samedi, avril 27, 2013

GEOGRAPHIE DE L'INSTANT (Sylvain TESSON)

Ce livre, publié en avril 2013," réunit les blocs-notes de Sylvain Tesson parus dans des journaux et magazines, de janvier 2006 à 2011. Il y évoque ses voyages,  ses lectures, il y parle de la Russie, de l'Aghanistan, de Haïti, de l'Islande, de New-York, de Paris....C'est un pamphlet poétique contre la lourdeur du monde, révélant la part secrète d'un voyageur pour qui les retours sont des brûlures."

"cette merveilleuse définition des gares : "un endroit où l'on veut se débarrasser de vous au plus vite en vous indiquant soit les heures de départ soit la sortie." page 13

"Je fais toujours attention aux derniers mots de mes interlocuteurs quand ils me quittent. C'est important les derniers mots. En cas de malheur , c'est l'ultime trace que l'on conserve de quelqu'un. Voilà pourquoi il faut soigner ses sorties."page 24

"Ce beau mot russe: razliubit. Il désigne le sentiment  à l'égard d'un être qu'on a aimé et pour qui on éprouve encore une nostalgique affection mais plus d'attirance  charnelle. Raliubit  est intraduisible en français. Notre langue qui sait si bien  servir l'amour passionné  ou le dépit enragé n'a pas de mot pour les états de l'entre-deux. " page 62

Le tao chinois fascinait Gengis Khan ( ce héros destrructeur) . La doctrine postule l'existence d'un chaos originel que l'homme par ses pensées, sa conduite, son harmonie intérieure peut rééquilibrer. Page 66

Etre Français, c'est vivre  dans un paradis peuplé de gens qui se croient en enfer. page 162

Les livres sont des rivères aurifères. La lecture  est le tamis  qui permet de remonter les pépites. page 174

Le guide voyage est le hamburger du gastronome: on le dévore en cachette...Partir, cest revenir de tout et écrire un guide  consiste à peindre le monde non tel qu'il est mais tel que le touriste  souhaite le découvrir . page 212

Ce que l'on a vécu ne peut nous être retiré. page 223

Je me méfie beaucoup de l'indignation : de toutes les vertus, c'est celle qui se trompe le plus souvent de cible. page 254

Ennui de la navigation à voile: Faire des milliers de miles pour aller étendre ses pièces de linge aux vents des confins. page 267

Je relis pour la troisième fois de ma vie Le Coran...Ce livre est plus réussi que le traité  d'Onfray parce qu'il vous rend vraiment athée: si Dieu a prononcé toutes ses paroles, qui peut réellement croire à sa grandeur?  Au nom du Très Haut, plus de vingt morts à Bali. L'islamisme est une idolâtrie païenne de type  précolombien qui a besoin de sang  sacrificiel. page 271

Le viol, moins que le banditisme ou les ouragans, n'a jamais ébranlé les structures d'un état. Une femme détruite ne menace pas les fondations d'une société...Je redeviendrai chrétien lorsqu'on ajoutera aux Tables de la Loi (écrites par des hommes) :" Tu ne violeras pas." page 273

Pour le malheur du Dalaï-Lama, les fils de Mao, eux, ne font jamais grève. page 275

Le carburant que nous consommons alimente les guerres et fournit sa force à certaines puissances terroristes.Le pétrole est le sang de l'islamisme, le nerf de la djihad, de la houille au service d'une idéologie fossile. A chaque fois que nous mettons le pistolet de la pompe dans le trou du réservoir, on appuie  en fait sur la tempe de l'Occident. page 276

Le PIB qui prétend fournir une indication du bien-être des peuples ne tient pas compte de la qualité de l'existence. La preuve? L'indice peut fleurir dans un pays irrespirable, surpeuplé,  dévasté par le déchaînement technique. Pire, le calcul peut faire le miel de son malheur. Page 293

"Les forêts précèdent les hommes, les déserts leur succèdent" écrivit Chateaubriant dans ses Mémoires d'outre-Tombe. page 296

Je marche parce que  c'est la moindre des choses lorsque l'on est humain...Je marche parce qu'un jour, il faudra nous y remettre. Nous avons oublié que la fête ne va pas durer...Je marche parce que c'est désuet. La marche me semble la plus agréable manière  de s'afficher antimoderne et de refuser les diktats  d'un monde soumis à la technique...Marcher, c'est célébrer la lenteur dans un monde qui s'agite; accepter l'ennui  dans une société qui ne croit qu'au divertissement; s'adonner au plaisir modeste dans un monde où tout se paie;  se replier dans ses pensées dans le brouhaha ambiant; chercher l'imprévu  dans une nation guidée par le principe de précaution; accueillir le local dans une humanité droguée par l'illusion de la globalité. Enfin, ne compter que sur soi. Flâner, courir les bois,  se promener, musarder sont des actes de liberté, minuscules certes, mais qui appartiennent à celui qui les accomplit. Les Etats le savent: ils ont érigé le vagabondage en délit!...Je marche parce que cela me donne des idées...Ne fait-on pas les cent pas quand on cherche un mot?  Marcher éclaircit l'esprit, favorise la mécanique de la pensée, libère du temps du  cerveau disponible...Le corps est occupé, l'esprit peut divaguer. Marcher , c'est donner à l'esprit l'occasion d'exercer son office...Je marche pour demeurer maigre. j'ai horreur du gras , pas celui des autres mais du mien propre...L'ascèse physique  est le miroir de l'ascèce spirituelle et si l'on veut alléger sa pensée, il faut se  dégraisser le corps...Je marche parce que la marche ralentit le temps...Le marcheur médite pour échapper à l'ennui.Il mesure l'espace au rythme de sa foulée. Le lent défilement du paysage  auquel il s'intègre, constitue une distraction...En chemin, demain n'existe pas...Je marche parce que la marche me réconcilie avec la nature. La différence entre un marcheur et un automobiliste? Le premier habite la géographie, le second la traverse. L'un prend le temps, l'autre sort son appareil photo et vole des instantanés. Marcher est l'unique manière de voir...Je marche parce que les gens me parlent plus gentiment  lorsque je vais à pied. A-t-on entendu un piéton dire à un  autre piéton: "Avance, espèce d'abruti!"...Je marche parce que c'est un jeu...Je marche parce que marcher m'aide à conduire ma vie...Je marche parce que c'est romantique...Je marche parce que cela ne laisse pas de traces...Je marche parce que je ne peux pas faire autrement, parce que je ne sais rien faire d'autre, parce que je ne suis bon qu'à ça, parce que les routes ne sont pas faites pour les chiens et parce que l'évolution m'a doté de deux jambes...pages 322 à 330.

Tout voyageur est un Monsieur Jourdain: il fait de la philosophie sans le savoir.. Les écoles  de pensées grecques, épicuriennes, stoïciennes l'ont affirmé: philosopher , n'est pas construire des systèmes. Philosopher, c'est apprendre à vivre. Et vivre, c'est descendre en soi pour se connaître, accepter  ce qui advient. Et comprendre que les sens sont des fenêtres. L'essentiel est de les ouvrir...Le voyage invite à conquérir l'essentiel...L'essentiel est de ne pas rater notre rendez-vous avec nous-mêmes, avec le temps,  avec l'espace, avec les autres...Voyager offre de s'amender...En voyage, on se frotte l'âme et le corps. Partir décape...Voyager inspire. On se met en route: les tourments  s'évaporent, les pensées affluent...En voyage, on accueille le silence...On regarde le ciel, la lisière d'un bois, on ne pense plus à rien: on a fait taire en soi le brouhaha intérieur...pages 337, 338, 339

La lecture est un refuge par temps de laideur...Les livres: bunkers de papier. Ils  nous offrent d'échapper à cet impératif de la modernité, ce nouveau commandement des sociétés transparentes: "Etre joignable".Lire, c'est le contraire: on se coupe, on s'isole, on s'installe dans l'histoire et, si elle vous captive, le monde peut s'écrouler.. Les seules personnes joignables sont le lecteur et l'auteur... Lire nous confirme que la solitude est un trésor.Un livre peut changer la vie...Lire, c'est laisser une parole s'élever dans le silence, vous traverser, vous emporter et vous laisser, métamorphosé, sur le rivage de la dernière page. Pour que cette alchimie opère, il faut être seul...Le livre féconde l'espace.Le lecteur se rappellera le lieu où il a lu un livre comme du berceau d'une nouvelle naissance. Les livres fécondent le temps...La pensée en puissance est accumulée entre les pages et attend l'opération de lecture pour se libérer. Le pouvoir poétique des livres? Ils nous font oublier le réel. Lire rend beau. Il m'a toujours semblé que les filles qui lisaient dans le train étaient les plus jolies. J'ai l'impression  que quelque chose me donne le droit  d'engager la conversation... Pages 340, 341, 342, 343, 344, 345.



mercredi, avril 10, 2013

LA SALLE D'ATTENTE ( Fadéla M'Rabet)

Livre de 100 pages paru en ce mois d'avril par Fadéla M'Rabet, l'une des premières féministes algériennes. La Salle d'Attente entre autobiographie et essai," dépeint l'Algérie d 'aujourd'hui , héritière d'un passé glorieux dont le présent, fait d'espérances trahies et d'attentes toujours déçues , est accablant.
L'auteur s'interroge sur la triple aliénation dont souffre le peuple algérien: le pouvoir patriarcal, l'ancien pouvoir colonial, le pouvoir actuel qui, en maintenant la charia, renforce le patriarcat.".
Tantôt, on sent la révolte , tantôt la tendresse.

"Le désir d'être heureux était tel  qu'on créait des leurres de bonheur, comme accepter un mariage  sachant qu'il était inacceptable. On le faisait quand même pour mettre fin à ce vide, à ce manque,  à ce désert de vie sexuelle et affective. Elle disait oui  pour rompre la monotonie des jours, recevoir  des cadeaux, pour être le reine d'un jour, alors qu'elle savait qu'il était vieux, libidineux, qu'il suait, qu'il chiquait, qu'il avait renvoyé  plusieurs femmes,  qu'il avait beaucoup d'enfants. Elle s'aveuglait et, le temps d'une fête avec  flûtes et tambours, elle sortait  ses robes enfermées dans des coffres  comme  dans de petites tombes." page 30

"Elle jurait qu'on ne l'y reprendrait plus (elle a été renvoyée chez ses parents) mais chaque fois,  les siens recommençaient à la harceler. Parce qu'un homme c'était un homme et qu'il le resterait toujours. Alors, une femme  sans homme n'était rien". page 31

"Nous sommes en attente d'un monde  qui englobe  tous les mondes, ceux d'Orient  et d'Occident.  Des mondes qui n'arrivent pas à fusionner  parce que nous sommes sous l'emprise de prédateurs qui veulent qu'on les combatte en nous.  Ceux-là mêmes qui nous refusent  et la culture arabe et la culture occidentale. Ainsi, il y a de l'Orient et de l'Occident  en nous mais il n'y a pas de fusion. Parce que nous sommes exposés à trois sources  d'aliénation: celle du pouvoir patriarcal,  celle du pouvoir colonial,  celle du pouvoir postcolonial. Le pouvoir colonial  a tenté de désintégrer notre société, de nous dépersonnaliser,  de nous refuser même la qualité d'êtres humains, , de nous inculquer la honte de soi. Le pouvoir patriarcal  nous refuse le statut  d'individu et  fait de chacun un simple maillon de la communauté. Le pouvoir postcolonial a renforcé le pouvoir patriarcal, qui refuse à l'homme la citoyenneté  et maintient la femme  dans une sous-humanité". page 45

"Le colon a tellement  valorisé l'homme blanc  que blanc est devenu synonyme de beau, intelligent, civilisé." page 47

"La société reste régie  par un chef à l'extérieur et son homologue, le père, à l'intérieur. Le chef de l'intérieur comme le chef de l'extérieur exige soumission et obéissance. Il détermine pour sa famille ce qui est bon et ce qui est mauvais. Il nous dit ce qu'il faut penser , ce qu'il faut aimer. Il choisit celui qu'on doit aimer, celui qu'on doit rejeter. Il veut soumettre toute volonté , réprimer toute spontanéité. " page 49

"Le statut de l'homme dépend , dans le système patriarcal, de la maîtrise  de la sexualité de la femme. Elle est la source des richesses humaines dont la plus précieuse est la production de guerriers. ...La charia vient légitimer la domination de l'homme pour que survive le système patriarcal. Page 51

...Refouler la femme de la sphère publique. Elle n'est tolérée que lorsqu'elle devient un fantôme qui hante les rues et non leur conscience. page 58

Exister  pour un Algérien, c'est s'opposer à la France et à l'Occident. Page 65

On veut faire croire au peuple algérien  qu'il n'y a que deux richesses: le pétrole et l'islam. Pour ne pas partager  avec leurs peuples les revenus du pétrole, les potentats  ont fait du dieu humaniste de l'islam qui proclame que tous les hommes sont égaux, un Dieu jaloux de son pouvoir, un potentat à leur image, devant laquelle il n'y a pas de salut sans prosternation perpétuelle. . Ils ont fait de la plupart des musulmans  des hommes agenouillés...Page 69

Une guerre d'indépendance n'est pas une révolution. Les Algériens ont "dégagé"le colonialisme , mais très tôt, il a été remplacé par une dictature militaire qui a instrumentalisé l'idéologie des révolutionnaires , le socialisme, et l'islam, dénominateur commun de la majorité des Algériens. Le socialisme a permis à une oligarchie d'origine modeste d'acquérir des richesses par les nationalisations, et l'islam de maintenir le régime patriarcal. page 84

L'Algérie s'est vidée peu à peu de ses intellectuels, de ses démocrates, de ses syndicalistes page 85

Pendant la colonisation, nous attendions la justice, pendant la guerre d 'Algérie, l'indépendance, , après l'indépendance, la révolution, que nous attendons toujours page 96

A la maison comme à l'école, on n'apprend plus  comment vivre , mais comment se préparer à la mort...la négation de la vie  est l'idéologie  de ceux qui sont incapables de maîtriser leur vie. De ceux qui se vengent  de la vie des autres , de leurs succès , de leurs joies. Pâges 104; 105



jeudi, avril 04, 2013

LETTRE A JIMMY (Alain Mabanckou)

L'auteur écrit à James Baldwin à l'occasion du 20è anniversaire de sa mort à Saint-Paul-De-Vence, en 1987. Tous deux sont Noirs mais l'un est né aux USA en 1924, l'autre en Afrique. Ce qui m'a intéressé dans ce livre, ce sont les réflexions sur la négritude et les différences entre celle d'Afrique et celle des Etats-Unis, la ségrégation raciale.

Le Noir américain a une identité unique.Il n'a d'homologues nulle part et pas de prédécesseurs..."Je m'appelle  Baldwin parce que je fus soit vendu  par ma tribu africaine, soit volé à elle pour tomber entre les mains d'un chrétien blanc du nom de Baldwin qui me força à m'agenouiller au pied de la croix." page 15

Ton père se méfie du Blanc quel qu'il soit, quand bien même ce dernier nourrirait les meilleures intentions du monde. Pour David Baldwin, ce n'est pas le Blanc qui est mauvais; tous les Blancs le sont, sans exception. Tu racontes comment une institutrice blanche dut affronter ce père soupçonneux lorsqu'elle eut l'idée de t'emmener au théâtre.page 23

"Je veux être un honnête homme et un bon écrivain"  (Baldwin adolescent) page 33

Les illustres écrivains qui t'ont précedé en France soulignent combien ils se sentent désormais des écrivains à part entière - et non entièrement à part. En France, on ne les considère pas comme des Noirs, ils sont avant tout des artistes, des écrivains qui captent l'attention du milieu culturel du pays d'adoption. Finie l'humiliation subie dans leur territoire, s'offre à eux la possibilité de créer dans la tranquillité, loin de la discrimination raciale...La France devint ainsi le lieu de ton éclosion page 50

L'Oncle Tom, le bon  nègre , entre dans l'imaginaire de la société américaine...La Case de l'Oncle Tom est une oeuvre qui arrange tout le monde alors même que la création devrait bousculer les consciences et ne pas sacrifier la réalité historique à l'émotion...L'Oncle Tom incarne le cliché du Noir hérité de l'imaginaire américain: il est illettré, a les cheveux crépus et sa résistance  phénoménale lui permet  de toujours endurer les vicissitudes de la vie de captif, et finalement d'en "triompher". Quant aux autres esclaves, George, sa femme, sa femme Eliza et leur fils n'échappent pas aux traits communs. le fils ressemble, trait pour trait au cireur de chaussures nègre...Page 66

La littérature  (noire africaine)  se présente comme une vaste campagne de dénonciation du système colonial, contrebalancée par la valorisation des racines africaines...L'Européen , et seul celui-ci , est à l'origine des problèmes de l'Afrique. page 75

"L'opposition  pour l'opposition" ne sera jamais un acte de création mais un bêlement  sans lendemain. page 78

A Paris, le Noir américain est pratiquement l'homme invisible. ... Tu apprendras rapidement que les hommes de couleur ne sont pas logés à la même enseigne en Europe: le traitement  n'est pas identique suivant  qu'on est un Noir d'Amérique et un homme qui vient d'Afrique noire, en particulier de colonies françaises. page 93

Le Noir américain a échoué dans une contrée qui n'est pas la sienne, le Nouveau Monde. Ce territoire d' accueil l'a réduit à un statut si humilant qu'il ne participe pas  aux décisions de cette  nation pourtant multiraciale, mais dominée de mains de maître par les Blancs...En somme, si l'Africain  se rattache naturellement à l'Afrique, le Noir américain, lui, le mystifie, fabrique des légendes, songe à cette terre promise comme à celle de la liberté absolue. Il souhaite retourner  dans le berceau de ses ancêtres. Son Afrique par conséquent est "un pays rêvé." De l'autre côté, l'Africain  veut changer sa terre, son pays "réel", reprendre au colon le pouvoir de décider de son peuple, mettre fin à l'exploitation des richesses de ses terres. L'Africain veut chasser le colon. Le Noir américain se bat pour qu'on le reconnaisse comme citoyen à part entière. Pourtant , le Noir américain et l'Africain sont des étrangers l'un à l'autre. page 98

Bien longtemps, les Noirs de France  ont cru -  et peut-être le croient-ils encore - qu'avoir la même couleur de peau suffisait à parler le même langage, regarder dans la même direction. Or l'Afrique est multiple, éclatée. La culture de tel pays africain n'est pas nécessairement celle de tel autre. Et puis,  leurs déplacements, lorsqu'ils ne sont pas la conséquence de la politique coloniale française, avec l'implication des ressortissants des colonies dans les différentes guerres européennes, relèvent beaucoup plus , d'itinéraires individuels  qu'aucune histoire collective n'a fait se croiser sur la "terre d'accueil". Les études, l'asile politique, les raisons économiques, les guerres civiles sur le continent noir , ne sauraient enfanter une histoire commune - ces contingences  ne sont pas l'apanage de la race noire. A certains égards, je dirais que la communauté noire de France n'est qu'une illusion, qu'elle n'existe pas. Pour la bonne  et simple raison que l'existence d'une communauté  est le résultat  d'une construction à la fois  intellectuelle et historique...Cette autre conscience  - que les Noirs américains ont su développer tout au long  de leur histoire tumultueuse -, cette autre conscience devrait prendre en compte l'expérience vécue sur le sol français.pages 131, 132

Les Noirs de France n'ont pas la même expérience de migration et où "l'addition"  qu'ils demandent à la France de payer n'est pas la même que celle des Noirs américains.  Outre-Atlantique, la ségrégation raciale fut institutionalisée - la France, au contraire,  a joué un rôle significatif dans "l'élaboration, l'expression  et l'émergence  de la condition noire, et ce grâce  à la diversité  des "migrations noires" qu'elle a connues et qu'elle connaît encore de nos jours. page 133

Il y a encore du chemin à parcourir  pour que nous saisissions  enfin que l'autre  n'est pas forcément  synonyme de soustraction, et moins encore de division, mais d'addition, voire de multiplication, deux opérations dont nous ne pourrons plus faire l'économie dans un monde qui conteste  plus que jamais la définition absolue  des identités nationales. page154