pho. N'empêche, la cantine est séparée en deux. Lui (Ho Chi Minh )a sa place réservée en première classe. Le sol y est surélevé de vingt centimètres par un plancher en bois verni brillant. Les chaises sont de meilleure qualité, les tables recouvertes d'une nappe blanche. La vaisselle est en porcelaine chinoise. L'autre côté est plus bas, carrelé, les meubles y sont en bois grossier, sans nappe et la vaisselle est de fabrication locale, rudimentaire. Entre les deux zones, comme pour bien délimiter, des poteaux de bois reliés par une guirlande de fleurs en papier bariolé. page 64
La vie demande des choses bien concrètes dont on mesure la valeur après coup: toujours après coup..., se dit-il en français, tout en soupirant discrètement. page 98
Les anciens disent que les larmes coulent vers le bas. L'amour d'un enfant pour son père ne peut être comparé à celui d'un père pour son fils. Quand nous aimons nos parents, nous regardons vers le haut. Quand nous aimons nos enfants, nous regardons vers le bas. Les larmes obéissent à la loi naturelle et coulent toujours vers le bas. page 127
Le peuple. Ce n'est qu'un pion sur l'échiquier de l'histoire. Son rôle est d'être utile dans le jeu. S'il devient inutile, il faut le sacrifier. page 135
Le destin?
Le destin ou la volonté?
Le destin: parce que l'Amérique a choisi le Vietnam pour y ériger son mur contre l'invasion communiste.
Le destin: parce que la Chine est tombée entre les mains d'un fou fanatique. Un dément qui avait voulu cette guerre à tout prix. Cette guerre érigera à sa célébrité un monument historique, d'un héroïsme gigantesque:
"La guerre anti-américaine sera dix fois plus importante que celle contre la France coloniale. Notre triomphe ne sera que mille fois plus glorieux.
L'objectif était connu d'avance.
L'arc de triomphe avait déjà été érigé dans les esprits et dans les rêves éveillés de quelques-uns avant que tout ait commencé.
Hélas l'histoire est une partie de dés. La guerre sacrée qui mène un peuple est une pièce de théâtre secrètement conçue dans la tête d'un mégalomane. Des millions de gens sont volontairement tombés car ils avaient cru leurs sacrifices nécessaires à l'avenir de leur patrie, à l'honneur de leur peuple. En vérité, ce sont des moutons que l'on pousse vers un immense abattoir afin de glorifier l'idéologie de quelques cadavres déjà enfouis sous terre. pages 159, 160
"Ne tire pas sur les lianes, tu risques d'ébranler la forêt". page 303
Les paysans exposés au soleil toute l'année voyaient dans une peau claire le summum de la beauté.La peau de Ngan était d'une blancheur magnifique et, elle avait en plus, un léger reflet rose qui lui donnait un air juvénile. page 388
"Chacun vit sa vie, on ne peut comparer.
- C'est vrai. L'embêtant, c'est qu'il n'existe qu'un seul système de valeurs, imposé par les lois et par le pouvoir. Comme si on posait un lit standard en demandant à tout le monde de s'y coucher
et de se débrouiller pour se mettre à sa mesure. page 490
De tout temps, la lutte pour le pouvoir a été acharnée, dépouillant chaque combattant de ses belles qualités humaines pour ne lui laisser que la jalousie scélérate, la ruse abjecte et la vile méchanceté. Il (Vu, un homme proche du pouvoir) n'a jamais voulu admettre que toute cette société est devenue immorale et crapuleuse. Il avait pourtant placé en elle tant d'espérance. D'autres avaient misé sur elle toute leur vie. page 499
(dialogue fictif entre Man (Mao) et Ho Chi Minh)Man : Ce qui vous affaiblit, c'est votre sempiternelle hésitation entre l'Orient et l'Occident. D'abord, vous avez cédé à l'illusion de la démocratie, cette nourriture des diables blancs. Vous avez été le bon disciple de l'Occident, alors que vos sbires sont des indigènes. Quand ils vous ont soupçonné d'être profrançais, ils vous ont donc ligoté comme un cochon qu'on s'apprête à égorger, avec pour instrument le vote majoritaire. Vous qui avez appliqué et enseigné le sacrifice à la justice et à l'intérêt collectif, vous ne pouvez plus vous opposer à vos hommes qui le brandissent. Vous avez oublié que les Asiatiques mangent avec des baguettes et que les rôles de maître et de serviteur sont bien cadrés dans nos sociétés. Entre eux, pas d'égalité, ni de confiance, mais seulement la notion d'utilité. Par le terme de camarade, nous nous imposons au bas peuple, comme un sorcier utiliserait la magie pour diriger les troupes de l'enfer. Ce n'est qu'une écorce, une ombre. Et vous, vous l'avez confondue avec le coeur du fruit. C'est là votre erreur fatale. page 514
(Le Président en conversation avec son chauffeur : il voit dans la rue les filles d'attente) . Ce qu'il avait vu démentait ce que, dans son optimisme, il avait imaginé. La réalité, c'étaient des files d'attente où hommes et femmes se bousculaient tels des moutons dans un enclos. Sur les visages exténués, se lisaient la sous-alimentation, l'humiliation, la pression de la peur, du malheur et de la haine. Des visages de futurs malades attendant d'entrer en hôpital psychiatrique. page 557
Lors de la réunion du Bureau Politique le lendemain ( de la scène des files de gens affamés), il avait demandé à revoir la politique économique afin de redresser la situation. Il avait insisté sur le mot : bonheur. Aucune libération n'a de sens si elle n'apporte pas plus de bonheur à l'homme. Une révolution n'est qu'une folle et cruelle aventure si elle n'offre pas plus de liberté et une vie plus digne. De même pour l'indépendance. L'indépendance d'un peuple n' a aucune valeur si elle ne satisfait pas les besoins élémentaires. Personne n'avait objecté. Personne non plus ne l'avait écouté...Les généraux se distribuaient les richesses du palais. Le pouvoir de chacun se mesurait désormais au luxe de sa résidence, aux privilèges de ses acolytes ou de sa famille. Plus grand monde se souciait de la collectivité, car les intérêts particuliers ont toujours été prépondérants chez les hommes. Les soucis du Président étaient devenus futiles et sans intérêt. Toute la machine gouvernementale était à leur propre service, un service illimité, tandis que pour se nourrir, le peuple devait se serrer la ceinture dans les files d'attente, comme des moutons devant une parcelle herbeuse. pages 560, 561

mercredi, décembre 15, 2010

L'ANNEE DE LA VICTOIRE (Mario Rigoni Stern)

L'Italie du Nord , au lendemain de la 1è guerre mondiale, la population des villages a fui devant les Autrichiens en 1914. En novembre 1918, elle revient , tout n'est que champs de ruines, en combré d'obus, de cendres, de cadavres. Le retour à la vie sera longue et difficile. C'est un livre sur le courage de vivre, l'absurdité de la guerre...
On perçoit la montée du fascisme et l'impact de la révolution russe de 1917.

samedi, décembre 11, 2010

QUI A TUE PALOMINO MOLERO? ( Mario Vargas Llosa)

Roman qui se lit comme un polar social, humain, plein d'humour. Il décrit les moeurs péruviennes et les décalages sociaux du pays.

vendredi, décembre 03, 2010

LES SENTINELLES DES BLES (Chi Li)

C'est bien plus tard que les souvenirs d'enfance s'infiltrent au coeur de votre existence, et c'est seulement alors que vous comprenez ce qui a donné à votre vie son assise et ses frontières. Et certains soirs, les cloches que vous avez entendues dans votre jeunesse, résonnent longuement à vos oreilles. page 78
Jadis, nous faisions attention aux moindres détails de la vie quotidienne, nous étions économes, travailleurs, il ne fallait rien négliger, chaque tâche devait être accomplie avec soin. Dans cette existence soigneusement réglée, le temps s'écoulait lentement de sorte que nous n'en avions rien oublié. Quand nous passons la main sur cette vie, il nous semble l'entendre craquer sous nos doigts. Alors qu'aujourd'hui, la vie est devenue tellement banale, qu'on ne se souvient même plus de ce qu'on a fait la veille. page 126

lundi, novembre 29, 2010

LE JOUR AVANT LE BONHEUR (Erri De Luca)

J'aimais l'école. Le maître parlait aux enfants. Je venais de mon réduit où personne ne me parlait, et là, il y avait quelqu'un à écouter. J'apprenais tout ce qu'il disait. C'était si beau de voir un homme expliquer aux enfants les nombres, les années de l'histoire, les lieux de la géographie. Grâce à une carte en couleurs du monde, sans jamais avoir quitté la ville, on pouvait connaître l'Afrique qui était verte, le pôle Sud blanc, l'Australie jaune et les mers bleues. Les continents et les îles étaient du genre féminin,les océanc et les montagnes étaient masculins.
A l'école, il y avait les pauvres et les autres. A onze heures, ceux de la pauvreté comme moi recevaient du pain avec de la confiture de coing que leur donnait le surveillant. Avec lui, rentrait une odeur de four qui fondait dans la bouche. Les autres n'avaient rien, seulement leur goûter apporté de chez eux. Il existait une autre différence, on rasait la tête à ceux de la pauvreté au printemps à cause des poux, les autres gardaient leurs cheveux.
On écrivait avec une plume et de l'encre versée dans un trou de notre pupître Ecrire était un peinture, on trempait sa plume, on faisait tomber les gouttes jusqu'à ce qu'il n'en reste qu'une , avec laquelle on arrivait à écrire la motié d'un mot. Puis, on la trempait à nouveau. Nous de la pauvreté, nous séchions notre feuille à la chaleur de notre respiration. Sous notre souffle, le bleu de l'encre tremblait en changeant de couleur. Les autres l'essuyaient avec un buvard. Le vent que nous faisions sur la feuille à plat était plus beau. Les autres écrasaient les mots sous leur petit carton blanc. Page 13
Il est impossible de parler avec les pensées des autres, elles sont sourdes. Page 20
Un enfant qui grandit sans une caresse endurcit sa peau, il ne sent rien, même pas les coups de bâton. Il lui reste ses oreilles pour apprendre le monde. page 27
Les livres gardent l'empreinte plus que les vêtements et les chaussures. Les héritiers s'en défont par exorcisme, pour se libérer du fantôme. Le prétexte est qu'on a besoin de place, qu'on étouffe sous les livres. Mais que mettent-ils alors contre les murs où se desssinent leurs contours? page 40
Je t'ai attendue jusqu'à oublier quoi. Une attente est restée dans mes réveils. J'ouvre la porte non pas pour sortir mais pour le faire rentrer.
J'appuie ma tempe sur la sienne..
"Anna , il s'est écoulé une éternité. c'est fini. Maintenant, commence le temps, qui dure des moments.page 65
J'étudiais comme d'habitude. Le latin m'amusait, cette langue inventée par un auteur d'énigmes. Le traduire était chercher la solution. Je n'aimais pas l'accusatif, il avait un vilain nom. Beau le datif, théâtral le vocatif, essentiel l'ablatif. L'italien qui renonçait aux cas était paresseux. En histoire, les trois guerres d'indépendance m'ennuyaient, alors que la résistance du Sud , classée sous le nom de brigandage , m'intéressait. Les vainqueurs ont toujours besoin de dénigrer les vaincus. Le Sud était resté attaché à ses vaincus. page 72
Le voyage devait servir à oublier le point de départ. Il durait preque un mois et à la fin, débarquaient des hommes prêts, le nez en l'air .(la traversée en bateau pour aller en Argentine) page 75
"Avec ton sang, tu peux faire ce que tu veux, avec le sang d'un autre, non". page 87
Le soleil tapait contre les vitres du dernier étage et faisait gicler des ricochets jusqu'à terre. Les vitres de Naples se passaient le soleil entre elles. Celles qui en avaient plus, le renvoyaient vers le bas. à celles qui en avaient moins. Elles étaient complices. Les maîtres verriers les montaient exprès un peu de travers, pour multiplier les surfaces réfléchissantes. En bas, dans la loge, arrivait un carambolage de lumière qui faisait dix rebonds avant de finir dans le trou où j'étais...Le soleil aime ceux qui vivent en bas, là où il n'arrive pas. Plus que tout, il aime les aveugles et leur fait une caresse spéciale sur les yeux. Page 111
La première chose que fait un pauvre avec de l'argent, c'est de s'acheter un vêtement. Il met un beau tissu sur lui et croit être une autre personne. Mais l'argent ne peut pas faire ça, te faire croire. page 114
Ses récits(de Don Gaetano) devenaient mes souvenirs. Je reconnaissais d'où je venais. Je n'étais pas le fils d'un immeuble mais d'une ville. je n'étais pas un orphelin de père et de mère mais le memebre d'un peuple. page 128
L'instruction nous donnait de l'importance, à nous les pauvres. Les riches s'instruiraient de toute façon. L'école donnait du poids à ceux qui n'en avaient pas, elle rendait égaux. Ellle n'abolissait pas la misère mais entre ses murs, elle permettait l'égalité. La différence commençait dehors. page 130
Je descendis vers la plage aux côtés de Don Gaetano. La journée était une étreinte de nature autour de la ville. Nous marchions, je ne posais pas de questions. Le soleil était un buvard, il séchait le sang, la peinture des bateaux, la misère de ceux qui étaient descendus des ruelles froides pour profiter de sa chaleur. page 134
(le personnage principal part pour l'Argentine) Je vis le golfe allumer ses lumières du Pausilippe jusqu'à Sorrente. C'étaient autant de mouchoirs blancs, il saluaient les yeux ouverts de ceux qui partaient. Ceux près de moi étaient trempés de larmes. Ceux près de moi ne sont pas de première classe, ils n'ont pas de billet de retour. page 138

samedi, novembre 27, 2010

LE VAMPIRE DU MILIEU ( P. Cohen, L. Richard)

La Chine est responsable de la disparition de deux emplois industriels sur cinq en France depuis trente ans. page 10
Le seuil de pauvreté à la chinoise est quatre fois inférieur à celui des Nations Unies qui est une référence mondiale et prend évidemment en compte les différences de niveau entre pays riches et pays pauvres. page 35
Ce n'est pas parce que l'Etat chinois dirige l'économie que celle-ci n'évolue pas. Ainsi la Chine a moins besoin des pays développés. Elle ouvre l'accès à son marché quand elle a besoin d'investissements étrangers qui génèrent des transferts de technologies, et le renferme une fois ces technologies acquises. Par exemple, la Chine a annoncé en 2009 qu'elle construirait seule...42 lignes de TGV...La France a été remerciée. Désormais, ce chantier sera fermé aux étrangers. page39
La dictature est souvent le maillon faible sur lequel s'appuie la diplomatie chinoise pour pénétrer une région. page 49
L'Empire du Milieu siphonne leurs ressources (des pays africains), en échange d'une véritable invasion commerciale de produits low cost qui maintiennnent leurs pays dans un statut de pays rentier, le chemin le plus sûr vers la faillite économique. page 64
La diplomatie chinoise est ...devenue très largement économique, et cette évolution n'est pas seulement la conséquence logique de l'adhésion du pays à l'OMC. L'insertion de la Chine dans le marché mondial ne l'a guère conduite à adopter les règles formelles qui y préside, mais plutôt à en exploiter les failles et les interdictions à son profit. Avec l'arrivée des multinationales chinoises sur les marchés mondiaux, les dirigeants occidentaux vont pouvoir le vérifier. page 87
Les fonds souverains chinois multiplient aujourd'hui les acquisitions d'entreprises.
page 90
La présence chinoise est dominante en Afrique, conquérante en Amérique latine et encore embryonnaire en Europe. Mais c'est en Asie que la nouvelle puissance chinoise est la plus spectaculaire. Et là, le terme d'agression économique n'est pas exagéré. page 101
Persuadés de devenir bientôt la première puissance mondiale mais qu'il ne faut pas le clamer, les dirigeants chinois entendent étendre leur hégémonie sur tous leurs voisins asiatiques, excepté le Japon, en silence, loin du fracas. Par le commerce et non par les armes. page 115
En juin 2009, 6 millions de diplômés de l'enseignement supérieur sont arrivés sur le marché de l'emploi en Chine., alors que 1,5 million de diplômés de l'année 2008 étaient toujours en recherche d'emploi...Pour les étudiants qui ont échoué aux tests d'entrée dans les universités chinoises, les études à l'étranger offrent une seconde chance, même si ces études , très coûteuses, sont une charge financière considérable pour leur famille. Ces étudiants candidats à l'émigration sont une belle aubaine - et un marché juteux- pour les agences intermédiaires qui aident à l'inscription dans les universités étrangères. Aves 35 000 étudiants accueillis en France en 2009, la France se situe au cinquième rang mondial des pays d'accueil des étudiants chinois. page 130
La chine "instrumentalise" désormais le rayonnement économique ou parfois politique à l'étranger de la diaspora, au profit de son propre retour sur la scène internationale. Elle s'attache les Chinois en suscitant chez eux un sentiment de fierté. La contribution des diasporas au développement de leur région d'origine est valorisée , et l'aura internationale retrouvée de la Chine rejaillit sur elles. page 154
La Chine ne se contente pas d'attendre passivement que la diaspora lui fournisse ce dont elle a besoin. Tout un travail d'accompagnement, d'encadrement, voire de surveillance est mené en direction des communautés chinoises de l'étranger. Page 163
La France est le pays d'Europe qui accueille le plus de ressortissants chinois, alors que la Chine est la première destination des délocalisations responsables de la suppression de centaines de milliers d'emplois industriels. page 177
L'émergence dela Chine, souhaitable pour le bien commun de l'humanité en tant que facteur de progrès , doit-elle forcémént s'effectuer au détriment des travailleurs des pays développés et aussi des millions de mingong, salariés de seconde zone qui permettent aux entreprises installées sur place d'être compétitives? page 180
La diffusion de la culture et surtout de la langue constitue le troisième levier du soft power chinois.page 196
Pour Pékin, l'un des intérêts majeurs de la diffusion de la langue est de dépolitiser la question chinoise tout en affirmant la puissance et l'influence nouvelles du pays...Dans l'offensive culturelle, la diffusion du chinois s'accompagne d'un retour à Confucius censé marquer une rupture sublimale, suggérée mais évidemment jamais avouée, avec l'ère maoïste et les excès de la révolution culturelle...Le lancement du programme des instituts Confucius traduit ce souci stratégique: dépolitiser la question chinoise tout en accroissant le rayonnement du pays dans le monde entier.page 197
Le transfert de technologies est ...une priorité de l'industrie chinoise, et les entreprises françaises sont obligées, les unes après les autres, de signer des contrats facilitant l'indépendance technologique des Chinois. Dans la foulée, ce sont les universités françaises et les laboratoires qui se voit proposer des accords de transfert de technologies. Or, le problème est que ce type de proposition n'a pas forcément de sens, ni d'intérêt pour la France. Car, à la différence de la coopération dans le monde des affaires, les universités et les laboratoires de recherche sont financés par de l'argent public. page 151
Le travail d'encadrement de la communauté chinoise est mené par l'ambassade de Chine à Paris. Le numéro trois de l'ambassade a pour mission de contrôler les organisations et associations chinoises françaises. page 261
Tous les Chinois connaissent le dang'an, ces "grandes archives" qui fichent la totalité des 1,3 milliard d'habitants du pays. Chaque dossier est constitué pendant la scolarité de l'intéressé, et le suit toute sa vie, sans qu'il y ait jamais d'accès. Y sont consignés ses résultats scolaires, sa carrière professionnelle, mais aussi sa religion ou ses opinions politiques. "Une ligne dans le dang'an et ta vie est foutue," disait autrefois la rumeur. page 270

jeudi, novembre 18, 2010

LES MATINS DE JENINE ( Susan Abulhawa)

En mai 1948, les Britanniques partirent. Les réfugiés juifs qui déferlaient sur la Palestine, proclamèrent l'état juif et changèrent le nom du pays pour l'appeler Israël. Ein Hod, toutefois, était proche de trois villages qui formaient un triangle non conquis à l'intérieur du nouvel Etat, si bien que ses habitants ne connurent le même sort que les quelque vingt mille Palestiniens qui s'accrochaient toujours à leur maison. Ils repoussèrent les assauts et appelèrent à la trêve. Tout ce qu'ils voulaient , c'était continuer à vivre sur leurs terres comme ils l'avaient toujours fait. Car ils avaient supporté de nombreux maîtres -Romains, Byzantins, califes, croisés, Mamalouks, Ottomans, Britanniques - et le nationalisme n'avait pas lieu d'être. L'attachement à Dieu, à la terre , à la famille était enraciné en eux , et c'était ce qu'ils défendaient et cherchaient à conserver. page 54
Huit siècles après sa fondation par un général de l'armée de Saladin, en 1189, Ein Hod fut donc vidé de ses habitants palestiniens. Yahya a essayé de calculer le nombre de générations qui avaient vécu et étaient mortes dans ce village qu'il estima à quarante....
Dans le chagrin intolérable d'une histoire enterrée vivante, l'année 1948 sortit du calendrier pour entrer en exil, cessa de décompter les jours, les mois et les années, se fondit dans une brume infinie d'un moment de l 'histoire, en attendant que la justice répare ce tort et permette à 1948 de réintégrer la liste des années et des nations. page 63
Papa me dit : "On peut te prendre ta terre et tout ce qui se trouve dessus, mais pas tes connaissances,ni les diplômes que tu as obtenus." J'avais alors six ans, et mes bonnes notes continuèrent la monnaie d'échange avec laquelle je quêtais son approbation, plus que jamais désirable à mes yeux. Je devins la meilleure élève de Jénine , et j'appris par coeur les poèmes que mon père adorait. page 95
Moshe (un Juif) avait voulu que David apprenne ce qui s'était passé bien des années plus tôt. Le cadeau qu'il avait fait à Jolanta (son épouse) en 1948 était devenu un secret trop lourd à porter. Pour lui, cette vérité n'était pas un papillon, mais un démon. Un démon au beau visage, celui de l'Arabe qui lui avait servi de l'agneau. Une femme dont les deux fils, l'un contre sa poitrine et l'autre dans ses jambes, se mouvaient en elle. Et qui dans la tête de Moshe, appelait encore et toujours :'Ibni, Ibni!". (Moashe a kinnappé un de ses petits Arabes et lui a donné le nom de David).Moshe avait voulu la plénitude. Un pays, une épouse, une famille. Il s'était battu pour les Juifs. Mais, derrière lui, il y avait maintenant les odieuses expulsions, les tueries, les viols. Moshe ne pouvait pas affronter ces visages, ces voix. Le repos avait presque déserté sa vie. Le seul réconfort que son coeur trouvait était arraché à la boisson. Tous les jours, il tournait donc au coin de la rue pour entrer dans son refuge:" Ben, la même chose que d'habitude avec des glaçons". Puis, après avoir réduit ses démons et sa propre voix au silence, il retournait chez lui. Page 149
A l'époque, la plus grande partie de la Cisjordanie se drapait encore d'un vert divin, parure majestueuse qui ployait avec humilité au vent, se dépoullait pendant les froids et renaissait au soleil. Mais le paysage changea. Peu à peu, maison par maison, ferme par ferme, village par village. On démolit, confisqua, rasa - incessante appropriation de la terre palestinienne.. Amal appelait cela "l'impérialisme centimètre par centimètre". page 174
Pour moi, ( le personnage principal , Amal est venue aux USA), une chose était sûre, les habitants de West Philly me trouvaient belle, et non différente, et mon accent n'éveillait pas la méfiance. Ce qui me rendait suspecte dans le monde des Blancs, c'était un sésame dans les quartiers noirs. page 266
Amy. L'Amal réfugiée permanente, à la jeunesse tragique, était devenue Amy au pays des privilèges et de l'abondance. Un pays qui flottait à la surface de la vie, indolent sous des cieux cléments. Mais j'avais beau me cacher derrière un nouveau personnage, j'appartenais à jamais à cette nation palestinienne d'exilés privés de foyers, d'hommes, d'honneurs. C'étaient mon arabité et mon cri primal palestinien qui m'enracinaient dans le monde. page 268

jeudi, novembre 11, 2010

TERRES NOIRES, TERRRES BLANCHES Andrew McGahan)

"Laissez-moi vous parler de la terra nullius. Une partie de cette théorie affirme que les Aborigènes ne travaillaient pas la terre, qu'ils se contentaient de la laisser comme ils la trouvaient, et qu'ils n'avaient donc aucun droit de propriété. Mais ce n'est pas tout à fait vrai. Ils faisaient de leur mieux, avec des moyens très limités. L'Australie n'était pas un paradis. Elle ne possédait aucune plante propre à l'exploitation intensive, pas de blé, d'orge, de coton, ou quoi que ce soit d'autre.. Elle ne possédait pas non plus d'animaux propres à la domestication, pas de moutons, pas de vaches. C'est seulement une fois que les Européens ont apporté ces plantes et ces animaux qu'il a été possible de créer des exploitations comme nous en avons aujourd'hui, avec des champs, des barrières. Avant ça, les Aborigènes cultivaient ou élevaient de la seule façon rentable....Ensuite, la Haute Cour a ouvert la voie avec l'affaire Mabo. Elle reconnaissait enfin que le concept de la terra nullius avait toujours été un mensonge et aujourd'hui, le gouvernement répond à une réalité historique en proposant une loi sur les droits fonciers des Aborignènes: le Native Title. La terre de ce pays appartenait aux Aborigènes et nous la leur avons volée sans leur donner aucune compensation. Ce n'est pas juste. Pendant un siècle et demi, les Aborigènes ont été parqués dans des missions, dans le désert ou dans des ghettos urbains, et nous les avons oubliés. ça aussi, c'est injuste. Ces gens n'ont eu aucun accès à l'éducation, aux soins et à l'emploi; beaucoup d'entre eux n'avaient le droit de vote avant les années 1960. Tout cela est injuste, et les conséquences auront des répercussions sur plusieurs générations, mais le Native Title a le mérite d'être la première étape visant à redresser nos torts..." page 190
Les Aborigènes dessinaient des cercles au fin fond de la brousse, aux endroits qui avaient pour eux une signification particulière. Des endroits puissants. Ces lieux étaient sacrés. page 195

mardi, octobre 19, 2010

KATIBA (J. C. Rufin)

...(Les islamistes) Ils avaient tous connu une première vie. Ils avaient militaires, enseignants, médecins. A 'époque, ils se rasaient chaque matin, enfilaient des costumes à l'européenne, nouaient de cravates. Désormais, la tenue islamique les réunissait page 24
Il est très difficile de trouver un geste pour quitter quelqu'un qu'on ne reverra jamais.page 196
La conversation s'ouvrit par plusieurs heures de généralités. Le vieillard avait une longue familiarité avec le temps, le temps du désert, dilaté à l'extrême, rythmé par des phénomèmes lents, qu'ils soient miniscules comme le pas des bêtes, ou gigantesques comme le basculement des saisons. Rien ne servait de le bousculer. On ne fait pas pousser une plante en tirant sur les feuilles. Béchir respectait les formes, attendant qu'il en vienne au fait. page 236
Des idéologues, il y en a finalement assez peu dans les groupes terroristes. Ce sont ceux qui agissent comme des gourous, qui guident les autres. Les chefs ou les prophètes, en somme. Mais le gros des troupes, comme dans les sectes d'ailleurs, ce sont des gens dont le moteur est beaucoup plus simple. Leur motivation est la revanche. Ce sont souvent des personnalités humiliées, soumises, niées, qui, en embrassant une cause violente, se trouvent tout à coup en position de laver toutes les offenses qu'ils ont subies. page 258.

mercredi, octobre 13, 2010

CHER AMOUR ( Bernard Giraudeau)

Voyager, on n'en revient jamais....Je ne vous écris pas ces voyages par nostalgie de l'exotisme, d'un ailleurs rédempteur, mais pour retenir des instants, des visages, des circomstances humaines et géographiques parce que là où le soleil se lève, les hommes ont le même souci de vivre, de comprendre, de sourire à l'autre, d'effacer la souffrance et de donner un sens à leur existence. Les voir, les observer, les entendre est une richesse inouïe que nul ne conteste....Le voyage est une aube qui ne finit pas. pages 9, 10
La joie brésilienne, c'est la désespérance et la lumière , la vie. page 39
La Transamazonienne est un rêve déchiré par les hommes. C'est une rature au milieu de la page. page 43
Pessoa écrit que vouloir donner un sens au monde qu'on observe, c'est tenter de se suicider en regardant une fleur. page 52
S'il est une loi des hommes qui assomme l'humanité, c'est bien la bétise. page 88
La faucille est une lune avec une virgule pour rassembler les tiges. page 137
Comment apprendre pour parvenir à soi-même, faire le tri, nettoyer les broussailles, retrouvé le chemin dégagé? page 162
Dans L'Africain, Le Clézio dit qu'il n'a jamais vu dans le regard de son père la lumière changer sur le visage de la femme qu'il aime. Je pense que c'est cela l'amour, regarder la lumière changer sur le visage de l'autre. page 180

lundi, septembre 06, 2010

SENS DESSUS DESSOUS (Edouardo Galeano)

Jour après jour, on refuse aux enfants le droit d'être des enfants. Le monde traite les enfants riches comme s'ils étaient de l'argent, pour qu'ils s'habituent à agir comme l'argent agit. Le monde traite les enfants pauvres comme s'ils étaient des ordures pour qu'ils se transforment en ordures. Et ceux du milieu, les enfants qui ne sont ni riches, ni pauvres, il les tient accrochés au pied du téléviseur, pour que, très tôt, ils acceptent la vie en cage comme destin. Les enfants qui parviennent à rester des enfants doivent avoir une bonne dose de magie et beaucoup de chance.
page 11
Pris aux pièges de la panique, les enfants de la classe moyenne, sont de plus en plus condamnés à l'humiliation de la réclusion à perpétuité. Dans la ville du futur, que la cité du présent est en passe de devenir, les télé-enfants, surveillés par des nounous électroniques, contempleront la rue depuis une fenêtre de leur télé-maison: la rue interdite par la violence ou par la peur de la violence, la rue où arrive le toujours dangereux, parfois prodigieux, spectacle de la vie. page 20
Le meilleur de ce que le monde offre se trouve dans les multiples univers qu'il renferme, les différentes musiques de la vie, ses douleurs et ses couleurs: les mille et une manières de vivre et de dire, de croire et de créer, de manger, de travailler, de danser, de jouer, d'aimer, de souffrir et de fêter, que nous avons progressivement découvert au cours de milliers d'années. page 25
La télévision offre le service complet: non seulement elle apprend à confondre la qualité de la vie avec la quantité des biens, mais en plus, elle offre quotidiennement des cours audio-visuels de violence, complétés par les jeux vidéos. page 26
La liberté du commerce a été l'alibi utilisé par toute l'Europe pour s'enrichir en vendant de la chair humaine, dans le trafic d'esclaves. page 35
Les cultures d'origine non-européenne ne sont pas des cultures, mais des ignorances, à la rigueur utiles pour des races inférieures, attirer les touristes et ajouter une note pittoresque les jours de fête...Leurs fruits prodigieux peuvent être contemplés dans les arts les plus prestigieux tout comme dans ce que le mépris désigne comme artisanat, dans les cultures réduites à un folklore et dans les religions disqualifiées comme des superstitions. page 56
Le racisme et le machisme boivent aux mêmes fontaines et crachent des paroles semblables. page 66
"La justice est comme les serpents: elle mord seulement les va-nu-pieds" Monseigneur Romero, archevêque de San Salvador, assassiné en 1980
Les journaux , les radios et la télévision du Brésil définissnt fréquemment les délinquants avec un vocabulaire issu de la médecine et de zoologie: virus, cancer, infection sociale, animaux sauvages, vermine, insectes, bêtes féroces et aussi petites bêtes féroces quand il s'agit d'enfants. Ceux auquels il est fait allusion sont toujours pauvres. Quand ils ne le sont pas, la nouvelle mérite la première page: " le jeune qui est mort en volant était de classe moyenne" titra le journal Folha de Sao Paulo dans son édition du 25 octobre 1995. page 77
La doctrine de la sécurité nationale est détrônée par l'hystérie de la sécurité publique. page 78
Ce qu'on appelle délinquance commune est à présent une obsession universelle. Le délit s'est démocratisé, et se retrouve à la portée de n'importe qui: beaucoup l'exercent, tous la subissent. page 79
Vers 1252, le Pape Innocent IV autorisa le supplice contre ceux qui étaient suspectés d'hérésie. L'Inquisition développa la production de douleur que la technologie du XXè siècle a élevé aux niveaux de la production industrielle. Amnisty International a fourni des informations sur la pratique systématique de tortures par chocs électriques dans cinquante pays. Au XIIIè siècle, le pouvoir en parlait clairement; à présent, la torture se pratique mais on n'en parle pas. Le pouvoir évite les paroles déplacées. page 89.
Le système de pouvoir qui fabrique la pauvreté est aussi celui qui déclare la guerre sans quartier aux désespérés qu'il génère. Il y a un siècle, Georges Vacher de Lapouge exigeait plus de guillotine pour purifier la race. Ce penseur français qui croyait que tous les génies étaient Allemands, était convaincu que seule la guillotine pouvait corriger les erreurs de la sélection naturelle et retenir l'alarmante prolifération des incapables et des criminels. "Un bon bandit est un bandit mort." affirment aujourd'hui ceux qui exigent une thérapie sociale de main de fer. La société a le droit de tuer pour la légitime défense de la santé publique.
page 9o-91
Les enfants abandonnés dans les rues de Bogota, qu'on appelait avant des gamins, s'appellent maintenant des enfants jetables et sont marqués pour mourir. page 96
De bonnes nouvelles pour l'économie militaire, cela revient à dire de bonnes nouvelles pour l'économie. L'industrie des armes, vente de mort, exportation de violence, travaille et prospère. Le monde entier offre de solides marchés en expansion, pendant que la culture de l'injustice universelle continue à donner de bonnes récoltes et qu'augmentent la délinquance et la consommation de drogues, l'agitation sociale et la haine nationale, régionale, locale et personnelle. page 113.
La paix mondiale est entre les mains des cinq puissances qui profitent le plus du commerce de la guerre. page 118.
Mise à part une excursion éclair de Pancho Villa au temps de la révolution mexicaine, aucun ennemi n'a traversé leurs frontières(des USA). Par contre, les Etats-Unis ont toujours eu la désagréable habitude d'envahir les autres. page 122.
Les exportations latino-américaines n'atteignent pas cinq pour cent des exportations mondiales, et les africaines totalisent deux pour cent. Ce que le Sud achète coûte toujours plus cher, et ce qu'il vend, de moins en moins. page 153
On privatise les bénéfices, on socialise les pertes. page 154
Etre, c'est être utile, pour être, il faut être vendable. Le temps qui ne se traduit pas en argent, le temps libre, le temps vécu pour le plaisir de vivre et non le devoir de produire, génère de la peur. page 167
Les meilleures conditions pour les entreprises sont les pires conditions pour le niveau des salaires, la sécurité du travail et la santé de la terre et des gens. Partout dans le monde, les droits des travailleurs sont nivelés par le bas, pendant que la main-d'oeuvre disponible se multiplie comme jamais. page 172

42è PARALLELE (John Dos Passos)

Fresque du début du xxè siècle aux USA. Chaque partie décrit un personnage d'une classe sociale, l'auteur y ajoute des actualités. Le premier personnage est un jeune homme qui veut la révolution à l'image de la Russie. Portaits divers des personnes qui partagent son rêve, poursuites effrénées de la police etc.... Le second personnage est une jeune femme de classe aisée: elle réalise ce qu'est la ségrégation raciale dès son jeune âge, le rôle des femmes de milieu aisé cantonné à être épouse et mère, la pression sociale sur la façon de s'habiller, de se détendre etc...le troisième est un idéaliste, il veut écrire et ne parvient pas à concrétiser ses désirs.
(Le personnage principal sort de prison)
"Où étaient ces gros hommes, grands buveurs de whisky et grands camarades, grands diseurs d'histoires contées tout au long, dans les bars des petites villes du Middle West, hommes tranquilles, qui ne désiraient qu'une maison avec un porche pour y flâner, une grosse épouse pour faire la cuisine, quelques coups à boire, des cigares, un jardin à cultiver, des copains avec qui bavarder,
qui désiraient travailler pour gagner cela
et que d'autres aussi travaillent pour le gagner?
Où étaient les chauffeur et les mécaniciens quand on l'emmena au pénitencier d'Atlanta?
Et on le ramena pour finir ses jours à Haute-Terre. page 43
(La mère de Janey lui parleaprès que cette dernière ait joué avec une petite fille noire, dans le jardin familial)
"Maintenant, entends-moi bien., j'aime bien et je respecte les Nègres, certains d'entre eux sont des gens très bien et très respectables quand ils sont à leur place...Mais il ne faut pas que tu invites cette petite négresse. Traiter les gens de couleur avec amabilité et courtoisie est la marque d'une bonne éducation...Mais n'oublie pas que du côté de ta mère, tu viens d'une famille distinguée jusqu'au bout des ongles...Georgetown était une ville bien différente à cette époque-là. Nous habitions une grande maison avec des pelouses délicieuses...mais tu ne dois jamais fréquenter des Nègres sur un pied d'égalité...
Janey essaya de parler mais ne le put pas. page 167

jeudi, août 19, 2010

LE DERNIER ROI D'ANGKOR (Jean-Luc Coatalem)

Il (l'enfant cambodgien qui vient dans la famille au we) détenait cet avantage sur notre monde construit et figé : il avait compris que tout était friable, fragile, que la vie construite, même attrapée et façonnée par cent bras, même retenue dans une maison aux parquets-miroirs, protégée par des comptes bancaires et des assurances, fichait le camp à chaque seconde. Rien ne tenait face au gouffre, rien ne tenait jamais , à l'exemple de cette terre indochinoise qui fuyait sous les ruades de l'eau, les caprices de la mousson, le tonnerre à vous crever les tympans, la tyrannie des lianes. Bouk en avait accepté déjà la leçon terrible, son poids: la liberté. Il avait cette avance sur les autres, sachant qu'un tourbillon aspirait au-dedans de nous. page 108
"Ce que tu trouves t'apprend ce que tu cherches" page 278
-Rien n'est plus beau que ce qu'on invente, au fond.
-Il aura été cet aîné, un frère fantastique, que je n'avais pas et qui me manquait." page 282

vendredi, août 06, 2010

L'ATLANTIQUE EST MON DESERT (J.F. Deniau)

Qu'est-ce que des souvenirs, sinon une sorte d'air intérieur qui chante dans la tête et le coeur. page 97
J'ai lu un livre expliquant que lâcher la bombe atomique sur Hiroshima était tout à fait inutile du point de vue militaire et qu'il s'agissait d'une décision politique pour justifier devant le Congrès américain les énormes dépenses engagées dans la recherche atomique depuis des années...On peut ajouter la propension des hommes de sciences a vouloir "tester en vraie grandeur", et plus ils sont savants, plus ils aiment. On peut ajouter la volonté de marquer durablement la supériorité américaine en ce monde par une écrasante démonstration technique...Ne savoir qu'un élément de la décision n'est pas savoir. page 133
"J'ai dit que le pouvoir c'était savoir. Mais savoir n'est rien sans oser, et décider est toujours un risque. Un véritable homme d'Etat est celui qui sait oser. Et cela commence le plus souvent par, seul, dire non. A la défaite, à la mode, à la pensée dominante. Au désespoir. A la peur de soi-même. Il y a beaucoup de façons de refuser la vérité. Qui analysera un jour la crainte de savoir? page 136
...Le pouvoir, c'est d'abord se répartir le pouvoir. page 137
Je suis né dans mon enfance, c'est mon pays. Qui le délivre le passeport pour voyager dans sa jeunesse?...Je n'ai jamais dû être tout à fait adulte. ...Je n'ai pas cessé de me battre, autrement. On ne réussit pas autrement. On se retrouve ailleurs. page 149
La mer, la nuit, la solitude sont un autre monde, une nouvelle Amérique, à découvrir chaque soir sans pouvoir l'atteindre et sans jamais jeter l'ancre. page 152
Quitter , disparaître, c'est le départ ou l'arrivée? page 155
L'absence de morale sur le plan international est grave...Où est l'esprit aujourd'hui dans les interventions , et encore pire, dans les non-interventions des Nations Unies? Cela m'est égal que des intellectuels aient pu chercher à améliorer leur image ou faire parler d'eux. L'important c'est que leur tribunal intérieur leur ait dit qu'ils ne pouvaient admettre n'importe quoi. No can do, apprenaient les enfants dans les nurseries anglaises. Cela ne se fait pas. Il ne s'agit plus de la façon de tenir sa fourchette à table ou de boire son porto. Il s'agit du respect des autres, de la dignité de chacun, du refus de la dictature comme de la dérision érigée en système. No can do. Il s'agit de la fraude, et puisque tout le monde le fait, pourquoi pas moi? No can do. page 157
On peut rêver du passé aussi bien que de l'avenir. Pour découvrir les continents, les marins anciens plaçaient une chimère à la proue de leur caravelle. L'important est d'avoir une chimère... Vivre, c'est survivre. page 161

mardi, août 03, 2010

UN JOUR AVANT PAQUES (Zoya Pirzad)

Une famille arménienne à Ispahan. Bien des subtilités et contastes d'un cosmopolitisme au coeur de l'Iran.

LE PRINCE ET LE MOINE (Robert Hasz)

Le Prince et le Moine est l'apogée du peuple magyar. L'histoire sed éroule au coeur de l'Europe centrale au Xè siècle. Légendes, batailles, trahisons parcourent le roman.

Comment Jésus est devenu Dieu (Frédéric Lenoir)

Très intéressant. Belle fresque historique très fouillée.

lundi, juin 07, 2010

SAUVER ISPAHAN (J. C. Rufin)

En Abyssinie, comme en Iran, le désir de rejoindre une religion universelle se trouble du refus de perdre la singularité de ses dieux propres. De là, vient sans doute, que ces pays de solitude sont aussi des pays d'hérésie. Les Persans sont musulmans mais chiites, comme les Abyssins sont chrétiens mais coptes: c'est une façon de n'être ni tout à fait en dehors du monde, ni tout à fait au milieu de lui. Il faut avoir senti la familiarité de ces hauts-plateaux avec le ciel pour le comprendre. page 37



Il avait dû faire le détour par l'Abyssinie pour concevoir que la liberté ne se demande pas, mais qu'elle se prend. page 111

mercredi, mai 26, 2010

RITOURNELLE DE LA FAIM (Le Clézio)

Etre heureux, c'est n'avoir pas à se souvenir. Page 12
"Pour moi, c'est ici que ça se passe. Les souvenirs, ça me donne mal au coeur. Je veux changer de vie, je ne veux plus être une mendiante". Xénia, émigrée russe à Paris. page 46
Des gens mouraient, à Nankin, en Erythrée, en Espagne, les camps de réfugiés près de Perpignan débordaient de femmes et d'enfants qui n'attendaient que le mot du gouvernement qui les sortirait de ce cloaque et leur rendrait la liberté. Et , ici, rue du Cotentin, dans le salon baigné par le doux soleil printanier, le bruissement des langues tissait un nid protecteur, un havre, une amnésie tranquille et sans conséquence. page 69
"Il faut dire qu'avec lui (Hitler) le pays (l'Allemagne) a changé, j'ai un ami qui est allé dernièrement à Berlin, il dit que, depuis l'arrivée du chancelier, l'Allemagne est devenue propre et agréable, il y a des fleurs partout, même dans les fermes et les petits villages...
..."Une voie nouvelle! Vous y croyez, vous. Votre Hitler, excusez-moi, c'est un malin qui dit ce que les gens veulent entendre, mais il ne fera rien... pages 74, 75
Il fallait quitter l'enfance, devenir adulte. Commncer à vivre. Tout cela , pour quoi? Pour ne plus faire semblant, alors. Pour être quelqu'un, devenir quelqu'un. Pour s'endurcir, pour oublier. page 109

lundi, mars 29, 2010

PETIT MAO (Jacques Baudoin)

Savoir s'ils s'aimaient n'a pas de sens. Mon existence, si inconnue et insignifiante soit-elle n'est nullement la preuve que Mao Zedong aimait ma mère. Elle est le résultat d'un spasme dont j'ignore s'il fut commun ou non. Les révolutionnaires s'accouplent sans doute, comme tous les êtres humains - bien qu'ils le soient si peu parfois- mais dans l'obscurité, la furtivité...Dans leur monde, pas de longues étreintes mais la satisfaction violente et rapide d'un besoin physique. Convulsion nocturne. Sans que l'amour soit nécessaire; Tous les révolutionnaires vous le diront: il est préférable de s'en dispenser car la passion amoureuse détourne de la Cause. Les chefs du Parti ont longtemps considéré les femmes comme un mal utile ou un objet de divertissement. page 14
"Pourquoi l'ont-ils choisi, lui? (Mao comme président) demandai-je sans masquer ma fierté.
- Parce qu'il était un personnage important dans le Parti et qu'il avait l'appui d'un autre grand chef, un Russe appelé Staline." page 40

lundi, février 22, 2010

LA PHILOSOPHIE DE LAO ZHANG (Lao She)

C'est le premier roman de Lao She. Cette oeuvre se situe entre 1919 et 1923. Né en 1899, il fut persécuté puis sans doute "suicidé" par les Gardes rouges en 1966...
Les vieux pasteurs (étrangers) se font parfois un plaisir d'inviter leurs disciples à venir bavarder chez eux. Au lieu de dire :" venez dîner", ils préfèrent la formule "venez prendre le thé". Inviter les gens à prendre le thé est une coutume qui fait partie de la civilisation occidentale. Ce n'est pas du tout la même chose. Cependant, pour les Chinois, être invité à prendre le thé chez un étranger est considéré comme une faveur et ils ne peuvent donc pas se formaliser de la différence. page 11
S'il fait du commerce (Lao Zhang), c'est pour gagner de l'argent. S'il est dans l'armée, c'est aussi pour gagner de l'argent et, enfin, s'il enseigne, c'est toujours pour gagner de l'argent! Alors, il peut être, à la fois, commerçant, militaire et enseignant, c'est la fortune! Voilà ce qu'on peut appeler sa trinité et voilà pourquoi on peut affirmer que sa philosophie a pour base l'argent et la trinité. page 11
La révolution la plus remarquable de la famille chinoise est le droit qu'ont maintenant les enfants de refuser la nourriture que leur présentent leurs aînés. Si on leur donne dix choses, ils n'en mangent que neuf et demie. C'est probablement dû à la présence étrangère. page 127
Seuls les barbares peuvent s'embrasser ainsi en plein jour et en pleine lumière. Les gens civilisés ne peuvent pas se comporter de cette façon. S'ils s'embrassent, c'est forcément dans la pénombre.page 129
Je sais que normalement, les femmes n'ont pas droit à la parole, mais moi, je t'autorise à me parler de tes affaires. page 137
Il lui fallut d'abord pleurer quelques instants avant de laisser parler son coeur comme si, chez les femmes, les larmes devaient nécessairement précéder la parole. page 157
Pour le respect des rites, la Chine n'a pas son égale." On ne pourra jamais reprocher à personne d'être trop poli." est une phrase qu'on entend souvent, même dans la bouche de Chinois occidentalisés qui ne connaissent pas leurs Classiques. page 185
Petit à petit, une évidence se fit jour en lui: le riche était "un type bien", le pauvre était "un bandit". C'était la richesse ou la pauvreté qui faisait de l'un "un type bien" , de l'autre "un bandit"....Son séjour en prison lui offrait l'occasion de réfléchir. Les riches étaient-ils automatiquement des "types bien" et les pauvres" des bandits?. Il devait revoir la question de fond en comble. Il lui vint une idée absurde: on ne devenait pas un "type bien" grâce à l'argent, mais plutôt en se donnant du mal pour autrui. page 192
La femme est une créature belle et inconsistante qui se peinturlure le visage pour séduire les hommes. Ce qu'on appelle l'amour est donc un autre mot pour désigner le besoin sexuel. page 204
Lao Zhang achetait une femme comme il aurait écheté un vêtement d'occasion. Il voulait ,que la marchandise soit bonne et le prix peu élévé. Si un vêtement n'allait pas, il pouvait toujours le revendre.page 206
Marier les enfants à quatorze ans pour pour que les filles puissent accoucher seize fois dans leur vie, vous trouvez que c'est trop et non conforme aux principes de l'eugénisme. ...Seize enfants, ce n'est pas trop! ça permet à l'espèce de se perpétuer! page 257
L'homme riche marche en regardant le sol, le poète marche en regardant le ciel. page 259

mardi, janvier 12, 2010

LES HAUTS PLATEAUX (Lieve Joris)

Un matin, je vis André, le boy de la paroisse de Minembwe, partir avec un poulet sous le bras...Il était content, il riait. Il allait voir sa femme et Jorojoro, le curé de la paroisse, lui avait offert un poulet qui valait trois dollars à Uvira -un demi dollar de plus qu'ici. page 9
Au début, le confort de la ville m'avait manqué, mais je commençais à apprécier les plaisirs inattendus que m'offrait cet environnement austère: un régime de bananes que le curé Jorojoro arrivait à dénicher, le lait frais que quelqu'un apportait dans un ngongoro - une boutelle en bois au capuchon tressé. J'ai fui mon propre village, il y a longtemps, mais rien ne me rend plus heureuse que de retrouver loin de chez moi, la simplicité de ma jeunesse. page26, page 27
Je lui parlai de Butembo, une localité dans le Nord-Est du pays, où les habitants avaient pris leur sort en mains et avaient même financé une université et un barrage. Mais sa question ( tu crois qu'un jour il y aura du développement ici?) était vraisemblablement réthorique et Butembo beaucoup trop loin, car il s'endormit pendant que je lui parlais. Les questions pratiques, ces prédicateurs préféraient manifestement les laisser à Dieu.page 75
Un enseignant assis à côté de moi sur le banc essaya d'encourager les élèves à me poser des questions. Le silence dura longtemps. Jusqu'à ce que quelqu'un lève le doigt et demande: " Quelle est votre profession?" Un autre voulut savoir si je gagnais beaucoup d'argent ainsi, et un troisième si j'étais venue sur les hauts-plateaux pour terminer mes études et si oui, quel était mon sujet? Etais-je mariée? Combien d'enfants avais-je? ...Puis le silence retomba jusqu'à ce qu'un doigt se lève tout au fond et que se présente l'habituel poseur de questions qui n'avait pas de question mais voulait faire une boutade..."Personne n'ose vous poser des questions, dit le garçon, car nous avons honte de parler car vous êtes une Blanche."...pages 102, 103

dimanche, janvier 03, 2010

YANVALOU POUR CHARLIE (Lyonel Trouillot)

Je viens d'un tout petit village. cela fait partie des choses que j'avais oubliées. Pour un homme qui a gagné longtemps sa vie au jour le jour et qui grimpe les barreaux de l'échelle sociale, le souvenir est un luxe, pas une nécessité. page11
Elisabeth (une de ses collègues du cabinet d'avocats où il travaille) , c'est un immense savoir-faire au service de ses intérêts. Le chef possède plusieurs maisons de résidence. Sa femme et lui ont choisi d'habiter la plus éloignée de la ville. Il est des pays où on construit des villes, des routes qui mènent vers les villes, et des banlieues. Ici, l'on construit des banlieues, et surtout pas de routes qui y mènent, jusqu'à ce que les banlieues, se prenant pour des villes, gonflent comme un ballon trop plein de monde, de mortier et d'ordures. Les premiers habitants quittent alors leur banlieue pour en construire une autre où personne , au moins pendant quelque temps, ne viendra les déranger. page 12
Moi, je travaille beaucoup, et je connais les codes, le fond, les nuances, la procédure. Dans ma deuxième vie, j'ai beaucoup appris. Pour briller. Pas seulement dans le domaine de ma profession. Je suis brillant, c'est mon identité. Mathurin D. Saint-Fort, identité: brillant. page38
La poignée de main, c'est un geste compromettant entre des personnes qui ne sont pas du même monde. Dans l'esprit de celui qui est dans le besoin, c'est un signe d'amitié qui l'invite à venir chez vous à l'improviste, à interrompre une conversation à laquelle il n'est pas invité entre vos vrais amis et vous, à traîner là où il ne faut pas. Entre gens de milieux différents, la tape sur le dos est le geste qui convient pour établir la hiérarchie. Je ne serre jamais la main de l'agent de sécurité, ni celle du coiffeur qui me tond les cheveux...page 40
Et que sais-je moi des orphelinats? Sauf l'argent que nous payent les chasseurs. Au cabinet , nous les appelons ainsi: les chasseurs. Les chasseurs sont généralement des femmes, blanches, avec un homme caché derrière, blanc lui aussi, et qui grogne et se rebiffe avant de se laisser convaincre. C'est Francine qui s'occupe des dossiers de ces dames, une sorte de bonus moral et financier. Ces dames croient aux bonnes actions, et même , lorsqu'elles prennent l'avion pour aller dans un trou perdu en quête d'un gamin appelé à satisfaire leur ardeur possessive, elles s'arrangent pour se convaincre que leur but est de faire le bien. Les chasseurs,c'est une race à part, une espèce dont le bon vouloir peut affecter beaucoup de vies, qui cultivent des difficultés pour pour elles et pour les autres. Ils vont dans un pays où les gens meurent de faim. Ils trouvent une Dieuvela. Ils la conduisent chez eux, lui achètent des vêtements d'hiver et la changent en Céline. Ensuite, il faut des psychologues, des conseillers pédagogiques, une armée du salut, version service social pour expliquer à la petite pourquoi on a changé de prénom et surtout pourquoi elle est noire avec des parents blancs, et encore pourquoi toutes ces choses sortant de l'ordinaire qui poseraient problème à toute personne sensée ne devraient pas troubler l'esprit d'une petite fille..Et ça fait une longue chaîne. Il ya des condisciples de classe ou des enfants du quartier pour lesquels il faut tout reprendre. Les chasseurs, il en vient par paquets, il y a même des récidivistes - un enfant ne leur suffit pas - qui racontent fièrement leur première expérience et les problèmes rencontrés au cours des longues périodes d'adaptation de Dieuvela-Céline.pages 48 -49
Il (le vieux Gédéon) m'a conseillé de faire des études de droit....Et puis, c'est un métier de comédien qui t'aidera à donner le change. Des études de droit. C'est ce que j'ai fait. J'y suis arrivé. Tout seul. Il m'avait dit aussi que tout comédien enlève, un jour, son masque et devient étranger à lui-même. C'est ce que je découvre. page 60
Personne n'aime la campagne, sauf pour les vacances et pour les vieux principes. Sinon, les gens , ils y resteraient.page 65
Je reconnais que le Père Edmond, c'est spécial. Lui savait ce qu'il était venu chercher ici (en ville): une raison de vivre coupée en deux morceaux. La première moitié, c'est Dieu. La deuxième, des enfants à sauver de la rue et de la pauvreté. Dieu, on peut dire qu'il l'a trouvé...Quant aux enfants à sauver, pas besoin d'aller les chercher loin. page 66
Le Père Edmond, il veut notre bien, "le bien de l'enfant , c'est une famille"...Le Père Edmond, il cherche tous les jours des preneurs pour nous inventer des familles. Chaque personne qui visite le Centre devient un parent potentiel, et nous on doit faire bonne figure. Vu que nos géniteurs nous ont abandonnés, je suppose que ces gens nous considèrent comme des miraculés et se félicitent, au nom de la société, d'avoir participé au miracle collectif, même quand ils n'ont rien fait pour nous, ça doit être pareil pour les réfugiés, quand ils arrivent dans un pays et qu'on leur ouvre la frontière. Quand on est les fils de personne ou qu'on n'a plus de pays, faut toujours s'excuser de se trouver là où on se trouve ou tout simplement d'être en vie. page 76
Aux yeux du Père Edmond, nous étions tous des bons garçons, même les deux commères qui ont commencé à se faire des calins dans tous les coins du Centre depuis qu'elles sont toutes petites. Leurs bagarres (des deux commères) duraient des heures...Mais ce n'étaient pas des combats, plutôt des étreintes...Quand on a enfin compris que c'était une histoire d'amour, pour casser le fil, on a décidé de leur faire des misères. C'est là que j'ai commencé à apprécier Nathanaël. Il a été le premier à prendre leur parti. Il a dit qu'il n'y avait pas suffisamment d'amour dans le monde, il faut tout prendre là où ça se trouve, alors, vous leur foutez la paix. page 81
Ceux qui ont avalé les bonnes blagues du Père Edmond, ils se prennent vraiment pour Joseph et se cherchent une Marie pour fonder un foyer.Mais un Joseph sans outils et une Marie que la misère enlaidit et rend de plus en plus jalouse, ça fait des tas de petits Jésus, tous préposés au chemin de croix. Alors, le Joseph, il se fâche, oublie le Père Edmond et ses quatre Evangiles et commence à cogner. Et, une fois que la descente est engagée, y a pas de remontée. Si tu finis pas en Joseph, tu te retrouves en Barabbas. page 84
J'ai pas choisi la réalité à venir. Un jour, l'étoile prendra corps...L'étoile, c'est juste une image, un mot qui brille pour nommer quelque chose qu'on ne tient pas encore, mais vers quoi on marche sans trembler. L'étoile, c'est la forme que prendra le bonheur. J'avais dit musicien. page 93
Nathanaël, il s'est mis à parler: le monde est injuste et blablabla, on s'en sortira pas tout seuls, il faut changer les choses pour qu'il règne une égalité parfaite, que tout soit partagé.: l'argent, l'amour, les satellites, la terre et les fruits de la terre. Ses phrases étaient belles mais elles nous ont fait peur. C'est comme les beaux passages de la bible que le Père Edmond aime nous lire. ..C'est beau mais les gens n'arrêtent pas de mourir, et la guerre, même lorqu'elle est finie, elle continue d'une autre manière...Les prêches, ça ne donne rien, sinon le Père Edmond aurait déjà transformé la ville en paradis terrestre...page 94
(au retour d'un cambriolage) . Le Père Edmond nous attendait., en tenue civil. Sans la soutane, il paraissait moins sûr de lui, et de Dieu. Nous n'avons pas eu droit au sermon sur les brebis galeuses. Les choses pressaient. La police était venue. Un chef d'entreprise avait été assassiné...Il a dit que nous ne pouvions pas rester. Il avait menti aux policiers, leur affirmant que nous avions quitté le Centre. Nous devions aller ailleurs. Mais nous n'avions pas d'ailleurs. Nous n'avons jamais eu d'ailleurs. Ce dortoir de merde c' était notre seule maison. On a les refuges qu'on peut. Je suis resté un moment avec le Père Edmond. Le temps qu'on fouille dans nos mémoires pour trouver une option: le Dieutor de ma mère. pages 98, 99
Le yanvalou, c'est une musique qui monte et qui descend, ça ondule.
C'est un trait de tempérament qu'il a gardé de sa première vie: il ne jette rien.
Dans le vocabulaire de l'homme, vieux est synonyme de pauvre. page 105
Pour survivre, il a commencé très tôt à regarder autour de lui. Ceux qui passent. Ce qu'ils jettent. Pour attraper les restes. Ses spécialités: repérage et calcul. page 108
Elle (la mère du gamin qui lui dit qu'elle est sa soeur) a oublié son corps et jusqu'au souvenir qu'à vingt ans et quelques années, on a droit à des lendemains. Lendemain. Le mot n'existe pas dans son vocabulaire. Le mot anniversaire non plus. Pas pour elle. page 116
Il les suitparce que la jeune fille demande à être suivie en sa beauté, en sa révolte généreuse apprise dans les livres. La jeune fille et le garçon plus âgé ont tout appris dans les livres. Ils ont grandi avec des parents.Protégés. Surprotégés. Surtout la jeune fille qui aappris dans les livres à sortir toute seule; qui a appris dans les livres qu'il existe des lieux comme celui où elle se trouve aujourd'hui à suivre le garçon qui la suit: qui a appris dans les livres que, pour construire, il faut
détruire. La jeune fille a choisi de détruire . Avec ses amis. Pour construire ensuite. ...Elle s'est révoltée dans les livres, elle a rencontré un vrai pauvre. C'est pour les gens comme lui qu'elle a adopté la cause Sans les connaître. Maintenant, elle en connait au moins un. Pour de vrai. Elle est contente de fréquenter la matière de la cause. D'y croire encore après avoir fait connaissance avec la réalité...Elle ne peut pas aimer d'amour la matière de la cause. Elle lui expliquera un jour la différence entre l'humanisme et le grand amour. Il comprendra. Il l'écoutera. Il écoute tout ce qu'elle dit. Il adhère à tout ce qu'elle dit. page 120, 121
( Charlie a été tué par un Andy) Dans son lycée interdit aux autres, les profs l'ont jugé brillant en philosophie."Andy, vous êtes brillant". Il en a marre de s'appeler de ce prénom qui le classe dans l'éloignement du sommet des collines où chacun vit seul avec sa fortune...Son idéal, c'est de changer la vie en gardant les mains propres, en évitant le rouge du sang. page 137
Francine(une collègue de Mathurin) s'occupera désormais officiellement des enfants pauvres. D'en haut. Le jour, elle habite un bureau où s'empilent les dépliants sur les maladies de l'heure, les menaces qui pèsent sur l'eau de la planète...Le soir, elle fréquente les restaurants où les experts prennent rendez-vous pour discuter entre copains du monde vu par l'humanitaire. page 145
Que comprend à la vraie vie une fonctionnaire du bien qui travaille à heures fixes et se paye en devises? Depuis qu'elle coordonne la gestion de l'aide aux nécessiteux, les tailleurs de Francine sont bien mieux coupés et l'on ne voit plus, dans ses yeux, toute la misère du monde. page 146
Francine voulait nous convaincre tous de l'importance de l'aide humanitaire et de la qualité des services fourni par l'ONG qu'elle dirige. Mais personne ne voulait la suivre sur ce terrain. Sauf le nouveau (au cabinet d'avocats) qui, le whisky aidant, reconnaissait que les ONG, pour rentrer en politique, ce n'était pas mal du tout. page 158
Bon, bientôt, je serai presque aussi chef que le chef. Cest à cela que je dois d'abord penser...En plus de la lucidité, du sang-froid et d'une connaissance quasi parfaite des systèmes de reproduction, pour progresser, on a besoin d'une grande paix intérieure . C'est cela qui me manque aujourd'hui. A cause de Charlie. page 166
La terre est une étoile que les hommes ont cassée en portions inégales. L'étoile de Mathurin n'est pas celle de Dieutor. Et le premier tambour me demandera : Qui est Mathurin? Et je dirai: C'est moi. Et le premier tambour me demandera encore: Qui est Dieutor? Et je dirai: c'est moi. Et le premier tambour me demandera enfin: Qui est Charlie? Et je ne sais lequel de nous deux. Mathurin ou Dieutor, gardera le silence, ni lequel de nous deux, Dieutor ou Mathurin, saura parler de toi au rythme des tambours. page 174