jeudi, novembre 18, 2010

LES MATINS DE JENINE ( Susan Abulhawa)

En mai 1948, les Britanniques partirent. Les réfugiés juifs qui déferlaient sur la Palestine, proclamèrent l'état juif et changèrent le nom du pays pour l'appeler Israël. Ein Hod, toutefois, était proche de trois villages qui formaient un triangle non conquis à l'intérieur du nouvel Etat, si bien que ses habitants ne connurent le même sort que les quelque vingt mille Palestiniens qui s'accrochaient toujours à leur maison. Ils repoussèrent les assauts et appelèrent à la trêve. Tout ce qu'ils voulaient , c'était continuer à vivre sur leurs terres comme ils l'avaient toujours fait. Car ils avaient supporté de nombreux maîtres -Romains, Byzantins, califes, croisés, Mamalouks, Ottomans, Britanniques - et le nationalisme n'avait pas lieu d'être. L'attachement à Dieu, à la terre , à la famille était enraciné en eux , et c'était ce qu'ils défendaient et cherchaient à conserver. page 54
Huit siècles après sa fondation par un général de l'armée de Saladin, en 1189, Ein Hod fut donc vidé de ses habitants palestiniens. Yahya a essayé de calculer le nombre de générations qui avaient vécu et étaient mortes dans ce village qu'il estima à quarante....
Dans le chagrin intolérable d'une histoire enterrée vivante, l'année 1948 sortit du calendrier pour entrer en exil, cessa de décompter les jours, les mois et les années, se fondit dans une brume infinie d'un moment de l 'histoire, en attendant que la justice répare ce tort et permette à 1948 de réintégrer la liste des années et des nations. page 63
Papa me dit : "On peut te prendre ta terre et tout ce qui se trouve dessus, mais pas tes connaissances,ni les diplômes que tu as obtenus." J'avais alors six ans, et mes bonnes notes continuèrent la monnaie d'échange avec laquelle je quêtais son approbation, plus que jamais désirable à mes yeux. Je devins la meilleure élève de Jénine , et j'appris par coeur les poèmes que mon père adorait. page 95
Moshe (un Juif) avait voulu que David apprenne ce qui s'était passé bien des années plus tôt. Le cadeau qu'il avait fait à Jolanta (son épouse) en 1948 était devenu un secret trop lourd à porter. Pour lui, cette vérité n'était pas un papillon, mais un démon. Un démon au beau visage, celui de l'Arabe qui lui avait servi de l'agneau. Une femme dont les deux fils, l'un contre sa poitrine et l'autre dans ses jambes, se mouvaient en elle. Et qui dans la tête de Moshe, appelait encore et toujours :'Ibni, Ibni!". (Moashe a kinnappé un de ses petits Arabes et lui a donné le nom de David).Moshe avait voulu la plénitude. Un pays, une épouse, une famille. Il s'était battu pour les Juifs. Mais, derrière lui, il y avait maintenant les odieuses expulsions, les tueries, les viols. Moshe ne pouvait pas affronter ces visages, ces voix. Le repos avait presque déserté sa vie. Le seul réconfort que son coeur trouvait était arraché à la boisson. Tous les jours, il tournait donc au coin de la rue pour entrer dans son refuge:" Ben, la même chose que d'habitude avec des glaçons". Puis, après avoir réduit ses démons et sa propre voix au silence, il retournait chez lui. Page 149
A l'époque, la plus grande partie de la Cisjordanie se drapait encore d'un vert divin, parure majestueuse qui ployait avec humilité au vent, se dépoullait pendant les froids et renaissait au soleil. Mais le paysage changea. Peu à peu, maison par maison, ferme par ferme, village par village. On démolit, confisqua, rasa - incessante appropriation de la terre palestinienne.. Amal appelait cela "l'impérialisme centimètre par centimètre". page 174
Pour moi, ( le personnage principal , Amal est venue aux USA), une chose était sûre, les habitants de West Philly me trouvaient belle, et non différente, et mon accent n'éveillait pas la méfiance. Ce qui me rendait suspecte dans le monde des Blancs, c'était un sésame dans les quartiers noirs. page 266
Amy. L'Amal réfugiée permanente, à la jeunesse tragique, était devenue Amy au pays des privilèges et de l'abondance. Un pays qui flottait à la surface de la vie, indolent sous des cieux cléments. Mais j'avais beau me cacher derrière un nouveau personnage, j'appartenais à jamais à cette nation palestinienne d'exilés privés de foyers, d'hommes, d'honneurs. C'étaient mon arabité et mon cri primal palestinien qui m'enracinaient dans le monde. page 268

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