lundi, août 31, 2009

COMPOSITION FRANCAISE (Mona Ozouf)

Quand je réfléchis à la manière dont les Français ont senti, pensé, exprimé leur appartenance collective, deux définitions antithétiques me viennent à l'esprit. Elles bornent le champ de toutes les définitions possibles de l'identité nationale.L'une, lapidaire et souveraine, "la France est la revanche de l'abstrait sur le concret", nous vient de Julien Benda. L'autre, précautionneuse et révérente, "la France est un vieux pays différencié", est signée d'Albert Thibaudet...La France de Benda est un produit de la raison, non de l'histoire. Une nation politique et civique, faite de l'adhésion volontaire des hommes, surgie du contrat, bien moins héritée que construite. Une nation dont la simplicité puissante, obtenue par l'éradication des différences, unit toutes les communautés sous les plis du drapeau. La France est alors la diversité vaincue. De l'autre côté, celui de Thibaudet, la France ni civique, ni politique, est faite de l'identité culturelle des"pays", au sens ancien du terme, qui la composent; fruit des sédimentations d'une très longue histoire; concrète et non abstraite; profuse et non pas simple; faite de l'épaisseur vivante de ses terroirs, de ses paysages, de ses villages, de ses langages, des mille façons de vivre et de mourir qui se sont inscrites dans la figure de l'Hexagone. La France, cette fois, c'est la diversité assumée. pages 14, 15.
...Rien n'était moins endormant, moins tranquillisant que les croyances déposées dans ma corbeille de baptême par trois fées qui ne s'aimaient guère, l'école, l'église et la maison. page 16
Ma grand'mère (paternelle) ...avait une dévotion exhibée, théâtrale, gage de son appartenance à ce qu'elle appelait "le dessus du panier" de la paroisse (de Lamballe) A chaque visite, il lui fallait reprendre, et il nous fallait écouter, les récits de sa participation éblouie au Rosaire perpétuel, avec tout ce que la bourgeoisie comptait de "dames des châteaux". page 25
Notre condition de Bretons, nous le savons bien, nous n'avons eu que la peine de naître pour la trouver à notre berceau. C'est la part non choisie de l'existence, sa première et inéluctable donnée. Mais cette part non choisie appelle des devoirs. Il nous revient d'approfondir nos appartenances, de les cultiver, de les rendre visibles. Et si le reard d'autrui s'avise de transformer ce cadeau original en tare, alors, il nous faut choisir ce que nous avons subi, et retourner notre honte en fierté. page 98
"Les vrais hommes de progrès sont ceux qui ont pour point de départ un profond respect pour le passé" . "J'aime le passé, mais je porte envie à l'avenir". (Souvenirs de Renan)
Une cloture invisible semble séparer la classe du monde extérieur. A l'école, ni Raymonde, ni Madeleine, ni Anne, ma préférée celle-ci, une secrète aux longs cheveux noirs, ne dit jamais rien de sa maison, du métier de ses parents, de sa famille...Chacune abandonne sur le seuil son baluchon de singularitésn personne ici n'a d'histoire. L'école est le lieu de la bienheureuse abstraction, on y est hors d'atteinte de ce qui, à l'extérieur, est menaçant ou douloureux...Les rédactions, où nous devons si souvent raconter ce que nous n'avons jamais expérimenté: un pique-nique au bord de l'eau, une tempête en mer, mais rien de tout cela n'est embarrassant, puisqu'on peut loger dans un récit de pure fiction toutes ses lectures.Quelque chose nous chuchote que ce n'est pas la vérité qu'on nous demande à l'école. pages 108, 109
L'égalité...Quelque chose , dans les classes de notre école de Plouha, aurait pu faire douter de cette rassurante égalité...Les places étaient loin d'être laissées au hasard des arrivées du matin ou des coups de coeur de l'année. Chaque mois, la lecture du classement , toujours un peu solennelle, présidait au chambardement de l'espace, martelé par les sabots: chacune, au vu de ses résultats, devait déménager son plumier et ses livres. Pourtant, les très bonnes et très mauvaises élèves gardaient des mois durant leurs palces (contre toute bonne pédagogie, les bons siégeaient aux premiers rangs, les cancres derrière)...Nos maîtresses aimaient parler "de ce qui est à tout le monde" et n'évoquaient jamais nos particularités, individuelles ou collectives. Page 113
Pas un mot de breton...Pas un mot des singularités archéologiques, ethnologiques, folkloriques...Jamais un conte breton. Pas la moindre chanson bretonne. Et rien sur les métiers bretons: on fait silence ici sur les activités de nos parents...Eh bien sûr, pas un mot des convictions religieuses, de la frontère invisible qui fend la commune en deux...Le plus étonnant est le silence que nos maîtresses observent sur les particularités géographiques de notre bourgade. page 114
A cette époque, en tout cas, il me paraissait évident qu'à l'école, c'était la France, non la Bretagne, qu'il fallait apprendre. page 119

dimanche, août 30, 2009

POUR QUI TE PRENDS-TU? (Chi Li )

"Faut pas te tromper d'époque.Ce qui compte, c'est que "l'Etat s'enrichisse et que le peuple soit fort". Quant à nous, oublions nos petits avantages pour penser à l'intérêt général et cessons de parler comme hier." page 55
Li Haomiao avait échoué à son examen d'entrée à l'université, il avait fréquenté un lycée professionnel où il avait étudié les parcs et les jardins. Une fois diplômé, il avait travaillé à l'entretien des parterres et des pelouses qui bordent les rues du centre de Wuhan. Li Haomoao avait un terme de mépris pour désigner son métier:" paysan urbain". Le paysan urbain n'était pas allé travailler depuis longtemps. Son salaire de misère l'avait rendu cynique. Il s'habillait à la mode, roulait sur un VTT dont on ignorait la provenance, il traînait dans tous les quartiers de Wuhan, à l'affût de la moindre occasion de s'enrichir. page 70

mercredi, août 26, 2009

TOUT LE MONDE EST OCCUPE (Christian Bobin)

Les bonnes manières sont des manières tristes. Ariane n'était pas douée pour la tristesse. Elle aimait et elle voulait.Vivre est si bref...Vivre est si rapide, il faut bien mettre un peu d'enthousiasme là-dedans, non? pages 11, 12

(Ariane se marie). Mariage classique. D'abord à la mairie, ensuite l'église. A la mairie, rien à dire, tout est parfait. Calme, froid , républicain. Le maire est en vacances. L'adjoint à la culture le remplace...L'adjoint à la culture ne croit pas aux vertus du mariage. Cela tombe bien, on ne lui demande pas de croire, on lui demande seulement de réciter quelques articles de loi, sans mettre le ton, surtout sans mettre le ton...Une heure plus tard, l'église. Après la loi, la grâce. Deux noeuds valent mieux qu'un. J'ignore combien dans cette assemblée croient en Dieu - prêtre compris (pensée d'Ariane)...Le prêtre oublie son émotion, rattrape sa croyance in extremis, redevient prêtre, accomplit son travail qui n'est pas mince: parler avec énergie pour que les mots de Dieu (oui, excusez du peu: les mots de Dieu, les grands rayonnnements du soleil), renversent cette muraille de parfums, de pensées et de costumes pour atteindre, sans perdre de leur puissance, quelques âmes. Au moins une. Une seule et ce sera gagné...Allez, Dieu est venu, Dieu est parti, on sort. Ariane et son mari les premiers, une pluie de roses sur leurs têtes, du soulagement pour tous, la fête va commencer - à moins qu'elle ait déjà eu lieu- comme on voudra. page 14
Les livres, pour les effacer, il suffit de ne jamais les ouvrir. Les gens, c'est pareil: pour les effacer, il suffit de ne jamais leur parler. page 22
"Les mots sont comme les gens. Leur manière de venir à nous en dit long sur leurs intentions... Il faut , comme toi, jouir d'une vie de luxe pour s'étonner que les gens se révoltent pour un peu plus de pain et de justice...Ce que les gens appellent l'ordre: un état confortable pour eux, et pour eux seuls..." page 66
Pour parler, il ne suffit pas deparler, il faut être entendu. page 99

samedi, août 22, 2009

TITIKAKA (Bertrand Houette)

Bertrand Houette est un spécialiste de l'histoire inca.
Le roman est une fiction qui se greffe sur des faits réels rapportés dans des Chroniques du XVIè siècle.
Le récit commence en 1532, date de l'arrivée des Espagnols sous la direction de Francesco Pizarro et de Diego de Almagro . Le pays inca est en pleine guerre civile. L'arrivée des étrangers met un terme à cette lutte...Le livre se ferme sur août 1544.
Multiplicité des personnages, divisions entre les ethnies compliquent le récit et, à mon avis, le rendent un peu confus. Cependant le roman est intéressant et on se demande que sera le dénouement de l'histoire.

lundi, août 03, 2009

LE TRESOR DE LA SIERRA MADRE (B. Traven)

Quand la nourriture vient à manquer, le sentiment que la mendicité est indigne d'un Américain vous quitte pour de bon. page 40.

Le pétrole de même que l'or ne vaut rien à l'état naturel. Il n'acquiert de valeur qu'une fois transporté là où le besoin se fait sentir. page 42
Pat (le chef des constructions de derricks) les contraignait à des nuits très courtes. Ils travaillaient jusqu'à onze heures du soir à la lueur des lampes à gaz et à cinq heures du matin, ils étaient de nouveau à trimer. "Il faut profiter de la fraîcheur matinale" disait-il en les réveillant. Le midi, ils avaient à peine avalé leur café et commencé à se curer confortablement les dents que Pat s'activait et les pressait:" Bien sûr qu'il fait chaud, les gars. Je le sais. C'est les tropiques, ici. mais au Texas aussi, il fait chaud parfois. Dieu sait que je n'y suis pour rien. Je dois mener ce satané contrat. Plus vite nous aurons fini, plus vite nous sortirons de cet enfer et retournerons en ville pour nous boire des verres bien frais."...Ces contrats permettaient à Pat McCormick d'amasser une petite fortune...Il gagnait. Il gagnait toujours. Il pouvait bâtir deux camps dans un délai qui ne permettait même pas à ses concurrents d'en construire un seul. page 63
(Dobbs et son compagnon en ont assez du pétrole et rêvent de chercher de l'or).Quoi qu'il en soit, disait Howard, (le vieil homme), quoi qu'il en soit l'or est quelque chose de diabolique, croyez-moi, les gars. D'abord, il change complètement votre caractère. Quand vous en trouvez, votre âme change du tout au tout. C'est inévitable. Vous aurez beau en avoir amassé plus que vous n'en pourrez porter, eh bien, je mets ma main à couper, plus vous en aurez, plus vous désirerez en avoir. C'est tout à fait comme jouer à la roulette. Encore un tour. Et ainsi de suite, encore et encore. On ne distingue plus le bien du mal. On perd tout jugement. Voilà ce qu'est l'or..."Celui qui n'est jamais allé chercher de l'or ne sait pas comment ça se passe, là-bas, une fois sur place. Je sais par expérience qu'il est plus facile de quitter une table de jeu quand la chance est avec vous que d'abandonner sa concession après y avoir déjà pris un bon magot"...page 74
"Tant que vous ne trouvez rien, la noble fraternité continue d'exister" page 76 (dit Howard, un vieux chercheur d'or.)
"L'or est aussi bénit que maudit. Tout dépend de la personne qui le possède... Ce que les gens ne comprennent pas , c'est qu'on peut tout à fait se passer d'or...L'or ne change pas l'homme mais le pouvoir qu'il lui donne, change son âme. Et pourtant, ce pouvoir n'est qu'imaginaire; si les autres hommes ne le reconnaissent pas, il perd tout effet." page 91
A débattre de l'enregistrement de leur titre ( de propriété de la concession), ils comprirent que leur statut social avait changé. Chaque once d'or supplémentaire les éloignait du prolétariat pour les rapprocher de la classe moyenne des nantis; Jusque là, ils n'avaient jamais rien possédé méritant d'être protégé des voleurs. Avec les richesses, venait le désir de les mettre à l'abri. Le monde ne ressemblait plus à celui qu'ils habitaient quelques semaines plus tôt. Ils appartenaient désormais à la minorité de l'humanité. Ceux qu'il avaient considéré comme leurs frères de misère, ils les tenaient dorénavant pour des ennemis dont il fallait se méfier...Ils avaient franchi le premier pas qui fait de l'homme l'esclave de son bien. page 109
L'or que les élégantes portent aux doigts, ou qui couronne la tête d'un roi, cet or est bien souvent passé entre les mains de créatures dont la seule vue donnerait le frisson au roi ou aux élégantes. Assurémént, ce métal est plus souvent lavé dans le sang des hommes que dans l'eau savonneuse. Un noble souverain, désireux de montrer sa grandeur d'âme, agirait très sagement en portant une couronne de fer. L'or est fait pour les voleurs et les escrocs. Voilà pourquoi ce sont eux qui en possèdent la plus grande partie.Le reste appartient à ceux qui ne se soucient pas de sa provenance ou des mains par lesquelles il est passé. page 124
En quatre cents ans de pouvoir absolu, l'Eglise catholique s'est davantage préoccupé de remplir les coffres de Rome de richesses purement matérielles que d'inculquer à ses sujets les véritables principes de l'Evangile. Les gouvernements des pays modernes et civilisés ont une conception différente de l'éducation tout à fait différente de celle de l'Eglise, et ces gouvernements ont également une oponion bien à eux quant au plus apte à gouverner, de l'Etat ou de l'Eglise. page 162
Ces hommes (des brigants) ne sont jamais à court d'idées et savent comment les mettre en pratique. Depuis leur enfance, les églises leur montrent le chemin à suivre. Elles sont pleines de peintures et de statues représentant toutes les tortures auxquelles les blancs, les chrétiens, les inquisiteurs et les abbés ont pu penser. Ces images conviennent parfaitement à un pays dans lequel la plus puissance des religions a voulu montrer qu'il était tout à fait possible de tenir des hommes en esclavage, sans leur assigner d'autre but que d'accroître la gloire et les richesses des dirigeants. Que signifie l'âme humaine pour cette grande Eglise? Dans les pays civilisés, les fidèles ne se posent pas de questions sur l'origine de sa grandeur et la provenance de ses richesses. Voilà pourquoi il ne faut pas blâmer ces bandits pour leur cruauté...page 181
Personne n'a été loyal envers eux ( les bandits) ; comment pourraient-ils l'être envers toi? Il est impossible qu'ils tiennent leurs promesses puisque celles qu'on leur a faites n'ont jamais été tenues. Ils se contenteront de prononcer un Ave Maria avant de te massacrer, ils se signeront, et il en ira de même quand ils auront fini. Nous ne serions pas très différents d'eux si nous avions été les victimes, nous aussi, au cours des quatre cents dernières années, de la tyrannie et de la superstition, du despotisme, de la corruption et d'une religion pervertie. pages 189, 190
L'or ne vaut rien s'il n'est pas là où les hommes en ont besoin. page 202
(Un riche fermier indien) J 'ai au-dessus de ma tête un soleil d'or, la nuit, une lune d'argent et la paix règne sur mes terres. A quoi bon rechercher d'autres richesses? L'or et l'argent n'apportent aucun bienfait. Toi, que t'apporteront-ils. Vous autres blancs, vous tuez, vous volez, vous mentez et vous trahissez par l'amour de l'or. Bien qu'il vous pousse à vous détester, vous croyez qu'il vous apportera l'amour des autres. Pleins de haine et de jalousie, vous souillez la beauté de la vie par la possession de l'or. Nous aimons regarder ce métal. Sa beauté est éternelle. Il nous sert à parer nos dieux et nos femmes. Nous aimons contempler des bagues, des colliers et des bracelets qui en sont faits, mais nous avons toujours été maîtres de notre or, pas ses esclaves, et nous lui accordons aucune valeur car il ne se mange pas. Notre peuple a mené bien des guerres, mais jamais pour la possession de l'or. Nous avons lutté pour de la terre, pour des rivières, pour des gisements de sel, pour des lacs, et surtout pour nous défendre des tribus sauvages qui essayaient de s 'emparer de nos champs ou de nos récoltes...page 210
Si un gouvernement ne permet pas que les individus aient leurs idées, en matière économique ou politique, et s'il vient à s'effondrer, les populations, incapables de faire face à des conditions nouvelles seront plongées dans le chaos. page 222