mardi, janvier 28, 2020

MON DESIR LE PLUS ARDENT (Pete Fromm) 2019

Maddy s'était juré de ne jamais sortir avec un garçon du même âge qu'elle, encore moins avec un gui de de rivière. Et puis elle rencontre Dalt, et plus rien de compte. A vingt ans, Maddy et Dalt s'embarquent dans une histoire d'amour absolue et explosive . mariés sur les berges de la Buffalo Fork, dans le Wyoming, ils vivent leur passion à cent à l'heure et partent créer leur entreprise  de rafting dans l'Orégon. Très vite, ils décident de fonder une famille. mais l'enfant qu'ils désirent de tout leur coeur tarde à venir. Un jour, alors que Dalt est en expédition en Mongolie, Maddy apprend une nouvelle qui  bouleverse son existence. 

Nous nous marions à l'aube, en plein air bien sûr.....

Au lieu d'échanger des alliances, qui , en plus d'être des symboles de possession archaïques, selon Dalton, sont également à l'origine des innombrables mines d'or à ciel ouvert qui éventrent nos montagnes et empoisonnent nos rivières, nous allons tremper nos mains dans l'eau et la laisser couler entre nos doigt mêlés, nous unissant pour un voyage aussi long que celui du courant, un cycle plus grand et plus éternel que n'importe quel anneau....Dalt a enroulé mes doigts autour des siens et nous nous tenons la main dans la rivière, yeux dans les yeux, luttant pour sourire, jusqu'à ce que j'aie l'impression que mes phalanges se fissurent. pages   34, 35, 36

Je repense à nos voeux, à la manière dont j'ai laissé Dalton décider chaque phrase.  Au lieu de promettre de s'aimer toute notre vie, un serment ridicule selon Dalt, considérant tout ce qui risquait de nous arriver, nous avons déclaré, à notre pseudo-prêtresse: " C'est mon désir le plus ardent". page 44

Dalton nous pousse sur l'eau, et quand nous nous mettons à dériver, aucun de nous ne contrôlant les pagaies, je songe combien ce la ressemble à un mariage. Ne pas savoir qui est aux commandes, contourner les obstacles les plus vicieux en évitant de s'échouer sur ces longues barres de gravillons grises et sèches.  page 47

C'est la première fois que je me sens aussi bien depuis le début de l'été. Tout simplement parce que j'ai passé la nuit à discuter et à rire avec Dalt, sans parler d'argent ou presque. page 73

Moi, je n'ai que vingt-sept ans, merde. je cours les rivières. Je franchis tous les rapides, même le spires, sans la moindre hésitation. J'ai une santé de fer. Moi, en fauteuil roulant, secouée de spasmes, tête pendante, mains sur le s genoux, agitées de courants invisibles.
Les premières véritables attaques, celles que je ne pouvais ignorer arrivèrent , sans crier gare, me faisant chanceler, agripper le bras de Dalt, nous laissant tous deux songeurs. Puis, vint l'épuisement. Nom de Dieu! Soudain, j'étais capable de passer des journées entières à dormir, ce qui ne me ressemble absolument pas. je veux dire, rendez-moi ma mononucléose. page 76, 77

Il y a des choses qu'on ne peut dire à personne. Des choses qu'il vaut mieux ne pas savoir.
Qui a envie de tout savoir, de toute manière? On n efertait jamis rien si on savait ce qui nous attendait. Combien de temps il nous restait etc...Qui veut savoir ça? Hein? Je t'écoute?  (Maddy est enceinte et on lui a découvert la  maladie de la sclérose en plaques....Mais Dalt est en Mongolie) page 87

Alt dit "au revoir maison, au revoir ruisseau et Atty (leur fils) ...babille la même chose encore et en core tandis que je ferme les yeux en serrant les paupières aussi fort que possible, sans jeter un coup d'oeil dans les gigantesques rétroviseurs. (Le couple a vendu la maison au bord de l'eau, et vient habiter en ville , Maddy étant malade).
Dalt a choisi cette maison seul. ...De plain-pied, pas d'escaliers.  )age 100

"Dalt...
Je veux dire quelque chose de profond, quelque chose qui nous permettra d'envisager  ce déménagement sous un jour plus positif, mais tout ce qui sort de ma bouche, c'est...
- Comment  en est-on arrivés là?
- Mad, dit Dalt.
Mais je l'interromps:
" - Je ne parle pas de la maison, je parle de nous. On ne se dit plus rien. On évite le vrai sujet, comme s 'il allait finir par se lasser de nous et partir.
-Quoi?
- On n'a pas de secrets l'un pour l'autre, Dalt. Mais tu as trouvé un emploi sans me le dire. Et une maison. Une maison qui pourra s'adapter au pire.
- C'est juste que....
- C'est juste qu'on a peur.
...- Ne nous laissons pas envahir par la peur au point de ne plus se parler. D'accord, Dalt? Ce serait vraiment dommage. De laisser une maladie à la con nous faire ça.
- A nous? Les veinards? Impossible.
- Impossible, pourtant, ça a commencé. page 102.

"Ma. Tout ce que je fais, c'est pour qu'on soit prêts à affronter la suite. Ce n'est pas une abdication. Je...c'est pour toi....Je ne baisse pas les armes. j'aiguise les outils. On va se battre jusqu'à, jusqu'à...
Il s'est mis dans une impasse. Comment termine-t-on une telle phrase? Jusqu'à la fin. Pas terrible. Jusqu'à ce que la SEP te tue? Et la SEP ne tue pas. Elle rend la vie de plus en plus merdique.
...- On se bat jusqu'à ce que je tasse la terre sur ta tombe.
Il sourit  et acquiesce.
- Après, il faudra que tu continues toute seule, dit-il....  page 148

Allie est ma meilleure amie, et même les gamins de quatre ans savent ce qu'est une meilleure amie. page 168

"Peu importe la gravité de ta maladie, Ma, tu n'es pas devenue moins intéressante, putain. Au contraire, si j'étais à ta place, je ne serais déjà plus probablement de ce monde, j'aurais sauté dans la lava sans radeau, ni gilet, un enclume attachée au pied. Mais toi....Tu crois vraiment qu'il existe d'autres personnes sur terre qui soient capables de faire ça? Qui en auraient eu même l'idée.?
Tu ne te rends pas compte de ta force.je te vois endurer tout ça et je me dis, si seulement c'était moi,  je n'hésiterais pas à prendre s a place, tout en sachant qu'en réalité,j'en serais incapable, parce que je  n'ai pas une once de ta force. page 210
Je t'aime, tu le sais très bien. je t'ai toujours aimée, depuis que tu m'as sauté dessus à cette fête....page 211
-"Où que tu ailles Mad, où tu emportes cette putain de saloperie de SEP, je t'accompagnerai..Parce que te perdre ce serait tellement pire qu'un bras endommagé.  page 212

"Occupe-toi du fauteuil," dit Atty à Iz, et avant même que l'une de nous ait compris ce qu'il comptait faire, il lâche le fauteuil et me hisse à califourchon sur son dos, une manoeuvre digne des plus grands ninjas. ( Matty a voulu descendre une pente avec son fauteuil mais il s'est cassé, Matty ne peut plus  s'en servir pour revenir à la maison.) page 232

( Matty) ..." C'est juste que, je ne sais pas, je suis si...( je dois déglutir) ...heureuse.
Heureuse, n'est pas le terme exact. Veinarde, peut-être, ainsi les mots sont durs à capter. Aimée. Voilà ce qui approche le plus.Mais il est peu probable que je parvienne  à acheminer le mot jusqu'à ma langue par les voies torturées de mes synapses en loques, encore moins que je réussisse à le prononcer correctement sans oublier ce que je voulais dire en route. Alors, je me contente de "heureuse". Dalt me connaît. Il saura ce que je veux dire.
Et Dalt, le visage écrasé contre ma poitrine, flétrie, hoche la tête; Nous ne pourrions pas être plus parfaits, plus heureux ou plus aimés.  Peu importe le mot. Et les enfants de nous regarder bouche bée, incapables de comprendre..;Un destin que je serais prête à revivre sans la moindre hésitation. page 241

Dans le passé, quand je restais, tapie dans la maison, me cacher semblait être une solution idéale, pour éviter la pitié, le regard , le dégoût. ...Aujourd'hui, je me dis, quelle idiote. Couper les ponts, comme j'ai fait? ..La solitude a été mon fort....page 250

(Matty est décédée et l'urne est dans les mains d'Atty, les deux enfants sont présents)
" C'est ici qu'on a mis le raft à l'eau. Maddy était sur le sommet de la colline...(le jour de leur mariage)
- Ok vous êtes prêts?
A présent, Atty semble troublé, mais il hoche la tête. Iz demande:
-  On fait comment?
....Je n'ai aucune idée de la procédure à suivre. Je n'avais pas prévu  ce moment, je ne l'ai jamais anticipé.
...."Papa?
- Iz, je ne sais pas quoi faire. Tenez vos mains , peut-être?
Ils tendent tous deux leurs mains, formant une coupe de leurs doigts, comme si je m'apprêtais à y verser un  liquide, un nectar précieux; j'ouvre l'urne et, sans réfléchir, je la secoue pour en vider les cendres, les mains d'Atty d'abord , puis celles d'Izzy, l'ordre dans lequel Maddy leur a donné vie.
- Gardes-en pour toi, dit Izzy.
- Oh ma chérie, je la garde toute entière
....Oh Mad, dis-je dans un souffle.
At et iz , concentrés sur leurs propres manoeuvres, ne me regardent pas.
 - Voilà On peut dire que la boucle est bouclée, pas vrai?
La cendre ne s'envole pas...Je secoue un peu la main, écartant les doigts, et pour la dernière fois, je dis
-Voilà Maddy. Tout ira bien.  page 252,


mercredi, janvier 22, 2020

L'ORIGINE DES AUTRES (Toni Morrison)

Dans cette série de six conférences prononcées à l'université de Harvard en 2016, Toni Morrison analyse les arguments du racisme afin d'établir et d'entretenir la domination d'une seule catégorie d'individus. Des récits d'esclaves à l'évocation de  lynchages et des récentes violences policières, l'auteur démontre que la "définition de l'inhumain" censée justifier le sadisme de "l'asservisseur" ne saurait en vérité s'appliquer qu'à celui-ci. Mais si la couleur a été utilisée,  pour ainsi nier l'individualité de l'Autre", nombre d 'auteurs tel que Faulkner ou Hemingway, l'ont largement entretenue, voire exploitée? En cette période marquée par la mondialisation et d'importants mouvements de population,  souvent perçus comme des menaces, le combat de l'écrivain contre "cette obsession de la couleur" pourrait enfin nous permettre de nous avouer que l'étranger, n'est après coup qu'une partie non reconnue de nous-mêmes.
Par la finesse  de ses analyses historiques,psychologiques  et littéraires, Toni Morrison déploie toute l'élégance de son pouvoir de conviction, prouvant aussi que rien de ce qui est humain ne lui est étranger.

mercredi, janvier 15, 2020

LE GHETTO INTERIEUR ( Santiago H. Amigorena) 2019

Vicente Rosenberg est arrivé en Argentine en 1928. Il a rencontré Rosita Szapire cinq ans plus tard , Vicente et Rosita se sont aimés et ils ont eu trois enfants. Mais lorsque Vicente a su que sa mère allait mourir dans le ghetto de Varsovie, il a décidé de se taire.
Ce roman raconte l'histoire de ce silence - ce qui est devenu le mien.


Le 13 septembre 1940, à Buenos Aires, l'après-midi était pluvieuse et la guerre en Europe si loin qu'on pouvait se croire encore  en temps de paix. page 13

Au sortir de la Première Guerre mondiale, la Pologne était à peine un pays. Il y avait cinq monnaies différentes, neuf systèmes juridiques, et de multiples disputes frontalières avaient toutes dégénéré en petites guerres:la guerre polono-ukrainienne;la guerre polono-lituanienne, la guerre polono- tchécoslovaque. page 26

Qu'est-ce qui nous fait sentir une chose plutôt qu'une autre?  Qu'est-ce qui fait que parfois nous disons que nous sommes juifs, argentins, polonais, français, anglais, avocats, médecins, professeurs, chanteurs de tango ou joueurs de football? Qu'est-ce qui fait que parfois nous parlons de nous-mêmes en étant si certains que nous ne sommes qu'une seule chose, une chose simple, figée, immuable, une chose que nous pouvons connaître et définir par un seul mot?  page 30

Vicente Rosenberg était rivé en Argentine au mois d'avril 1928 avec très peu d'argent e tune lettre de recommandation de son oncle pour la Banque de Pologne à Buenos Aires...Page 32

Il avait bien vu, après, à l'université, comment ses camarades l'avaient remercié d'avoir libéré leur patrie: par des insultes , en le traitant de "juif", comme si être juif l'empêchait d'être polonais page 51
En 1940, Vicente ne savait peut-être pas s'il était juif ou argentin, mais il savait qu'il n'était pas assez polonais pour se battre, comme il s'était battu pour défendre ce pays. page 51

Quelques années auparavant, Rosita ( son épouse) lui avait conseillé; s'il voulait vraiment que  sa mère vienne s'installer avec eux, d'écrire à son frère et à sa soeur, ou bien d'aller la chercher. mais Vicente n'avait rien fait. Il lui avait même avoué que depuis qu'il était arrivé en Argentine, il avait compris que l'exil lui avait  permis de devenir indépendant, et qu'il n'était pas si sûr  de vouloir vivre de nouveau avec elle.  S'éloigner de sa mère, en 1928, l'avait tellement soulagé - être loin d 'elle, aujourd'hui , le torturait tellement.   page 60

 "Pourquoi jusqu'aujourd'hui j'ai été enfant, adulte, soldat, officier, étudiant, marié, père, vendeur de meubles, mais jamais juif?  Pourquoi je n'ai jamais été juif comme je le suis aujourd'hui? - aujourd'hui où je ne suis plus que ça"?  page 69

..;Comme si cette origine juive était une grosse valise qu'il fallait se trimbaler pendant toute notre existence. Une grosse valise pleine de vieux manuscrits écrits d'une écriture illisible...d'une écriture illisible d'une langue qu'on ne parle même pas!  C'est comme si être juif, parce que ce n'est pas une nationalité, parce qu'on n'avait pas de territoire, devenait comme...un héritage tellement lourd...;tellement immense...page 76
..Un peuple sans Etat, une manière de survivre comme si on était vraiment une communauté qui n'est pas échafaudée sur des rois, sur une langue, sur une terre qu'on partage, ou sur des guerres qu'on a partagées..;m^me pas vraiment sur un dieu , puisque presque plus personne  n'y croit....mais juste quelques livres et un petit tas de souvenirs qu'on se rappelle à peine.
- Et aussi sur l'idée stupide que quelqu'un nous a choisis  non? Sur l'idée qu'un dieu nous a choisis pour quelque chose. Même si personne ne sait quoi au juste.  page 78

Je n'ai pas fini ce livre, je n'arrivais pas à m'y plonger.

jeudi, janvier 09, 2020

LE DERNIER HIVER DU CID ( Jérôme Garcin) 2019

Il y a soixante ans, le 25 novembre 1959, disparaissait Gérard Philipe. Il avait trente-six ans.  Juste avant sa mort, ignorant la gravité de son mal, il annotait encore des tragédies grecques, rêvait d'incarner Hamlet et se préparait à devenir au cinéma, l'Edmond Dantès du Comte de Monte-Christo. C'est qu'il croyait avoir la vie devant lui. Du dernier été à Ramatuelle au dernier hiver parisien, semaine après semaine, jour après jour, l'acteur le plus accompli de sa génération se préparait, en vérité, à son plus grand rôle, celui  d'un éternel jeune homme. 

"Quelle pensée s'impose souvent à vous?
- L'urgence des choses que je dois faire.
- Qu'est-ce qui vous étonne dans la vie?
- Sa brièveté."
Gérard Philipe ( Arts, 1958)

"La mort a frappé haut"
Jean Villar  ( Chaillot, 25 novembre 1959.)

A Georges Perros le 15 janvier 1959.  "Georges, tu es le seul qui pourrais me donner ma température.Et je crois , et je sais que je suis malade. Ou plutôt que, de longue date,  se préparait cette crise où je me débats.  J'ai des remontées, je respire, J'aspire et c'est la noyade aussitôt ou presque. ...;J'aurais voulu te dire tout ça...." Georges ne viendra pas. page 20

Le travail manuel le dédommage de tous les rôles qui exaltent sa beauté et l'obligent à la pureté.  sans cesse, il lui faut concasser sa célébrité, étançonner son existence et , au milieu des siens, retourner ses arpents de terre, où il est  plus heureux et tellement plus naturel que dans les salons parisiens et trompeurs.  page 27

5 novembre 1959. La notoriété ajoute aux ennuis de santé, qui l'embarrassent, la dégradent et la rendent commune. une vedette ne consulte pas. Il s'agit donc  de ruser avec la vérité est d'essayer d'avancer masqué. page 37

Cela fait quatorze ans que son père est interdit de territoire français, depuis que , le 22 novembre 1945, la cour de justice des Alpes-Maritimes l'a condamné à mort par contumace pour intelligence  avec l'ennemi, atteinte à la sûreté de l'Etat et appartenance à des groupes antinationaux, ainsi qu'à l'indignité nationale et à la confiscation de ses biens.  l'inculpé s'est réfugié dans l'Espagne franquiste avant même l'énoncé du jugement. Il a fui la sentence, qu'il pressentait sévère.   Désormais, l'élégant senor Philip, qui a un profil, une éloquence et des costumes fins, d'ambassadeur sans affectation, y enseigne le français dans une institution religieuse. Chez lui, , dans cet appartement acheté par Gérard, il collectionne et découpe les journaux qui n'en finissent pas de chanter les louanges de son fils ....page 39

Une infirmière profite de la place laissée par le visiteur pour se glisser, un journal à la main et le rose aux joues, dans    la chambre de Gérard. Elle lui demande s'il accepte de dédicacer le numéro de l'hebdomadaire Arts, dirigé par l'écrivain Jacques Laurent, dans lequel l'acteur a bien voulu se prêter sans chichis, au "jeu des questions". Avant de le signer, Gérard se relit et puis tend l'exemplaire avec un grand sourire: " C'est un peu anecdotique, mais au moins je n'ai pas  triché...."
- Votre portrait moral?
- Je suis ambitieux.
- Votre première qualité? 
- L'orgueil.
- Votre principal défaut?
-  L'orgueil.
....- Regrettez-vous quelque chose?
- La jeunesse. 
...- Avez-vous peur de la mort?
- Hé oui! 
...Quelles qualités appréciez - vous chez vos amis?
- Le silence. J'aime qu'un ami sache l'observer. ...page 59

Anne ne bouge pas, figée dans son plâtre d'angoisse comme un modèle de pietà devant un sanctuaire invisible. ( Gérard part en salle d'opération) Elle a quarante-deux ans et pense à ce proverbe chinois: " Le chemin le plus long est celui où l'on marche seul" dont elle a fait sa devise lorsqu'elle traversait, il y a plus de dix ans, à pied et à cheval,  le désert  rosé du Sin- Kiang. Elle s'appelai alors, Nicole  Fourcade, elle était l'épouse du diplomate français à Nankin, François Fourcade ( ils s'étaient mariés en 1938, avaient divorcé en 1949) qui lui avait fait découvrir la route de la soie et l'avait libérée de son patronyme belge, Navaux, qu'elle détestait, ainsi  que son troisième prénom, Ghislaine, qu'elle avait toujours désavoué. C'est Gérard qui l'avait priée  de reprendre le premier , Anne, avant de l'épouser en 1951. page 63
Elle avait fait des études de philosophie à Bruxelles, était devenue ethnologue, avait donc emprunté, sous le nom de Fourcade, la route d ela soie et en avait rapporté, sous le nom de Philipe, un récit chaotique, Caravanes d'Asie, que Paul-Emile Victor  avait publié, en 1955...Elle en était revenue plus philanthrope: " Ce voyage , qui se déroula le plus souvent au fin fond de la solitude m'a paradoxalement aidée à découvrir l'importance de la personne humaine et la merveilleuse force créatrice de l'homme. Je sais maintenant que vivre en solitaire est aussi impossible que vivre sans respirer et que rien n'est plus beau, ni plus satisfaisant que les rapports humains: amour, amitié,  camaraderie, sympathie." page 96

Il préfère le présent au passé, le bouillant au refroidi, l'éphémère à l'éternel. Il aime l'idée d'avoir brûlé les planches devant les spectateurs voués eux-mêmes à disparaître, et chaque soir, des intonations,  des modulations, des inspirations différentes; qu'il ne restera aucune trace de ce qu'il a été sur scène, puisque Vilar s'opposait à toute captation, ce mensonge technologique, exigeant d'un spectacle qu'il fût exclusivement vivant, donc mortel.  page 109
S'il devait disparaître demain, dans cette clinique qui sent la fumigation et l'eau de Javel, c'est un autre bilan qu'il tirerait de sa vie. le seul dont il soit un  peu fier: avoir travaillé avec Vilar, préféré oeuvrer au prestige populaire du TNP qu'entrer dans la très bourgeoise Comédie - Française, avoir joué pour les plus défavorisés, dansé la valse musette. page 110..

25 novembre 1959. La mort  n'a pas encore été annoncée que déjà, les Parisiens convergent, dans l'après-midi, vers la rue de Tournon. La procession est lente, silencieuse et sonnée.  page 168
L'habilleuse du TNP est arrivée, les mains pleines, à pas de souris, au début du jour. A la demande de Anne, elle apporte, repassé avec soi, enveloppé dans  du papier crépon, le costume dans lequel Gérard avait triomphé et sera enterré. Celui du Cid...page 169

Sur la table de l'entrée, s'amoncellent déjà les télégrammes et des pneumatiques de condoléances...mais Anne ne les lit pas et ne les lira pas....La France, rejointe par le monde entier, pleure son idole, fauchée en pleine gloire, mais elle est seule, désormais avec sa détresse. page 172

( François Mauriac prononce à l'ORTF, l'oraison funèbre)
" Gérard Philipe, je ne  le connais pas. je n'en prends pas moins ma part de chagrin. Ce qui montre bien la grandeur de cette profession autrefois décriée, Gérard Philipe a donné de lui-même à tous. Il n'est personne en France qui ne l'ait perdu. Et dans le monde. Nous devrions finir par le savoir , que les êtres charmants et jeunes meurent eux aussi, mais c'est toujours le même étonnement, le même scandale...page 174

Pas d'épitaphe sur la pierre tombale, simple et blanche comme une borne où sont gravés, en lettres maigres, les repères que le temps effacera d'une vie brève: " Gérard Philipe, 4 décembre 1922- 25 novembre 1959" . Pas non plus de discours, pas de condoléances, pas de musique.....Aucun protocole.Mais cette sidération, juste après un tremblement de terre...page 187