dimanche, janvier 30, 2011

C'ETAIT NOTRE TERRE (Mathieu Bélézi)

Quatre années de travail pour un écrivain sans compromission. Mathieu Bélézi laisse exploser sa colère ...Plusieurs voix, plusieurs générations, pour un seul souvenir, celui de la terre des colons venus s'implanter en Kabylie. La première voix est celle du souvenir, revenu en France, puis la seconde, celle du ressentiment. Puis celle du Pater familias dur pour les siens comme pour ses gens. Puis, cette finale et sans doute la plus difficile à entendre , de Fatima, la servante attachée à la famille dont le destin et la révolte personnelle va coïncider avec l'Histoire...Ce à quoi s'attache Bélézi, c'est à l'aveuglement de chacun, de chaque génération, face à l'inéluctable de cette fin de règne...C'était notre terre n'est pas un roman sur la guerre d'Algérie , ni un témoignage mais, sans la moindre concession, c'est la chronique d'une mort annoncée ...

C'était notre terre
quand je dis que c'était notre terre, je veux dire que nous ne l'avions pas volée, que nous en avions rêvé au temps de nos ancêtres, et que l'Etat français nous avait permis de concrétiser nos rêves en nous vendant une bouchée de pain six cent cinquante-trois hectares de bonne terre africaine
-te souviens-tu, Henri?
six cent cinquante-trois hectares réservés à notre seul usage, ça fait beaucoup de collines, de vallées, de bouquets d'agaves et de lentisques, d'oueds, de cailloux, d'oiseaux de toutes couleurs, ça fait beaucoup de ciel et de nuage
-te souviens-tu, Henri?
ça fait beaucoup de sueur, de fatigue et de larmes, beaucoup de malheur et pas assez de joie, mais pour rien au monde j'aurais voulu naître ailleurs
c'était notre terre. Page 9
"discutant avec le serveur de la terrasse afin qu'il nous trouve une table à l'ombre, l'obligeant à chasser quatre Arabes qui venaient de s'asseoir.¨Page 12
"Je me souviens que mon père n'aimait pas ma familiarité avec toi , Fatima, il me disait que nous avions un rôle à tenir, une culture à défendre, et qu'il fallait prendre garde à ne pas oublier la distance qui sépare l'homme civilisé du sauvage" (Claudia) page 18
c'est parce que nous ne nous aimions pas que nous avons fait trois enfants, je n'en désirais pas, mais je me suis dit qu'ils meubleraient ma vie ratée, Antoine et Marie-Claire sont venus assez vite, Claudia un peu plus tard page 37
J'ai épousé Hortense et en épousant Hortense on m' a permis d'entrer chez les riches, quel honneur n'est-ce-pas? mais on m'aurait demandé de passer par les trou d'une souris que ça aurait été pareil, puisque j'étais né pauvre et que j'avais des appétits d'ogre j'étais prêt à tout, à commencer par ravaler mon orgueil et mettre mon mouchoir dessus, et une fois franchie la porte des riches, la famille Saint-André m' offert sur un plateau le titre de propriétaire, à moi fils et ptit-fils d'employés qui n'ont jamais dévoré que des rêves sur les trottoirs mal embouchés de Bab-El-Oued
livre-t-on six cent cinquante-trois hectares aux appétits d'un ogre? ce n'est pas l'ogre qui faut poser la question
toujours est-il que ces six cent cinquante-trois hectares de terres algérinnes m'ont fourni tout le caviar et le foie gras que j'étais capable d'avaler, toutes les bouteilles de whisky et de dom pérignon que j'avais envie de boire, tous les blazers d'alpaga et les costumes en tussor que je désirais, toujours est-il que ces six cent cinquante-trois hectares de terres algériennes m'ont permis d'entretenir mes cheavaux, mes voitures et, si je fais le compte, autant de putes que d'ouvriers page 50
oui, je crois qu'un jour ou l'autre, il faudra rendre aux Algériens ce qui leur appartient (Antoine, le fils)
- c'est ce qu'on t'a appris à Paris? dit ma mère...
-il n'est pas besoin d'habiter Paris pour penser ce que je pense page 85
Ils sont sortis des forêts, des broussailles, des grottes où ils se terraient comme des rats, et ils se sont emparés du bled, de nos terres à tous et de mes terres à moi, avec leurs fusils, ils contrôlaient les routes, avec leurs mitraillettes ils ouvraient les portes de nos maisons, avec leurs couteaux à égorger ils nous poussaient dehors
-A bas le colonialisme
scandaient-ils en levant les bras de la victoire
-Vive l'Algérie indépendante" (Hortense page 113)
Comme si ces gens-là avaient besoin de remercier , en 40 ans de travail, je n'ai pas été remerciée une fois, moi, l'esclave, la bonne, la domestique, la femme de peine, la maritorne, la servante, la soubrette, la soullon, quand on est riche, on ne remercie pas sa boniche, on ne remercie personne, à part son Dieu qui ferme les yeux et permet cette insolence.
(Fatima)page 235

jeudi, janvier 27, 2011

SKY (Patrick Chauvel)

Patrick Chauvel en tant que photographe a suivi une patrouille de soldats américains dans la guerre du Vietnam.

Etrange cete terrasse couverte où s'échouaient les journalistes (à Saïgon) . Il y avait ceux qui bavardaient tout le temps - les nouveaux arrivés - et ceux qui se taisaient : ceux-là étaient dans la guerre, ils n'arrivaient plus à en parler; elle restait accrochée à eux. page 25
Avant de aprtir au Vietnam, j'étais impartial car mal informé. Je lisais tout et n'importe quoi sur ce qui se passait là-bas. Alors, j'ai voulu voir, vérifier. Va voir et raconte. Et puis dis-nous la vérité? Non, ma vérité et rien d'autre. page 32
"On vivait à Washington (Sky parle) , la ville de ceux qui décident les guerres mais restent chez eux. page 52
Il y aura plus de cinquante-huit mille morts chez les soldats américains, sans parler des blessés que la guerre aura recrachés, moitiés d'hommes qui erreront à la recherche d'un travail ou d'un peu de reconnaissance, virés par la jungle et la mort, chômeurs d'apocalypse, abrutis de souvenirs. Les morts seront plus veinards:ils auront droit de finir sur un long mur de marbre noir qui reflétera les visages des survivants come des âmes en peine. C'est une Américaine d'origine chinoise qui a pondu ce mausolée. page 72
Le journaliste photographe que je rêvais d'être est mort. Ce sont mes premiers pas de guerrier page 143 (3 membres du commando sur 6 ont été tués)
Paris, ils n'ont rien compris (le journaliste est rentré à Paris) J'ai l'impression de m'être écrasé sur une autre planète.
Une planète habitée, et même très habitée: il y a des gens partout. Ils ont le même aspect que moi, mais ils vont vite, ils se croisent, affairés; une course, ou plutôt un grouillement de quidams qui courent dans tous les sens . Où vont-ils donc? page 179
Je suis à Paris, encagé come un fauve. Là-bas, je croyais avoir traversé l'enfer en tenant coûte que coûte la tête hors du chaos, en supportant le mal jusqu'au bout. Mais ici, c'est l'enfer. page 180
Tombé de la guerre en plein Paris, je me retrouve le cul par terre, entouré de gens qui se marrent et profitent de l'après -68, à des années-lumière de mon idée de la révolution, et pour qui la guerre du Vietnam est une cause en vogue, comme le portrait du Che qu'on retrouve à toutes les sauces...Les pires, pour moi, sont ceux qui se déguisent en militaires avec le signe de la paix imprimé sur une veste de combat achetée aux puces. page 186
-"On ne parle pas de guerre, on la fait.
-Nous l'avons faite, tous les trois. Et la peste, comme la guerre abolit les frontières individuelles des hommes...Un sentiment de communauté, de fraternité, une solidarité réelle, nous donnent l'impression de nous affranchir de notre condition. L'homme est changé. C'est un règne nouveau qui s'ouvre et qui durera. Plus jamais les choses et les gens n'apparaîtront ce qu'ils étaient naguère." page 222

dimanche, janvier 23, 2011

mardi, janvier 11, 2011

TOUTE UNE HISTOIRE ( Hanan el-Cheikh)

L'auteur rappporte avec une scrupuleuse fidélité les confessions de sa mère analphabète, Kamlech, née au début des années 1930 dans une famille chiite extrêmement pauvre, au Sud-Liban. Promise à 11 ans à son beau-frère, elle s'installe avec la famille de son futur mari dans un quartier populaire de Beyrouth. Elle est placée comme apprentie chez une couturière et tombe amoureuse du cousin de cette dernière, Mahomed, un jeune lettré féru de poésie. Forcée à 14 ans de se marier avec son fiancé, Kamlech a trois filles...Elle reste follement éprise du beau Mahomed... Elle va , bravant tous les usages, tenter d'obtenir le divorce, au risque d'être séparée de ses filles.
"On me fait croire que la couturière a besoin de prendre mes mesures pour une cousine de Khadijeh qui a la même taille que moi. Quelques semaines plus tard, je trouve par hasard, cette robe au milieu d'une pile de robes, une robe de mariée blanche. Comme dans un film, je comprends que je vais me marier. J'éclate en sanglots et me mets à tirer sur mes cheveux. Je montre à ma mère et à Khadijeh la touffe que j'ai arrachée. Je me frappe la poitrine en criant :
"Non, ne me faites pas ça! Pitié!".
Je me précipite chez Fatmeh (la couturière) pour lui raconter ce qui se passe. Elle m'avoue que si Abou Hussein(son futur mari) lui a demandé de m'apprendre la couture, c'est que pour que je sois une copie conforme de sa défunte femme Manifeh. Je me frappe la poitrine ...Page 85
Avant le film, nous regardons des "actualités" sur la guerre qui se prépare en Europe. Nous voyons l'Italien à la tête carrée qui parle à la foule - il a l'air très en colère - , l'Allemand à la petite moustache , le gros Anglais avec une grosse cigarette noire à la main - elle est en deuil, me dis-je, la guerre va commencer. Puis nous voyons les chars allemands faire la course pour entrer en Pologne. page 89
Ibrahim (son beau-frère)n'était pas le seul à vouloir contrôler les femmes de la famille. Chacune de mes amies craignait un cousin, un frère, un mari. Cela valait aussi pour les riches et le grand monde, comme ma cousine Mira. page 135
. Après cette soirée (au cinéma) je me suis mise à penser follement à Mahomed. Je me voyais en marchande de pommes; lui était l'aristocrate qui savait lire et écrire...Pour moi, le cinéma était une école. Il m'enseignait l'histoire, la géographie, me parlait d'un continent qu'on appelait l'Europe et me montrait la guerre. Il m'apprenait à parler, et à m'habiller, il me faisait entrer dans des maisons luxueuses et de pauvres masures, et je faisais connaissance avec leurs habitants. J'aurais aimé vivre comme certains et je rendais grâce à Dieu de vivre mieux que certains autres. Je rencontrais sur l'écran des gens comme moi, d'autres comme Ibrahim et même comme mon mari. page 136
Mon divorce est un scandale , parce que j'y ai joué un rôle d'homme - c'est moi qui ai répudié mon mari -, comme un homme répudie la mère de ses enfants pour épouser une autre femme. Et j'ai abandonné mes filles - l'aînée à l'âge de dix ans, la cadette à sept ans- , parce que je n'osais réclamer leur garde: je savais que le cheik me voyait comme une mauvaise mère car j'avais commis l'adultère. page 204
J'étais soulagée que mes deux aînées se soient mariées. Non pas parce que, pour une fille, le mariage est synonyme de sécurité et de stabilité, mais parce que j'avais peur que le fait d'avoir une mère divorcée soit pour elles un obstacle. page276
Au début du printemps 1975, Beyrouth est agitée par de nouveaux troubles. Un bus de réfugiés palestiniens est mitraillé par des miliciens phalangistes lors de son passage dans un quartier chrétien. Les combats entre musulmans et chrétiens reprennent. Comme tout le monde, je suis sûre que c'est pareil qu'en 1958: cela va vite s'arrêter. page 280

samedi, janvier 08, 2011

TERRE DES OUBLIS ( Duong Thu Huong)

L'homme n'est pas une autruche. Il doit faire face à la vie, qu'elle soit heureuse ou malheureuse, riche ou misérable, paisible ou périlleuse. Dieu a donné à l'homme de marcher debout, contrairement aux bêtes, pour lui permettre de regarder droit devant. page 122

L'homme peut mourir, il ne doit pas se soumettre. Nous ne sommes pas des bêtes soumises aux ordres d'autrui. page 123
"Mon fils, le métier de planteur , bien que harassant, est ausi plein d'agréments...Jadis, seuls les Français ont su créer de grandes plantations,mais ils étaient trop rapaces, ils n'ont pas appris la sagesse des Orientaux: s'arrêter à temps, se contenter du raisonnable. Ils exploitaient trop les ouvriers et, inévitablement récoltaient l'échec. Quant aux fermes collectives de l'Etat, ce ne sont que des plantations sans propriétaire, des serpents sans tête incapables de se diriger. Penses-y. Un de ces jours, ils devront autoriser l'ouverture de plantations privées pour éviter la famine. Tu es avisé, tu as un peu d'expérience du commerce avec ta mère... page 134
L'Histoire a été faite par nous , les vieux., certains sont gauchistes, d'autres droitiers, démagogues, extrémistes voire terroristes. Il faut voir ce qui est juste et ce qui est erroné avant d'agir; non? page 197
"Sais-tu comment Hoan, le mari de Mièn, s'y prend pour édifier ses plantations? Au début, ils piochaient et labouraient comme tout le monde. Puis il a réussi à défricher d'un seul coup trois champs de poivriers et un champ de caféiers avec l'aide des gens du Hameau de la Montagne et des deux villages voisins. En ce temps-là , les marchandises étaient extrèmement rares. On rationnait les culottes, les savonnettes pour laver le linge, mais il (Hoan) a réussi à trouver des sacs entiers de vêtements, d'aliments précieux, toutes sortes de cigarettes, rien que des produits de qualité auxquels seuls les officiers de haut rang pouvaient prétendre. Les gens du Hameau n'étaient pas les seuls, tout le monde se bousculait pour travailler pour lui. Ils gagnaient sur tous les plans, la notoriété et les produits à consommer. page 405
Les Chinois ont d'authentiques talents. Tout d'aord parce qu'ils ont de l'expérience. Les Chinois savent naviguer depuis l'Antiquité.Ils savaient déjà construire des bateaux pour franchir les mers, ils connaissaient déjà la valeur de l'argent pendant que, nous autres, Vietnamiens, nous chantions les louanges de la pauvreté honnête, de la pureté d'âme, et que nous méprisions ceux qui faisaient fortune par la voie du commerce et non grâce aux moissons et aux prébendes mandarinales. Le choix de nos valeurs était erroné dès le départ. Nous en payons le prix. page 449
De nos jours,avec l'égalité des droits et des pouvoirs, les femmes deviennent des sources de problèmes. page 487
-Une histoire étrange excite toujours la curiosité. C'est banal.
- Non, non... C'est banal et ce ne l'est pas. la curiosité des gens n'est pas aussi innocente que vous le dites. Elle s'accompagne toujours de préjugés, de cruauté. Souvent, elle tue un homme, un amour. Elle détruit une famille sans risquer la prison ou le tribunal. Elle n'a même pas le visage sur lequel on pourrait cracher... Ce qu'on appelle la curiosité, l'opinion, la rumeur de la foule, est une chose invisible et pourtant terrifiante. J'ai été sa victime...Page 685