jeudi, décembre 30, 2021

DES MILLIERS DE LUNES ( Sébastien BARRY) 2021

 Bien qu'il s'agisse d'une histoire à part entière, nous retrouvons Winona Cole, la jeune orpheline indienne lakota du roman DES JOURS SANS FIN , et sa vie dans la petite ville de paris, Tennessee, quelques années après la guerre de Sécession. Winona grandit au sein d'un foyer peu ordinaire, dans une ferme à l'ouest du Tennessee , élevée par John Cole, son père adoptif et son compagnon d'armes, Thomas McNulty. Cette drôle de petite famille tente de joindre les deux bouts dans la ferme de Lige Magan avec l'aide  de deux esclaves affranchis, Tennesson Bouguereau et sa soeur Rosalee.  Ils s'efforcent de garder à distance la brutalité du monde et leurs souvenirs du passé. Mais l'était de Tennessee est toujours déchiré par le cruel héritage de la guerre civile, et quand Winona puis Tennyson sont violemment attaqués par des inconnus, le colonel Purton décide de rassembler la population pour les disperser. 

Magnifiquement écrit, vibrant de l'esprit impérieux d'une jeune fille au seuil de l'âge adulte, Des milliers de lunes est un roman sur l'identité et la mémoire, une sublime histoire d'amour et de rédemption. 

La faiblesse de Thomas McNulty, c'est qu'il était pauvre. On était tous pauvres. Lige Magan était pauvre, lui aussi, alors qu'il possédait la ferme, et nous, on était plus pauvres que Lige. Bien plus pauvres que Lige. page 14

Thomas McNulty n'était pas une vraie mère, mais presque. de temps en temps, il enfilait même une robe. ....Un descendant de Polonais ayant émigré en Amérique, mais ce qui comptait pour les habitants de Paris, c'est qu'il était blanc. C'était un Blanc. page 21

Mais on était pauvres, et deux d'entre nous étaient indiens. Et comme j'ai dit, ce n'était pas un crime de frapper un Indien. page 24 (Winona  a été violemment frappée. ....Quand on  était pauvre en Amérique, il suffisait de donner l'impression d'avoir fait quelque chose de mal pour être pendu. page 26

Thomas McNulty disait toujours qu'il venait de rien. Au sens propre. Toute sa famille était morte là-bas , en Irlande, comme la mienne au Wyoming. Sa famille était morte de faim, et bien des Indiens étaient morts pour la même raison. Thomas disait venir de rien mais vivre maintenant en compagnie de rois et de reines.  Il ne le disait jamais que nous, nous n'étions rien. page 32

Ma mère avait dans notre tribu une réputation de grande bravoure...Elle savait repérer l'ennemi dans le paysage, même s'il se cachait. .....Un pasteur itinérant lui avait un jour demandé: " Quand es-tu donc arrivé en Amérique, Thomas? - " il y a cent ans" telle avait été sa réponse. Ma mère voyait le temps comme un cercle, une boucle et non  comme une corde tendue. A condition de marcher  assez longtemps, disait-elle, on pouvait rejoindre des personnes ayant vécu il y a longtemps, mais qui vivaient toujours. C'était impossible de marcher assez loin, expliquait-elle, mais ça ne signifie pas que cs personnes n'étaient pas là. ..Pourtant les soldats l'avaient tuée comme ils avaient mon père et mes oncles. Ils avaient tué ma soeur, mes tantes, et beaucoup d'autres encore.  page 39...Rien, rien, rien, nous n'étions rien...mais peut-être que c'est pour ça que Thomas McNully et John Cole  m'aimaient  parce que j'étais l'enfant de rien.   page 40

Tennessee Bougueneau..;en tant qu'ancien esclave, il ne pouvait porter une arme que dans le plus grand des secrets. pendant un temps, tout avait paru aller mieux pour les esclaves. Ils avaient déposé leurs outil dans les fermes où ils ne désiraient plus travailler. Ils avaient obtenu le droit de vote, les hommes en tout cas; Ils pouvaient soutenir le regard d'un Blanc et lui parler aussi droit que le tir d'une flèche. ça avait duré un temps. Maintenant , tout allait en sens inverse. les fermiers des environs n'avaient plus personne pour travailler dans leurs fermes si les Noirs ne le voulaient pas, et ça les rendait fous...;Il ne savait ni lire  ni écrire , mais il pouvait dessiner votre visage sur le joli papier de Rosalee....page 54

Ma mère m'avait appris à chasser la peur et à avoir un  courage de mille lunes. page 95

Le lundi de la Pentecôte est arrivé, c'était un jour où Lige nous donnait congé. Personne n'avait le droit de se baisser pour travailler ce jour-là. ....C'était un jour joyeux, même pour ceux qui n'avaient pas la joie en eux. Une joie qu'on pouvait emprunter afin que même les gens tristes en bénéficient. Puis Lige se levait avec son violon....On dégustait le cochon avec une joie solennelle et Rosalee chantait une vieille chanson dans une langue qu'elle - même ne comprenait pas.  mais qu'elle tenait de sa grand-mère quand elle était petite, Majestueuse Rosalee. ...;Je chassais alors ma tristesse et je montrais ce que je savais du monde par une folle danse lakota.  Le lundi de la ¨Pentecôte, c'était la liberté, le jour où l'amour était palpable entre nous. Cette façon dont John Cole caressait le dos de Thomas tandis que tous deux regardaient s'étirer  les longues ombres de mai. page 148

....Mais le passé, le présent, le futur, ça n'existe pas, ce que ma mère savait déjà. Il n'y a qu'une boucle qui tourne sans cesse.  page 151

jeudi, décembre 16, 2021

POUSSIERE DANS LE VENT ( Leonardo PADURA) 2021

 Ils ont vingt ans. Elle arrive de New-York, il vient de Cuba, ils s'aiment. Il lui montre une photo de groupe prise en 1990 dans le jardin de sa mère. Intriguée, elle va chercher à en savoir plus sur ces jeunes gens. Ils avaient  huit amis soudés depuis la fin du lycée. Les transformations du monde et leurs conséquences sur la vie à Cuba vont les affecter. Des grandes espérances jusqu'aux pénuries de la "Période spéciale" des années 90 après la chute du bloc soviétique, et à la dispersion dans l'exil à travers le monde. Certains vont disparaître, certains vont rester, certains vont partir.  Des personnages magnifiques, subtils et attachants, soumis au suspense permanent qu'est la vie à Cuba et aux péripéties universelles des amitiés, des amours et des trahisons.  

Depuis son île, Leonardo Padura nous donne à voir le monde entier dans un  roman universel. Son inventivité, sa maitrise de l'intrigue et son sens aigu du suspense nous tiennent en haleine jusqu'au  dernier chapître

Ce très grand roman sur l'exil et la perte qui place son auteur au rang des plus grands écrivains actuels, est aussi une affirmation de la force de l'amitié, de l'instinct de survie et des loyautés profondes. 

Après avoir achevé sa licence de lettres à la FIU, elle avait postulé et obtenu un poste minable à la bibliothèque de l'université tout en faisant un master dans une matière aussi inutile et fleurant le sous-développement que les études latino-américaines, avait été qualifiées par sa génitrice de gâchis de neurones....Mais que, pour comble de déchéance, elle tombe amoureuse  d'un balsero, un réfugié cubain, et que, cerise sur le gâteau , à peine quelques mois plus tard, elle aille s'installer avec ce type, dans un appartement immonde de l'immonde Hialeah, non, mais, je n'y crois pas.  page 22 

Grâce à cette capacité bien cubaine à défendre férocement son essence propre, l'adolescente devint presque militante d'une religion sans dieu, qui avait apôtre appelé Joseph comme le patriarche biblique: José Marti, poète prophétique qui plus est.  page 33

Marcos, habitué à ce que d'autres décident à sa place dans ce genre de questions ( les panneaux électoraux candidate Hilary Clinton)) , se fichait de l'occupant de la Maison Blanche en tant qu'il ne s'intéressait pas à lui; il vaut mieux qu'on m'ignore disait-il.  page 35

" Si ce n'est pas indiscret,...pourquoi  toi, es-tu parti de Cuba? Aujourd'hui, tout le monde s'en va, les jeunes comme toi s'en vont, c'est pas les raisons de partir qui manquent, mais toi.... - " Il fallait que je m'en aille...Je voulais une maison, une voiture, et là-bas....même pas la peine 'y songer."  - " Une maison, une voiture....ça peut-être une bonne raison...Moi, je suis parti pour suivre mes enfants. Eux aussi, voulaient avoir une maison, une voiture. En un seul bloc; une maison, une voiture....Mais toi, tu n'es pas comme ça? je le sens.... - " Non Casamayor, je suis comme  les autres. ...Un Cubain lambda qui habite maintenant à Hialeah et....page 43

Quatre mois après son arrivée, alors qu'il venait juste de débuter sa relation avec Adela, ...Marcos était déjà devenu associé commercial de Gros Nez. Son ascension avait été fulgurante et avait commencé à se forger quand il avait demandé à son employeur  de le laisser parler, lui, avec les fournisseurs nord, -américains.....Une semaine plus tard, il était passé du statut de nettoie-toute- la- merde-et - porte- tout ce- qui- est- lourd à celui de responsable de la comptabilité., des achats ....C'était peu après qu'il est devenu indispensable, le jour où il avait sauvé les ordinateurs du propriétaire du garage du virus qui menaçait de dévorer tous les fichiers techniques,  administratifs et financiers.... Six mois après, ...Marcos gagnait en moyenne trois mille dollars par mois.....page 52

Adela commença par constater que le rapport viscéral de son amant avec ses habitudes et sa culture d'origine, semblait imperméable   au territoire où il vivait à présent...Pourquoi une personne quitte-t-elle ainsi son pays? Pourquoi quelqu'un s'éloigne-t-il de son pays sans en sortir? ...Adela savait qu'on ne quitte jamais l'endroit où on est heureux, à moins d'y être forcé...page 62....." A Cuba, personne ne dit tout. Personne. ....Et ça tu l'apprends dès ta naissance. Tu veux la vérité? OK......On était trop loin dans le business" " dit Marcos)  - De quel business tu parles. Du fromage? " Il secoua la tête. - Des business dans l'entreprise où je travaillais....Là-bas, on volait et on revendait de tout....C'était comme ça avant que j'arrive, depuis des années....c'est des choses normales..."page 64...." Comme je te l'ai dit, il y a un million de gens qui vivent  de la débrouille qui vivent comme je vivais à Cuba.  Certains gagnent plein de fric, d'autres survivent, mais toujours en se débrouillant...La politique ne les intéresse pas et ils ne gobent pas les histoires d'avenir meilleur racontées par les politiques....page 70

" Ces horribles tasses! Tout ça, c'est volé? - Les voisins du quartier....dit Clara avec un sourire. Il y en a plusieurs qui travaillent à l'aéroport et ils embarquent même le kérosène pour les avions. ...Ils piquent tout ce qu'il y a....Les pilotes, les hôtesses rapportent tout ce qu'ils peuvent de l'étranger pour le revendre.... page 85

 " L'Union soviétique tombe en morceaux....Qui l'aurait dit , hein? - La mère le disait...Tu sais que ma soeur a fait ses études là-bas....- C'est Gorbatchev qui a tout foutu en l'air. - Tu ne crois pas plutôt que c'était foutu et que Gorbatchev, il a juste publié dans le journal, comme dit Walter. Tu crois vraiment qu'on peut rendre la société plus juste en donnant des coups de pied au cul...page 96

Le Clan s'appelait déjà le Clan quand plusieurs d'entre eux avaient découvert  1984, trois ans avant l'année choisie par Orwell pour situer sa fable d'anticipation politique. Elisa l'avait apporté au conclave, a ait eu accès au livre grâce à Irving....Apparemment , c'était Horatio, durant la dernière année de lycée, qui avait eu l'idée de baptiser leur petit groupe "Le Clan"...page 103

L'enfermement physique et mental auquel ils étaient soumis, sans vraiment en avoir conscience ( sauf Elisa, la British)  leur faisait voir le monde extérieur comme une carte divisée en deux entre deux couleurs antagoniques; les pays socialistes ( les gentils)  et les pays capitalistes ( les méchants) . dans les pays socialistes ( où il était en plus possible de se rendre) on construisait, avec ardeur, l'avenir radieux ( même si pas très joli disait Irving) d'égalité et de démocratie juste, régie par la dictature du prolétariat confiée à l'avant-garde  politique du Parti durant la phase de construction du communisme dont l'événement constituerait le point culminant de l'Histoire, le bonheur de l'humanité. dans les Etats capitalistes décadents, prédominaient le vol et la discrimination, l'exploitation de l'homme par l'homme, la violence, le racisme, l'hypocrite démocratie bourgeoise, des guerres comme celle du Vietnam y étaient générées. Il se produisait des scandales comme celui du Watergate, il s'instaurait des dictatures sanguinaires comme au Chili.....page 106....C'était là  qu'un frais dimanche soir de 1981, Clara et Dario avaient accueilli Horacio, Bernardo et Elisa oscillant entre euphorie et désenchantement après l'inquiétante lecture d'Orwell...Elisa sortit de son sac tissé latino-américain un exemplaire déjà bien usé de 1984 et le tendit à Clara. " Je vous laisse trois jours pour le lire.. Il faut absolument que vous le lisiez..." " C'est  de la littérature subversive, intervint Bernardo. de l'anticommunisme pur...." page 108

" Je n'ai pas ma place ici. Ils veulent que je sois d'une certaine manière et moi, je suis d'une autre. j'étouffe.   ( Walter)..." Tout ça, c'est de la folie, mec.  Vouloir aller vivre ailleurs, c'est presque un délit. ..On peut même enlever le "presque. " page 120

( Irving,  revient à Cuba après 15 ans à Madrid) Pour passer le contrôle, trente minutes de queue, tu débarques à Cuba, et c'est une queue qui t'attend." Le pays  des longues queues" se dit-il en lisant sur une affiche qu'il était arrivé dans un "paradis sous le soleil". "En quelle année avez-vous quitté Cuba? insista le représentant de l'autorité. - " En 1997...Non pardon, en 1996. Presque 15 ans - " Et le motif de votre voyage? L'exilé avait souvent réfléchi à cette question. - " Ma mère, comme je vous l'ai dit, est au plus mal. ...Ma soeur m'a demandé..."  " Bienvenue dit le policier. Et il avait souri. page 136

"(Walter s'est suicidé  - 1990 - ou a été tué, Irving est en prison) La cellule du bâtiment colonial où on l'avait mis contenait un lit avec sommier métallique recouvert d'un  fin matelas; il faisait humide et froid à cette époque de l'année. ...On lui servait ses repas à des intervalles qui lui semblaient parfois  plus courts et d'autres fois, plus espacés,  et toujours avec les mêmes ingrédients ( une assiette en plastique avec  du riz, un peu de potage aux petits pois ou aux haricots rouges, deux croquettes et un morceau de pain), ce qui ne l'aidait pas à savoir s'il s'agissait du petit déjeuner ou du déjeuner. On ne lui donnait jamais de café et le manque de caféine lui donnait des maux de tête permanents. page 165 (A la libration d' Irving) Horacio avait réussi à dégoter, je ne sais où, un poulet canadien et dodu, découpé par Clara de façon à ce que chacun  en ait un morceau  dans le riz au poulet qu'elle se mit à préparer, tandis que Liuba apportait une boite de croquettes à la viande made in Vietnam, qui avait  été distribuée par le ministère comme récompense pour  avoir atteint les objectifs dont personne  n'avait souvenir de l'existence ou de la réalisation. ...Le médecin (Dario) avait sorti un litre de White Horse... cadeau de ses patients...page 171

( Irving se rend en Espagne rendre visite à son ami Dario) Une heure plus tard,  tandis qu'il ( Dario) montrait  l'appartement de  Segur  de Calafell ( qualifié de super affaire)  tout en tenant par la main Montse, comme s'ils étaient de jeunes fiancés....Irving eut la pensée perverse que l'invitation de Dario était due au besoin que quelqu'un tel que lui, justement, soit le témoin et peut-être le porte-parole de son succès, symbolisé de manière spectaculaire par une maison de rêve. page 180..."Quitter Cuba , mon vieux,  c''est ce qui pouvait m'arriver de mieux. Et je remercie tous ceux qui m'ont poussé  à le faire. je ne sais comment je continuerais à vivre là-bas, ce serait sûrement de pire en pire. Là-bas, c'est sans remède, sans remède....En plus , tu as vu la femme que j'ai trouvée...Elle me traite comme un dieu...page 182

Jusqu'au 11 Septembre 2001, Adela  n'avait eu qu'une vie. Ce jour-là,  à neuf heures deux minutes du matin, à l'âge de onze ans et quatre mois,  l'adolescente avait commencé une autre vie, celle qui depuis avait été la sienne.... page 215

( Marcos  - aux USA à sa mère, Clara à Cuba) Marcos lui demanda de le prévenir immédiatement si elle  avait besoin d'un  médicament impossible à trouver à Cuba. ( Bernardo a un cancer. ) " Maman, il va très mal? - " Il a un traitement, ne t'inquiète pas...;Je garde la foi. - " Mais, c'est quoi, cette manie de ne pas dire les choses clairement! Sa chimio, il va la reprendre oui ou non?  Bon, d'accord, d'accord. Dis à Bernardo que je l'embrasse. ...Et je vous envoie cette semaine un peu d'argent pour que vous mangiez un peu mieux et que vous preniez des taxis si nécessaire. " Bernardo dit que ...si tu vois Obama, tu lui signales que, quand il est venu à Cuba, il n'est pas venu le voir...; page 236

Décrépite et prétentieuse, attirante et repoussante, aimable et agressive, exotique et familière, c'était l'image de la Havane. Et tout cela, en même temps.  (Adela) page 243...'.Quelques années plus tard, en fac, un voyage est organisé pour Cuba, Adela veut savoir des précisions sur  sa mère  quand elle vivait à La Havane. ) Sur la liste des diplômés de la faculté de médecine vétérinaire de La Havane, en 1982, il n'y avait aucune personne  du nom de Loreta Aguirre Bodes...Page 245

"La vie individuelle de chacun mérite le respect des autres.  Chaque personne est responsable de ses actes. ...Je peux juste dire que Loreta  m'a avoué  plusieurs fois qu'elle  avait envie d'une autre vie..." un moine bouddhiste)  page 249

Au fil des jours de l'intimité croissante, Loreta révéla enfin à son amant certaines des raisons, que durant des années, il crut véritables, expliquant l'existence d'une Loreta Aguirre Bodes qui s'appelait en fait Elisa Lucinda Correa ..Loreta lui avoua qu'elle avait dû dissimuler sa véritable identité pour pouvoir sortir de Cuba avec le passeport au nom de Loreta muni d'un visa anglais, que, des années auparavant, son père lui avait  remis.  Avec ce passeport ( parfaitement authentique, mais avec le nom changé,) elle était arrivée à Boston où elle avait aussitôt demandé l'asile politique aux Etats-Unis.  page 226...Bruno Fitzberg ne pouvait nier qu'il avait été heureux avec son épouse et sa fille ( Adela qu'il a adoptée) page 268

Quinto Horacio  était né à La Havane le 8 novembre 1958 et avait été baptisé ainsi car son père était un admirateur d'Horace.....Son père Renato Forquet avait quitté Cuba pour les Etats-Unis, le 9 janvier 1960, pour ce qui devait être un bref séjour....;Les mois devinrent des années...Renato, qui avait fait ses études aux Etats-Unis à l'orée des années 1950, considérait le communisme come une aberration politique . page 275..Quand en 1994, Horatio  avait quitté Cuba pour les Etats-Unis, il avait enquêté sur le destin de son père auprès de quelques vieux résidents cubains de Miami, en particulier franc-maçons comme lui. Plusieurs se souvenaient de lui, aucun ne savait où le trouver. Ce que Horatio finit par trouver à propos de son géniteur...une tombe discrète dans un cimetière de Tampa couronné d'une plaque.....Renato Forquet Sanchez, père et époux chéri, frère franc-maçon, était décédé  en mai 1994 à l'âge de soixante -quatre ans...page 276

En dépit des preuves et des conclusions de l'enquête, depuis le début, Horacio n'avait pas cru et ne croirait jamais  que Walter s'était suicidé. ...Mais s'il ne s'était pas suicidé, qui l'avait balancé dans le vie? page 290

Il y avait pénurie de tout, sauf de temps. Un temps horrible,  doté d'une étrange capacité de distorsion...l'intervalle entre deux repas se transformait  en étendue désolée et interminable de laquelle on n'était pas sûr de pouvoir sortir; les coupures de courant en série devenaient des périodes exaspérantes qui semblaient ne jamais finir; les heures nécessaires pour se déplacer d'un point à un autre de la ville  signifiaient  des séquences épuisantes sur une bicyclette chinoise ou des files d'attente infinies avant d'emprunter un transport public...La liste des choses qui manquaient ou avaient disparu était longue.  .Page 294

La crise  à l'intérieur de la crise se déclencha l'été de la très sombre année  1994, alors Horacio prit la décision....Partir, partir, partir. page 302 ( il y eut des manifestations et de la répression) Cinq jours plus tard, la soupape de la cocotte-minute fut enfin retirée et le gouvernement  annonça , de manière officielle cette fois, que les frontières étaient ouvertes pour que quiconque désirant s'en aller s'en aille, par ses propres moyens. .page 303..;Horatio avec huit autres passagers à bord, ..;Quittèrent l'embouchure du Cojimar le 17 août dans l'après-midi. page 304 Horatio ( à New-York) qui n'avait jamais eu de voiture, ni d'espoir réaliste d'en avoir une, se vit soudain entouré d'autos neuves, puissantes, rutilantes...page 306..Le jeune homme ( Marcos, fils de Clara et de Dario)  et l'homme ( Horatio, son oncle) qui l'avait vu naître se retrouvaient face à face pour la deuxième fois depuis que Marcos avait quitté Cuba, presque deux ans plus tôt. ...Les verres remplis, Horatio passa à l'attaque - " Bon, Marquitos, ce que tu m'as dit au téléphone quand tu m'as montré la photo d'Adela...C'est quoi ces conneries?  - " Avant, dis-moi une chose, qui était Elisa? - " Pourquoi tu me demandes ça? - Parce que je veux savoir. ....Je crois que c'est ma mère. Depuis que mon père ( Dario) est parti...Tu lui envoyais quelques dollars...Qu'est-ce qui s'est passé entre Elisa et toi? - " J'ai couché deux fois avec elle..;en septembre 1989, deux fois, c'est tout. - " Adela est née fin mai 1990. Bon, c'est ce que disent Loreta Fitzberg et l'acte de naissance..;- Marcos Marcos, tu es sûre que la mère d'Adela est Elisa et pas Loreta Fitzberg. _ " Celle qui s'appelle Loreta, c'est Elisa?  page 320

Dario  était parti sans faire d'adieux festifs dissimulant tant bien que mal le poids de l'excitation et de la peur qui le tenaillaient, le terrassaient presque, lui, le fugitif.. Sa décision de ne pas revenir  qu'il avait soigneusement gardée secrète, finit par se transformer en obsession  maladive..; il entrerait automatiquement dans la catégorie des déserteurs...page 332

1996 avait commencé depuis à peine deux semaines quand surgit la possibilité pour Irving de quitter l'île et de s'éloigner de ses peurs....Il avait accepté sans tiquer la fausse lettre d'invitation obtenue par Dario pour qu'il assiste à un séminaire de création graphique à Madrid  page 397..;De plus en plus souvent, Clara se demandait pourquoi autant de gens proches d'elle avaient opté pour l'éloignement. De son cercle intime, étaient déjà partis son ex-mari, Dario, puis Fabio et Liuba, et peu après Horatio. maintenant, c'était le tour d'Irving. que rejoindrait aussi vite que possible Joel. Et Elisa? Elisa aussi? Elisa très certainement.  page 370 La Clara de 1996 savait qu'elle souffrirait  de l'absence d'Irving qui laisserait un vie..page 379

( Horatio est revenu pour les obsèques de sa mère) " Depuis mon arrivée, j'ai l'impression que mon esprit et mon corps sont séparés. Comme si je ne savais plus qui je suis.  - "Parce que tu es parti, parce que tu es revenu, parce que tu es parti et maintenant, tu es revenu? bombarda Clara - Il fallait que je m'en aille... page 387

(Ramsès le jeune fils de Clara et de Dario" Ce que je voulais te dire, c'est que l'arrête la fac...Attends, attends..;Je vais me désinscrire. j'ai décidé de partir.  - "Tu as planifié ça avec ton père? - Il va l'aider, oui.......Je sais bien que je n'ai pas le droit de juger ta vie. mais, tu n'as pas le droit de décider de la mienne....page 394

( Loreta) Je suis partie de là-bas enceinte , que j'ai atterri à Boston chez une amie anglaise et c'est là que j'ai rencontré Bruno. Ensuite, mon changement d'identité..et tout le reste. page 431

Depuis son départ de Cuba, huit ans plus tôt, durant le chaud printemps 1992, l'existence du neurochirurgien ( Dario)  était entrée dans une dimension magique. page 468...Devenir catalan. Vivre et  penser  comme un Catalan. Parler catalan...Page 475 ... (Darion à son fils Ramsès) Tu vois, ça fait seize ans que je vis ici et  tu sais combien j'ai d'amis?  Aucun...Je connais  plein de monde, tu as vu qu'on dînait avec certains et qu'on se réunit tout le temps, des gens de l'hôpital; des amis de Montse ( son épouse)..;mais aucun n'est mon ami.... Mes amis, ce sont Irving, Joel, Horacio, Bernardo, c'étaient les pauvres Fablo et  Liuba...- " Et maman, tu ne l'as pas citée....- " Clara c'est autre chose. Clara et Horacio font partie d'une chose à part.  Une chose dont je ne parle jamais.;Ils sont sacrés...page 513

Le soir du 24 décembre 2015 pour la première fois depuis fois depuis vingt-cinq ans, la maison de Fontanat fut le cadre d'un dîner de Noël où rien ne manquait à l'appel.  page 559

Ce 3 juin 2016 était la quarantième jour après la mort de Bernardo et à neuf heures du matin, il avait cessé de pleuvoir.....Portant l'urne   en terre cuite qui contenait les cendres de Bernardo, Clara monta dans la voiture et demanda au voisin de prendre une drôle de direction: les environs du village de Managua..... " Arrête-toi ici. je crois que c'est ici. Clara descendit de la voiture près de la clôture en fil de fer barbelé d'une ferme qui avait l'air abandonnée. ...Les bottes pleines de boue, elle s'avança dans la campagne...Jusqu'à trouver un petit trou d'eau, alimenté apparemment par plusieurs sources des collines environnantes.  C'était l'endroit. ...Et elle sentit sur sa peau la main de Bernardo  lui caressant le visage et elle retrouva le moment où ses lèvres et celles de Bernardo s'étaient jointes pour la première fois, à l'abri de cette frondaison. Là, sans rien, ils avaient découvert  qu'ils pouvaient encore aspirer au bonheur au milieu de tous les désastres, les privations, et même les trahisons et les abandons. Ils le méritaient. Et ils y étaient parvenus. Ils avaient découvert, en plus, combien ils ils avaient tardé à savoir qu'ils étaient prédestinés à ce que leurs vies se croisent. Clara rouvrit les yeux...Alors, comme Bernardo l'avait demandé, elle versa dans les eaux pures de la source, les cendres de celui qui avait été son homme et son soutien, le meilleur être humain qu'elle avait connu de sa vie, pour que le courant les dissolve et les entraîne..... page 626...Quand ils revinrent à Fontanat, elle foula son sac , sortit les clés, ouvrit la porte et entra dans la maison où l'accueillirent la solitude, le silence et ses souvenirs. La coquille de Clara. page 627. 

lundi, décembre 13, 2021

UNE SOUPE A LA GRENADE. ( Marsha MEHRAM) 2021

 Trois jeunes soeurs qui avaient fui l'Iran au moment de la révolution trouvent refuge dans un petit village d'Irlande pluvieux et replié sur lui-même.  Elles y  ouvrent le Babylon Café et bientôt les effluves ensorcelants de la cardamone et de la nigelle, des amandes grillées et du miel chaud bouleversent la tranquillité de Ballinacroagh. Les habitants ne les accueillent pas à bras ouverts, loin s'en faut.  Mais la cuisine persane des trois soeurs, délicate et parfumée, fait germer d'étranges graines chez  ceux qui la goûtent. ...Marsha Mehram  s'est inspirée de sa propre histoire familiale pour composer ce .roman chaleureux et sensuel où ma cuisine joue le plus beau  rôle. S'y mêlent le garn et le sard, le chaud et le froid, tristesse et gaieté, en une alchimie à l'arôme envoûtant d'eau de rose et de cannelle; 

De l'Iran, Marsha  Mehram n'a que des souvenirs du plus lointain de son enfance car elle n'a que deux ans lorsque ses parents quittent le pays en 1979, fuyant la violence et l'insécurité de la fin du régime du Shah et des débuts de la révolution.  Ils émigrent en Argentine, où ils ouvrent un petit restaurant de cuisine du Moyen-Orient, de même que les trois soeurs d'une Soupe  à la grenade. D'A2rgentine, ils sont à nouveau chassés par la dictature et vont à Miami en Floride.  La petite Marsha sait déjà l'anglais car elle est rentrée dans une école écossaise à Buenos Aires. ...;En 1992, la famille part en Australie, Maesha se passionne pour la musique...Elle rencontre un barman d'origine irlandaise, vit avec lui en Irlande, en Australie, puis à New-York....Bien que mariée à un Américain, et vivant depuis plusieurs années aux Etats-Unis, son permis de séjour lui est retiré et, la mort dans l'âme, elle  doit de nouveau partir, réinventer sa vie. "En 1999, je vivais en Irlande avec mon mari  , raconte Marsha Merham.....J'étais l'une des seules étrangères dans le comté de Mayo...."

Je  n'ai pas terminé le livre. J'ai lu une cinquantaine de pages et je n'ai pas accroché à la lecture. 

dimanche, décembre 05, 2021

LA CLAUSE PATERNELLE ( Jonas Hassen KHEMIRI ) 2021

 Deux fois par an, un grand-père revient en Suède voir ses enfants, désormais adultes. Son fils - en congé paternel avec deux petits en bas âge - est un raté névrotique. Sa fille - abandonnée  par son propre enfant - est tombée enceinte d 'un pauvre type.  Seul, le grand-père - le fier patriarche - est parfait. Du moins, selon lui....car les visites du père prodigue semblent moins motivées par l'amour qu'il porte à sa progéniture que par l'opportunisme et la nécessité. En effet, ces passages réguliers lui permettent de conserver son titre de séjour. C'est ainsi l'occasion pour lui de remettre de l'ordre dans ses démarches administratives et fiscales. Or, plus exactement, de déléguer ces tâches à son fils.  Car quand le père rentre, il est entendu que son fils s'occupe de tout. Il ignore que ce dernier a pris une décision qui va tout bousculer: il veut remettre en question la clause paternelle. Mais une telle clause est-elle réellement négociable? 

Dépeignant l'inexorabilité des liens familiaux avec poésie, étrangeté et humour, Jonas Hassen Khemiri dresse le portait intime 'une famille chaotique et parfaitement ordinaire, profondément blessée par la mort d'un enfant ordinaire et la disparition d 'un père. 

1 - MERCREDI Un grand-père qui est un père est de retour dans le pays qu'il n'a jamais quitté. Il se tient dans la file d'attente pour le contrôle des passeports. Si le policier derrière sa vitre lui pose des questions suspicieuses, le père qui est un grand-père restera calme. page 11

Un père qui est un grand-père se tient devant le tapis à bagages. Il se fait la réflexion que toutes les valise se ressemblent.....page 14  Un fils qui est un père en profite pour travailler un peu en attendant l'arrivée du père. page 15 

Un fils qui est un père regarde l'heure. Bientôt minuit. Sa soeur ne le rappelle pas. Sa petite amie lui a envoyé un SMS il y a une heure....Il se demande depuis quand ils ont cessé d'aller chercher le père à la gare routière. Il y a trois ans? Cinq ans? Il ne se souvient pas bien mais il soupçonne du moment où le fils est devenu père et où le père est devenu grand-père.  Quelque chose s'est passé.  Malgré tout, le fils est resté responsable du côté pratique. Il gère le compte en banque de son père et aussi son courrier. Il paie ses factures, fait sa déclaration d'impôts, réserve ou annule ses visites de contrôle et ouvre les lettres de la sécurité sociale. Et aussi, c'est lui qui est responsable de son logement. Quoiqu'il soit le temps qu'il passe en Suède.  Dix jours ou quatre semaines. ça  a toujours été ainsi. Et ça restera ainsi. page 25

Le fils faisait toujours ce qu'on lui disait. Toute sa vie, il a fait ce qu'on lui a dit. Mais maintenant, ça va changer, se dit-il en allant chercher un stylo et un papier....Il écrit:" Bienvenue papa. j'espère que le voyage s'est bien passé. Voici ton courrier. Appelle-moi quand tu peux pour que j'évite de m'inquiéter pour toi. " page 27

2 - JEUDI   Un grand-père qui est un père oublié attend une navette qui n'arrive pas. Il est malade. Il est mourant. Il crache ses poumons. Il va bientôt être aveugle et il ne survivra pas vraisemblablement à la nuit. Tout est la  faute de ses enfants. page 31....L'amour, c'est l'opposé d'un choix libre....L'amour est une dictature, pense le père, et la dictature, c'est bien. C'est quand il y avait le moins de liberté qu'il était le plus heureux....page 32

Quelques semaines plus tard, elle ( la soeur) avait de nouveau essayé de lui parler. Elle lui avait dit qu'elle ne l'aimait pas ( son petit ami). Qu'elle était à peine amoureuse. Depuis qu'ils s'étaient rencontrés, ils dormaient certes ensemble toutes les nuits, mais elle n'avait pas le temps d'avoir un petit ami, elle ne voulait pas s'engager, elle avait sa carrière et appréciait la liberté plus que tout.  page 45

Un fils qui est père arrive enfin à joindre son père. Celui-ci répond à son onzième coup de fil. Il est à son bureau . Tout s'est bien passé. Le fils pousse un soupir. IL sourit à son inquiétude inutile. Les doigts légers, il écrit un SMS au reste de la famille pour la rassurer:  L'aigle a atterri. Cool .répond la soeur.  page 57

3- VENDREDI On est vendredi  et une petite amie (celle du fils)  qui est une mère travaille comme juriste au sein d'une organisation syndicale est à son bureau depuis sept heures vingt. ...." Vous pendez qu'on peut gagner?  demande la cliente. " On va se les faire répond la juriste en souriant." Pourquoi vous ne demandez pas si ce sont des immigrés? demande  la père. "Parce que ça n'a aucun rapport". dit la juriste. " Pour moi, ça en a " réplique  le père." pour moi, ça en a . N'est-ce pas chérie? " La fille ne répond pas. Le père soupire. " Quel putain de pays c'est devenu. Quand est - ce qu'on va se réveiller et réaliser qu'on a détruit notre pays? " La juriste déglutit et  essaie de se contenir. page  78

On  est vendredi  et un père qui est un grand-père va enfin rencontrer ses petits-enfants. Il a proposé au fils de se retrouver  à l'endroit habituel.  page 88 Mais cette année, pour une raison qu'il ignore , le fils ne veut pas qu'ils se retrouvent là. ...Le métro suédois n'est plus comme avant. A l'époque, il y avait des blonds aux yeux bleus partout. Parfois, un Grec exotique qui passait dans les rames pour vendre des cartes postales révolutionnaires ou un Africain qui vendait des cassettes de reggae. Aujourd'hui, le métro est devenu  un zoo rempli de gens venant du monde entier. Après la station Ornsberg, il entend deux dames parler espagnol, quatre ados parler russe, deux messieurs parler dari, une famille de touristes parlant danois.  page 89

Le grand-père se tait. Il essaie d'être au-dessus de la radinerie de son fils. Il veut lui montrer avec de bons exemples  comment un vrai gentleman se comporte dans le monde.  Un vrai gentleman  n'offre pas à son père un café dégueulasse et un sandwich au fromage  moisi en s'attendant en plus à être remercié.  Surtout s'il est le fils aîné. page 94

Une fille  qui est une  soeur qui est une mère rentre du travail un vendredi après-midi dans une ville nauséabonde. ...Son portable sonne. "Enfin " dit le père quand elle répond. "Mais c'est moi qui vient de t'appeler" dit-elle. "ça fait plaisir d'entendre ta voix," dit le père. " On peut se voir? Prendre un café? Dîner ensemble? Je peux quand tu veux mais je comprendrais si tu n'étais pas disponible. " " Aucun problème. Il s'est passé quelque chose ?"demande la fille. " Absolument pas, répond le père. J'ai juste envie de rencontrer mon enfant  adorée" " Bien sûr qu'on peut se voir dit-elle en regardant son agenda. page 100

"Comment ça se fait que personne dans mon cercle d'amis n'a de relation normale avec son père? Mais, en fait, c'est quoi une relation normale? avait-elle écrit. je ne connais personne qui ait une relation normale avec  quiconque, surtout pas avec ses parents.  " Et à quel niveau est notre relation avait-il écrit?  "Raisonnablement normale avait-elle écrit. (  la future compagne du fils et lui)page 126

Ils  s'étaient arrêtés au niveau du parking. Le moment était venu de se dire aurevoir. Ils ne pouvaient pas repartir ensemble. Ils risquaient de croiser quelqu'un.  Quelqu'un qui risquait de leur poser des questions. Ils risquaient de se retrouver  dans une situation où ils seraient obligés d'expliquer ce qui se passait, et le problème, c'est qu'ils ne savaient pas eux-mêmes ce qui arrivait puisque aucun des deux n'avait jamais vécu ça. Ils étaient restés longtemps immobiles. Ils s'étaient embrassés. Ils s'étaient de nouveau embrassés. Ils s'étaient dit au revoir.  Ils 'étaient de nouveau embrassés. Elle était partie en premier.  Elle avait descendu la rue en direction du tram. Puis, elle s'était retournée. Il n'avait pas bougé.  De loi, elle voyait sa silhouette. Ils ne s'étaient pas fait un signe de la main.  Le regard suffisait. page 129

IV. SAMEDI  C'est week-end. Un père, une mère et deux enfants vont enfin pouvoir passer du temps ensemble. Ils se préparent pour prendre le métro et aller dans le centre. Deux heures plus tard, ils sont toujours entrain de préparer pour prendre le métro et aller dans le centre. ...page 136   Un père qui est un grand-père a enfilé une chemise propre. Il s'est rasé. Il s'apprête à aller en ville déjeuner avec sa plus jeune fille, sa  préférée, celle qui est aussi parfaite que ce qu'il avait espéré.  Ce n'est  quand même pas de chance qu'elle ait rencontré cet idiot quand elle était jeune. Elle n'aurait jamais dû se marier avec lui. Elle n'aurait jamais dû avoir un enfant avec lui. page 138

Sur le chemin de retour,  le grand-père se fait la réflexion que c'est une chance qu'il soit un loup solitaire. Il est fier de ne pas avoir besoin des autres.  Les êtres humains sont tous des idiots.  Sa cadette est une idiote  parce qu'elle a annulé le déjeuner. Son aîné est un idiot parce qu'il veut mettre son père à la rue. Son ex-femme est une idiote parce qu'elle a fait explosé son couple. Sa plus grande fille est une idiote parce qu'elle est morte. Des frères et soeurs sont des idiots parce qu'ils ne le contactent que quand ils ont besoin d'argent. ....page 164

V. DIMANCHE ( le fils) Il avait constamment le sentiment que le monde lui en voulait et ce n'est que bien plus tard, quand celle qui serait la mère de ses enfants lui a expliqué qu'une des raisons de sa paranoïa était qu'on s'imagine être surveillé si on se sent abandonné et en manque d'attention de la part de ses parents. Mieux valait être traqué qu'ignoré. page 172

Ils vont au café. " Je t'invite et tu paies , a dit le père en riant de sa blague. Il laisse le fils l'inviter. C'est le signe qu'il est devenu adulte.  Le signe pour l'entourage  qu'en tant que père, il a fait du bon travail. Mais le fils n'est pas content. Le fils n'est jamais content. Dès qu'ils se sont installés, le fils se met à calculer tout ce qu'il a fait pour son père ces dernières années. Il lui a réservé ses billets d'avion, il a transféré de l'argent sur ses différents comptes, il s'est occupé de son courrier. En quoi est-ce fatigant d'ouvrir quelques lettres ? demande le père. ...Le fils ne répond pas. ...Mais le fils n'est pas prêt à trouver une solution. Il veut la guerre. page 187

Une soeur qui n'est pas une mère essaie de rassembler ses esprits.....Le frère lui a dit que le congé de paternité se passe bien. Qu'il a décidé de se lancer dans le stand-up. Qu'il a vu leur père dans la journée et qu'il lui a enfin parlé. Aïe. Et ça s'est  passé comment? demande-t-elle. Plutôt bien, ça  a soulevé pas mal d'émotion et d'indignation de sa part mais c'est toujours le cas  avec lui. En tout cas, on ne s'est pas bagarrés. Je crois qu'on s'est mis d'accord sur le fait que c'est la dernière fois que je le loge.  Tu crois? dit-elle sceptique. Ils restent silencieux. page 198

Une soeur qui n'est pas une mère s'adosse à sa chaise...quand le frère se plaint de sa petite amie. Il dit qu'elle est impossible à vivre, qu'elle cherche toujours à le critiquer alors que c'est pourtant lui qui fait tout, ou presque tout, à la maison.  page 202 ....Chaque fois que tu décris la fille de tes rêves, c'est comme si tu parlais de toi lui a dit le copain de sa soeur. Un silence s'est ensuivi.  page 204

VI - LUNDI.  Un fils qui est père quitte la table dans l'angle pour aller chercher les cafés et jeter un coup d'oeil  sur le petit d'un an. IL dort toujours, dit-il à la mère qui  regarde l'heure et avale son café d'une traite. Tu dois y aller?  Elle hoche la tête. Dis-moi si vous voulez que je vous garde les enfants un de ces jours. Oui, ce serait super. La semaine prochaine peut-être?  La mère regarde son agenda. Je suis à Gotenberg de mercredi à vendredi...Alors peut-être ce week-end? demande le fils. Malheureusement , ça va être compliqué. Samedi, j'ai un vernissage à Magasin III et dimanche , je vais  voir un concert....page 239

VII- MARDI On n'a pas le droit de se fâcher contre les petits d'un an parce qu'à un an et à cet âge, on ne comprend pas pourquoi il ne fait pas mordre les ballons, casser des livres sur l'espace ou avaler  des roues de Lego ou  encore mettre des crocodiles jaunes dans les poubelles.  Ils ne savent pas parler, pas faire de la trottinette, pas jouer au foot. page 246

Je voyais le dos de papa. Il était seul dans le café.  Il avait une tasse turquoise  dans la main et était penché sur son portable.  Mais il levait la tête toutes les minutes pour jeter un oeil sur la place. Là, assis sur  un banc, j'ai aperçu son père.  Enfin, la personne qu'on a rencontrée vendredi et que tout le monde appelle papi. Il était assis sur un banc sous ce ciel d'automne.  Il avait un journal sur les genoux  mais il ne le lisait pas. Papi ne voyait pas papa et papa ne me voyait pas. Puis, il y a eu des cris et des rires d'enfants...J'ai vu la combinaison violette de ma soeur et aussi son bonnet cache-oreilles à poil gris. page 254

VIII- MERCREDI Une nuit qui n'est pas une nuit ne prend jamais fin; Le petit réveille la grande  de quatre ans qui réveille le petit d'un an qui réveille la grande  de quatre ans. Le père est patient pendant une heure. Il leur donne du lait d'avoine, chante des chansons, leur fiat faire une petite promenade fantôme dans l'appartement sombre afin de regarder les fenêtres éteintes des voisins. Sur la ponte des pieds , ils passent devant la chambre où dort maman, parce que maman doit travailler, maman  a une vie en dehors de la famille. Ils retournent dans la chambre des enfants, lisent une histoire, chantent, lisent une autre histoire, la grande de quatre ans fait pipi dans le pot, le petit fait caca dans sa couche. Au bout d'une heure et demie, les deux s'endorment. Le père se faufile hors de la chambre.  Mais la petite de quatre ans se réveille.....page 263

Un père qui est un grand-père va enfin voir sa fille. Il attend  ce moment depuis si longtemps. Ils se retrouvent à l'endroit habituel. ..Elle est d'une beauté à couper le souffle. Il n'arrive pas à comprendre qu'il ait réussi à créer un être si parfait. Elle porte un sac à main   étincelant, un parfum luxueux et des chaussures bien entretenues. page 271

L'homme qui sera grand-père de son enfant (celui de sa fille) se révèle un vrai gentleman. Il ne fait aucune blague bizarre. Il ne it rien de méchant sur le poids  de sa fille. En revanche, il raconte des histoires drôles sur l'été où il travaillait comme vendeur de tee-shirts....page 285

XI JEUDI. Lorsqu'il entrouvre la porte, il ( le grand-père) le petit d'un an qui gigote dans son lit pour essayer de trouver le sommeil. IL gémit. Le grand-père essaie  de le calmer en lui caressant les paupières. Il chantonne cet air qu'il chantait à ses enfants. Bizarrement , ça fonctionne. Le petit d'un an respire maintenant calmement et  replonge dans le sommeil. Le grand-père reste à côté du petit lit. ..." Papi? Moi aussi, je veux une chanson". La grande est assise, les cheveux en bataille, dans le lit des parents. page 318...La grande finit par s'endormir, la tête posée sur la poitrine du grand-père.  Sa respiration est rapide. Elle ressemble tellement à son fils. Elle ressemble tellement à sa fille. page 322

X - VENDREDI. ( la fille) Mettre un enfant au monde est irréversible. Avorter ne l'est pas. Mais sur le chemin, elle commence tout de même à douter. Et si jamais , elle regrettait? On ne regrette jamais d'avoir un enfant, lui disaient les gens lorsqu'elle est tombée enceinte la première fois. ..Et ils avaient raison. page 350

On est vendredi matin et un grand-père qui est un père se prépare à prendre le métro pour Cityterminalen afin d'attraper la navette pour l'aéroport.  page 352

Un fils qui est un père qui est un grand-père arrivent à l'aéroport. Le père se gare, le petit se réveille et s'étire. Ils vont ensemble au comptoir d'enregistrement. ...Le grand-père se penche et l'embrasse sur les  . joues Trois foi. Puis encore trois fois. Il va me manquer, dit le grand-père. Toi aussi, tu vas lui manquer, sourit le père. La prochaine fois, nous essaierons de nous voir un peu plus. Absolument dit le grand-père. Il fourre sa main dans sa poche et sort un billet  de  cinq cents couronnes. Pour l'essence.  C'est trop dit le fils; Le père et le grand-père se font la bise. Trois fois. On reste en contact. dit le père. Absolument, répond le grand -père.  page 358


lundi, novembre 29, 2021

UNE HISTOIRE ITALIENNE ( Laura ULONATI ) 2021

 De sa jeunesse vouée au culte de  Mussolini,  en passant par la seconde guerre d'Abyssinie, jusqu'à son retour en Italie, et au désenchantement, le parcours d'Attalo Mancuso, dresse un portrait exemplaire d'une époque. Presque un devoir de mémoire, contre l'insouciance des gens comme il faut pour qui tout cela était éternel. 

La plus jeune nation d'Europe rêvait à sa part de gâteau colonial. Après avoir réussi à arracher la Somalie et l'Erythrée dans la querelle qui opposait les grandes puissances pour le partage de l'Afrique, l'Italie avait jeté son dévolu sur l'Ethiopie, l'un des rares morceaux du continent que l'appétit vorace de ses concurrentes avait épargné ( non par une mansuétude quelconque, mais grâce à un manque de ressources naturelles.  page 21

Armando Mancuso était pétri de règles d'éducation délirantes, dont la vertigineuse folie faisait défiler sans répit Attalo ( son fils)  comme sur le bord d'un précipice; tenaillé par une permanente culpabilité et la volonté constante d'être irréprochable. Impossible à satisfaire, le père applaudissait chaque fugue du fils....page 24

La mort d'Armando Mancuso laissait  donc Attalo orphelin de père. Mais elle le laissait avant tout sans aucune figure masculine à laquelle se référer, sans modèle édifiant sur lequel régler son jeune pas, pour traverser la périlleuse frontière qu'est l'âge ingrat.  Un exemple que n'aurait pas su incarner en rien, Maddalena, étrangère à son fils depuis l'aube des temps. Dans leur huis clos de la via dei Tintori , la répugnance d'Attalo pour sa mère n'avait fait que grandir....De lui faire supporter la honte de leur pauvreté, de ses ménages , de l'ombre des mains  longues des patrons sur elle; qui l'obligeaient à sortir seule,  à toute heure de la journée , et faisaient jaser tout le quartier. page 31

(En Erythrée)Rien n'était comme Attalo Mancuso se l'était imaginé. Aucune trace  de l'Afrique mythique de Livingstone,  de Stanley ou de Brazza, de ses jungles épaisses et secrètes peuplées  de bêtes fauves et de tribus  sanguinaires. Ici, la terre  était presque nue, dure et sèche, écrasée par les rayons d'un soleil qui ne laissait jamais l'oeil se reposer .....Il se demandait ce qu'il était venu faire  dans ce pays où le Christ lui-même semblait s'être arrêté.... C'est là qu'il fut affecté  à la IIè du corps d'Erythrée du général  Pizio Biroli. ...La force de l'honneur  réveillé alors l'âme égarée d'Attalo Mancuso. Il allait enfin jouer le rôle de sa vie; celui du jeune officier  colonial dévoué  à l'Empire et à ses soldats...Page 63

Pour cinq cents livres, il s'acheta une concubine de douze ans, ainsi qu'un cheval blanc  et un pistolet. page 67..Le gaz moutarde  était le sortilège  de Médée devant lequel  s'évaporait l'ennemi. Son haleine putride s'insinuait partout. , donnant à Mancuso d'affreuses nausées. " Je t'autorise à utiliser tous les moyens -je dis bien tous - sur terre comme dans les airs, pour vaincre toute résistance  ". page 78

Dans un dernier sursaut   de folie, le  négus  rassembla  les débris de son armée  dans la lueur des matins de mars qui illuminait les rives du lac  Ashangui. Il savait la bataille perdue d'avance, mais il voulait se battre  avec valeur, comme le dernier  des rois. Non comme un mercenaire, un bandit de grand chemin, un shifta. qui se cache  , multipliant les coups de main et les razzias. page 86

' Mancuso a été blessé) Malgré sa blessure, il sottotenente insista pour  continuer à avancer. Il voulait entrer  dans la capitale, participer à la marche triomphale. ..;le négus avait rassemblé les journalistes pour leur annoncer  que la prise de la capitale  ne signifiait en rien la fin de la guerre; qu'ils allaient se retirer dans les montagnes et réorganiser une armée.; qu'ils engageraient avec l'aide de Dieu, de nouveaux combats. page 94  "Chemises noires de la révolution, j'annonce  au peuple italien et au monde entier: l'Ethiopie est italienne. Chemises noires, saluons , après quinze siècles, la réapparition de l'Empire sur  es fatales collines de Rome.! En serez-vous dignes? page 95 Le 30 juin 1936, le négus neghesti Hailé Selassié , roi d'un peuple incendié, se présenta seul devant la Société des Nations. ...des rires inhumains  résonnaient dans  la salle de conférences , seules réponses  des délégués  aux ignobles  provocations fascistes. " Je prie Dieu Tout- Puissant d'épargner aux autres nations  les souffrances  effroyables  qui ont été infligées à mon peuple. " Et il se retira sur le chemin de l'exil, prophète solitaire sous les huées et les crachats. page 98

Depuis son retour d'Abyssinie, Attalo  Mancuso d'Altavilla avait travaillé sans répit..;Il avait multiplié les relations , courtisé sans relâche les  notables du Parti , noyauté le gotha , jusqu'à devenir  le mondain le plus en vue  du sérail. page 105

L'irae deorum  ( Colère divine)  s'abattit sur  Attalon Mancusond'Altavilla....Le MinCulpo ( Ministère de la Culture populaire) lui retira d'abord sa carte u Parti, puis sa carte de presse. L'anathème fit rapidement le vide autour de lui ....Il partit se mettre au vert. ...Il obtint un poste de professeur de littérature et de Directeur de l'Institut italien de Tirana....page 108

Mettre en valeur le rôle positif de la colonisation, Mancuso d'Altavilla se demandait  ce qu'il allait bien pouvoir écrire. Le progrès, la modernité, le développement économique; la juste cadence du monde occidental, imposée au son des hurlements de douleur?  Il laissait son esprit divaguer....L'Italie avait trouvé de nouveaux barbares, de nouveaux  sous-hommes chez les Noirs à civiliser. page 116

L'heure était à la défense de la pureté du lignage et l'article premier de cette nouvelle série de lois se voulait on ne peut plus clair:  " Le mariage d'un citoyen italien de race aryenne avec une personne appartenant  à une autre race est interdit. "  Ainsi, dans cette société schizophrène qu'était  celle de la colonie, de cet Empire blanc dans un monde noir, le "problème métis"  se posa avec une difficulté des plus ardues....page 119



samedi, novembre 20, 2021

FURIES (Julie RUOCCO) 2021

 En mission à la frontière turque, Bérénice, archéologue française dévoyée en receleuse d' antiquités, se heurte à l'expérience de la guerre. dans la convulsion des événements, elle recueille la fille d'une réfugiée, et fait la rencontre d'Asim, pompier syrien devenu fossoyeur. Poussé par l'avènement de l'Etat islamique, ce dernier  s'est exilé en Turquie, où il fabrique de faux passeports. Aux morts enterrés dans son pays, il tente de redonner vie par la résurrection de leurs noms. La grandeur de sa tâche est à la mesure de sa folie. Celle de maintenir une mémoire vive, au moment même de son effondrement. Cette cause, qui perdure au-delà du seul parti individuel, les mènera jusqu'au Rojava, sur les trace des guerrières peshmergas et de leur combat vers la liberté.  Entre ce que Bérénice déterre et ce qu'Asim ensevelit, , il y a l'élan d'un peuple qui se lève et qui a cru à sa révolution. Quand les événements s'emballent et qu'ils contractent  les existences, seules les coïncidences peuvent retisser  ce qui a été défait par la guerre. Sondant notre histoire contemporaine à la recherche des Furies antiques, le roman de Julie Ruocco rend un hommage puissant aux femmes qui ont fait les révolutions arabes, à leur quête de justice. 

C'était le jour où elle avait  enterré son père. Elle ne savait pas encore qu'elle venait de faire la connaissance  de "l'Assyrien." page 11

Des drapeaux noirs flottaient sur Palmyre. Bérénice  n'avait suivi que très distraitement  la montée de cette marée...Des cohortes fanatiques se dressaient du fond des âges pour en finir avec la civilisation, pour anéantir tout ce en quoi elle et son père croyait. A la télévision, les masses continuaient  de s'abattre sur les statues, les pierres étaient défigurées à coups de pic. ...Palmyre était tombée. Elle était seule au monde , prisonnière de ruines qui n'existaient plus.  pages 16, 17 Alors, quand l'Assyrien était venu à elle pour lui demander de ramener les débris de Palmyre, de Mossoul, elle avait accepté. page 19

Décidément, elle n'avait jamais été archéologue mais une voleuse.  Rien qu'une profanatrice qui déplaçait ls objets d'un monde à l'autre. Ce que la pierre empaquetée de sable du chantier qu'elle représentait, elle avait attendu  d'être rentrée chez elle pour le découvrir. ...C'était une effigie de Furie qu'elle tenait entre ses doigts. L'une des fille de Gaia et du sang d'Ouranos mutilé.(Lors d 'une fouille, elle a découvert un bijou ancien mais l'a gardé). page 24

La ville s'était transformée en plaie ouverte sur les enfers. ..L'humanité avait été labourée par la guerre et toutes les chairs mélangées fumaient  d'une même vapeur page 36...L'aberration des  souvenirs. Les écoles avaient fermé à cause des fanatiques ou des bombes. Le gaz, ça faisait longtemps qu'il n'y en avait plus. Les maisons étaient  glacées par le manque de tout. Les jours s'étiraient dans la suie et la faim. page 38

Pour les régimes meurtriers, l'homme qui a goûté à la liberté est plus dangereux que le chien qui a goûté au sang. page 45

En ce temps-là, tout était encore possible.  Il y avait cru, il avait dansé, espéré de toutes forces. ...Son peuple s'était levé, mais le monde était resté assis.  page 47

Cela faisait des mois que les djihadistes s'étaient installés, des mois qu'il était sans nouvelles  de Tayn (sa soeur)  Tous les jours, Asin se levait et se couchait  avec ce sentiment de vertige, les mêmes questions dont il ne voulait pas imaginer les réponses. ...Dehors, l'abject avait rendu floues les limites entre la prison et l'extérieur. Les barreaux étaient partout dans les esprits, la peur déteignait sur tout. page 63

Le quotidien peut rapidement devenir un tissu de parjures. Oh, rien d'abord, mille petites lâchetés, des mesquineries anodines et sans force qu'on traîne et qui deviennent de plus en plus lourdes au fil des années. Un dégoût de soi que l'on garde comme une gêne obscure , et puis, on se rappelle  ce main qu'on a refusé de tendre, la phrase qu'on n'a pas prononcée, l'acte mille fois rejouer qui aurait peut-être fait la différence. page 103

Les jours passaient et le soleil indifférent à tout continuait de se lever. Asin était orphelin de sa soeur. Pas seulement lui, pensait-il, le pays, le monde avait été privé de Tayn.  Sa perte était un crime permanent, un scandale renouvelé toutes les heures qui les éloignait toujours un peu plus de la paix. Comment pouvait-il y avoir reconstruction après ça?  Comment rassembler au nom de qui? page 112

( Asin a récupéré la clé USB de sa soeur après son assassinat le jour de ses noces) Asin tremblait de fièvre. Dans ce même dossier,  à la suite d 'une série d'articles,  sa soeur avait dressé une liste de lieux où les exécuteurs  d'Assad, puis les milices islamistes avaient  pris l'habitude de se débarrasser des corps. page 120

Rien n'est mauvais par essence dans la nature, il n'y a que les hommes qui l'enlaidissent à force de mal voir et mal nommer. page 149

On ne naît jamais seul, il y aura toujours dix personnes derrière nous. page 154

" La peur , avait-elle écrit ( Tayn) est obscurité et solitude. Elle est un manque absolu de repères qui nous isole, nous prive de nos forces. " page 178

Entre deux entretiens, Bérénice  comparaît les dates avec sa propre vie. Ces années d'indifférence  où la Furie dormait dans sa valise. Elle n'avait pas entendu l'orage, elle n'avait pas entendu le vent se lever lorsque d'autres étaient sortis offrir leu nom à crier  dans les nuits de révolte. Longtemps, Bérénice avait cru que l'histoire, c'était un peuple qui se levait, mais elle n'avait jamais pensé à ce qui arriverait après.  Après la résurrection des spectres et l'indifférence des nations. Il avait fallu la soeur d'un faussaire pour  qu'elle puisse mettre des mots sur  cette trahison. page 191

Sans doute, le monde existe  parce que les générations se sont succédé pour le raconter. Je crois que des vies peuvent être libérées du  néant parce que quelqu'un les aura entendues.je crois à la fraternité  des mots et des peuples qui se lèvent et chantent alors que tout se tait autour d'eux. Il y a des hommes et des femmes qui se sont tenus droits dans la tempête avant d'être engloutis. Il faudra bien que quelqu'un les raconte. - Pourquoi toi? - Peut-être parce que pendant longtemps, je n'ai rien écouté, j'ai refusé de les voir, de les entendre. Aujourd'hui, je ne veux pas parler à leur place, je veux seulement parler d'eux. Je veux parler....page 213

" Tu parles de la guerre comme les hommes, avec des  noms d'empereurs et de batailles. Tu penses qu'elle transforme et évolue au fil des siècles, que c'est elle qui  change  le monde et les peuples. Mais regarde autour de toi,  le monde n'a pas changé.  Les hommes se battent pour les mêmes arpents de terres et ils  meurent  au pie des mêmes montagnes. Les haines s'allument et s'éteignent, les fleuves, eux,  s'écoulent toujours dans le même sens. Ne crois pas que les vainqueurs et les perdants d'aujourd'hui sont différents de ceux qui ont gagné ou perdu avant eux. Cette guerre, c'est la même depuis le début du monde et elle a toujours été totale et permanente.  page 248


jeudi, novembre 11, 2021

LE MODE AVION ( Laurent Nunez) 2021.

 Choulier et Meinhof étaient de jeunes professeurs de grammaire, discrets, charmants, ambitieux et doués: mais par - delà le goût de l'apprentissage, la volupté de l'étude, la passion de la transmission, tous ces beaux  et nobles sentiments dont leurs proches les félicitaient - et qu'ils ne ressentaient vraisemblablement pas -, ils auraient aimé découvrir quelque chose, apposer leurs deux noms sur un nouveau continent mental, déterrer un trésor philologique, construire un beau système philosophique, présenter au monde , enfin, une théorie incroyablement neuve. 

J'ai ma petite théorie sur les statues. Plus elles sont imposantes et moins elles en imposent.  Plus leur volume est remarquable, et moins on les remarque. ....Près de la pharmacie que tenait ma grand-mère, sur un des ronds-points inutiles et fleuris, se dresse ainsi une énorme statue noire. ...Elle représente Etienne Choulier, "homme de sciences qui a honoré Fontan de sa présence de 1937 à 1955", s'il faut croire la plaque commémorative. page 13.." tu t'intéresses à Choulier maintenant....Personne n'a fait  attention à Choulier lorsqu'il était installé chez nous; c'était lui-même un ours. Mais quand ses trouvailles ont été validées par l'Académie,  et avec tout ce qu'il y a eu dans les journaux, à la télé, tu te doutes bien qu'une partie de sa gloire est retombée sur le village".  page 14

Etienne Choulier n'était pas venu seul à Fontan. Il y avait avec lui Stefan Meinholf...Ces deux hommes s'étaient rencontrés en janvier ou février 1935, à la cantine de la Sorbonne. ....Choulier enseignait donc la grammaire à des étudiants chevelus, très sûrs d'eux et bavards. ..Ses cours l'ennuyaient presque autant que ses étudiants. Il aimait les agacer , les voir douter....C'était un professeur très peu impliqué, c'est- à- dire qu'il parlait beaucoup mais qu'il ne s'exprimait guère page 18....Un jour toutefois, celui avait été le plus jeune agrégé de France, sentit une main toucher son épaule....Choulier venait de rencontrer Meinhof. page  19 

Ces deux-là comprirent qu'ils se ressemblaient beaucoup. L'un avait  trente ans, l'autre en avait vingt-cinq: ils n'avaient pas exactement le même âge mais ils éprouvaient déjà , devant les êtres et la vie, exactement le même ennui. Tous deux n'attendaient rien de l'existence, ni l'amour, ni la gloire, ni même la richesse, ni même le plaisir. Ils cherchaient autre chose.....Ils voulaient trouver. page 21 Tous deux étaient de jeunes professeurs de grammaire, discrets, ambitieux et doués. 

Ils enseignaient d'ailleurs avec de moins en moins de plaisir. ...Ils murmuraient souvent:" A tant laver les oreilles des ânes, on perd son temps et son savon". page 23...Ils voulaient réfléchir sur la langue et sur ses mystères. Ils voulaient enfin regarder le langage en face. page 30   C'était encore l'époque où l'on pouvait vivre sans travailler - à condition de quitter la ville pour la campagne. Choulier et Meinhof, agrégés, célibataires, sans enfants,  sans vices, avaient tous deux mis un peu d'argent de côté. Ils décidèrent de prendre congé du monde, c'est-à-dire , exactement de la Sorbonne et de leurs étudiants. ...Ils arrivèrent à Fontan le lundi 19 juillet 1937.  page 32

"Nous ne sommes rien. Ce que nous cherchons, est tout. " Voilà tout est dit franchement en  dix mots. Le jeune linguiste connaissait ces vers par coeur, depuis des années.  page 43

" Nous cherchions dans les livres. Nous cherchions à prouver la vitalité du langage à travers la pensée de gens qui sont morts . "" Choulier  s'enhardit : " A présent, c'est fini. ...nous ne devons plus être de petits Sorbonnards exilés de la Sorbonne...Creusons, cherchons, mais en nous-mêmes à présent et non plus dans les livres. Parce que c'est notre  projet!" ( Ils brûlent tous les livres apportés de Paris) page 49

(Au café du village) Choulier " Ce que vous me dîtes, me plaît bien. Je rigole avec vous. ...Nous nous ressemblons beaucoup. Toi, André, tu élèves des brebis? Moi, j'élève des théories. Toi, Dominique, tu plantes des betteraves. Moi, je plante des thèses, enfin des hypothèses, et j'espère que ça poussera un peu dans les champs. ! " Tout le monde rigolait  dans le café et l'on se resservait à boire. . " Mais voilà le problème , reprenait Choulier d' une voix plus grave...le problème que vous n'avez ni avec vos betteraves, ni avec vos brebis, ; une pensée se présente  dans ma tête quand elle veut et non pas quand je veux. Vous comprenez? J'ai beau attendre, j'ai beau en rêver jour et nuit, j'ai beau tout faire,  - absolument tout - pour que le miracle ait lieu, je ne peux forcer les choses. " Meinhof ? Il préférait rester au mas. Il y travaillait mieux, oui  et les animaux avaient besoin de lui. page 55

(Un soir, rentrant au mas, un peu ivre, il fait une découverte)  Choulier s'est arrêté comme devant un mur. , mais c'est justement  parce qu'un mur devant lui s'est écroulé. Dans la nuit obséquieuse, le linguiste voit loin, enfin. Il tremble pour rester à l'écoute de cette chose qui demeure dans sa tête. Enfin! elle est là.! elle est  là, cette découverte qu'il cherche depuis des années, depuis sa naissance. page 65 Il n'oublia pas cette nuit du 123 avril 1939, Choulier venait de trouver , ou d'inventer  ou de démontrer, ou juste de comprendre ( quel verbe convient ?) sa propre théorie. Celle que nous connaissons désormais  sous el nom de "premier théorème de Choulier". ..."La demande précision chrono-  linguistique". ( Donner l'heure aux gens. )page 69

Pour donner l'heure, il existe deux façons: l'une imprécise ( puisqu'il faut préciser du matin ou de l'après-midi ou du soir. ) , l'autre, rigoureuse, ne demandant aucune autre information, se suffisant à  elle-même. mais comment fait-on pour donner les minutes? ....Page 74 

Pour l'instant, Choulier paraissait tenir son pari: après plusieurs années de recherche, à Fontan, loin de la Sorbonne et des autres professeurs carriéristes, il avait bien découvert  quelque chose d'inédit et d'irréfutable, lové au creux de sa langue. page 81 ( Choulier est venu à la Sorbonne faire des recherches pour savoir si sa  découverte en est une ) En sortant définitivement de la Sorbonne, quatre jours plus tard, le linguiste n'en revenait pas.  Il avait feuilleté des centaines d'ouvrages et de revues, consulté d'innombrables tables de matière, déchiffré de minuscules notes de bas de page, et c'était incroyable: partout, il n'y avait rien.  Rien sur la bizarre formulation du temps dans la langue française. Rien sur la double  manière de donner l'heure. page 93....Comme il avait eu raison de s'enfuir loin de la Sorbonne, de partir à la recherche de quelque chose dont il ignorait absolument tout. ! A présent, il avait  le sentiment enfin devenu lui-même., puisque ce qu'il avait découvert  provenait  du plus profond de lui-même. page 96

Meinhof avait  longuement réfléchi  à la théorie de son confrère: elle n'était pas peut-être révolutionnaire mais elle était neuve. page 106

Il est rare qu'un pays se rapproche d'un autre. Je veux dire physiquement. Cela doit bien arriver avec leur truc de la dérive des continents. ....Au début de cet été 1940 très concrètement, brutalement, un pays se serra contre  un autre pays. Incroyable: l'Italie n'était plus qu'à quelques  centaines de mètres du mas Chinon. page 130 Meinhof et Choulier étaient obligés de bien s'entendre, ou de faire comme s'ils s'entendaient bien: ils avaient décidé de ne plus sortir du mas. Trop dangereux. ...Les deux linguistes  s'adaptèrent  à ces circonstances exceptionnelles. page 131

Si Meinhof paraissait un autre homme, Choulier lui aussi avait changé. Ces derniers mois, il semblait avoir repris son parti d'une si longue attente, et il restait sagement là, prisonnier  de la situation, pris au piège hors de la zone occupée . Juste après sa grande trouvaille il  avait trépigné, serré les poings ,  pleuré de rage, s'agaçant en silence contre Meinhof, ne comprenant pas pourquoi , l'autre qui  semblait travailler beaucoup ne trouvait rien. Mais, à présent , au bout de quatre années d'exil, il semblait calme et serein. , - immensément patient. ....On était en juin1941...page 139

(Meinhof a fait une découverte) " Toute discussion - dans n'importer quelle langue - n'est possible  que parce qu'il existe entre deux interlocuteurs,  ce qu'on appelle un  principe de coopération. Ainsi, les props de chacun doivent s'intégrer  (toujours plus ou moins, mais toujours )  avec les propos de l'autre. : " Tu pars un peu cet été? -  Je voudrais bien visiter l'Italie."   Ce qu'ils disent doit  se conformer à ce que nous attendons qu'ils disent; et leur prise de parole  doit intervenir au bon moment. page  147

Eté 1944: n'y tenant plus, et n'ayant absolument aucune nouvelle de leurs collègues parisiens, Choulier et Meinhof décidèrent de se rendre à Menton, où on leur avait assuré que le bureau de la Poste possédait un téléphone. ...Ils décrochèrent  enfin le combiné et demandèrent très poliment  La revue des Deux Mondes, puis Esprit, Europe, La NRF. Ils s'expliquèrent. Ils déchantèrent. Ce fut une terrible claque. Oh pour Choulier, c'tait facile. Les gens à l'autre bout  du fil l'applaudirent pour se théorie chrono-linguistique....Mais pour son ami, c'était une autre affaire.   Meinhof était un nom qui sonnait terriblement  allemand.  " Et alors? tonnait  ce dernier. Et alors?  qu'est-ce que cela fait si j'ai un nom un peu teuton? page 165...C'est alors - et alors seulement, je vous jure -  dans ce hall de la Poste de Sospel, en ce tout début de mois de septembre 1944..., qu'Etienne Choulier et  Stefan Meinhof entrevirent le réel, comprenant qu'ils avaient passés à travers quelque chose d'horrible, que tout le monde appelait La Deuxième Guerre Mondiale - un chaos global auquel aucun des deux  jamais ne put se référer, ne  l'ayant  jamais vécu. page 167

"Enfin Choulier, que pouvons-nous faire?  On refuse de nous publier! On refuse  même de nous répondre au téléphone! Et puis, il m'est impossible de réparer les actes que je n'ai pas commis.  Alors, franchement, non, je ne vois pas de solution.  - Tu abandonnes? Ces barbares ne peuvent ruiner nos vies si facilement.  - Je n'ai pas dit cela. j'ai dit que je ne voyais pas de solution. - Il y en a une pourtant.....Enfin, je crois. Elle n'est pas simple! Elle n'est pas pas belle. Mais c'est la seule assurément. Je te demande juste d'y réfléchir. .....On pourrait très bien  publier  les deux articles sous le même nom. ...- Je ne sais que répondre.  Etre obligé de mentir parce qu'on vit dans un monde de menteurs.....Page 182

" Cette nuit a porté conseil. J'ai bien réfléchi, et nous allons faire ainsi que tu l'as proposé. " L'autre parut surpris, presque ahuri. Il sourit u n peu. Rien d'autre. page 199

Choulier avait gagné. Il présenta les deux théories sous son seul nom., écloses dans deux cerveaux  très différents. ...En juillet, (1947) le  Tout Paris ne parlait que de lui. page 201...C'était un homme comblé par tous les honneurs. Quelle blague tout de même! les gens  d'alors se pensaient chouléristes,: ils étaient meinhofiens. page 204

Les eux hommes périrent en 1955 dans un horrible incendie - et cela fit bien sûr  les gros titres de journaux. " Qui a tué le grand linguiste? " page 208



lundi, novembre 08, 2021

LE RIRE DES DEESSES ( Amanda DEVI) 2021

 La Ruelle est le quartier d'une ville pauvre de l'Inde où travaillent les prostituées. Parmi elles, Veena et sa fille de dix ans, Chinti, enfant solaire délaissée par sa mère. Les autres femmes protègent la fillette, surtout Sadhana, une hijra, femme rejetée par la société pour être née dans un corps d'homme. Leurs destins basculent le jour où Shivnath un homme de Dieu corrompu, tombe amoureux de Chinti, la kidnappe et l'emmène à Bénarès pour en faire sa déesse. Il ne se doute pas que les femmes de la Ruelle sont sur ses traces. Et que derrière leurs saris scintillants se cachent des guerrières. Des bas-fonds de l'Inde à sa capitale spirituelle, Amanda Devi nous entraîne dans un roman haletant et fouille les questions de notre temps: la place des femmes et des transsexuels; le règne des hommes et la sororité; les folies de la foi; la pédophilie,  la religion; la colère et l'amour. Avec son style tranchant et poétique, elle brise le silence des dieux pour se faire entendre et résonner le cri de révolte des femmes.  - le rire des déesses. 

Après avoir lu une trentaine de pages, j'ai fermé le roman, à la lecture  de femmes qui ne sont que des choses etc...la lie d'une société.....pour vivre ...c'est d'une tristesse inouîe.

dimanche, octobre 31, 2021

MADAME HAYAT ( Ahmet Altan) 2021

 Fazd, le jeune narrateur de ce livre, part faire des études de lettres loin de chez lui. Devenu boursier après le décès de son père, il loue une chambre dans une modeste pension, un lieu fané où se côtoient des êtres inoubliables à la gravité poétique, qui tentent de passer entre les mailles du filet d'une ville habitée de présences menaçantes. Au quotidien, Fazd gagne sa vie en tant que figurant dans une émission de télévision, et c'est en ces lieux de fictions, qu'il remarque une femme voluptueuse, vif-argent, qui pourrait être sa mère. Parenthèse exaltante, Fazd tombe éperdument amoureux  de cette Madame Hayat qui l'entraîne au-delà de lui - même. Quelques jours plus tard, il fait la connaissance de la jeune Sila. Double bonheur, double initiation, double regards sur la magie d'une vie. L'analyse tout en finesse du sentiment amoureux trouve  en ce livre de singuliers échos. Le personnage de Madame Hayat, solaire, et celui de Fazd, plus littéraire, plus engagé, convoquent les subtiles métaphores d'une aspiration à la liberté absolue dans un pays qui se referme autour d'eux sans jamais les atteindre.  Pour celui qui se souvient que ce livre a été écrit en prison, l'émotion est profonde. 

La vie des gens changeait en une nuit. La société se trouvait dans un tel état de décomposition qu'aucune existence ne pouvait plus se rattacher à son passé comme on tient à ses racines.  Chaque être vivait sous la menace de sombrer dans l'oubli......Ma propre vie  avait changé du jour au lendemain. Ou, à vrai dire, celle de mon père. A l'issue de divers événements que je n'ai jamais compris, un grand pays ayant déclaré " l'arrêt des importations de tomates", mille hectares de terrain agricole se transformèrent en une immense décharge rouge. ..;Une phrase donc avait suffi à ruiner mon père. page 7

( Fazd a quitté son appartement de trois pièces avec grand salon, suite au décès de son père,  pour une  chambre d 'étudiant) Je saluais tout le monde, j'échangeais quelques mots avec chacun, mais ne me liais d'amitié avec personne. ( dans son immeuble) page 11

C'était il y a un an. A l'époque, j'ignorais encore que la vie est littéralement  la proie du hasard. page 12

( Fazd s'est rendu à une soirée pour être figurant dans une émission et gagné ainsi un peu d'argent)  " Qu'est-ce-que tu attends avec cet air triste?  - Rien, finis-je par articuler.  - Il y a un restaurant pas loin, dit-elle, j'y vais dîner. Accompagne-moi si tu veux, on dînera ensemble. Deux personnes valent toujours mieux qu'une....C'est moi qui t'invite.  - D'accord. "..;" Bonsoir Madame Hayat, dit-il ( le serveur) où souhaitez-vous vous installer ce soir? - Dans le jardin." Son nom m'obsédait.  page 18....Il y avait tant de choses dans son rire: les oiseaux du matin, des éclats de cristal, l'eau claire qui cascade sur les pierres du torrent, les clochettes qu'on accroche aux arbres de Noël, une bande petites files courant main dans la main. page 20....Son visage  était illuminé par une forme de maturité espiègle, elle n'était pas belle à proprement parler, mais elle avait quelque chose de plus attirant encore que la beauté, un pétillement de vitalité qui annonçait autant de hauteur et de moquerie que de tendresse désintéressée, comme devinant toutes les nuances de l'âme humaine. page 21

C'est le malheur qui nous enseigne la vie. page 31

( Fazd a rencontré une jeune fille dans les séances de figuration  de télévision) " La police est venue chez nous en pleine nuit. " dit-elle . Son père était le patron d'une holding importante. Ils habitaient  dans une villa entourée d'un bocage. L'un des a actionnaires minoritaires de l'entreprise de son père, qui détenait à peine deux à trois pour cent du capital, avait été arrêté pour  "préparation d'un complot contre le gouvernement." Ils  s'étaient servis de lui comme prétexte pour saisir toutes les entreprises du père.  - C'est possible de faire ça ? lui demandai-je. - Aujourd'hui oui, c'est  possible. ...Ils ont fouillé la maison pendant quatre heures, puis, ils nous ont dit qu'on devait partir sans délai. une valise chacun, c'est tout ce qu'ils nous autorisaient à emporter.  Ils nous ont chassé de chez nous en pleine nuit. .;Ils ont pris les cartes de crédit, ce qui n'avait d'ailleurs plus d'importance puisqu'ils avaient déjà saisi tout notre argent à la banque....Nous avons quitté la maison en pleine nuit, juste avec une valise.   page 41   Je n'oublierai jamais cette nuit dans le parc, nous trois assis sus un arbre avec notre valise. Le matin, nous étions riches, au dîner encore nous étions riches, et la nuit,  nous étions des vagabonds misérables, sans argent et sans toit.  page 42

Nous ne savions pas où aller, où seulement passer la nuit. Allons chez des amis  a dit ma mère, em on père a  répondu: non, ils ont trop peur de nous avoir chez eux, ne les obligeons pas à nous fermer la porte...Les riches sont des trouillards, tu sais, et plus ils sont riches, plus ils ont peur. Mais il faut tomber dans la pauvreté pour s'en rendre compte, quand on est  riche, cette peur-là paraît absolument naturelle.  page 42

( A un cours de littérature) Madame Nermin, le professeur: " La littérature ne s'apprend pas. je ne vous enseignerai donc pas la littérature. Je vous enseignerai plutôt quelque chose sans quoi la littérature n'existe pas: le courage, le courage littéraire. Ne vous contentez pas de répéter ce que d'autres ont déjà dit...Soyez courageux et c'est le courage qui distingue les grands écrivains des autres. page 49...;;;;;;;;;;La littérature était plus réelle et plus passionnante que la vie. Elle n'était pas plus  sûre, sans doute même plus dangereuse...." La littérature est un télescope braqué sur les immensités de l'âme humaine" avait dit notre professeur d'histoire littéraire, monsieur Kaan. page 51

Grâce aux livres, j'avais appris à examiner ainsi tous les êtres qui croisaient ma route, à commencer  évidemment par moi-même. Je savais désormais que l'âme humaine n'est pas un tout, lisse et cohérent; c'est un agrégat de morceaux dépareillés qui se soudent progressivement les uns aux autres. ..J'avais honte d'être pauvre et j 'avais honte de mentir  sur ma pauvreté. D'un autre côté, les paroles de madame Nermin faisaient leur chemin dans mon esprit. Je m'aperçus que je n'avais jamais réfléchi à la question de la liberté/ "Suis-je libre? " me demandai-je tout à coup.  La question était-elle si effrayante? " Suis-je libre? " C'était la réponse , plus que la question qui m'effrayait; " Non, je ne suis pas libre" Une autre question plus cruelle encore, se posait alors: " Serai-je jamais libre? "...J'étais ballotté au gré des événements, indépendamment de ma liberté....page 52

Madame Hayat m'avait fait entrer dans  sa vie  avec la même simplicité naturelle , la même douceur  harmonieuse avec laquelle elle offrait son corps et je m'y étais installé sans rencontrer  le moindre obstacle....Elle était comme une déesse pour moi , une divinité  mythologique....page 60  Je n'avias d'yeux que pour son corps voluptueux, sa chair, ses plis et ses replis. page 61

'Madame Hayat vient d'acheter une lampe)  " Une lampe vous rend heureuse? - Oui, Très heureuse, même. - Et si demain vous aviez besoin de cet argent?  - Et si demain, je n'avais pas besoin de cet argent?  - Vous seriez quand même plus tranquille. - Et si être heureuse  m'intéresse plus que d'être tranquille?  page 64

Avec elle, je découvrais le bonheur d'être un homme,  un mâle, j'apprenais à nager dans le cratère d'un volcan qui embaumait le lys. C'était un infini safari du plaisir. page 68

" Tu es heureuse? " Elle m'avait regardé longuement  d'un  air interrogateur et presque menaçant, avant de répondre: " on ne pose pas cette question à une femme. Une femme ne sait pas si elle est heureuse, elle sait, en revanche, très bien  ce qui manque à son bonheur.  Donc pas besoin de le lui rappeler".  page 74  ( L'auteur part de chez madame Hayat à sa demande. ) "La seule chose que je te demande,  c'est de choisir un moment, un unique moment.....Si tu essaies de te souvenir de tout, tu oublieras tout....Mais si tu choisis un moment  parmi ceux que nous avons partagés, alors, il t'appartiendra pour toujours, tu ne l'oublieras jamais. ...Et moi, je serai heureuse,  heureuse de savoir que j'existe encore un peu pour toi...." page 75

(Fadz revient chez lui , la police est venue embarquée deux locataires.) " Les flics ont débarqué ce matin, il sont arrêté deux gamins du premier. - Pourquoi? - Ils avaient partagé un texte sur Facebook.  - C'est un crime ça?  - Faire une blague sur la gouvernement est devenu un  crime.  Dorénavant, interdit de blaguer. - Tu es sérieux? -  C'est eux  qui sont sérieux. "page 79

(Au cours de monsieur Kaan) " Le fond de toute littérature, c'est l'être humain. ....Les émotions, les affects, les sentiments humains. Et le produit commun à tous ces sentiments , c'est le désir de possession. Quand vous voulez posséder quelqu'un,  vous rendre maître de son coeur et de son âme,  c'est l'amour. Quand vous voulez posséder le corps de quelqu'un, c'est le désir, la volupté. Quand vous voulez faire peur aux gens,  et les contraindre à vous obéir, , c'est le pouvoir. Quand c'est l'argent que vous désirez plus que tout, c'est l'avidité.  Enfin, quand  vous voulez l'immortalité après la mort,  la vie après la mort,  c'est la foi. La littérature, en vérité,  se nourrit de tous ces cinq grandes passions humaines, dont l'unique et commune  source est le désir de possession , et elle ne traite pas d'autre chose. Tel est le fond. page 82

Je ne connaissais des hommes  que ce que les romans savaient en faire surgir de sous l'infini tissu  de l'humanité.  Les hommes ne m'apparaissaient  que sous les feux scintillants de la littérature. Or, pour la première fois, je voyais  les hommes  et leur psyché  sous une toute autre lunette, à la lumière de leurs ombres, et je me rendais compte que je n'y connaissais rien.  page 104 ( des jeunes de son immeuble ont été raflés par la police sans motif). 

" Les hommes peuvent tout changer sauf eux-mêmes. C'est la seule chose qu'ils sont incapables de transformer. Tel est leur malédiction. " ( Madame Hayat) page 107

(Un commerçant) " Les gens n'ont plus d'argent, et ceux qui en ont s'y agrippent farouchement. : tout le monde a peur du lendemain." On comprenait tout de suite que madame Hayat ne faisait pas partie de ces peureux-là.  " Je n'aime pas la peur, elle m'ennuie. - Mais quand on n' a pas d'argent...- Je sais ce que c'est de ne pas en avoir. Quand on a de l'argent, on le dépense quand on n'en a pas, on s'en passe....Il ne faut  avoir peur de rien dans la vie...La vie ne sert à rien d'autre que d'être vécue.  La stupidité, c'est  d'économiser sur l'existence , en repoussant les plaisirs au lendemain. , comme les avares.  Car la vie ne s'économise pas.  page 111

(Sila et Fadz) Si nous nous étions habitués assez facilement au manque d'argent, nous avions encore du mal à nous faire l'idée  d'être pauvres.  Tous les deux avions grandi dans un milieu qui méprisait la pauvreté, pour lequel elle équivalait au manque de talent, de réussite, à la bêtise et à la paresse. Et maintenant, nous avions rejoint la grande foule des pauvres gens, nous savions bien comment les riches nous jugeaient.  Nous ne méprisions pas les pauvres, non, mais nous n 'étions pas non plus prêts à accepter que nous aussi, désormais , faisions partie de cette catégorie.  Nous ne l'accepterions jamais.  page 125

"Dénoncer quoi?  répondis-je abasourdi. Il n'y a rien à dénoncer' - Est-ce qu'ils ont besoin d'avoir fait quelque chose de dénonçable pour être dénoncé?  On te dénonce et on t'arrête, après ça, va essayer  d'expliquer  que t'es innocent. ...Mais dans quel monde tu vis? Ouvre un peu les yeux. "page130

"La vie commence par hasard et se poursuit dans le hasard". (Monsieur Kaan page 138

" Chacun fait ce qu'il peut. L'essentiel est de savoir ce qu'on peut et ce qui est au-dessus de nos forces. " (Sila) page 157 ( Un colocataire - le Poète- à Fadz s'est défenestré car poursuivi par la police, un autre, gay, a été molesté par la police)

Tout changeait, certes , mais après la mort du Poète le rythme s'accéléra. J'avais la sensation d'être entraîné dans le courant de plus en plus rapide  d'un torrent qi s'approche d'une cascade.  Six mois plus tôt seulement, je menais une autre vie, j'étais un autre homme. Je faisais ma mue. page 197....Mümtaz m'apporta les textes. (pour un journal d'opposition) . Ils parlaient de milliers de personnes enfermées en prison,  de pauvres gens au chômage,  de pressions politiques, de souffrance, d'oppression.  C'était comme si j'avais  ouvert le couvercle et que  la vie réelle sortait de sa boîte, un autre monde, un e autre vie.  Elle ressemblait à cette chose qu'on appelle "l'enfer".  Des gens s'immolaient en pleine rue pour protester contre la famine, des pères de famille ruinés se suicidaient avec femmes et enfants....page 198

( Sila) "Moi, j'en ai marre dit-elle d'une voix déterminée. Moi, je me tire. Toi, tu réfléchis. Si tu veux venir, on part ensemble. ( au Canada) Mais , pour ma part, je n'en peux  plus de ce pays, je n'en peux plus d'avoir peur en permanence, je n'en peux plus d'angoisser  en pensant au lendemain, à la prochaine catastrophe qui va nous arriver.  Je suis fatiguée d'avoir peur."  On se quitta fâchés. ...A vrai dire, elle avait raison....page 206

Le poids de ce que j'avais vu, appris,  vécu pesait parfois si lourd que je me sentais épuisé comme un vieillard.  Je n'arrivais pas à concevoir ni les actes des hommes, ni le silence de la société, je ne pouvais plus vraiment   comprendre les vivants. Cela me déprimait parfois jusqu'à en tomber malade.  Alors, j'allais à la bibliothèque lire des romans. page 211

( Madame Hayat a disparu, Madame Nermin et Monsieur Kaan ont été emprisonnés, ses professeurs de littérature, Sila est partie au Canada, seule). L'été est passé, cédant la place à la fraîcheur cristalline des matins d'automne.  Cela fait maintenant trois moi que Sila est partie. Je ne l'ai pas suivie, au dernier moment, j'ai renoncé.  Où que j'aie pu égarer le bonheur, j'ai  décidé de le chercher ici,  et c'est ici que je le trouverai.  Je crois que j'ai senti qu'en mettant tout mon passé dans une valise jetée par-dessus bord avant le départ,  c'est un peu de mon avenir qui disparaissait aussi,  et qu'il me manquerais toujours quelque chose, que ce serait une mutilation dont je ne guérirais jamais. ...Le temps passe.  page 261 Nermin et Kaan sont toujours en prison. On ne sait pas exactement quand ils sortiront.  Nous parlons souvent d'eux. Je cois en tout cas qu'après avoir vécu tout ça,  j'ai trouvé une réponse à la question de monsieur Kaan sur les clichés et le hasard: naître est un cliché, mourir est un cliché, l'amour est un cliché, la séparation  est un cliché, la trahison est un cliché, le manque est un cliché,  renier ses sentiments est un cliché,  les faiblesses sont un cliché, la peur est un cliché, la pauvreté est un cliché, le temps qui passe est un cliché, l'injustice est un cliché....Et l'ensemble des réalités qui déchirent l'homme tient dans cette somme de clichés.  . Les gens vivent de clichés, ils souffrent de clichés,  ils meurent  de leurs clichés. page 265...Je me suis habitué à la peur, à la solitude,  au manque,  je ne me plains pas, j'ai appris à  avaler en silence le poison qui est dans le miel. ..;Elle (Madame Hayat) me manque. page 266



samedi, octobre 23, 2021

UN ALLER SIMPLE (Didier van Cauwelaert) 1994

 Ni beur malgré son nom, ni gitan malgré son adoption par des tsiganes, marocain d'après ses faux papiers, Aziz est un jeune marseillais qui se retrouve expulsé de France pour rejoindre son pays d'origine. Dans l'avion qui l'emporte vers le Maroc où il n'a jamais mis les pieds, Aziz devient le confident et ami de son chaperon ministériel, un jeune "attaché humanitaire" , rigide et idéaliste, tout aussi paumé et floué dans la vie que lui-même. Pour ne pas le décevoir, ni faire échouer sa mission, Aziz s'invente un pays natal de légende, une vallée imaginaire où vivent en paix des "hommes gris". A la recherche du pays qui n'existe pas, les hasards du voyage seront nombreux, le suspense permanent et  le dénouement des plus inattendus. 

Le soir, à la veillée, chacun se rappelle ses origines, ses traditions, les pays où il a roulé ses racines,...Moi, je suis là et je me tais. je hoche la tête, et j'ai l'esprit ailleurs. Je n'aime pas d'où viennent les autres. je veux bien être sans histoire, à part l'Ami 6, mais ça me fait mal d'être le seul. Alors, le bonheur , c'est quand je suis allé à l'école. Le bonheur , c'était d'apprendre. Je m'inventais une autre famille , rien qu'à moi, avec les mots et les chiffres que je pouvais changer d'ordre comme je voulais, additionner, conjuguer, soustraire, et tout le monde me comprenait.  Au tableau, je récitais les batailles et les fleuves, on m'écoutait comme si c'était mon histoire à moi. Les millions de morts, les inondations   et la haine des hommes se transformaient en bons points. ..Et ce n'était qu'un début: il restait tant de choses à connaître, j'en aurais pour la vie. Mais j'ai dû arrêter l'école au milieu de la sixième, à cause de Vallon-Fleuri qui n'aime pas les bouches inutiles. ...M. Giraudy, le professeur de géographie, a dit qu'il avait de la peine que je parte...M. Giraudy m'a dit que la vie était mal faite...Il avait l'air si triste...IL m'a souhaité bonne chance, et m'a offert un livre incroyable, un atlas de trois kilos qui s'appelait Légendes du monde". Je n'ai rien dit pour ne pas pleurer. page 14

(Aziz est accusé de vol d'une bague qu'il dit avoir achetée pour son mariage)  - "On va te ramener chez toi, Aziz. J'ai remercié, mais ce n'était pas la peine: je n'avais plus de "chez moi" et j'ai perdu Lila; autant la justice suivre son cours. - Tu n'as pas compris, Aziz. Te ramener chez toi, ça veut dire: dans ton pays.  - Mon pays? - Le Maroc. J'ai mis un temps à comprendre, et puis je me suis souvenu que, sur mes papiers, j'étais marocain....page 41

 (Pignol, un ami, gendarme)  " ça vient de plus haut. , Aziz. Le gouvernement a pris des mesures contre les clandestins, Enfin, ...pour les clandestins. C'est une opération conjointe avec les Droits de l'Homme  et l'OMI, l'office des migrations internationales. " Et il m'a expliqué en gros que pour lutter contre le racisme, en France, il fallait renvoyer les immigrés chez eux.  page 42    A cinq heures moins vingt,  Pignol est revenu. Il évitait mon regard, mais j'avais eu le temps de réfléchir et je m'étais rassuré. Il   a laissé tomber " Ton attaché est arrivé". J'ai demandé , les jambes croises, l'air de rien: " On lui a donné mes papiers? - Oui. - Bon, ben ça v alors: il a vu que c''étaient des faux.  - Non. ..;tout ce qu'il a vu, c'est que ton permis est périmé. " Il s'est assis , près de moi, sur le matelas, les mains entre les genoux, la tête basse. Mon inquiétude est revenue d'un coup. - Mais vous le lui avez dit que c'était un faux?  Il n'a pas répondu tout de suite.  page 43, page 44

Depuis des dizaines d'heures, je ne pensais qu'à mon atlas, aux Légendes du monde, parce que ...mon livre serait vendu vingt francs à un bouquiniste et personne n'aurait jamais les mêmes rapports que j'avais eus avec lui. page 48 (L'attaché veut savoir dans quelle région du Maroc, il est originaire) J'ai sèchement dit qu'on verrait plus tard; j'étais dans mon rêve. page 49

J'ai très peur au décollage, mais je n'ai rien montré.  Je ne savais pas si une nouvelle vie commencerait pour moi, mais la précédente était bien morte;  c'était déjà un espoir. page 69

" Vous êtes d 'où, monsieur l'attaché.? - Tu peux me dire "tu". , comme dans ton pays, ça ne me gêne pas. " Je n'ai pas osé lui répondre que moi, ça me gênait qu'il me tutoie. J'avais un si doux souvenir de mes six mois  de sixième où, pour la première fois, des gens m'avaient dit " vous" - mais il s'est remis à me vouvoyer de lui-même, au bout d'un moment. page  75

C'était vraiment un têtu, ce type. Je lui ai sorti en vrac, pour en finir, que j'étais un enfant marseillais percuté par une Ami6, d'où mon prénom, et que la vallée des hommes gris était une légende de l'atlas que m'avait offert Mr Giraudy, le jour où j'avais quitté l'école pour devenir une alouette. Il souriait avec un air fin...page 88

(A Rabat) Pour la première fois de ma vie, je me sentais un immigré. Et je pensais , pour me tenir compagnie, à la solitude de l'Arabe  qui débarque en France, surtout quand il est clandestin. J'avais drôlement de la chance, moi,  d'avoir un attaché, un garde du corps muni d'un laisser-passer du Roi pour me fiche la paix...Page 105

l'Occidental est coupable, comme toujours, où il passe, il accumule, en créant le besoin. page 136