dimanche, décembre 05, 2021

LA CLAUSE PATERNELLE ( Jonas Hassen KHEMIRI ) 2021

 Deux fois par an, un grand-père revient en Suède voir ses enfants, désormais adultes. Son fils - en congé paternel avec deux petits en bas âge - est un raté névrotique. Sa fille - abandonnée  par son propre enfant - est tombée enceinte d 'un pauvre type.  Seul, le grand-père - le fier patriarche - est parfait. Du moins, selon lui....car les visites du père prodigue semblent moins motivées par l'amour qu'il porte à sa progéniture que par l'opportunisme et la nécessité. En effet, ces passages réguliers lui permettent de conserver son titre de séjour. C'est ainsi l'occasion pour lui de remettre de l'ordre dans ses démarches administratives et fiscales. Or, plus exactement, de déléguer ces tâches à son fils.  Car quand le père rentre, il est entendu que son fils s'occupe de tout. Il ignore que ce dernier a pris une décision qui va tout bousculer: il veut remettre en question la clause paternelle. Mais une telle clause est-elle réellement négociable? 

Dépeignant l'inexorabilité des liens familiaux avec poésie, étrangeté et humour, Jonas Hassen Khemiri dresse le portait intime 'une famille chaotique et parfaitement ordinaire, profondément blessée par la mort d'un enfant ordinaire et la disparition d 'un père. 

1 - MERCREDI Un grand-père qui est un père est de retour dans le pays qu'il n'a jamais quitté. Il se tient dans la file d'attente pour le contrôle des passeports. Si le policier derrière sa vitre lui pose des questions suspicieuses, le père qui est un grand-père restera calme. page 11

Un père qui est un grand-père se tient devant le tapis à bagages. Il se fait la réflexion que toutes les valise se ressemblent.....page 14  Un fils qui est un père en profite pour travailler un peu en attendant l'arrivée du père. page 15 

Un fils qui est un père regarde l'heure. Bientôt minuit. Sa soeur ne le rappelle pas. Sa petite amie lui a envoyé un SMS il y a une heure....Il se demande depuis quand ils ont cessé d'aller chercher le père à la gare routière. Il y a trois ans? Cinq ans? Il ne se souvient pas bien mais il soupçonne du moment où le fils est devenu père et où le père est devenu grand-père.  Quelque chose s'est passé.  Malgré tout, le fils est resté responsable du côté pratique. Il gère le compte en banque de son père et aussi son courrier. Il paie ses factures, fait sa déclaration d'impôts, réserve ou annule ses visites de contrôle et ouvre les lettres de la sécurité sociale. Et aussi, c'est lui qui est responsable de son logement. Quoiqu'il soit le temps qu'il passe en Suède.  Dix jours ou quatre semaines. ça  a toujours été ainsi. Et ça restera ainsi. page 25

Le fils faisait toujours ce qu'on lui disait. Toute sa vie, il a fait ce qu'on lui a dit. Mais maintenant, ça va changer, se dit-il en allant chercher un stylo et un papier....Il écrit:" Bienvenue papa. j'espère que le voyage s'est bien passé. Voici ton courrier. Appelle-moi quand tu peux pour que j'évite de m'inquiéter pour toi. " page 27

2 - JEUDI   Un grand-père qui est un père oublié attend une navette qui n'arrive pas. Il est malade. Il est mourant. Il crache ses poumons. Il va bientôt être aveugle et il ne survivra pas vraisemblablement à la nuit. Tout est la  faute de ses enfants. page 31....L'amour, c'est l'opposé d'un choix libre....L'amour est une dictature, pense le père, et la dictature, c'est bien. C'est quand il y avait le moins de liberté qu'il était le plus heureux....page 32

Quelques semaines plus tard, elle ( la soeur) avait de nouveau essayé de lui parler. Elle lui avait dit qu'elle ne l'aimait pas ( son petit ami). Qu'elle était à peine amoureuse. Depuis qu'ils s'étaient rencontrés, ils dormaient certes ensemble toutes les nuits, mais elle n'avait pas le temps d'avoir un petit ami, elle ne voulait pas s'engager, elle avait sa carrière et appréciait la liberté plus que tout.  page 45

Un fils qui est père arrive enfin à joindre son père. Celui-ci répond à son onzième coup de fil. Il est à son bureau . Tout s'est bien passé. Le fils pousse un soupir. IL sourit à son inquiétude inutile. Les doigts légers, il écrit un SMS au reste de la famille pour la rassurer:  L'aigle a atterri. Cool .répond la soeur.  page 57

3- VENDREDI On est vendredi  et une petite amie (celle du fils)  qui est une mère travaille comme juriste au sein d'une organisation syndicale est à son bureau depuis sept heures vingt. ...." Vous pendez qu'on peut gagner?  demande la cliente. " On va se les faire répond la juriste en souriant." Pourquoi vous ne demandez pas si ce sont des immigrés? demande  la père. "Parce que ça n'a aucun rapport". dit la juriste. " Pour moi, ça en a " réplique  le père." pour moi, ça en a . N'est-ce pas chérie? " La fille ne répond pas. Le père soupire. " Quel putain de pays c'est devenu. Quand est - ce qu'on va se réveiller et réaliser qu'on a détruit notre pays? " La juriste déglutit et  essaie de se contenir. page  78

On  est vendredi  et un père qui est un grand-père va enfin rencontrer ses petits-enfants. Il a proposé au fils de se retrouver  à l'endroit habituel.  page 88 Mais cette année, pour une raison qu'il ignore , le fils ne veut pas qu'ils se retrouvent là. ...Le métro suédois n'est plus comme avant. A l'époque, il y avait des blonds aux yeux bleus partout. Parfois, un Grec exotique qui passait dans les rames pour vendre des cartes postales révolutionnaires ou un Africain qui vendait des cassettes de reggae. Aujourd'hui, le métro est devenu  un zoo rempli de gens venant du monde entier. Après la station Ornsberg, il entend deux dames parler espagnol, quatre ados parler russe, deux messieurs parler dari, une famille de touristes parlant danois.  page 89

Le grand-père se tait. Il essaie d'être au-dessus de la radinerie de son fils. Il veut lui montrer avec de bons exemples  comment un vrai gentleman se comporte dans le monde.  Un vrai gentleman  n'offre pas à son père un café dégueulasse et un sandwich au fromage  moisi en s'attendant en plus à être remercié.  Surtout s'il est le fils aîné. page 94

Une fille  qui est une  soeur qui est une mère rentre du travail un vendredi après-midi dans une ville nauséabonde. ...Son portable sonne. "Enfin " dit le père quand elle répond. "Mais c'est moi qui vient de t'appeler" dit-elle. "ça fait plaisir d'entendre ta voix," dit le père. " On peut se voir? Prendre un café? Dîner ensemble? Je peux quand tu veux mais je comprendrais si tu n'étais pas disponible. " " Aucun problème. Il s'est passé quelque chose ?"demande la fille. " Absolument pas, répond le père. J'ai juste envie de rencontrer mon enfant  adorée" " Bien sûr qu'on peut se voir dit-elle en regardant son agenda. page 100

"Comment ça se fait que personne dans mon cercle d'amis n'a de relation normale avec son père? Mais, en fait, c'est quoi une relation normale? avait-elle écrit. je ne connais personne qui ait une relation normale avec  quiconque, surtout pas avec ses parents.  " Et à quel niveau est notre relation avait-il écrit?  "Raisonnablement normale avait-elle écrit. (  la future compagne du fils et lui)page 126

Ils  s'étaient arrêtés au niveau du parking. Le moment était venu de se dire aurevoir. Ils ne pouvaient pas repartir ensemble. Ils risquaient de croiser quelqu'un.  Quelqu'un qui risquait de leur poser des questions. Ils risquaient de se retrouver  dans une situation où ils seraient obligés d'expliquer ce qui se passait, et le problème, c'est qu'ils ne savaient pas eux-mêmes ce qui arrivait puisque aucun des deux n'avait jamais vécu ça. Ils étaient restés longtemps immobiles. Ils s'étaient embrassés. Ils s'étaient de nouveau embrassés. Ils s'étaient dit au revoir.  Ils 'étaient de nouveau embrassés. Elle était partie en premier.  Elle avait descendu la rue en direction du tram. Puis, elle s'était retournée. Il n'avait pas bougé.  De loi, elle voyait sa silhouette. Ils ne s'étaient pas fait un signe de la main.  Le regard suffisait. page 129

IV. SAMEDI  C'est week-end. Un père, une mère et deux enfants vont enfin pouvoir passer du temps ensemble. Ils se préparent pour prendre le métro et aller dans le centre. Deux heures plus tard, ils sont toujours entrain de préparer pour prendre le métro et aller dans le centre. ...page 136   Un père qui est un grand-père a enfilé une chemise propre. Il s'est rasé. Il s'apprête à aller en ville déjeuner avec sa plus jeune fille, sa  préférée, celle qui est aussi parfaite que ce qu'il avait espéré.  Ce n'est  quand même pas de chance qu'elle ait rencontré cet idiot quand elle était jeune. Elle n'aurait jamais dû se marier avec lui. Elle n'aurait jamais dû avoir un enfant avec lui. page 138

Sur le chemin de retour,  le grand-père se fait la réflexion que c'est une chance qu'il soit un loup solitaire. Il est fier de ne pas avoir besoin des autres.  Les êtres humains sont tous des idiots.  Sa cadette est une idiote  parce qu'elle a annulé le déjeuner. Son aîné est un idiot parce qu'il veut mettre son père à la rue. Son ex-femme est une idiote parce qu'elle a fait explosé son couple. Sa plus grande fille est une idiote parce qu'elle est morte. Des frères et soeurs sont des idiots parce qu'ils ne le contactent que quand ils ont besoin d'argent. ....page 164

V. DIMANCHE ( le fils) Il avait constamment le sentiment que le monde lui en voulait et ce n'est que bien plus tard, quand celle qui serait la mère de ses enfants lui a expliqué qu'une des raisons de sa paranoïa était qu'on s'imagine être surveillé si on se sent abandonné et en manque d'attention de la part de ses parents. Mieux valait être traqué qu'ignoré. page 172

Ils vont au café. " Je t'invite et tu paies , a dit le père en riant de sa blague. Il laisse le fils l'inviter. C'est le signe qu'il est devenu adulte.  Le signe pour l'entourage  qu'en tant que père, il a fait du bon travail. Mais le fils n'est pas content. Le fils n'est jamais content. Dès qu'ils se sont installés, le fils se met à calculer tout ce qu'il a fait pour son père ces dernières années. Il lui a réservé ses billets d'avion, il a transféré de l'argent sur ses différents comptes, il s'est occupé de son courrier. En quoi est-ce fatigant d'ouvrir quelques lettres ? demande le père. ...Le fils ne répond pas. ...Mais le fils n'est pas prêt à trouver une solution. Il veut la guerre. page 187

Une soeur qui n'est pas une mère essaie de rassembler ses esprits.....Le frère lui a dit que le congé de paternité se passe bien. Qu'il a décidé de se lancer dans le stand-up. Qu'il a vu leur père dans la journée et qu'il lui a enfin parlé. Aïe. Et ça s'est  passé comment? demande-t-elle. Plutôt bien, ça  a soulevé pas mal d'émotion et d'indignation de sa part mais c'est toujours le cas  avec lui. En tout cas, on ne s'est pas bagarrés. Je crois qu'on s'est mis d'accord sur le fait que c'est la dernière fois que je le loge.  Tu crois? dit-elle sceptique. Ils restent silencieux. page 198

Une soeur qui n'est pas une mère s'adosse à sa chaise...quand le frère se plaint de sa petite amie. Il dit qu'elle est impossible à vivre, qu'elle cherche toujours à le critiquer alors que c'est pourtant lui qui fait tout, ou presque tout, à la maison.  page 202 ....Chaque fois que tu décris la fille de tes rêves, c'est comme si tu parlais de toi lui a dit le copain de sa soeur. Un silence s'est ensuivi.  page 204

VI - LUNDI.  Un fils qui est père quitte la table dans l'angle pour aller chercher les cafés et jeter un coup d'oeil  sur le petit d'un an. IL dort toujours, dit-il à la mère qui  regarde l'heure et avale son café d'une traite. Tu dois y aller?  Elle hoche la tête. Dis-moi si vous voulez que je vous garde les enfants un de ces jours. Oui, ce serait super. La semaine prochaine peut-être?  La mère regarde son agenda. Je suis à Gotenberg de mercredi à vendredi...Alors peut-être ce week-end? demande le fils. Malheureusement , ça va être compliqué. Samedi, j'ai un vernissage à Magasin III et dimanche , je vais  voir un concert....page 239

VII- MARDI On n'a pas le droit de se fâcher contre les petits d'un an parce qu'à un an et à cet âge, on ne comprend pas pourquoi il ne fait pas mordre les ballons, casser des livres sur l'espace ou avaler  des roues de Lego ou  encore mettre des crocodiles jaunes dans les poubelles.  Ils ne savent pas parler, pas faire de la trottinette, pas jouer au foot. page 246

Je voyais le dos de papa. Il était seul dans le café.  Il avait une tasse turquoise  dans la main et était penché sur son portable.  Mais il levait la tête toutes les minutes pour jeter un oeil sur la place. Là, assis sur  un banc, j'ai aperçu son père.  Enfin, la personne qu'on a rencontrée vendredi et que tout le monde appelle papi. Il était assis sur un banc sous ce ciel d'automne.  Il avait un journal sur les genoux  mais il ne le lisait pas. Papi ne voyait pas papa et papa ne me voyait pas. Puis, il y a eu des cris et des rires d'enfants...J'ai vu la combinaison violette de ma soeur et aussi son bonnet cache-oreilles à poil gris. page 254

VIII- MERCREDI Une nuit qui n'est pas une nuit ne prend jamais fin; Le petit réveille la grande  de quatre ans qui réveille le petit d'un an qui réveille la grande  de quatre ans. Le père est patient pendant une heure. Il leur donne du lait d'avoine, chante des chansons, leur fiat faire une petite promenade fantôme dans l'appartement sombre afin de regarder les fenêtres éteintes des voisins. Sur la ponte des pieds , ils passent devant la chambre où dort maman, parce que maman doit travailler, maman  a une vie en dehors de la famille. Ils retournent dans la chambre des enfants, lisent une histoire, chantent, lisent une autre histoire, la grande de quatre ans fait pipi dans le pot, le petit fait caca dans sa couche. Au bout d'une heure et demie, les deux s'endorment. Le père se faufile hors de la chambre.  Mais la petite de quatre ans se réveille.....page 263

Un père qui est un grand-père va enfin voir sa fille. Il attend  ce moment depuis si longtemps. Ils se retrouvent à l'endroit habituel. ..Elle est d'une beauté à couper le souffle. Il n'arrive pas à comprendre qu'il ait réussi à créer un être si parfait. Elle porte un sac à main   étincelant, un parfum luxueux et des chaussures bien entretenues. page 271

L'homme qui sera grand-père de son enfant (celui de sa fille) se révèle un vrai gentleman. Il ne fait aucune blague bizarre. Il ne it rien de méchant sur le poids  de sa fille. En revanche, il raconte des histoires drôles sur l'été où il travaillait comme vendeur de tee-shirts....page 285

XI JEUDI. Lorsqu'il entrouvre la porte, il ( le grand-père) le petit d'un an qui gigote dans son lit pour essayer de trouver le sommeil. IL gémit. Le grand-père essaie  de le calmer en lui caressant les paupières. Il chantonne cet air qu'il chantait à ses enfants. Bizarrement , ça fonctionne. Le petit d'un an respire maintenant calmement et  replonge dans le sommeil. Le grand-père reste à côté du petit lit. ..." Papi? Moi aussi, je veux une chanson". La grande est assise, les cheveux en bataille, dans le lit des parents. page 318...La grande finit par s'endormir, la tête posée sur la poitrine du grand-père.  Sa respiration est rapide. Elle ressemble tellement à son fils. Elle ressemble tellement à sa fille. page 322

X - VENDREDI. ( la fille) Mettre un enfant au monde est irréversible. Avorter ne l'est pas. Mais sur le chemin, elle commence tout de même à douter. Et si jamais , elle regrettait? On ne regrette jamais d'avoir un enfant, lui disaient les gens lorsqu'elle est tombée enceinte la première fois. ..Et ils avaient raison. page 350

On est vendredi matin et un grand-père qui est un père se prépare à prendre le métro pour Cityterminalen afin d'attraper la navette pour l'aéroport.  page 352

Un fils qui est un père qui est un grand-père arrivent à l'aéroport. Le père se gare, le petit se réveille et s'étire. Ils vont ensemble au comptoir d'enregistrement. ...Le grand-père se penche et l'embrasse sur les  . joues Trois foi. Puis encore trois fois. Il va me manquer, dit le grand-père. Toi aussi, tu vas lui manquer, sourit le père. La prochaine fois, nous essaierons de nous voir un peu plus. Absolument dit le grand-père. Il fourre sa main dans sa poche et sort un billet  de  cinq cents couronnes. Pour l'essence.  C'est trop dit le fils; Le père et le grand-père se font la bise. Trois fois. On reste en contact. dit le père. Absolument, répond le grand -père.  page 358


Aucun commentaire: