mercredi, août 27, 2008

L'HOMME DU LAC (Arnaldur Indridason)

Roman policier islandais.
Evocation de la guerre froide, de l'espionnage, du soulèvement en Hongrie, du régime communiste en Allemagne de l'Est, de l'Islande avec ses paysages, ses lacs, ses habitants - ceux des années 60, idéalistes, tentés par le communisme - et ceux du début de ce siècle.
"Elle resta longtemps immoble à scruter les ossements comme s'ils n'avaient pas dû se trouver là. Pas plus qu'elle d'ailleurs".
le début du roman

samedi, août 09, 2008

ESSAIS DE REPONSE (Erri De Luca)

Nous sommes du Sud, des gens nés face aux plus belles plages de la terre, avec des cheminées et des raffineries en bord de mer, et du pétrole entartré sur le sable. Nous avons en commun des yeux noirs de fiertés gaspillées, des cortèges de veuves sous le soleil à pic du midi, une morsure donnée à la tête du poulpe et d'un gril sismique qui hache notre sommeil et nous fait vivre avec une valise au pied du lit. Nous avons adoré tous les dieux possibles et puis nous avons déchiré tous les rites au nom du dieu unique, de l'Adonai ehad, fièvre d 'amour pour un et un seul, crampe absolue de notre précédente inventivité théologique. A présent, nous portons le joug de l'unique tyrannie digne de nous, celle des cieux. c'est ce que nous avons en commun nous, cordes immergées de la Méditerranée. page 18

Nos étés sur l'île duraient des mois. On avait le temps de s'habituer à vouloir y vivre pour toujours. Repartir contenait un grain d'exil. (extrait de Tu, mio)
Ischia est l'île de mes étés d'enfance. Pour ceux qui venaient des arrière-lignes de Naples et de la densité, des ruelles, l'île contenait les distances, le vide et la possibilité d'être libres. A peine arrivés sur l'île, on se "déchaussait", on coupait immédiatement ce lien avec la terre ferme et avec la ville, la peau s'épaississait au soleil et à force de marcher sur le terre et sur les rochers. Elle était la suspension des règles, l'ensauvagement des vacances, l'apprentissage de la mer.
Par la suite, je n'ai plus eu aucun désir touristique. Ischia a éteint en moi, toutes les distances, le besoin de prendre le large. Ischia, pour nous enfants, était tous les tropiques qu'on peut obtenir. Page 19
L'île devient physiquement le lieu de la liberté et la ville non: la ville est une prison, alors que le miniscule réduit d'une île est une liberté immense, illimitée, impossible à goûter et à explorer totalement. C'est une expérience d'immense dans un peu d'espace.
Ecrire aussi, c'est s'enfermer dans un vocabulaire , dans une clôture. Réussir à trouver un territoire de mots aimés qui s'amuse à s'exclure les autres qui sont déjà usés, qui ne tiennent plus. L'écriture est une île, non pas la mer infinie. page 20
J'ai dormi dans la pièce des livres de mon père depuis que je suis né jusqu'au jour où j'ai claqué la porte pour risquer ma vie tout seul, à dix-huit ans. Sa bibliothèque était vaste de toutes les années d'un lecteur famélique. Les murs étaient recouverts de livres sur deux rangées, un capitonnage propice aux rêves. je n'ai jamais retrouvé une chambre aussi étanche; les livres n'étaient pas seulement un isolant acoustique , mais un abri absolu. Là, j'ai appris la solitude, une grandeur démesurée, une omnipotence: ne pas devoir dépendre du monde, ne pas devoir sortir pour le connaître...Les livres de mon père furent un miracle, bien plus grands et plus profonds que les mondes que j'allais connaître....J'ai eu cette chance : une bibliothèque pour assouvir ma soif de connaître le reste, au-delà des frontières des immeubles, au-delà du volcan et de la mer....Pour celui qui est aux abois, il y a le ciel ou bien les livres. dans les deux cas, sa solitude est envahie et apaisée par les voix les plus belles du monde. page 25
Je reviens sur les histoires par besoin de faire revivre des personnes. Je ne possède pas de personnages, je n'écris rien sur eux, je ne les invente pas; j'écris sur des personnes , c'est-à-dire un bout d'humanité déjà passé, déjà créé et constitué. Et puis, écrire une histoire est un geste qui accomplit la moitié du travail; l'autre moitié revient à la personne qui prend cette histoire, la lit et l'emporte avec elle, la met près d'elle, dans la rue, au meilleur moment - le temps sauvé de la journée- et la fait passer dans son intimité. page 28
On voyage sur les lignes des livres, en mettant au-dessus en parallèle sa propre vie, dans l'espace blanc, en voyant avec plaisir toutes les fois où elle coïncide avec l'espace écrit au-dessous. Je suis un lecteur très exigeant car le principe qui guide ma lecture est que c'est l'histoire qui doit me porter, qui doit me faire oublier mon poids, jusqu'à mon souffle et ma respiration, jusqu'aux bruits tout autour. Si je m'aperçois que c'est moi qui porte, ce livre tombe sur mes pieds.
Si moi aussi je suis un autre, c'est parce que les livres, plus que les années et les voyages, changent les hommes. Après bien des pages, on finit par apprendre une variante, un geste différent que celui commis et cru inévitable.(Ext de Trois Chevaux)

Ecrire me permet une intimité avec le monde des autres, celui qui se trouve derrière l'écorce des visages que je vois. Quand je sais qu'une de mes pages a été accueillie avec intensité par une personne , il me semble que les traces légères qu'un homme laisse sur le sol peuvent devenir un sentier pour qu'un autre les foule avec amour. Pour moi, écrire c'est entrouvrir un passge, en espérant que quelqu'un, en le parcourant, le rende achevé.

Les livres ne possèdent pas de public mais ils possèdent une personne seulement, ils possèdent non pas le vaste monde de la lecture, mais exactement et seulement un seul lecteur. J'offre à cette personne qui est en train de lire en ce moment l'appel d'un complice, j'essaie de l'obliger à être témoin de ce qui est en train de se passer ou qui s'est passé; je veux la déplacer de là où elle est, je veux la faire venir avec moi, même si cela ne coïncide qu'avec un seul mot; même si ce n'est qu'un seul mot dans cette centaine de pages, ce mot-là suffit pour que nous ayons été ensemble en lui. pages 28, 29 30

Les souvenirs ne sont pas des archives, ils ne sont pas un répertoire, un agenda. Les souvenirs sont des des coups qui éclatent de l'intérieur, qui te sautent à la gorge à l'improviste et toi, tu te rappelles une chose que tu avais complètement oubliée. "Le souvenir redonne une possiblité au passé" (Agamben) page 33

"On se glisse , selon son filetage, dans une existence fixée par la nécessité et les devoirs, en rêvant toujours de laisser à la surface une trace en creux de notre passage forcé" (extrait d'Alzaia)

Quelle que soit la chose que le destin t'a confiée, quelle que soit la portion de devoir qui t'est échue, fais en sorte qu'elle soit bien faite. Ce n'est pas une réponse, mais directement une prière: fais que ce qui t'est imparti soit exécuté avec scrupule et intensité de soin. "Il ne t'est pas imposé de compléter l'oeuvre , mais tu es libre de t'y soustraire". (Rabbi tarphon, Rouleaux des Pères). page 40

Nous sommes d'un siècle bavard et bouché à la fois., nous sommes d'un tempsqui a soustrait de la valeur à la parole et à la vie. page 42

Une personne qui ne doit pas aux mains , aux bras, son propre salaire, qui ne serait ni porteur, ni ouvrier, ni artisan, ni paysan, finit par savoir peu de choses des mains. Bien sûr, elle les distingue, habituellement avec la main droite elle écrit, se coiffe, serre un verre ou une autre main qu'on lui offre pour dire bonjour, ou bien elle donne une gifle. L'autre est auxiliaire, ombre de la première. Celui qui a un métier manuel a une autre notion des mains. Elles ont mis des années et des années, depuis qu'elles étaient petites, à apprendre un art, se trompant et se bLessant de mille façons. Elles se sont appliquées à l'usage de tous les efforts jusqu'à obtenir une habilité..page 44

Pour arriver, l'impossible a besoin de circonstances urgentes...Le coup de pied à la lune , l'impossible devient indispensable, nécessaire à certains moments. page 46

J'étudie l'hébreu ancien parce que les livres de la Mikra sont merveilleux. Je ne me sens appartenir à aucun peuple ou communauté, mais , à ce livre, oui,je lui appartiens. Apprendre la langue hébraïque a été comme apprendre à jouer d'un instrument à vent. Le Talmud dit que la lecture de celui qui s'arrête au seuil de la lettre est la lecture de l'insensé, c'est-à-dire de celui qui reste au dehors. Moi, je reste au dehors, je suis hors de la profondeur et aussi de la tradition. Hors de la profondeur, parce que je ne vais pas plus loin que le premier sens , le sens littéral, car pour moi, c'est déjà beau ainsi, bien suffisant à mon bonheur. Mais aussi hors de la tradition, parce que la tradition est le commentaire infini ajouté à la Mikra, la tradition est la civilisation du commentaire, des schismes, des hérésies et des retours sanglants à quelque orthodoxie. Moi, je reste à l'entrée, au début, je m'arrête à la source, tandis que la religion, la tradition sont l'estuaire de cette eau qui, chemin faisant, s'enrichit et se trouble de tout. page 57

dimanche, août 03, 2008

CHAT SAUVAGE (Jacques Poulin)

Quand elle disait "le bon vieux temps", avec un timide sourire, la vieille Marie faisait allusion à la fin des années 1960, lorsque l'université se trouvait encore dans le Vieux-Québec et que , surtout dans les cafés et les boîtes à chanson, on sentait passer un vent de liberté qui annonçait l'écroulement des valeurs anciennes. Ma vie, en ce temps-là, avait été insouciante, sinon heureuse. Cependant, je ne regrettais pas cette époque, l'expérience m'ayant appris qu'il fallait se méfier de la nostalgie et qu'il était plus sage de profiter autant que possible du temps présent. Le problème était que je n'y arrivais pas toujours. page 32

-Je suis une sorte de psychologue dit-elle.(Kim qui deviendra l'amie du personnage principal). Et voyant sans doute un point d'interrogation dans mes yeux, elle précisa: mais je n'essaie pas de rendre les gens normaux.
-Ah non?
-Je veux leur donner la chance d'aller jusqu'au bout de leurs capacités, sans tenir compte des normes sociales.
-Vous faîtes de la psychothérapie?
-Oui, en ce moment, je cherche une méthode qui me permettrait de m'occuper du cortps autant que de l'âme....Et vous? qu'est-ce-que vous faîtes dans la vie?
--Je suis un sorte d'écrivain public.
-Au lieu d'écrire pour vous-même, vous écrivez pour les autres?
Cette façon de dire les chosesme plut beaucoup et me fit remonter dans ma propre estime. Je me mis à penser que nos préoccupations n'étaient pas si éloignées l'une de l'autre. page 69