mercredi, avril 10, 2013

LA SALLE D'ATTENTE ( Fadéla M'Rabet)

Livre de 100 pages paru en ce mois d'avril par Fadéla M'Rabet, l'une des premières féministes algériennes. La Salle d'Attente entre autobiographie et essai," dépeint l'Algérie d 'aujourd'hui , héritière d'un passé glorieux dont le présent, fait d'espérances trahies et d'attentes toujours déçues , est accablant.
L'auteur s'interroge sur la triple aliénation dont souffre le peuple algérien: le pouvoir patriarcal, l'ancien pouvoir colonial, le pouvoir actuel qui, en maintenant la charia, renforce le patriarcat.".
Tantôt, on sent la révolte , tantôt la tendresse.

"Le désir d'être heureux était tel  qu'on créait des leurres de bonheur, comme accepter un mariage  sachant qu'il était inacceptable. On le faisait quand même pour mettre fin à ce vide, à ce manque,  à ce désert de vie sexuelle et affective. Elle disait oui  pour rompre la monotonie des jours, recevoir  des cadeaux, pour être le reine d'un jour, alors qu'elle savait qu'il était vieux, libidineux, qu'il suait, qu'il chiquait, qu'il avait renvoyé  plusieurs femmes,  qu'il avait beaucoup d'enfants. Elle s'aveuglait et, le temps d'une fête avec  flûtes et tambours, elle sortait  ses robes enfermées dans des coffres  comme  dans de petites tombes." page 30

"Elle jurait qu'on ne l'y reprendrait plus (elle a été renvoyée chez ses parents) mais chaque fois,  les siens recommençaient à la harceler. Parce qu'un homme c'était un homme et qu'il le resterait toujours. Alors, une femme  sans homme n'était rien". page 31

"Nous sommes en attente d'un monde  qui englobe  tous les mondes, ceux d'Orient  et d'Occident.  Des mondes qui n'arrivent pas à fusionner  parce que nous sommes sous l'emprise de prédateurs qui veulent qu'on les combatte en nous.  Ceux-là mêmes qui nous refusent  et la culture arabe et la culture occidentale. Ainsi, il y a de l'Orient et de l'Occident  en nous mais il n'y a pas de fusion. Parce que nous sommes exposés à trois sources  d'aliénation: celle du pouvoir patriarcal,  celle du pouvoir colonial,  celle du pouvoir postcolonial. Le pouvoir colonial  a tenté de désintégrer notre société, de nous dépersonnaliser,  de nous refuser même la qualité d'êtres humains, , de nous inculquer la honte de soi. Le pouvoir patriarcal  nous refuse le statut  d'individu et  fait de chacun un simple maillon de la communauté. Le pouvoir postcolonial a renforcé le pouvoir patriarcal, qui refuse à l'homme la citoyenneté  et maintient la femme  dans une sous-humanité". page 45

"Le colon a tellement  valorisé l'homme blanc  que blanc est devenu synonyme de beau, intelligent, civilisé." page 47

"La société reste régie  par un chef à l'extérieur et son homologue, le père, à l'intérieur. Le chef de l'intérieur comme le chef de l'extérieur exige soumission et obéissance. Il détermine pour sa famille ce qui est bon et ce qui est mauvais. Il nous dit ce qu'il faut penser , ce qu'il faut aimer. Il choisit celui qu'on doit aimer, celui qu'on doit rejeter. Il veut soumettre toute volonté , réprimer toute spontanéité. " page 49

"Le statut de l'homme dépend , dans le système patriarcal, de la maîtrise  de la sexualité de la femme. Elle est la source des richesses humaines dont la plus précieuse est la production de guerriers. ...La charia vient légitimer la domination de l'homme pour que survive le système patriarcal. Page 51

...Refouler la femme de la sphère publique. Elle n'est tolérée que lorsqu'elle devient un fantôme qui hante les rues et non leur conscience. page 58

Exister  pour un Algérien, c'est s'opposer à la France et à l'Occident. Page 65

On veut faire croire au peuple algérien  qu'il n'y a que deux richesses: le pétrole et l'islam. Pour ne pas partager  avec leurs peuples les revenus du pétrole, les potentats  ont fait du dieu humaniste de l'islam qui proclame que tous les hommes sont égaux, un Dieu jaloux de son pouvoir, un potentat à leur image, devant laquelle il n'y a pas de salut sans prosternation perpétuelle. . Ils ont fait de la plupart des musulmans  des hommes agenouillés...Page 69

Une guerre d'indépendance n'est pas une révolution. Les Algériens ont "dégagé"le colonialisme , mais très tôt, il a été remplacé par une dictature militaire qui a instrumentalisé l'idéologie des révolutionnaires , le socialisme, et l'islam, dénominateur commun de la majorité des Algériens. Le socialisme a permis à une oligarchie d'origine modeste d'acquérir des richesses par les nationalisations, et l'islam de maintenir le régime patriarcal. page 84

L'Algérie s'est vidée peu à peu de ses intellectuels, de ses démocrates, de ses syndicalistes page 85

Pendant la colonisation, nous attendions la justice, pendant la guerre d 'Algérie, l'indépendance, , après l'indépendance, la révolution, que nous attendons toujours page 96

A la maison comme à l'école, on n'apprend plus  comment vivre , mais comment se préparer à la mort...la négation de la vie  est l'idéologie  de ceux qui sont incapables de maîtriser leur vie. De ceux qui se vengent  de la vie des autres , de leurs succès , de leurs joies. Pâges 104; 105



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