jeudi, décembre 20, 2018

ILS ONT COURU L'AMERIQUE - Serge Bouchard, Marie-Christine Lévesque.

Suite de "ELLES ONT FAIT L'AMERIQUE" que j'ai lu . Voici les pérégrinations de quatorze coureurs des bois - hommes des montagnes, cavaliers des plaines, muletiers, navigateurs des glaces et commerçants des déserts. Voici ceux qui ont couru l'Amérique . En suivant leurs traces, nous pénétrons au cœur  de l'infrahistoire - cette part plus obscure  de la grande épopée humaine, mais qui en donne souvent le meilleur éclairage. Voyons leurs exploits. créons leur légende. Car les grands récits nord-américains,  ont systématiquement omis  de parler de ces "canadiens"  - ainsi qu'on les appelait jusqu'au début du XXè siècle.  De même, nos propres élites  bourgeoises  et cléricales n'ont guère jugé à propos d'en cultiver le souvenir. Et pourtant, depuis  Etienne Brûlé, l'"ensauvage", jusqu'au  père Lacombe, dit  "le petit sauvage" , chacun de ces  découvreurs mérite  de figurer parmi les icônes de la grande aventure de l'Amérique.
 
 
ETIENNE BRULE : ca 1592-ca 1633, l'ensauvage.
 
Il fut un des premiers Français à courir l'Amérique, à entendre sa langue, à épouser ses mœurs, ses mythes, ses femmes,. Et l'Amérique l'aura pris tout entier, avalé littéralement.
 

De son enfance, de ses parents, nous ne savons rien. Né vers 1592, Etienne Brûlé aurait grandi en banlieue de Paris, à Champigny sur Marne....Sur l'un des trois vaisseaux de Champlain, il part en 1608....La traversée dure deux mois et demi. Le 3 juin 1608, Le Don de Dieu  accoste à Tadoussac....Après un mois de préparatifs et de repérage au cœur de Saguenay, Champlain et ses hommes partent pour Québec "là où les eaux rétrécissent." pages 19, 20, 21

Si l'on imagine le quotidien d'Etienne Brûlé éprouvant, il faut néanmoins y voir la conquête d'une grande liberté. Loin de la société française, de sa monarchie,  de ses pouvoirs seigneuriaux, du joug des convenances, à mille lieues de tout diktat moral ou religieux, le jeune Français  vit en Amérique dans une société sans classes,  où les chefs jouissent  du seul prestige  que la communauté veut bien leur accorder. page 36

Champlain et Brûlé vont de village en village afin de recruter des guerriers L'effort est concluant: le 17 août 1615,  se rassemblent à Cahiagué cinq cents Wendas,  bon nombre de leurs voisins Nipissingues et Odawas, dits aussi Cheveux -  Relevés", Iroquet et ses Algonquins oueskarinis, bref une armée impressionnante. page 38

...Etienne Brûlé est le premier Européen - avec Grenolle-  à contempler ( le Lac Supérieur)
Par sa connaissance  de la langue, et du fait qu'il a été véritablement été adopté par les Hurons, Etienne Brûlé est une ressource inestimable pour les missionnaires. En revanche, celui-ci n'éprouve  aucune forme d'intérêt pour eux, en fait, il a tout à craindre de leur jugement....pages 44, 45
En 1623, Etienne Brûlé est de retour à Québec où il retrouve  Champlain.  Celui-ci est préoccupé...page 45

En 1632, la Nouvelle-France est rétrocédée à la France; les colons reviennent  à Québec, suivis de Champlain un an plus tard. A son arrivée, on lui annonce la mort d'Etienne Brûlé, tué par les Hurons.  Tué et mangé. page 52
 
GUILLAUME COUTURE - 1617 - 1701. Bâtir le Nouveau Monde.
 
Sur les sentiers de la guerre, il cherchait la paix. Sous les coups répétés des tomahawwks, il luttait pour la fraternité. Sur les rives hostiles du fleuve, il rêvait d'un monde. Nulle violence, nulle frontière n'aura pu réfréner ses idéaux.
 
 
Guillaume Couture. Un menuisier...à Rouen....Dès le premier contact, le jeune Guillaume apparaît à Goupil (un recruteur)  comme un candidat intéressant. En plus  d'avoir reçu de son père, maître menuisier de la fabrique de Saint-Gothard, un enseignement de qualité, il a appris à lire et à écrire, ce qui est rare et recherché à l'époque.
Guillaume n'a pas à réfléchir longuement.  Il a bon cœur, le goût de l'aventure et aucune envie de courber toute sa vie.  Son bagage bouclé, vient le temps des adieux...Sur les quais, Madeleine Mallet embrasse son fils, elle ne le reverra jamais. Guillaume quitte aussi sa soeur Marie et un oncle qui agit comme tuteur depuis la mort de leur père. Pour le reste, il est libre de toute attache et largue, pour toujours,  les amarres.. pages 61, 62
 
Nous sommes en 1637. La Nouvelle France, dont la population se concentre presque entièrement à Québec, se développe avec peine. : c'est tout juste si elle compte quatre cents habitants. Un véritable échec si on la compare à la Nouvelle Angleterre, qui, elle, en compte cinquante mille...Il y a donc très peu de femmes,  ici, peu de naissances ...Avant d'être frappé de paralysie et de mourir , le 25 décembre 1635, Champlain a tout de même apporté des améliorations au petit bourg...page 63
 
Curieux, (Guillaume Couture) passe beaucoup de temps à observer les Hurons. Il s'intéresse à tous les aspects de leur culture, de la préparation des peaux à l'organisation du travail horticole. Les chants guerriers, les bijoux taillés dans des coquillages, les plantes médicinales, le rendement des récoltes, la répartition des tâches entre hommes et femmes, rien ne le laisse indifférent. Il approfondit la connaissance de la langue, accompagne les hommes à la chasse et à la pêche...page 67
 
Le cas de Guillaume Couture est exceptionnel: c'est le premier Européen à avoir accédé à une position pareille chez les Amérindiens, c'est à dire à s'être élevé "de l'état de prisonnier à celui de chef".  Pour en arriver là, il fallait que le jeune home possède un jugement, une prestance et une intelligence remarquable. page 76
 
1646, Guillaume Couture choisit de revenir au monde des Français. S'il a été longtemps prisonnier des Iroquois, en devenant l'un des leurs à part entière, il a retrouvé la liberté d'agir et de se déplacer à sa guise, valeur suprême chez les Amérindiens; sa décision de repartir sera pleinement respectée. page 80 
 
Une chose distingue Couture de ses confrères: " le bon Guillaume" reste toujours fidèle aux Jésuites, dont il ne dit jamais de mal. Ces derniers ont portant des intérêts dans la traite des fourrures: ce commerce finance l'acquisition des âmes.
Notre bon coureur des bois vit sur ses terres, tranquille auprès de sa femme; au fil des saisons naissent un à un des petits Couture. A-t-il la nostalgie de ses périples et de ses missions? En 1661, toujours accointé par les Jésuites qui l'informent de tous leurs projets, il apprend que ces derniers cherchent désespérément la route terrestre qui  mène à la "baie de Nord" Les Anglais s'y sont déjà rendus par la mer mais n'y ont pas créé d'établissements....Les Jésuites recrutent Guillaume Couture, qui accepte bien sûr la proposition, trop heureux de rependre la route et de s'éloigner du travail routinier sur sa terre.  page 84
 
Durant l'hiver de 1665, Guillaume Couture  est chez lui, dans la maison de Lévis. Il rumine et il fulmine. Sa traversée de Québec, d'est en ouest, à la hauteur de Tadoussac, ne donnera rien. Il le sait. Notre homme ne tient plus en place...Dès le printemps, il repart. Cette fois, il vise le Labrador....Il aura bientôt cinquante ans....
Guillaume Couture revient définitivement chez lui  à la fin de l'année 1667. Il reprend ses terres en main - les récoltes, la vente des produits agricoles, l'entretien des bâtiments - et assiste sa femme dans l'éducation de leurs huit enfants. Colon influent, juge sénéchal dans sa communauté de Lévis, il entame une belle période de sa vie. pages, 88, 89
 
Anne Aylmart (son épouse) mourut à l'hiver de l'année 1700. Son mari la suivit de peu, en 1701, à l'âge respectable de quatre-vingt quatre ans. page 90
 
LOUIS JOLLIET  1645- 1700. l'Homme- Fleuve.
 
Il a découvert le Mississippi. Hydrographe du Saint-Laurent, , il a reconnu ses fonds, ses courants, ses marées, il en a relevé toutes "les ances, îles et îlets, côtes et battures". Il fut maître des eaux , de la baie des Puants à la baie de Plaisance.  page 93
 
En cette veille de Noël 1664, les habitants de Québec se réjouissent d'entendre sonner les cloches de leur cathédrale...En gravissant les hautes  marches , déjà on peut entendre vibrer à l'intérieur une autre musique, céleste, puissante, celle des orgues que Monseigneur de Laval  a importées  de France....L'organiste est un jeune homme de dix-neuf ans: Louis Jolliet. Il fait partie de  la première génération de Canadiens, ces enfants nés de ce côté-ci de l'Atlantique, fils et filles de quelques colons français venus s'établir  dans la Nouvelle- France septentrionale.  Ce sont ceux que le Père Charlevoix , premier historien du Canada, appellera plus tard, les "créoles". pour les distinguer des Français d'origine.  page 95
 
De sa jeunesse, nous connaissons les grandes lignes. Né en 1645, il est baptisé par le père Barthélemi  Vimont..;Son père, jean Jolliet, est originaire de la région de Brie en Champagne. Il est venu au Canada en 1634, un an avant la mort de Champlain, afin d'exercer son métier de charron. page 96
 
Là-bas, dans la métropole, Monsieur Colbert est le contrôleur général des finances. Jean Talon qui voit tout le potentiel du Canada, en termes de ressources, a beau faire la promotion des naissances, souhaiter l'arrivée massive de colons français, favoriser le développement économique de la colonie, son supérieur s'oppose à toute tentative de colonisation et d'expansion. Pas question, soutient-il de dépeupler les campagnes de France  au profit du Nouveau Monde - tout au plus il consent à dépeupler les orphelinats et les prisons. S'il envoie volontiers outre -  atlantique, frais de voyage et dots inclus, celles qu'on appelle les Filles du Roy, il se refuse à investir dans la colonie, un seul écu de la Couronne. Le rêve américain existe, mais l'Amérique doit enrichir le royaume et non le contraire. page 101
 
En 1662, Jean Talon confie à Louis Jolliet un mandat d'envergure: découvrir le Mississipi, ce fameux fleuve  que La Salle a failli croiser sur la rivière Ohio. page 102
 
Ils (les missionnaires) voient et apprennent des peuples fondateurs, ils ne cessent de les considérer comme des êtres primitifs qu'il faut à tout prix civiliser .page 109
 
Louis Jolliet n'a le temps de s'apitoyer ni sur son sort, ni sur la mauvaise foi des autorités. Découragé d'avoir perdu ses notes ( à son retour du Mississipi, son bateau s'est retourné et les notes prises lors du voyage ont été emportées dans l'eau) mais conscient qu'il doit sauver ce qui doit l'être, il entreprend de dicter de mémoire au père Dablon le récit  de son voyage. Ce travail est  entrepris sur - le -  champ et dès le mois d'août 1674, le jésuite fait parvenir en France La Relation de la Découverte de la Mer du Sud. En plus de dicter ses souvenirs, Louis Jolliet dessine une carte générale de ses explorations. Il la présente à Frontenac qui n'en fait pas grand cas.page 118
A vingt-neuf ans, Louis Jolliet désire s'établir. En 1675, il épouse Claire Françoise Bissot, une jeune femme de dix-neuf ans.....Louis Jolliet se résigne donc à demeurer à Québec. page 119
 
Forcément déçu de la politique, Louis Jolliet se consacre désormais à ses affaires, et aux intérêts de sa grande  famille. Il est père de sept enfants. page 120
 
Le siècle s'achève et un certain mode avec lui. Frontenac meurt de vieillesse en 1698, à Québec. Louis Jolliet ne va pas lui survivre bien longtemps. Il disparaît dans les brumes , si fréquentes en Minganie, entre le 4 mai et le 15 septembre 1700. le découvreur du Mississipi n'a que cinquante-cinq ans. Personne ne sait ce qui lui est arrivé. Il  n'existe aucun témoignage. page 124
 
PIERRE LE MOYNE D'IBERVILLE 1661 - 1706. Profession: Pirate.
 
Il ne s'agit pas de savoir si l'homme est bon ou méchant. Aventurier redoutable, corsaire de la démesure, disons simplement que, des mers froides de la baie d'Hudson,  jusqu'aux eaux turquoises des Antilles, il aura su "insulter l'Anglais".
 
Fils  d'un aubergiste de Dieppe, (son père) Charmes Le Moyne  a été recruté par les Jésuites, comme l'ont été Guillaume  Couture et tant d'autres jeunes Français. page 130
Pierre, le troisième fils de Charles le Moyne recevra d'Iberville comme patronyme - d'après un fief des environs de Dieppe. De ses débuts dans la vie, nous savons seulement qu'il est né le 20 juillet 1621, eu Saint-Paul à Montréal. ...De 1680 à 1685 , il est élève officier à bord de voiliers qui font la liaison entre la France et l'Amérique . A vingt-quatre ans, il possède déjà le savoir nécessaire pour être capitaine de navires au long cours. page 131
 
En 1682, à défaut de volonté politique de la part de Versailles, les marchands de Montréal  et de Québec, décident de prendre les choses en main en fondant la Compagnie de la Baie du Nord....dans le but d'en découdre avec les Anglais. page 133
 
Aussitôt arrivé à Québec, Pierre Le Moyne s'embarque pour la France où il passe l'hiver . A Paris, il fait hardiment la promotion de ses idées auprès du ministre Colbert: l'avenir de l'Amérique passe par le contrôle total et absolu de la baie d'Hudson. Il faut croire qu'il a été persuasif, car le ministre, pourtant avare en la matière, lui confie un navire des plus puissants, Le Soleil d'Afrique afin qu'il poursuive  son travail de harcèlement des Anglais de la compagnie de la baie d'Hudson. ...Aux commandes  de sa belle frégate, donc, notre corsaire revient en Amérique . Après une brève escale à Québec, il repart pour la baie d'Hudson afin de rejoindre  ses hommes. page 137
 
A la fin de l'année 1689, Le Soleil d'Afrique est de retour à Québec avec, à son bord, de nombreux prisonniers et un impressionnant butin de  peaux de castor en provenance de la baie du Nord. page 138
 
En octobre 1698, enfin rétabli, il quitte le port de Brest...Il met le cap sur Saint-Domingue. Après avoir fait escale sur l'île, où il achète probablement sa première plantation de cacao, il se dirige  vers le golfe du Mexique en longeant la côte ouest de Floride qui appartient alors aux Espagnols...Il file vers son véritable objectif, le delta où le Mississipi  mêle ses eaux à celles du golfe. Les Espagnols répandent depuis longtemps que les bouches du Mississipi  n'existent pas...Les bateaux louvoient  devant un enchevêtrement d' ilôts, de petites baies, d'embouchures innombrables et d'autant de bras  de mer. Par le hasard d'une bourraque qui les entraîne, et, par bonheur, ils se retrouvent dans le courant principal du Mississipi....D'Iberville  étudie  la géographie des lieux ; il reconnaît   avec certitude qu'il a découvert l'embouchure du Mississipi....D'Iberville plante le drapeau de son roi , dans le delta du Mississipi, sur une terre  qui se nommera Louisiane. pages 147, 148
 
A cette époque de sa vie, D'Iberville est richissime. Il est propriétaire de plantations de cacao extrêmement lucratives, à Saint-Domingue, et come nous le savons, deux domaines en France. Il ne se considère plus comme un Canadien, semble-t-il. Il se voit vieillir en France, retiré sur ses vastes terres, vieux pirate jouissant de son trésor. page 152
 
C'est ici, dans le port de la Havane que s'arrêtent ses courses. Pris d'une fièvre incontrôlable, d'Iberville meurt dans la soirée du 9 juillet. page 154
 
LA VERENDRYE, PERE ET FILS . 1685- 1794   Une affaire de famille
 
L'histoire a bien des façons de se souvenir l'une d'elles est de faire court, au risque d'en oublier d'en oublier des bouts la brève évocation de Pierre Gaultier de la Vérendrye tient en quatre mots dans les annales: découvreur des Montagnes Rocheuses. En vérité, il ne s'y est jamais rendu page 158

L'Aïeul, René Gaultier , vient au monde  en 1635, dans la région d'Angers. Au XVIIè siècle, certaines fermes y portent des noms qui deviendront familiers au Canada français....En septembre 1665, le lieutenant René Gaultier  débarque à Québec. Du même navire descendent les nouveaux dirigeants de la colonie. Page 160

1712. Dès son retour, le jeune militaire (il est allé faire la guerre  de la Succession d'Espagne,  a été blessé à la bataille de Malplaquet)épouse  Marie-Anne Dandonneau. Ils s'établissent à l'Ile aux Vaches, où durant quinze ans, ils seront à la fois seigneurs et habitants ; ils défrichent une centaine d'arpents qu'ils mettent en culture. Le couple  aura six enfants,  quatre garçons et deux filles. page 165

A l'automne 1737, La Vérendrye père revient  à Québec....Il remet au gouverneur les premières esquisses d'une série de cartes qui révèlent toute l'hydrographie du centre du Canada....Malgré cet apport considérable aux connaissances de l'époque, il se heurte à une forte mauvaise humeur  de la part des autorités. Il en va de même dans les salons de Versailles, où le ministre de la Marine trépigne de frustration.  page 180

Le 1er janvier 1743, il a aperçu un masse rocheuse, dans le noir de la nuit....
La découverte des Rocheuses est un formidable exploit qui ne connaîtra pas le retentissement escompté....Les notes de l'explorateur sont restées enfouies dans les Archives Nationales  de France, où,  pendant plus d'un siècle, personne ne les a consultées.
..Louis Joseph et ses hommes découvrirent donc les Rocheuses mais ne les franchissent pas. pages 187, 188

JEAN - BAPTISTE CHARBONNEAU 1805- 1866. Fils  de l'Amérique

Le plus jeune membre de l'expédition de Lewis et Clark avait à peine eux mois lorsqu'il prit la route de l'Ouest. Petit papouse  sur le dos de sa mère, il allait découvrir le Pacifique. page 199
 
Le 11 février 1805, dans un village du Haut-Missouri, une Indienne  shoshone tente de mettre au monde son premier enfant. L'accouchement s'annonce difficile, le jeune femme est en travail et souffre beaucoup. ... C'est un Métis, fils de Toussaint Charbonneau; on l'appelle Jean-Baptiste, du nom de son grand-père paternel. Cette mère et son enfant deviendront, deux siècles plus tard, l'emblè me d'un des grands mythes fondateurs des Etats-Unis  d'Amérique-
  page 201
Au moment où Lewis and Clark entreprennent leur périple, en 1804, Napoléon vint de céder aux Etats-Unis la Louisiane, c'est-à-dire le bassin ouest des Etats-Unis qui s'étend des Prairies, le long de la frontière canadienne actuelle, jusqu'au Golfe Du Mexique.....Le 14 mai 1804, c'est le grand départ. ...le 7 avril 1805, ...le bateau est ramené à Saint-Louis chargé de journaux, de cartes géographiques et de spécimens de plantes et de minéraux à l'intention du Président Jefferson. L'expédition se remet en branle cap sur l'Ouest.....Les capitaines Lewis et Clark abordent la partie la plus importante de leur périple: l'Inconnu. Dans son journal, Lewis écrit qu'ils s'apprêtent à  pénétrer dans un pays où l'homme civilisé n'a jamais mis le  pied. pages 203, 205, 207, 208

Le 7 novembre ( 1805) tout un émoi: on entend distinctement le bruit des vagues!  Clark écrit dans son journal: "Grande joie au camp, nous sommes en vue de l'Océan." En réalité, c'est l'estuaire du fleuve Columbia qui se dessine à travers la brume, Le Pacifique, ils l'atteignent en décembre ,exténuées; pages 212, 213

1847,....la guerre avec le Mexique entre  dans sa dernière phase; bientôt, les Etats-Unis  se verront céder officiellement le Texas, la Californie, les territoires de l'Utah, du Nevada, de l'Arizona et du Nouveau Mexique, soit le tiers de leur superficie actuelle. page 228

Jean -Baptiste meurt à l'âge de soixante et un ans; Force est de constater que nous savons bien peu de choses des circonstances de sa fin........Jean- Baptiste Charbonneau, fils de Sacagawea et de Toussaint Charbonneau, un homme es montagnes parmi les plus grands de ce monde, un des êtres les plus originaux que le Grand Ouest  américain  n'aura jamais  connus. page 231

GABRIEL FRANCHERE 1786 - 1863 Carnets D'Astoria.

Il destinait son journal à ses proches. Or, il a légué aux générations futures, et en français, le témoignage le plus précieux qui soit de la conquête américaine du Grand Nord. page 233

LE CASTOR EST UN BIEN GRAND SUJET. ..;De 1600 à 1850, ...la bête valait de l'or et il a fallu ratisser large pour la piéger...Le castor apparaît aussi bien dans les  armoiries de la ville de Montréal que dans celles de New York, qui était à l'origine une maison de traite hollandaise. On le retrouve dans le logo du Canadien Pacifique...Il figure sur le premier timbre-poste émis par le Canada  en 1851; il s'agit d'ailleurs du tout premier timbre dans l'histoire mondiale de la poste à représenter  un animal plutôt qu'un monarque ou un chef d'Etat.. page 235

Gabriel Franchère est un personnage méconnu, certainement sous-estimé et jusqu'à ce jour, peu étudié. Comme le castor, il appartient au monde de la fourrure...Il est francophone, catholique, urbain et lettré, il parle bien l'anglais et il fera toute sa carrière dans les affaires, à Montréal, Saint-Louis , New York , en passant par les Grands Lacs et l'Ouest américain. page 236

Enfin, le 26 juillet (1810) , c'est le départ. Gabriel Franchère quitte tout ce qu'il connaît, son pays, sa famille, y compris sa fiancée et s'embarque , c'est le cas de la dire, dans une véritable galère. Page 240
Franchère note des faits, des impressions. C'est qu'il a entrepris d'écrire un journal, destiné tout au plus à ses amis, aux membres de sa famille. Bien sûr, ce journal "personnel" débordera largement le cadre de l'intimité. page 241

Le Tonquin parvient finalement à pénétrer dans l'embouchure du Columbia; huit mois après le départ de Montréal, les voyageurs touchent au  but. Ayant accosté, ils s'occupent, ils marchent, ils travaillent
 ils bougent et cela leur fait grand bien. Sur le Tonquin , ancré à l'entre du fleuve, les indiens se pressent en grand nombre, apportant des fourrures de qualité, déjà le commerce bat son plein. page 251
Le journal de Franchère s'attarde à décrire avec précision les travaux et découvertes que font les hommes en ce pays nouveau.  page 252

Le 4 avril 1814, une brigade impressionnante de canots quitté l'établissement  d'Astoria - rebaptisé fort George par les représentants de la très royaliste Compagnie du Nord-Ouest.  Ces canots transportent  soixante-dix-huit hommes, dont une partie seulement entreprend la grande traversée continentale. La guerre anglo-américaine fait toujours rage page 260

Sa famille le croyait mort. Car la tragédie du Tonquin était parvenue jusqu'à  Montréal. Ceux qui reviennent sont d'authentiques survivants. Gabriel Franchère,  come Donald Mackenzie, Régis  Brughier et quelques autres font entend partie des heureux que la "divine providence" a bien voulu préserver "au milieu de tous les dangers"  Sophie  Routhier n'a pas sans doute cru la rumeur du massacre, puisqu'elle a attendu patiemment le retour de son fiancé pendant ces longues années. . Belle histoire d'amour en vérité: ils se marient au mois d'avril 1815, Gabriel a vingt-neuf ans, il a eu sa part d'aventure. A présent, sa vie sera celle  d'un marchand. Fidèle à John Jacob A1stor, il devient l'agent  de l'American Fur Company, qui tient pignon sur rue à Montréal.. Le couple Routhier- Franchère aura huit enfants dont six atteindront l'âge adulte.. En 1820, après avoir longtemps résisté aux pressions de son entourage, Franchère accepte de publier  son journal de voyage.  Il devient un personnage  dans le milieu montréalais.: désormais, , Mr Gabriel Franchère  est cet explorateur qui a réalisé le fabuleux voyage  sur la côte  Ouest de l'Amérique. page 266
Entre temps , en 1836, Washington Irving a fait paraître Astoria, son fameux roman historique inspiré directement du journal de Franchère - dont il a lu forcément le texte dans la version originale puisqu'il n'était pas encore traduit. Dans cet ouvrage, Irving se montre  remarquablement méprisant envers les voyageurs  canadiens français, ce qui ternira leur réputation dans la mémoire américaine pour des générations de lecteurs. Franchère en est outré. Aussi, insiste-t-il , lorsqu'on lui propose de publier son journal aux Etats-Unis, pour surveiller de très près la traduction anglaise. L'ouvrage paraît en  1854, à New York sous le titre  Narrative of a  Voyage  to the Northwest Coast of America in the Years 1911, 1812, 1813 and 1814, or, The First  American Settlement  on The Pacific. Franchère a ajouté  des renseignements et même quelques chapitres par rapport à l'édition française afin de rectifier certains faits  et de corriger  les mauvaises impressions  laissées par le roman d'Irving.  page 267

Au mois d'avril 1863,  dans la soixante-dix -huitième année de son âge, le dernier survivant du Tonquin meurt à Saint-Paul  au Minnesota, alors qu'il rend visite à son bau-fils, John S. Prince, maire de la ville.. Sa vie, ses aventures, son journal , tout prendra peu à peu le chemin des oubliettes . En 1880,  c'est la bibliothèque publique de Toronto qui achète à l'encan, le manuscrit   pour la somme de quatre-vingts dollars, le manuscrit original  du journal de Franchère, tel que lui-même l'avait  rédigé de 1810 à 1814. page 268.

JOHN MCLOUGHLIN  1784-1857 Le Feu Sacré. 
 
Au sud de l'Orégon, se trouve un volcan qui se nomme le mont McLoughlin - d'après John McLoughlin, notre petit Jean -Baptiste de Rivière-Du- Loup. Un volcan, cela résume tout: la force de l'homme, les fulgurances d'une vie. page 272
 
...quant à John, s'il se dirige aussi vers la médecine, c'est d'abord et avant tout pour ne pas décevoir son grand-père, dont il est le préféré. Un fait en particulier  a dû avoir un impact sur sa décision: la sœur de John, Marie-Louise, veut devenir religieuse, au grand dam, bine sûr du même grand-père. Le patriarche avait toléré qu'elle étudie au couvent des Ursulines, mais , à condition, justement, qu'elle en sorte....Ainsi John, dès l'âge de quatorze ans , encouragé et financé par son grand-père , et voulant le satisfaire, se résout à faire à étudier la médecine.  Comme cela se faisait fréquemment à l'époque, il apprend le métier  en accompagnant un médecin dans sa pratique quotidienne...A l'âge de dix-neuf ans, il obtient son diplôme et s'installe à Montréal. Il se rend compte que cette vie routinière sans surprise et sans aventure ne lui convient pas...Le voilà donc  sur la piste, médecin pour la compagnie du Nord-Ouest, avec un contrat de cinq ans en poche. Cette fois, il a trouvé sa voie, sa vocation. page 278, 279
 
A titre de haut représentant  de la Compagnie, il passe toute l'année 1820, dans la ville de Londres. Il a trente-sept ans, il établit de nouvelles relations, sa personnalité lui sert magnifiquement. Puisqu'il se trouve pour la première fois dans les Vieux Pays, il en profite pour rendre visite à son frère David, qui habite à Paris. CE n'est pas mal pour les deux petits Irlandais de Rivière-Du-Loup: l'un qui négocie à Londres une fusion historique entre les deux plu importantes compagnies de fourrure en Amérique et l'autre qui a été décoré de la légion d'honneur par Napoléon Bonaparte et qui deviendra plus tar le médecin personnel de Louis-Philippe Ier, roi des Français. page 283

McLoughlin possède les qualités qu'il faut. Avant tout, c'est un chef, un véritable meneur d'hommes. Son autorité n'est pas seulement légale; mieux, elle est morale: les gens la lui accordent spontanément. page 287
...Le gouverneur Simpson ne cache pas ses tendances racistes. ... Lui et son épouse n'ouvrent jamais leur porte aux femmes de couleur. McLoughlin, bien au contraire, présente avec fierté sa femme et ses enfants métis, et se désole sincèrement des épidémies qui exterminent les peuples autochtones les uns après les autres. Il jouit d'une grande influence auprès des Indiens, dont on estime le nombre à une centaine de mille. page 288

Un des événements qui annoncent la fin de cette histoire se produit en 1834: un missionnaire méthodiste apparaît au fort Vancouver. Dieu sait  qu'en Amérique, les religieux apportent leur lot de fatalités. Celui-ci s'appelle  Jason Lee. Il est originaire des Cantons de l'Est, au Québec, mais vit depuis longtemps à Boston....Jason Lee et sa femme se sont joints à un entrepreneur bostonien qui désirait faire des affaires en Orégon...pour civiliser ces "pauvres Indiens" perdus dans la nature sauvage.....La seule chose que j'avais en tête en venant dans  ce monde païen  était d'œuvrer  pour le bien matériel et spirituel de ceux dont l 'esprit est embrouillé par les ténèbres du paganisme. Page 293
Dans cet arrivage constant de missionnaires  protestants, on retrouve un Anglais de Londres, envoyé par la compagnie de la Baie D'Hudson pour  servir les employés et convertir les Indiens...Ils (Les missionnaires) n'ont aucune sympathie envers les peuples autochtones, ni aucune patience. Les Indiens doivent devenir des Blancs du jour au lendemain, c'est -à-dire, de bons cultivateurs obéissant aux lois de la morale chrétienne. Lorsque le Dr McLoughlin les invite à sa table, plusieurs de ces bons pasteurs refusent d'y venir pour ne pas à avoir à s'asseoir à côté de Marguerite, la Métisse, ou devant l'épouse indienne de James Douglas....Le Révérend Beaver , pour sa part, va dénoncer à Londres, cette société métissée, ces lieux  maudits de Dieu où même les hauts dirigeants de la Baie d'Hudson vivent en concubinage  avec des Sauvagesses. page 294

A Québec, il (McLoughlin) s'embarque pour Londres. Alors que cette rencontre au siège social  de la Compagnie d'Hudson s'annonçait catastrophique, , elle se révèle  en fait très fructueuse. ...Il arrive à obtenir du conseil d'administration tout ce qu'il réclame: le renouvellement  de son contrat de facteur en chef et de surintendant du district de Columbia et bien d'autres choses encore. page 297
 
A partir de 1843, comme prévu, des centaines de chariots défilent sur les pistes de l'Orégon. Cette route, qui deviendra un grand symbole de l'histoire américaine, aboutit précisément à Oregon City. L'arrivée massive de colons américains, va changer  à jamais la vie du pays. page 301
 
En 1845, avant que la Compagnie de la Baie d'Hudson ne le remercie, John McLoughlin remet lui-même sa démission à ses dirigeants. page 302
 
Le vieux docteur a maintenant soixante-treize ans et ses forces déclinent. Malade d'un cancer depuis trois ans, il attend calmement la mort...Au matin du 3 septembre  1857, le Dr Henri Deschenes, son neveu , lui rend visite. ..Le colosse le regarde un instant le docteur, puis longuement Marguerite, e til dit simplement " Adieu". Sa tête retombe sur le côté...page 306
 
HOMMES DES MONTAGNES .
Provost ( 1785-1850)
Chalifoux (ca. 1791-1860)
Robidoux (1794-1860)
 
Ils ont choisi la voie la plus difficile, celle de la liberté, ils se sont fabriqué des vies de légende, sans même se soucier de passer à l'histoire. page309
 
Etienne Provost naît à Chambly le 21 décembre 1785. Son père, Albert Provost est un cultivateur prospère. Marié trois fois....Etienne  est le premier  rejeton du troisième mariage, fils de Marie-Anne Ménard. Nous sommes sous le régime anglais, vingt ans après la conquête. Il s'agit du grand moment de la naissance des Etats-Unis d'Amérique. page 313
 
Entre 1806 et 1810, on ne sait quand exactement, Etienne tourne le dos à la Vallée du Saint-Laurent et à la société rurale des Canadiens.....
A la même époque, cette fois à Charlesbourg, non loin de la ville du Québec, se trouve un tout jeune homme du nom de Jean-Baptiste Chalifoux, qui prend aussi la route des Etats-Unis. page 315
Notre troisième personnage , Antoine Robidoux, n'a pas à faire le chemin jusqu'à Saint-Louis: il y est né. page 317
 
 
 
 
 
 
 
 
 

mercredi, décembre 12, 2018

LEURS ENFANTS APRES EUX paru en août 2018 ( Nicolas Mathieu )

Août 1992. Une vallée perdue quelque part dans l'Est, des hauts-fourneaux qui ne brûlent plus, un lac, un après-midi de canicule. Anthony, quatorze ans, et avec son cousin, pour tuer l'ennui, décide de voler un canoë et d'aller voir ce qui se passe de l'autre côté, sur la fameuse plage des culs-nus. Au bout , ce sera, pour Anthony, le premier amour, le premier été, qui  décide de toute la suite. Ce sera le drame de la vie qui commence.
Avec ce livre, Nicolas Mathieu écrit le roman d'une vallée, d'une époque , de l'adolescence, le récit politique d'une jeunesse qui doit trouver sa voie dans un monde qui meurt. Quatre étés, quatre moments, de Smells Like Ten Spirit à la Coupe du monde de 98, pour raconter de vies à toute vitesse dans cette France de l'entre-deux, des villes moyennes et des zones pavillonnaires, de la cambrousse à des ZAC bétonnées.
La France du Picon et  de Johnny Halliday, des fêtes foraines et d'Interville, des hommes usés au travail et des amours fanées à vingt ans. Un pays loin des comptoirs de la mondialisation, pris entre la nostalgie  et le déclin, la décence et la rage.
 
I  -  1992 Smells like teen spirit.
 
Anthony ne partageait pas grand-chose avec son vieux, mais ils avaient au moins la télé, les sports mécaniques, les films de guerre. Dans la pénombre du salon, chacun dans son coin, c'était le max    d'intimité  qu'ils s'autorisaient.
Leur vie durant les parents d'Anthony avaient cette ambition: "construire ",  la  cabane comme horizon, et tant bien que mal, y étaient parvenus. Il ne restait plus que vingt ans  de traites avant  de la posséder vraiment. ...L'hiver, le chauffage électrique produisait un peu de chaleur et des factures phénoménales. A part ça, deux chambres, une cuisine intégrée, un canapé cuir et un vaisselier avec du Lunéville. Anthony s'y sentait chez lui. Page 33
 
En tout cas, tous le convives semblaient être contents d'être là. Anthony vit quelques filles dont il aurait pu tomber amoureux très vite. De hautes meufs à queue de cheval et de petits tops clairs. Elles avaient des  dents blanches, de grands fronts et de petits culs.  Des garçons leur parlaient comme si de rien n'était. Tout roulait d'une manière difficilement supportable. dans un coin, deux mecs partageaient  un cubi de rosé, assis sur de vieux transats...Ils trouvèrent des bières dans la cuisine et se mirent à boire en faisant le tour du propriétaire. Comme personne ne les connaissait, on les dévisageait bien un peu, mais sans animosité particulière. c'était une belle maison. page 41
 
Anthony ne savait plus où il était. Il porta la fiole à ses narines plus pour  se donner une contenance qu'autre chose, et renifla un bon coup. Aussitôt sa cervelle fut prise dans un courant d'air et il se mit à rire.  Blouson de cuir récupéra sa fiole. Les autres décampèrent. Et Anthony resta seul, en tailleur, la tête pendante, complètement dans les vaps.
Quand il reprit ses esprits, il était dehors, étendu en travers d'un escalier. Il avait les cheveux trempés, et son cousin essayait de lui faire boire  un peu d'eau. Clem était là aussi. page 46
 
...Fred se pointa. C'était un de ces foncedés authentiques,  toujours mou, toujours affable. Hacine ne pouvait pas le blairer. Surtout que ce déchet se permettait d'être familier parce qu'il avait jadis connu les cousins Bouali,  ceux qui, les premiers,  avaient les circuits du shit à Heillange dans les années 80. page 62
 
Depuis quelque temps déjà, des bleds fantômes situés à proximité de la frontière connaissait un regain de vie inespéré. Le mérite en revenait au Luxembourg qui, souffrant toujours d'un manque chronique de main-d'œuvre, venait tout naturellement puiser chez ses voisins, les bras et les têtes qui lui faisaient défaut. Des tas de gens se retrouvaient à faire la route chaque jour pour occuper leurs emplois étrangers. Là-bas, les paies étaient bonnes, les protections minces. On menait ainsi des existences à cheval, travaillant d'un côté, vivant de l'autre. Et sous l'effet de cette perfusion transfrontalière, des territoires moribonds revenaient à la vie. page 74
 
Il leur ( Anthony et son père) fallut trois bonnes heures pour finir la haie....C'était un bon boulot, la maison était propre, tout était net, rafraîchi. et Anthony serait resté là , à profiter du silence et de la proximité de son père. Mais ils avaient encore de la route pour rentrer. Ils emballèrent le matos et refermèrent la grille. page 76
 
L'adolescent n'aurait pas su décrire cette sensation. ça n'avait rien à voir avec la picole ou la fumette. Il se sentait maître de lui, affûté comme un bistouri. Il aurait pu passer son bac en candidat libre. ET Steph semblait incroyablement accessible tout à coup. page 93
 
Lui se contentait de vivre par défaut, nul au bahut, piéton , infoutu de sortir une meuf, même pas capable d'aller bien. Page 98
 
Depuis quelques années, cette ZUP des Trente Glorieuses s'était beaucoup dépeuplée et les derniers locataires avaient trouvé tout naturel d'étendre leur domaine  personnel aux appartements vacants. ...Les loyers eux, restaient inchangés. A l'office d'HLM on feignait d'ignorer ces privautés immobilières. Ces tours , on n'en ferait rien, de toute façon. Entre les paraboles et le linge qui séchait, on voyait le crépi se déchirer, la rouille gagner les balcons, dégouliner des tuyaux d'évacuation, s'emparer des façades en couleurs brunes. page 107
 
L'éducation est un grand mot, on peut le mettre dans les livres ou les circulaires. En réalité, tout le monde fait ce qu'il peut. page 112
 
Quand il était petit, elle lui chantait La rivière au bord de l'eau. Il adorait la confiture de myrtilles et ce dessin animé avec ce petit Indien, Zacharie ou quelque chose comme ça. Elle pouvait encore se souvenir de l'odeur de sa tête quand il s'endormait sur ses genoux, le samedi soir devant la télé. Comme du pain chaud. Et un beau jour, il avait demandé de frapper avant qu'elle rentre dans sa chambre, et à partir de là, les choses s'étaient précipitées d'une manière assez inattendue. Maintenant, elle se retrouvait avec cette demi-brute qui voulait se faire tatouer, sentait des pieds et se dandinait comme une racaille. Son petit garçon. Elle s'énerva pour de bon. page 130
 
Ici, la vie était une affaire de trajets. On allait au bahut, chez ses potes, en ville, à la plage, fumer un pet' derrière la piscine, retrouver quelqu'un dans le petit parc. On rentrait, on repartait, pareil pour les adultes, le boulot, les courses, la nounou, la révision chez Midas, le ciné. Chaque désir impliquait une distance, chaque plaisir nécessitait du carburant. A force, on en venait à penser comme une carte routière. Les souvenirs étaient forcément géographiques. page 135
 
II -  1994 You could be mine
 
Hacine conduisait un Break Volvo...Il rentrait. Deux ans plus tôt, ils étaient partis avec son père. La voiture était pleine à ras bord. Ils avaient emporté du parfum, du café, des savonnettes, des vêtements achetés chez Kiabi pour les petits cousins et quelques Levis pour les revendre sur place. Sur le bateau, son père lui avait coupé les cheveux. Il avait sorti des habits neufs de  sa valise et des chaussures  en cuir. Hacine devait se faire beau.  page 178
C'était quand même marrant. Les hommes de la génération de son vieux avaient quitté le Maroc parce qu'ils n'y trouvaient rien à y faire, et qu'aucun de leurs problèmes  ne trouvait de solution sur place.  Et  maintenant,  c'était devenu la terre promise, le lieu parfait des origines, là où le mal était lavé après les corruptions et les déveines hexagonales. Quelle connerie!....page 181
On l'y avait envoyé ( au Maroc)  pour laver une faute (des vols et de multiples délits), apprendre à vivre et devenir un homme. Il en revenait avec 45 kg de résine.  page 183
 
Vanessa, elle les voyait petits, larbins, tout le temps crevés, amers, contraignants, mal embouchés avec leur TéléStar et leurs jeux de grattage, les chemises-cravates de son père et sa mère, qui tous les trimestres refaisait sa couleur et consultait des voyantes tout en considérant que les psy étaient tous des escrocs.
Vanessa voulait fuir ce monde. Coûte que   coûte. Et son angoisse était à la mesure  d'échappée belle. son désir. page 199
Depuis que les usines avaient mis la clé sous la porte, les travailleurs n'étaient plus que du confetti. Foin des masses et des collectifs. L'heure désormais, était à l'individu, à l'intérimaire, à l'isolat. page 212
 
Hacine était venu maintes fois au Maroc, pendant les grandes vacances, mais il n'avait jamais voulu se mêler aux habitants. Il les trouvait repoussants. Leur mentalité avait quelque chose de médiéval qui lui foutait la trouille. Cette fois qu'il était coincé pour de bon, il avait découvert ce qui s'y tramait, sous l'apparente inertie. Le Rif produisait chaque année des milliers de tonnes de cannabis. Des champs d'un vert fluorescent couvraient des vallées entières, à perte de vue, et si le cadastre fermait les yeux, chacun savait à quoi s'en tenir. ..Et l'argent du trafic irriguait le pays de haut en bas. page 220
Il fallait reconnaître à l'argent cette puissance d'assimilation extraordinaires, qui muait les voleurs en actionnaires, les trafiquants en conformistes, les proxénètes en marchands. Et vice versa. page 222
 
Steph souriait. Elle ne voyait plus sa copine du même œil. Maintenant qu'elle considérait son avenir, ses options, le fonctionnement des carrières, une évidence nouvelle s'imposait brutalement à ses yeux: le monde appartenait aux premiers de classe. Tous ces gens dont on s'était moqués parce qu'ils étaient suiveurs, timorés, lèche-cul et consciencieux, c'est eux qui, en réalité,  avaient  raison depuis le début. Pour briguer les bonnes places, et mener plus tard des vies trépidantes et respectées, porter un tailleur couture et des talons qui coûtent un bras, il ne suffisait pas d'être cool et bien née. Il fallait faire ses devoirs. Le choc était rude pour Steph qui avait tout de même beaucoup misé sur son je-m'en-foutisme foncier et ses prédispositions pour tous les sports de glisse. page 244
 
Autour de Luc, beaucoup de gens partageaient d'ailleurs ces diagnostics et plaidaient pour des . quotas, des charters, un rappel sévère  qu'on était chez soi, en somme. Mais ces idées, en dépit de leur succès,  demeuraient en coulisse, cantonnées. Dans des endroits où  il fallait bien se tenir, on n'en parlait pas. Une sorte de honte diffuse empêchait, comme une politesse. page 252
 
 
III -  14 juillet 1996
 
Anthony avait eu dix-huit ans en mai. Puis, son bac en juin, série STT, sans aller au rattrapage, sans  se faire d'illusions non plus quant à la suite des événements. De toute façon, ça n'avait plus d'importance. En mars, il s'était rendu à Metz avec toute sa classe , à un  forum d'orientation....Il avait signé sa feuille d'engagement en avril. Il partait le 15 juillet. C'était demain. page 291
Comme des milliers de gosses de pauvres qui n'avaient jamais été heureux à l'école, il partait pour se trouver une place, apprendre à se battre et voir du pays. Coïncider avec l'idée que son père se faisait d'un homme, aussi. page 293
L'armée était un autre  giron où se cacher. Là-bas, il n'aurait qu'à obéir.  Surtout, c'était le moyen de foutre le camp . Il voulait quitte  Heillange à tout prix et mettre enfin des  centaines de bornes entre lui et son vieux. page 301
 
Mais demain Hacine reprenait le taf et il avait le cœur gros comme un écolier. Par la fenêtre de la cuisine, il apercevait la vallée, tous ces petits cons en tas, qui vivaient heureux, en famille, un dimanche de plus. page 312
 
Dans la vallée, il ne restait presque plus d'usines, et les jeunes taillaient la route, faute d 'emploi. Par conséquent , la masse des ouvriers qui avait jadis fait les majorités municipales et donné le ton à la politique dans le coin était vouée à la portion congrue. La mairie, avec l'aide du conseil régional et de l'Etat, soutenait donc des hypothèses de développement novatrices. page 318,
 
Etre adulte c'était précisément savoir qu'il existait d'autres forces que le grand amour et toutes ces foutaises qui remplissaient les magazines, aller bien, vivre ses passions, , réussir comme des malades. Il y avait aussi le temps, la mort, la guerre inlassable que vous faisait la vie. Le couple, c'était ce canot  de sauvetage sur le rebord de l'abîme. page 327
 
Steph se rendait compte qu'elle avait eu beaucoup de chance jusqu'à présent. Elle était née au bon endroit, à une période plutôt clémente de l'histoire du monde. De toute sa vie, elle n'avait eu à craindre  ni la faim, ni le froid,  ni la moindre violence. Elle avait fait partie des groupes  souhaitables ( famille bien  lotie, potes à la coule, élèves sans difficultés majeures, meufs assez bonasses. ) et les jours s'étaient succédé avec leur lot de servitudes minimes et de plaisirs réitérés.  page 328
 
Et voilà qu'à présent, il (David le père d'Anthony)  chez lui, seul la plupart du temps.. Il passait des soirées à siroter  du Picon-bière et à s'endormir, la bouche ouverte devant la télé. Il se réveillait à 3 heures du mat', en sursaut, une barre glacée en travers des reins. Le lendemain, il avait peine à se lever et ensuite, il fallait tirer sa journée. Après ça, il n'avait envie de rien , sinon de rentrer chez lui. Et là, rebelote. Un verre... page 340
 
Coralie et Hacine se promenaient avec leur chien, main dans la main. Autant dire que Hacine était au plus mal. Il se dit qu'après la buvette, il se dégagerait. Ils passèrent devant. Il n'osa pas . Il avait croisé des potes d'avant en plus, il en avait eu un coup de chaud. Il ne savait pas très bien pourquoi, mais le truc d'être en couple,  se balader, les bisous dans la rue, il ne s'y faisait pas. page 346
 
Rien qu'à la (la famille d'un  copain) regarder, Anthony se sentit mal. Ces femmes qui,  d'une génération à l'autre, finissaient toutes effondrées, à moitié boniches, à ne rien faire qu'assurer la persistance d 'une progéniture vouée aux mêmes joies, aux mêmes maux, tout cela lui collait un bourdon phénoménal. page 350

IV - 1998. I will survive.
 
Depuis des jours, la France entière était tricolore et les mêmes mots ricochaient à travers tout le pays. Dès 8 heures du mat' il l'avait entendu sur son radio-réveil, la France était en demi-finale. page 381
La France était en demi-finale. Une voix le rappela , une fois de plus à l'aimable clientèle et annonça que , pour l'occasion, le magasin faisait une promotion exceptionnelle sur les téléviseurs. Anthony retraversa aussitôt le Leclerc pour se rendre compte.  page 382
A l'armée, Anthony s'était justement  blessé en jouant au foot, après ses classes. Le ménisque. ...Six mois de rééducation avaient suivi , puis il était reparti en Allemagne. Après une série de tests physiques destinés à mesurer  son aptitude au service, on lui avait expliqué  que ce n'était plus tellement la peine d'insister....Et pouvait rentrer chez lui. page 384
 
Depuis que Hacine et Coralie étaient rentrés de la maternité avec la petite, leur vie était devenue une suite ininterrompue de corvées. Il fallait se lever la nuit, enchaîner les bibs sur vingt-quatre heures, le change, les promenades, continuer à aller au taf. Les journées filaient toutes semblables, exténuantes. Avec Coralie, ils n'arrivaient même plus à se parler, sans que ça finisse en engueulade. ...Pour parfaire le tableau, Coralie était  déprimée par sa prise  de poids....sans compter les beaux-parents qui s'étaient inventés de nouveaux droits sur leur vie depuis qu'ils étaient papy et mamie. Ils se sentaient désormais autorisés à venir quand ça leur chantait, en coup de vent, pour voir la gosse et donner un coup de main. page 391

Il (Anthony)  était arrivé chez le cousin vers 17 heures, en bagnole, un cubi à la main. Le cousin venait de faire construire, dans un nouvel lotissement situé à proximité  des tennis. ...Anthony avait eu droit au tour du propriétaire, comme à chaque fois qu'il passait, histoire de constater l'avancement des travaux ...Page 399

Et le cousin quitta les lieux au pas de course. .Anthony retourna au bar et commanda un demi. La France l'emporta. La France était en finale page 405

Après le coup de sifflet, Heillange se souleva. Les rues se remplirent aussitôt d'une infinie procession de voitures qui se mirent à klaxonner dans tous les sens.  page 406