jeudi, juillet 29, 2021

MAUVAISES HERBES. ( Dima Abdallah) 2020

 Dehors, le bruit des tirs s'intensifient. Rassemblés dans la cour de l'école, les élèves attendent , en larmes, l'arrivée de leurs parents. La jeune narratrice de ce saisissant premier chapitre ne pleure pas, elle se réjouit  de retrouver avant l'heure "son géant".  La main accrochée à l'un de ses grands doigts, elle est certaine de traverser le chaos.  Ne pas se plaindre, cacher sa peur, se taire, quitter à la hâte un appartement pour un tout autre tout aussi provisoire, l'enfant  née à Beyrouth pendant la guerre civile s'y est tôt habituée. Son père, dont la voix alterne avec la sienne, sait combien , dans cette ville détruite, son pouvoir n'a rien de démesuré. Même s'il essaie de donner le change, avec ses blagues et des paradis de verdure tant bien que mal réinventés à chaque déménagement, cet intellectuel - qui a le tort de n'être d'aucune faction, ni d'aucun parti - n'a qu'à offrir que son angoisse, sa lucidité et son silence. 

BEYROUTH 1983. (Le père est allé à l'école chercher sa fille à cause des bombardements). Je la regarde et je me dis que tout n'est pas encore perdu. D'un jour à l'autre, il faudra bien que cette guerre finisse, ce n'est qu'un affaire de quelques semaines, quelques mois tout au plus. Il ne peut en être autrement, je n'ai pas le courage qu'il en soit autrement. Parce qu'elle ne grandira pas dans ça, ce n'est pas une option. Parce que dans six ans, ce sera déjà  trop . Je vais continuer à lui dire que rien de tout ça n'est n'est grave, qu'elle a bien raison de ne pas pleurer, qu'on ne risque rien et que ça ne nous regarde pas, ce vaste bordel. je me dis qu'il n'y a pas besoin d'en parler, demain on ira acheter un pot de marjolaine pour remplacer celui qui a fané et on mangera sur place. Chaque soir, on trouvera la force d'oublier ce qui s'est passé dans la journée et chaque matin, on trouvera une parade pour oublier la nuit passée. Je crois que l'oubli est la meilleure solution, je crois que je suis en train de développer une sort de super-pouvoir pour ce qui est de l'oubli. ...Je ne garde que les souvenirs d'avant, avant que tout cela arrive...page 33

BEYROUTH 1984 Je ne sais pas combien de temps nos allons rester ici. C'est des amis de mes parents qui, ayant momentanément fui dans je ne sais quel pays du Golfe, nous ont prêté leur appartement.....Nous somme arrivés là avec peu de bagages et d'objets qui nous appartenaient. page 42

Ma boule et moi, on se tient compagnie. On s'est habituées l'une à l'autre. Elle se réveille avec moi chaque matin et s'endort avec moi chaque soir. page 44

BEYROUTH 1985. J'aime bien le fait qu'il  (son père)  ne me  parle pas trop de l'école et qu'il s'en fiche que je sois la première  de la classe.  page 54

La poésie, c'est peut-être ce qu'on écrit quand on n'arrive pas à pleurer comme les autres. page 59

Je (le père) roulais dans la nuit et, pour la première fois depuis longtemps,  je prêtais attention aux trous d'obus sur le bitume  et aux immeubles écroulés, aux autres mouchetés de trous, autres désertés.  Pour la première fois, j'ai compté au fur et à mesure,  le nombre de checkpoints qui nous séparaient de la maison, qui n'était pas notre maison. J'ai tout vu, j'ai tout compté...J'ai vu l'horreur des ombres sur tous ces visages à la lumière des phares de la voiture. je roulais et je voyais les visages fantomatiques des hordes de l'infâme s'animer dans la nuit. Je voyais tout....Je n'avais jamais vécu avec une telle lucidité. page 80

Moi, tout ce que je sais, c'est que  j'ai ouvert la fenêtre un matin et j'ai trouvé la guerre. page 83

RMAYLEH 1989  Je me lève tout doucement, sans faire de bruit, et je prépare mon petit sac à dos. J'y mets quelques affaires, je ne sais bien quoi, le genre de bricoles que j'aime à conserver, pas grand-chose. Je me suis habituée à avoir très peu d'affaires....Je me suis bien habituée à ce que  les objets d'une vie tiennent dans un petit sac et ce ne sont jamais les mêmes; La seule chose qui survit à nos nombreuses fuites, c'est nous quatre. ...Les valises ne sont jamais loin. Elles ne sont jamais rangées à la cave ou au grenier ou en haut d'un placard. page 87 ( la maman, les deux enfants quittent le Liban pour Paris, le père reste) page 86

C'est bien qu'ils soient partis, d'ici et de moi. Moi, je fais corps avec ce pays, je suis solidaire de son ravage, de sa défaite. Je l'ai connu avant ça, moi, le pays. Nous avons nos souvenirs, nos nostalgies. page 102

PARIS, Rue Mouffetard. 1990...Il y a des choses que j'aime bien ici. J'aime l'odeur du pain qui cuit quand je passe devant une boulangerie et quand je vais acheter une baguette. Si elle est encore chaude, j'en croque un petit bout et je creuse un peu pour attraper la mie encore tiède et moelleuse. J'aime aller seule  au collège, à pied....Les trottoirs sont propres et bien fichus.....Près  de la bibliothèque, il y a un vieux monsieur qui fait la manche et dort dans la rue. Hier, je lui ai donné un de mes bonbons et il m'a souri et longuement remerciée.  On a discuté un peu. Il y en a plein, ici, des comme lui. C'est ici que j'ai vu la vraie misère, la misère de quand on n'a plus personne. Et ce monsieur n'a personne, il me l'a dit. J'ai longuement réfléchi à la raison pour laquelle il y a tant de clochards dans un pays si riche. Je crois que, s'ils laissent les gens dans la rue, ce n'est pas qu'ils n'ont pas les moyens de les aider, ni de les chasser. C'est pour les laisser là, aux yeux de tous, comme un exemple, un avertissement....On le laisse là, à la vue de tous, seul, pour dire ce que chacun peut devenir s'il lui prend l'envie de ne pas respecter les règles de la classe. Gare aux différents. Gare aux rebelles. Gare aux inaptes. Les différents sont encore plus seuls à Paris qu'à Beyrouth. page  111, 112

Quand quelqu'un me demande mes projets, même ceux du lendemain, je ne sais que répondre. page 136.

(L'héroïne s'en va pour trois ans en Espagne, à l'aventure).Je n'ai pas fait preuve d'aucune sagesse. Mon corps a seulement refusé de continuer, mon coeur s'est arrêté, ou on a continué, je ne sais plus bien, je suis morte. page 139





jeudi, juillet 22, 2021

LA NATURE EXPOSEE. ( Erri De LUCA) 2017

  " Comme tu peux le voir, il s'agit d'une oeuvre digne d'un maître de la Renaissance. aujourd'hui, l'Eglise veut récupérer l'original. Il s'agit de retirer le drapé. " J'examine la couverture en pierre différente, le semble bien ancrée sur les hanches et sur la nudité. Je lui dis qu'en la retirant on abîmera forcément la nature.  " Quelle nature? " La nature, le sexe, c'est ainsi qu'on nomme la nudité des hommes et des femmes chez moi". 

 Dans un petit village au pied de la montagne, un homme, un grand connaisseur des routes qui permettent de franchir la frontière, ajoute une activité de  passeur pour les clandestins à son métier de sculpteur . C'est ainsi qu'il attire l'attention des médias. Il décide alors de quitter le village. Désormais installé en bord de mer, il se voit proposer une tâche bien particulière, restaurer  une croix en marbre, un Christ vêtu d'un pagne. 

Réflexion sur le sacré et le profane, sur la place de la religion dans nos sociétés. La Nature Exposée est un roman dense et puissant , dans lequel Erri De Luca souligne plus que jamais le besoin universel de solidarité et de compassion. 

Depuis quelque temps, des étrangers  désorientés arrivent au village. Ils essaient de passer la frontière, les autorités laissent faire pour ne pas avoir à s'occuper d'eux. Nous vivons sur une terre de passages. Certains d'entre nous pourraient s'arrêter, mais aucun de ceux qui sont arrivés jusqu'ici ne l'a fait. Une adresse de poche leur sert de boussole. Pour nous qui n'avons pas voyagé, ils sont le monde venu nous rendre visite.  Ils parlent des langues qui font le bruit d'un fleuve lointain. On a créé pour eux  un petit service d'accompagnement au-delà de la frontière Nous sommes trois, tous des vieux, parce qu'ici, on est vieux à soixante ans Nous trois seulement  savons par où passer, même la nuit.  page 13

Je fais prendre l'air aussi à mes bouquins, je les offre en lecture, je fais office de bibliothèque municipale qui n'existe pas. Les livres m'ont servi à connaître le monde, la diversité des personnes, qui sont rares dans le coin. Compacts contre la paroi au nord, ils gardent la maison au chaud.  page 17

Ce ne sont pas des mendiants, ils ont assez d'argent pour voyager en première classe. Au lieu de ça, ils doivent nous suivre, en cachette, à  payant chaque mètre parcouru. Ils sont habitués aux bandits, nous sommes les derniers qu'ils rencontrent , et pas les pires. .;Je me fais payer comme les autres et, une fois que je les ai conduits de l'autre côté, je rends l'argent. Il leur est plus utile. je ne leur dit pas avant que j'ai l'argent sur moi, pour qu'ils n'aient pas l'idée de le reprendre de force....Je suis content d'être utile à un âge où, dans cette région, on est voué au pilon, au délire alcoolique, à l'hospice. L'avantage de ne pas être père, c'est de ne pas avoir un fils qui veuille m'enfermer dans le handicap. La montagne est mon hospice. page 18

Quelqu'un me dit à voix basse qu'il a aidé aussi un réfugié. Il prend un air de conspiration, conscient de commettre une transgression. C'est comme ça dans la plaine. Ici, on fait autrement. Ils les appellent  des réfugiés. pour moi,  ce sont  des voyageurs d'infortune qui en  ont eu trop à faire à la fois. Ils tentent de s'en débarrasser avec le voyage. page 24

Je regarde les mains d'un homme pour comprendre qui il est. page 31

(Le narrateur est obligé de quitter son village, Les médias répandent l'info qu'il rend l'argent aux étrangers , une fois qu'il les a conduits à la frontière, ses deux collègues lui en veulent. Un curé et son évêque lui demandent de restaurer une croix en marbre sur laquelle un soldat de la première guerre mondiale a sculpté un Christ auquel des "bonnes âmes" ont demandé de le vêtir d'un pagne. Le narrateur doit le lui enlever, " dévoiler la nudité de ce corps". " Vous êtes croyant? " Pas dans la divinité, je crois à quelques représentants de l'espèce humaine. " Qu'entendez-vous par sacré? " - Ce pourquoi une personne est prête à mourir. "Considérez-vous l'homme de la statue comme sacré?  La raison pour laquelle il accepte le sacrifice sans se dérober est sacrée.  " Alors, continuez" page 52

Nous parlons  de tout le mal que l'espèce humaine a inventé pour elle-même. Aucun animal ne se rapproche de notre pire. page 61

" Tu as vu une bomme partie du monde, lui dis-je - " Vu, oui, mais seulement vu, le moins important des sens. Il faut rester dans le monde  pour y comprendre quelque chose. "page 67

Je dis qu'un livre sert de porte-bonheur, de compagnon de voyage, d'ange gardien. Il sert même de  passeport à ceux pour qui il est sacré.  page 72

A la fin de la journée, je sors pour  me dégourdir les jambes. J'ai besoin de mettre des kilomètres sous mes pieds.  page 76

Un philosophe de l'Antiquité recommandait de vivre caché.  - "Epicure". - oui, c'est lui, vis caché à voix basse, sans te faire remarquer en clamant  ta chance. j'ai plus que le nécessaire et s'il me manque quelque chose, je ne n'en aperçois pas".  - "Donc, c'est de ça qu'est fait un homme? de ce qu'il a en poche? " demande-t-elle irritée. Pas un homme mais sa dignité de se suffire à lui-même, sans peser sur les autres." page 78

Je ne pense pas. Je ne me crois pas capable de suffire à une femme. page 84

La nudité du corps est la chasteté  de la misère.  page 96

Ce tapage lui est nécessaire. le silence le distrait. page 99

La fin de l'hiver étire les minutes de la journée. page 118

Elle (une amie) n'est pas croyante. Moins que ça même: elle est indifférente. Pour elle, Les religions sont la réponse au besoin de se sentir poussé par une cause importante. Pour elle, la seule cause dont nous sommes les effets, c'est la vie, rien d'autre. page 120

(Pour moi) Ce sont des dettes de reconnaissance, insolvables,  qui vont de mes parents au cadeau de l'ouvrier algérien. ( ce dernier lui a offert le marbre dont il se servira ) page 121

(L'Algérien) " J'ai appris chez vous à n'être personne. Je garde les yeux baissés et ainsi je disparais, je les lève et apparais à nouveau. je me tais et je suis accepté, je parle pour demander un renseignement et je suis repoussé. Vous préférez personne. C'est bon, disons que nous n'existons pas les uns pour les autres. Toi, non, tu t'assieds, tu parles, tu poses des questions. Tu es quelqu'un et tu me fais aussi devenir quelqu'un. " page 129

Celui qui meurt ne se sent pas mourir lui-même: il sent mourir le monde, les personnes tout autour, les jours, les nuits, les planètes, les mers. Celui qui meurt sent s'étendre l'univers hors de lui. C'est la miséricorde offerte à chaque mort qui dissout le désespoir dans l'immensité de toutes les extinctions. page 152

( Chez le rabbin) " Les livres, ils ne sont pas fragiles. Ils  se laissent maltraités...Leur prodige est de savoir prendre le temps de celui qui lit. On ouvre Homère e ton le trouve à côté de soi. On le referme et il s'en retourne dans les siècles". (Réflexion du narrateur)  Il n'en va pas de même pour le crucifié, pour son discours de la montagne, sur les égalités, sur le bonheur. Je referme les pages de Matthieu et elles ne retournent pas dans leur millénaire. Elles se sont glissées dans l'écoute, elle font du lecteur un témoin, quelqu'un qui était là. Telle est peut-être la différence entre Homère et Matthieu. ( Le curé) IL lit rarement Homère. Pour lui, Matthieu est son journal quotidien qui lui raconte la dernière nouvelle, tandis qu'Homère a le charme de la légende. ...." Matthieu, c'est la terre ferme. Homère, c'est la mer". page 157

Avant de descendre dans la grande salle pour la dernière fois, je passe chez le curé. je redis mon désir de ne pas voir mon nom figurer en marge de la restauration. L'oeuvre est celle du sculpteur, moi, je suis son adjoint dans un détail....Je n'assisterai pas à l'inauguration, je connaîtrai le résultat final avant  les autres, puisque c'est moi qui l'inaugurerai.  page 162

Je mets de la résine sur les deux surfaces de contact. . J'approche la nature  de son point de jonction J 'ai peur de mal l'attacher, d'être imprécis. Les deux parties s'attirent toutes seules. J'approche. J'unis. Fin. page 165


vendredi, juillet 16, 2021

POISSON D'OR ( J.M.G. LE CLEZIO) 1997

 "Quem vel ximimati in ti teucucuitla michin." Ce proverbe nahuati pourrait se traduire ainsi: " Oh poisson, petit poisson d'or, prends garde à toi! Car il y a tant de lassos et de filets tendus pour toi dans ce monde. " Ce conte qu'on va lire suit les aventures d'un poisson d'or d 'Afrique du Nord, la jeune Laïla, volée, battue et rendue à moitié sourde à l'âge de six ans, et vendue à Lalla Asma qui est  pour elle à la fois sa grand'mère et sa maîtresse. A la mort de la vieille dame, huit ans plus tard, la grande porte de la maison du Mellah s'ouvre enfin et Leila doit affronter la vie, avec bonne humeur et détermination, pour réussir à aller jusqu'au bout du monde. 


La santé est une couronne sur la tête des gens bien portants que seuls les malades  voient" page 15

(Lalla Asma a eu une attaque cérébrale, elle ne parle plus, ne marche plus...) Une nuit tout allait   plus mal. Je ne me suis pas rendu compte tout de suite. ....Quand je me suis réveillée,  Zobra ( la fille de Lalla Asma) était à côté du lit, elle pleurait à haute voix. Tout à coup, elle m'a vue, et la colère  a tordu sa bouche. Elle m'a donné des coups avec tout ce qu'elle trouvait, une serviette-éponge, des revues, puis elle s'est déchaussée  pour me frapper et je me suis sauvée dans la cour. ...Puis, je le suis mise à courir dans les rues...C'est comme cela que j'ai quitté sans retour la maison de Mellah. Je n'avais rien, pas un sou, j'étais pieds nus  avec ma vieille robe...Page 28

Ma vie au foudouk ( chez Mme Jamila) s'organisé de façon remarquablement  calme et je peux dire, sans exagérer, que ce fut la période la plus heureuse de mon existence. ..Quand j'avais faim, je mangeais, quand j'avais sommeil, je dormais et quand je voulais sortir, ( ce que je faisais presque constamment ) - , je sortais sans avoir  à demander à qui que ce soit. la liberté parfaite dont je jouissais était  celle des femmes dont je partageais l'existence. ...Elles m'avaient adoptée, comme si j'étais leur fille , ou plutôt comme une poupée...Page 34

Mme Jamila savait tout ce qui se passait. Elle n'en  parlait pas, mais je voyais bien qu'elle n'était pas satisfaite...Elle voulait m'apprendre à écrire en arabe, elle avait des ambitions pour moi.  Mais je ne faisais  pas très attention à ce qu'elle voulait me dire. J'étais ivre de liberté , j'avais vécu  enfermée trop longtemps. J'étais prête  à me sauver si quelqu'un avait voulu me retenir. Page 36

Je n'avais aucune idée  de ce que  c'était un métier,  de ce qui était bien  et de ce qui était mal.je vivais comme un petit animal domestique, je trouvais bien ce qui me flattait et me caressait et mal tout ce qui  était dangereux et me faisait peur....Ce qui me faisait le plus peur, c' était la solitude. page 40

( Laïla a quatorze ans)  Je crois que je n'avais plus aucun sens de la mesure ou de l'autorité. Je risquais de lourds ennuis.  C'est durant cette époque  de ma vie que j'ai formé mon caractère, que je suis devenue inapte à toute forme de discipline, encline à ne suivre que mes désirs, et que  j'ai acquis un regard endurci. page 48

(Laïla a quitté  Mme Jamila) Pour la première fois, il me semblait que j'étais libre. je n'avais plus d'attaches, j'allais vers l'avenir. Je n'avais plus peur de la rue blanche et   du cri de l'oiseau, il n'y aurait plus jamais personne qui me jetterait dans un sac et me battrait. Mon enfance restait e l'autre côté de la rivière. page 66

Pour la première fois, j'ai eu envie de partir, très loin. Partir à la recherche de ma mère,  de ma  tribu, au pays des Hilal, derrière les montagnes. Mais je n'étais pas prête . page 82

( Après un voyage en bateau,  en car à travers l'Espagne, Laïla et ses compagnons ont traversé à pied la frontière entre l'Espagne et la France, en clandestins). On  a passé le col à la tombée de la nuit...J'ai dit à Houriya: " Regarde, c'est la France! C'est beau" Elle était très pâle. ..Je ne sais pas pourquoi , pour la première fois, j'ai pensé à mon pays, comme si c'était ici, dans cette vallée, que je m'en allais très loin, que je laissais tout derrière moi. Page 87

On s'asseyait dans les cafés et on parlait. Hakim  était grand et mince, toujours élégant dans son costume noir. Il racontait des choses étranges. Un  jour, il m'a apporté un petit livre usé qui avait été lu pares quantités de mains graisseuses., ça s'appelait Les Damnés de la Terre   et l'auteur s'appelait Frantz Fanon.. Hakim me l'a donné mystérieusement: " Lis-le, tu comprendras beaucoup de choses". Il n'a pas voulu me dire quoi. Il a seulement posé le livre sur la table du café devant moi. " Quand tu auras fini, tu pourras le donner à quelqu'un d'autre". J'ai mis le livre dans mon sac, sans chercher à savoir davantage. page 132 Un dimanche qu'il pleuvait, il m'a emmenée à la Porte Dorée, pour voir le musée des Arts africains. Page 133

mercredi, juillet 14, 2021

LULLABY ( LE CLEZIO)

 Lullaby est une jeune fille fascinée par la mer. Un jour, elle oublie l'école qu'elle a décidé de quitter le matin même. Sur le chemin des contrebandiers qui longe la côte, elle découvre un  infini de bleu, de lumière, de vent et de vagues. Plus rien n'existe que la caresse du soleil et le souvenir de son père à qui elle écrit des mots sur des feuilles de papier qu'elle brûle ensuite. "Karisma", les lettres gravées sur la petite maison perdue dans la falaise, chantent son bonheur. Mais les rochers-gaufrettes lui livrent d'autres messages : " trouvez-moi",  "ne vous découragez pas". Où va donc la mener ce jeu de piste marin?

A peine 70 pages, fascicule plein de poésie.

mercredi, juillet 07, 2021

CE GENRE DE PETITES CHOSES ( Claire KEEGAN) 2020

 Ce Genre de Petites Choses. En cette fin d'année 1958, à New Ross, Bill Furlong, le marchand de bois et de charbon, a fort à faire. Aujourd'hui, à la tête de sa petite entreprise et père de famille, il a tracé seul sa route: élevé  dans la maison où sa mère, enceinte à quinze ans,  était domestique, il a eu plus de chance que d'autres enfants nés sans père. 

Trois jours avant Noël, il va livrer le couvent voisin. Le bruit court que les soeurs du Bon Pasteur y exploitent à des travaux de blanchisserie  des filles non mariées et qu'elles gagnent beaucoup d'argent en plaçant à l'étranger leurs enfants illégitimes. Même s'il n'est pas homme  à accorder de l'importance à la rumeur, Furlong se souvient d'une rencontre fortuite lors d'un précédent passage: en poussant une porte, il avait découvert des pensionnaires vêtues d'horribles uniformes, qui ciraient pieds nus le plancher. Troublé, il avait raconté la scène à son épouse, Eileen, qui sèchement lui avait répondu que de telles choses ne les concernaient pas.

Un avis qu'il a bien du mal à suivre parce froid matin de décembre, lorsqu'il reconnaît, dans la forme recroquevillée et grelottante au fond de la réserve à charbon, une très jeune femme qui y a probablement passé la nuit. Tandis que, dans son foyer et partout en ville, on s'active autour de la crèche et de la chorale, cet homme tranquille et généreux n'coute que son coeur.

Claire Keegan, avec une intensité et une finesse qui donnent tout son prix à la limpide beauté de ce récit, dessine le portait d'un héros ordinaire, un de ces êtres par nature conduits à prodiguer les bienfaits qu'ils ont reçus. 

Les temps étaient incertains, mais Furlong se sentait déterminé à continuer. Tout ce qu'il voulait, c'était garder une attitude discrète et conserver l'estime des gens, subvenir aux besoins de ses filles, les voir poursuivre et achever leurs études à St Margaret, le seul établissement secondaire convenable de la ville. page 21

(Il repense à un Noël quand il était enfant). Il avait écrit, du mieux qu'il pouvait, pour demander son papa ou alors un puzzle de cinq cents pièces représentant une ferme. Le matin de Noël, ..il était allé dehors jusqu'à l'étable, pour cacher sa déception et pleurer. Ni le bonhomme Noël, ni son père n'étaient venus. Et il n'y avait pas de puzzle. Il pensa aux choses que les  autres enfants avaient l'habitude de dire sur lui à l'école, aux insultes qu'il subissait, et, dans  son for intérieur, comprit que la raison en était là....Avant de regagner la maison, il s'était lavé la figure à l'abreuvoir, cassant la couche de glace et s'était forcé à plonger les mains dans le froid et les y avait laissées, pour détourner sa peine, jusqu'au moment où il n'avait plus le supporter. Où était son père maintenant?  Parfois, il se surprenait à examiner  des hommes plus âgés, à essayer de trouver une ressemblance physique, ou à guetter un indice dans les choses que les gens disent....page 28

Les religieuses du Bon Pasteur, responsables du couvent, dirigeaient aussi un école professionnelle pour les filles, l'équivalent du collège technique pour les garçons, leur apportant une formation de base - et géraient une florissante entreprise de blanchissage. On savait peu de choses du l'école professionnelle, mais la blanchisserie avait bonne réputation;: des restaurants et des pensions de famille, aussi loin que qu'Enniscorthy, la maison de retraite et l'hôpital et tous les prêtres et les riches  y envoyaient leur linge...Page 44....D'autres bruits couraient, aussi, sur l'endroit. Certains disaient que les filles de l'école professionnelle,  comme on les appelait, n'étudiaient  rien, mais étaient des filles de moralité douteuse qui passaient leurs journées à s'amender, à faire pénitence en nettoyant en permanence les taches sur le linge, qu'elles consacraient chaque jour, sans exception, de l'aube à la nuit, au travail....D'autres juraient que  cet endroit ne valait pas mieux qu'un foyer pour mères et bébés où des filles non mariées, entraient   pour être cachées jusqu'au jour de leur accouchement...que leurs enfants illégitimes étaient ensuite adoptés à l'extérieur, vendus à des Américains fortunés..., que les religieuses gagnaient beaucoup d'argent en plaçant ces bébés à l'étranger, que c'était une industrie qu'elles entretenaient. page 45

Dès qu'il eut débloqué le verrou, il sentit une présence à l'intérieur...Lorsqu'il braqua la lampe sur ce qui était là, il estima, à ce qu'il y avait par terre, que la fille à l'intérieur, avait passé la nuit ici, au minimum. ..." Tu n'as rien à craindre.....Dieu te protège, petite, Viens donc dehors d'ici. Lorsqu'il réussit à l'amener à l'extérieur et vit l'être qu'il avait devant lui - une fille tenant à peine sur ses jambes, aux cheveux mal coupés - la part ordinaire de lui-même se dit qu'il aurait préféré ne jamais s'approcher de ce lieu et tomber dessus. " ça va aller maintenant dit-il. Appuie -toi sur moi, d'accord? "page 65

(Furlong est chez lui et la famille prépare Noël) Une envie de fuir le saisit et il s'imagina dehors avec ses vieux vêtements, seul, à parcourir un long champ sombre, mais il ne bougea pas. page 85

( La patronne du restaurant) " Ce ne sont pas mes affaires, vous comprenez, mais vous devez surveiller ce que vous dîtes sur ce qui s'y trouve (au couvent) ...Ce ne sont pas mes oignons, mais les religieuses ont des intérêts partout. " Il recula alors   et lui fit face: " Assurément elles n'ont que le pouvoir que nous leur donnons, n'est-ce pas? Mrs Kehoe? -  Ne m'en voulez pas dit-elle, mais vous avez travaillé dur, exactement comme moi, pour arriver là où vous êtes aujourd'hui. N'avez-vous pas une superbe famille de filles? - et vous savez que seul un mur sépare cet endroit de St Margaret? ...Vous ne pouvez pas vous dresser  contre les unes sans  compromettre vos chances avec les autres. - Merci , Mrs Kelhoe; je vous suis reconnaissant de me l'avoir dit.  page 98

(Furlong va livrer du charbon au couvent et découvre la même fille que l'autre fois)  " Tu veux venir à la maison, Sarah?  page 108...Tandis qu'ils continuaient leur chemin, Furlong rencontra  des gens qu'il connaissait et côtoyait depuis des années, des gens qui s'arrêtaient volontiers pour bavarder jusqu'à ce que, baissant les yeux, ils remarquent les pieds nus, noircis, et se rendent compte que la fille n'était pas l'une des siennes.   Certains faisaient un grand détour ou parlaient d'un ton embarrassé ou lui souhaitent , poliment un joyeux Noël, et repartaient....Absolument personne ne s'adressa à la fille près de lui ni ne demanda où il l'emmenait....Furlong continua de marcher , la joie dans son coeur égalée par la crainte de ce qu'il ne distinguait pas encore mais à quoi il se heurterait, il le savait.  page 108

Le pire était à venir. Il le savait. déjà, il devinait l'océan de problèmes, l'attendant derrière la prochaine porte, mais le pire qui aurait pu se produite était derrière lui: la chose non faite, qui aurait pu l'être - avec quoi il aurait dû vivre jusqu'à la fin de ses jours...page 112