samedi, avril 30, 2011

LA SOURCE CACHEE ( Hella S. Haasse)

Tenter de reconstruire la vie d'un être qui n'existe plus sur terre c'est un peu vouloir reconstituer une mosaïque brisée; chaque fragment, chaque débris a de la valeur. page 24




Nous nous connaissons depuis plus de huit ans. Nous avons vécu ensemble l'intimité la plus totale qui puisse exister entre deux êtres, le mariage. Je sais trop bien que cette union ne nous a jamais apporté le bonheur, ni l'assouvissement de nos désirs au sens le plus profond du terme, physique et spirituel. Pourtant, j'ai souvent voulu croire que nous étions liés par une sorte de camaraderie froide et réservée....Car on peut se connaître, sans jamais parvenir à une totale compréhension mutuelle. Page 65




...Nous nous assimes , chacun à notre place. Nous ne parlions plus, la pendule découpait le temps de son tic-tac doux et rapide. Mais le papier devant moi resta vierge et lentement, trop lentement, Rina (sa femme) tourna les pages de son livre. page 91




Recommencer. recommencer ailleurs...Etre libre, et me prouver à moi-même que je suis digne de cette liberté. Etre seul, dans la solitude que j'ai moi-même choisie, qui est un bouillon de culture pour les forces de l'âme. Croître, murir et porter des fruits. Page 92








jeudi, avril 07, 2011

LA CHARRETTE (B. Traven)

...Leonardo (le maître )arriva à se convaincre que le garçon (Andres, l'indien) lui serait plus utile s'il savait lire, écrire et compter. Ceci était, en petit, ce qui se passe partout dans le monde. L'industriel, le capitaliste, le propriétaire terrien sont opposés, par principe, à l'éducation du prolétariat. Ils sentent, avec juste raison, qu'un prolétariat instruit constitue un danger pour leurs privilèges....Ce n'est pas le pays dont les couches supérieures sont les plus cultivées, mais bien celui qui possède la masse la plus instruite, qui occupe de nos jours la première place et décide de la valeur du dollar. page 16 Le fait de les envoyer à l'école (les enfants indiens) aurait constitué non seulement une folie mais encore un péché. Une folie, car l'Indien pourrait arriver à en savoir plus long et à acquérir plus de capacités que le propre fils du maître, dont l'ambition se bornait, en allant à l'école, à apprendre à lire et à écrire; un péché, parce que l'Eglise catholique n'est pas favorable à l'éducation des Indiens. L'Eglise désire, en effet, que l'enfance indigène conserve son innocence, afin que le Royaume des cieux lui soit acquis.. Et si on accorde à l'Indien le droit de s'instruire, nul ne saurait prévoir où il s'arrêtera. Page 17 Il (Andrès) apprit avant tout, à apprécier l'instruction. Car, tant que l'on ne sait lire ni écrire, il n'est guère possible de comprendre la valeur de la lecture et de l'écriture. Page 20 Dans une certaine partie de notre globe, si admirablement organisé, les choses vont mieux lorsque le prolétariat sait lire et calculer; dans une autre partie de notre univers, organisé avec plus d'astuce, les choses vont encore mieux, lorsque le prolétaire n'entend rien aux chiffres et ne comprend pas l'espagnol. Page 25 Le maître avait tous les droits, il les avait toujours eus...Tout cela était juste: c'était la loi, fondée sur les décrets divins et ceux de l'Eglise, car les dieux sont proches parents des maîtres, tandis qu'ils n'ont aucun lien de parenté avec les Indiens. page28



Bien entendu, personne ne trafique sur des êtres humains, au Mexique, et il y est interdit de vendre ou d'acheter un homme. Cela est prohibé par la Constitution, dans laquelle il est stipulé , en outre, que tout citoyen de la République est libre, indépendant et inviolable, un être sur qui seuls son père, la police ou les représentants d el'ordre public ont le droit, dans certains cas, de porter la main. Pour toutes ces raisons, il était impossible pour Don Leonardo de revenir sur sa transaction ( il a perdu au jeu et a misé sur Andres) . Il ne pouvait pas offrir à Don Laureano de lui restituer ses vingt-cinq pesos...Cela équivaudrait à vendre un être humain...Page 44




Andres était un péon: comme tel, il faisait partie de la propriété. page 45




Des centaines de mendiants étaient installés à l'entrée de l'église, accroupis ou étendus, tendant leur sébille pour y recueillir les aumônes. L'Eglise conseille la charité, car la charité contribue à protéger la propriété privée... Les fidèles n'exercent pas la charité spontanément et de leur plein gré. Ils obéissent aux ordres de l'Eglise et donnent aux premiers mendiants qu'ils rencontrent sur leur chemin. On distribue une piécette par-ci, une autre par -là pour apaiser sa conscience. page 130


L'homme blanc porte en lui une cinquantaine de théories philosophiques, toutes différentes les unes des autres, et qui gravitent autour du sens de la vie. Ces théories sont souvent contradictoires, mais on peut en choisir une, celle qui convient le mieux pour l'usage personnel de chacun, et tenter, grâce à elle, de tenir tête au destin....Par contre, l'Indien, qui est ignorant de ce genre de spéculations abstraites, est dans une situation plus précaire. Il accepte le destin tel qu'il se présente à lui, et ne tente , même pas de percer ses mystères. Quand il le croise sur son chemin, il le reconnaît, s'incline devant lui et attend le coup. Il ne peut lui échaper et n'essaie même pas de le faire. Son instinct lui a dit que c'était inutile, que cela équivaudrait à galvauder les quelques instants précieux qui lui restent à vivre avant que le rideau retombe sur lui. page 278