samedi, août 31, 2019

LE NAUFRAGE DES CIVILISATIONS (Amin Maalouf, 2019)

Il  faut prêter attention aux analyses d'Amin Maalouf: ses intuitions se révèlent des prédictions, tant il semble avoir la prescience des grands bouleversements de l'Histoire. Il s'inquiétait il y a vingt ans de la montée des "identités meurtrières"; il y a dix ans du "dérèglement du monde". Il nous explique aujourd'hui pourquoi toutes les aires de civilisation sont menacées de naufrage.
Depuis plus d'un demi-siècle: l'auteur observe le monde et le parcourt. Il était à Saigon à la fin de la guerre du Vietnam, à Téhéran lors de l'évènement de la République islamique. Dans ce livre puissant et ample, il fait œuvre de spectateur engagé et de penseur, mêlant récits et réflexions, racontant parfois des événements majeurs dont il s'est trouvé être l'un des rares témoins oculaires, puis s'élevant en historien au-dessus de sa propre expérience afin de nous expliquer par quelles dérives successives l'humanité est passée pour se retrouver ainsi au seuil du désastre.
"C'est à partir de ma terre natale que les ténèbres ont commencé à se répandre sur le mon de. " écrit-il, avant d'évoquer l'extinction du Levant pluriel et les secousses sismiques du monde arabo- musulman, dont les répliques ont affecté, de proche en proche, la planète entière. Il émet l'hypothèse neuve d'un grand retournement " qui aurait métamorphosé toutes les sociétés humaines, et dont nous serions à présent les héritiers hagards.
Un sursaut s'impose, conclut-il. Le paquebot des hommes ne peut continuer à naviguer ainsi vers sa perte.

Je suis né en bonne santé dans les bras d'une civilisation mourante, et tout au long de mon existence, j'ai eu le sentiment de survivre, sans mérite, ni culpabilité, quand , tant de choses autour de moi, tombaient en ruine;   page 11

 L'idéal levantin, tel que les miens l'ont vécu, et tel que j'ai toujours voulu le vivre, exige de chacun qu'il assume l'ensemble de ses appartenances, et un peu aussi celles des autres. Comme tout idéal, on y aspire sans jamais l'atteindre complètement, mais l'aspiration elle-même est salutaire, elle indique la voie à suivre, la voix de la raison, la voie de l'avenir. J'irai même jusqu'à dire que c'est cette aspiration qui marque, pour une société humaine, le passage  de la barbarie à la civilisation.
Tout au long  de mon enfance, j'ai observé la joie et la fierté de mes parents lorsqu'ils mentionnaient des amis proches appartenant à d'autres religions, ou à d'autres pays. C'était juste une intonation dans leur voix, à peine perceptible. Mais un message se transmettait. Un mode d'emploi, dirais-je aujourd'hui.
En ce temps-là, la chose me semblait ordinaire, je n'y pensais guère page 13
 
Tandis que l'utopie communiste sombre dans les abysses, le triomphe du capitalisme s'accompagne d'un déchainement obscène des inégalités. Ce qui a peut-être, économiquement, sa raison d'être, mais sur le plan humain, sur le plan éthique, et sans doute sur le plan politique, c'est indéniablement un naufrage. page 17

Quand mon grand-père fut inhumé , dans les premiers jours de janvier 1952, au cimetière maronite du Caire, les rues étaient aussi paisibles que d'habitude, même si la tension était perceptible ,pour ceux qui savaient la sentir.
Une crise couvait depuis plusieurs mois, entre le gouvernement et les autorités britanniques qui  avaient accordé l'indépendance trente ans plus tôt. mais qui l'avaient contraint ensuite à signer, en 1936,  un traité leur permettant de maintenir des troupes dans la zone du Canal de Suez. page 33
 
....un homme fort allait émerger, le Général Gamal Abdel Nasser. Il allait devenir pour une quinzaine d'années, le dirigeant le plus populaire du monde arabe, et l'une des personnalités les plus en vue sur la scène internationale. page 38
Du jour au lendemain, Nasser devint l'idole des foules, dans son pays comme dans l'ensemble du Proche-Orient et au-delà.  Depuis des siècles, aucun dirigeant arabe n'avait suscité d'aussi grandes espérances que ce bel officier trentenaire à la voix enivrante et aux discours prometteurs.  Mais chez moi, quand on parlait de lui, c'était rarement pour le bénir , ou pour lui souhaiter longue vie. page 40

 
Ma famille maternelle a toujours eu le sentiment d'avoir été injustement chassée du paradis terrestre.  ( elle a dû quitter l'Egypte. page 41
Pris en tenaille entre deux forces indomptables, celle de la rage arabe qui montait, et celle de l'arrogance occidentale qui frappait à gauche,  à droite, avec la subtilité d'un pachyderme ivre, les miens étaient perdus, quoi qu'ils fassent. On ne leur reprochait pas leurs opinions, leurs propos, ni leurs actes, on leur reprochait leurs origines, qu'ils n'avaient pas choisies et qu'ils ne pouvaient pas modifier. page 47 (" les Egyptianisés" : les syro-libanais, italiens , français, grecs, juifs, ou maltais)
 
Tout au long de l'histoire, les expulsions massives, qu'elles paraissent justifiées ou légitimes ou pas, ont généralement nui à ceux qui sont restés bien plus qu'à ceux ont été chassés. (Les Huguenots en France avec la révocation de l'Edit de Nantes, l'expulsion des musulmans et des juifs par les rois catholiques, au lendemain de la prise de Grenade en 1492 etc...page 51
Ce n'est pas un hasard si la nation la plus puissante du monde, à savoir les Etats-Unis, s'est faite une spécialité d'accueillir des vagues successives de bannis et d'expulsés, depuis les puritains anglais jusqu'aux juifs d'Allemagne, en passant par les rescapés des révolutions russe, chinoise, cubaine ou iranienne, sans oublier les protestants de France.  page 52
 
Quand, dans les années soixante, j'ai ouvert les yeux sur le monde qui m'entourait, Beyrouth avait commencé à supplanter Le Caire comme capitale intellectuelle de l'Orient arabe.....Le Liban: nul pays ne pouvait, mieux que lui , jouer un tel rôle. Réunissant des communautés nombreuses, aux sensibilités diverses, et dont aucune ne pouvait prétendre à une position hégémonique, il était le lieu idéal du foisonnement et du pluralisme. page 57
 
Le Liban  a longtemps joué un rôle de terre d'asile pour les "mal-aimés" du Moyen-Orient. Un peu comme l'avait fait l'Egypte jusqu'aux années quarante. page 59
 
Le Liban,....Aucune catégorie de la population n'y bénéficiait d'un statut d'extraterritorialité. L'objectif des fondateurs du pays était d'organiser la cohabitation et de maintenir l'équilibre entre les communautés religieuses locales - les maronites , les druzes, les sunnites, les chiites, les grecs-orthodoxes ou les grecs catholiques; et aussi les arméniens, les syriaques, les juifs, les alaouites ou les israéliens.  page 62
 
Un état unitaire fut proclamé, ( en 1958) ( fin 1961) qui prit le nom de  République arabe unie, avec l'Egypte comme "province méridionale et la Syrie comme " province septentrionale.
Dans de nombreux pays de la région, la naissance de la RAU fut accueillie par la population avec ravissement. page 67
 
Dans les pays où prévaut l'islam, les adeptes des autres religions sont traités, au mieux, comme des citoyens de seconde zone et trop souvent bien pire encore, comme des parias, ou des souffre-douleur...Dans les pays de tradition chrétienne,  ce qui caractérise l'attitude envers l'islam,  c'est la méfiance. Pas seulement celle qui est due au terrorisme; il y a une méfiance plus ancienne,  née de la rivalité de deux religions conquérantes cultivant  la même ambition planétaire...
Et dans les rapports entre les musulmans et les juifs, c'est également  la méfiance qui prévaut, née , cette fois, d'une rivalité relativement récente mais extrêmement virulente entre les nationalismes adossés à la religion ...Page 77
 
Ce qu'on ne rencontre presque jamais...et que je n'ai connu moi-même que dans la cité levantine où je suis né, c'est ce côtoiement permanent et intime entre des populations chrétiennes ou juives imprégnées de civilisation arabe et des populations musulmanes résolument tournées vers l'Occident, sa culture, son mode de vie, ses valeurs. page 78
(Au Liban) On avait donc décidé de répartir d'office les fonctions entre les différentes communautés. Le président de la République serait obligatoirement un chrétien maronite; le président du Conseil, un musulman; le président du Parlement, un musulman chiite. Au gouvernement, il y aurait toujours une parité exacte entre ministres chrétiens et musulmans. Et chaque communauté aurait ses sièges de députés, qu'on ne pourrait pas lui contester. On s'était également efforcé de respecter certains dosages dans la fonction publique. page 82
 
IL n'existe plus dans ce pays, ni dans le reste de la région, un seul mouvement politique qui puisse élever à sa tête, une personne appartenant à une petite communauté comme celle des chrétiens assyriens. Pour qu'un Irakien puisse jouer un rôle, il faut nécessairement qu'il soit issu de l'une des trois principales composantes de la nation - les chiites, les sunnites ou les Kurdes. Il n'y a d'ailleurs, plus qu'un seul parti qui soit implanté chez les trois à la fois.  page 97
 
Tout au long de l'histoire humaine, le sort des minoritaires a été un indice révélateur d'un problème plus vaste  , qui affecte tous les citoyens d'un pays et tous les aspects de sa vie politique et sociale.  page 102
 
Le raïs avait beau être un dictateur militaire, un nationaliste passablement xénophobe, et pour les miens, un spoliateur, il n'en reste pas moins que, de son temps,  la nation arabe était respectée. Elle avait un projet, elle n'était pas encore dans la détresse, ni dans la haine de soi. page 108
 
...Au matin du 5 juin 1967, les flottes aériennes de l'Egypte, de la Syrie, de la Jordanie furent pratiquement anéanties, puis leurs armées de terre durent battre en retraite, cédant aux forces israéliennes des territoires importants: la ville de Jérusalem, la Cisjordanie, les hauteurs du Golan, la bande de Gaza et la presqu'île du Sinaï. Page 114
Le grand vaincu de cette guerre fut Nasser. page 115
Les Arabes n'ont jamais pu prendre leur revanche, jamais pu dépasser le traumatisme de la défaite; et Nasser n'a jamais plus retrouvé sa stature internationale. Il allait mourir trois ans plus tard. page  116
Je serais presque tenté d'écrire noir sur blanc: c'est le 5 juin 1967 qu'est né le désespoir arabe. page 118

Il est vrai que depuis sa surprenante victoire sur Nasser, Israël a acquis une tout autre stature régionale et internationale. Ce qui a eu des retombées pour l'ensemble du monde juif; lequel ; après des millénaires d'humiliations  et au sortir d'une épreuve qui a failli lui être fatale, connaît aujourd'hui un épanouissement sans précédent, dû en grande partie au succès du projet sioniste  - un succès  que personne ne prévoyait, pas même les plus optimistes des fondateurs. page 133

De moins en moins de juifs jugent utile d' apprendre la langue arabe, même ceux dont les parents la parlaient couramment; à l'inverse, les jeunes Palestiniens sont de plus en plus nombreux à étudier l'hébreu et à s'exprimer avec aisance dans cette langue. page137

A l'heure où j'écris ces lignes, plus d'un demi-million d'Israéliens vivent sur ces terres qui avaient été arabes jusqu'en 1967. page 139

Depuis la guerre de Soixante-sept, à laquelle pourtant il n'avait pas pris part, mon pays natal était  entré dans une longue période de turbulences, dont il ne devait plus sortir. page 144

Le jour où j'ai quitté le Liban en guerre sur une embarcation de fortune, en juin 1976, tous les rêves de mon Levant natal étaient déjà morts ou agonisants. page 163
 
"Année de l'inversion". Il y a surtout deux événements qui m'apparaissent emblématiques: la révolution islamique proclamée par l'ayatollah Khomeiny en février 1979; et la révolution conservatrice mise en place au Royaume-Uni par le Premier ministre Margaret Thatcher  à partir de  mai 1979...
L'avènement  de Mme Thatcher n'aurait pas eu la même importance dans un mouvement ample et puissant qui allait dépasser très vite les frontières de l'Angleterre. D'abord, vers les Etats-Unis, donc, avec l'élection de Reagan  en novembre 1980; puis vers le reste du monde. Les préceptes de la révolution conservatrice anglo-américaine seront adoptés par de nombreux  dirigeants de droite comme de gauche, parfois avec enthousiasme, parfois avec résignation.  Diminuer  l'intervention du gouvernement dans la vie économique, limiter les dépenses sociales, accorder plus de latitude aux entrepreneurs et réduite l'influence des syndicats seront désormais considérés comme les normes d'une bonne gestion des affaires publiques. pages 170, 172
L'autre "révolution conservatrice", celle d'Iran, allait avoir, elle aussi, des répercussions significatives dans l'ensemble de la planète.  page 174
En décembre 1978, Deng Xiaoping, prenait les rênes du pouvoir à Beijing lors d'une session plénière du Comité central du Parti communiste...
L'autre événement remarquable, c'est celui qui s'est déroulé à Rome en octobre 1978 avec l'arrivée de Jean-Paul II  à la tête de l'Eglise catholique. Né en Pologne, Karol  Wojtyla alliait un conservatisme social et doctrinal à une combativité de dirigeant révolutionnaire. page 178
Deux semaines plus tard, Phnom Penh, capitale du Cambodge, avait été prise par des insurgés communistes; puis ce fut le tour du Laos...page 179
 
L'ère du  président Carter est restée dans les mémoires comme une période de faiblesse et  d'indécision..... Avec le recul,  cette mollesse ne se confirme pas, bien au contraire. ...Notamment en Afghanistan. page 195
Pendant près de dix ans,  Moscou a dû mener une guerre extérieure, qui a entraîné la démoralisation  et finalement l'éclatement de l'empire soviétique page 197
 
 
Il y eut  ainsi, en février 1979, la fondation de la République islamique d'Iran, sur les décombres d'une monarchie jugée trop moderniste et occidentalisée, en avril 1979, l'exécution par pendaison de l'ancien président pakistanais Zulficar Ali Bhutto par des militaires putschistes...qui réclamaient une stricte observance de la loi coranique.; en juillet 1979, la décision américaine d'armer clandestinement les moudjahidines islamistes afghans, en novembre 1979, l'assaut contre la grande mosquée de La Mecque...; en décembre 1979, l'entrée en Afghanistan des troupes soviétiques...page 219

Dans les dernières semaines de 1979, - encore cette année là - le 4 novembre, un dimanche, des centaines d'étudiants iraniens envahissent l'ambassade américaine à Téhéran, où ils se  saisissent  de cinquante-deux otages, et  entament " une occupation  révolutionnaire " des locaux.  page 236

Ce qui caractérise l'humanité d'aujourd'hui, , ce n'est pas une tendance à se regrouper au sein de très vastes ensembles, mais une propension au morcellement, au fractionnement, souvent dans la violence et l'acrimonie. page 245
On l'observe dans la société américaine...on l'observe dans l'Union européenne, qui a été ébranlée par la défection de la Grande- Bretagne comme par les crises et les tensions liées aux migrations. ..
Il me semble qu'il y a , au sein de chacune de  nos sociétés, comme au niveau de l'humanité entière, de plus en plus de facteurs qui fragmentent, et de moins en moins de facteurs qui cimentent. .page 246
 
Devenir, pour tous les pays du monde, une sorte de puissance "parentale"  guidant les uns,  admonestant les autres, n'ayant d'autres ennemis que ceux du genre humain, - ce rêve missionnaire  a toujours existé parmi les responsables américains, et il s'était manifesté au lendemain de la Première Guerre mondiale, puis au lendemain de la Seconde. Les Etats-Unis avaient œuvré à la reconstruction e l'Europe grâce au plan Marshall,; ainsi qu'à la transformation du Japon, en une puissance pacifique et démocratique. page 278
 
Comme tous mes contemporains, au cours de décennies écoulées, j'ai vu se déployer  sur la scène mondiale, une Amérique aux innombrables visages. Une Amérique généreuse et une Amérique mesquine. Une Amérique arrogante et une Amérique timorée.  Une Amérique blessée, un certain 11 septembre...Deux ans, plus tard, lors de la guerre d'Irak, une Amérique vicieuse, cynique, destructrice, insupportable. page 280
 
Nous conservons pieusement la légende selon laquelle la transmission se fait "verticalement"; d'une génération à la suivante, au sein des familles, des clans, des nations et des communautés de croyants; alors que la vraie  transmission est de plus en plus "horizontale", entre contemporains, qu'ils se connaissent ou pas, qu'ils s'aiment ou se détestent.  page 291
 
...dans une œuvre littéraire, ce n'tait pas le message que l'auteur avait souhaité nous transmettre, mais les nourritures intellectuelles et affectives que chaque lecteur pouvait  y puiser.  page 307
 
Il est clair que nous sommes entrés dans une zone de tumultueuse, imprévisible, hasardeuse, et qui semble destinée à se prolonger. La plupart de nos contemporains ont cessé de croire en un avenir de progrès et de prospérité. Où qu'ils vivent, ils sont désemparés, rageurs, amers, déboussolés. Ils se méfient du monde bouillonnant qui les entoure, et sont tentés de prêter l'oreille à d'étranges fabulateurs.    page 324
 
 

lundi, août 26, 2019

STARLIGHT ( Richard Wagamese) 2019

( Voir Les Etoiles s'éteignent à l'aube que j'ai lu en fin mars 2019)
 
Quand Franklin Starlight ne s'occupe pas de sa ferme, il part photographier  la vie sauvage au cœur de l'Ouest canadien. Mais cette existence rude  et solitaire change lorsqu'il recueille  sous son toit, Emmy et sa fillette Winnie, prêtes à tout pour rompre une existence  sinistrée.
Starlight emmène les deux fugitives dans la nature, et leur apprend à la parcourir, à la ressentir, à y vivre. Au fil de cette initiation, les plaies vont se refermer, la douleur va laisser la place à l'apaisement et à la confiance. Mais, c'est compter sans Cadotte, l'ex-compagnon alcoolique d'Emmy, résolu à la traquer jusqu'aux confins de la Colombie - britannique.
Dans ce roman solaire et inspiré, on retrouve Frank, le héros désormais  adulte Les Etoiles s'éteignent à l'aube.
 
Appartenant à la tribut des Ojibwés, Richard Wagamese est l'un des principaux écrivains canadiens, récompensé à de nombreuses reprises pour son travail littéraire et journalistique. Découvert en français avec Les Etoiles s'éteignent à l'aube, et Jeu blanc, Richard Wagamese  est décédé en 2017, laissant en testament littéraire Starlight, son ultime roman.
 
Le Vieil homme, personnage des Etoiles s'éteignent à l'aube est décédé, Frank revient avec l'urne qui contiennent ses cendres .)
" Mon Dieu, dit-il, je ne m'étais jamais rendu compte avant ce jour combien cette maison avait besoin de ta présence".
Des larmes lui brûlaient les yeux et il secoua la tête pour s'en débarrasser. Il avait réussi à les retenir tout le temps des obsèques. Rien que lui, le pasteur, trois fermiers du coin et les cinq femmes formant le chœur de l'église.  page 8
 
A présent, la chaleur chassait la raideur qu'il avait en lui; il se frotta les yeux, ramassa l'urne et la serra contre lui, la berçant d'avant en arrière, en chantant d'une voix rocailleuse l'unique gospel que le vieil homme connaissait, l'histoire d 'une maison qu'il n'avait jamais vue,  au-delà de la rivière. Il laissa finalement venir les larmes et pleura tout son saoul, puis, il se leva alla dans s a chambre et se changea. Il aliment ale feu, souffla les bougies, et, portant l'urne dans ses bras, traversa la cour jusqu'à l'écurie où les chevaux, dans leurs stalles, têtes posées sur les balustrades supérieures, étaient semblables aux tableaux des ancêtres dans un grand corridor, assistant à la procession du défunt. pages 9 et 10

Il avait appris la frugalité et l'économie auprès du vieil homme: ils n'avaient toujours eu que le nécessaire. Pas de surplus. Rien n'était perdu. Rien n'était gaspillé. Les cartons contenaient tout ce que le vieil homme avait possédé....page 11
La ferme était le seul monde qu'il eût jamais connu. Elle paraissait vide, étrangère, sans le vieil homme. Il y avait un tout autre monde là-bas, derrière la vallée où elle se trouvait.  page 12
 
Cadotte était l'homme avec lequel elle  vivait depuis trois ans. C'était lui qu'elle craignait le plus. Une brute bouillonnant dans un silence et un calme palpables qui pouvaient remplir une pièce de leur infinie méchanceté. Il était grand, costaud, mais comparé à la corpulence  d'Anderson, il paraissait minuscule. Ensemble, ils étaient redoutables. C'étaient des hommes sauvages...Page 19
"Maman, dit-elle, partons" page 23
 
(Une meute de loups) Le grand mâle se retourna pour regarder par-dessus son épaule. Starlight vit le chatoiement de ses yeux et se sentit pétrifié par ce regard. Il s'arrêta et demeura debout, en pleine lumière, dos à la paroi. Le vide était derrière lui. Le clair de lune. Il n'avait nulle part où aller, il resta donc là, il respira, attendit et observa le loup qui gardait les yeux fixés sur lui, ouvrait la gueule, laissait pendre sa langue et soufflait si fort, qu'un instant, Starlight eut l'impression qu'il riait, puis, il tourna la tête et examina les arbres sur le replat.  Les autres étaient patiemment assis. Aucun nese retourna. Le leader se releva lentement, fit le dos rond, s'étira et les autres l'imitèrent. Ensuite, ils démarrèrent. De concert. Il s'émerveilla devant cette capacité à communiquer par la pensée, leur langage imperceptible; façonné par le pouvoir de l'intention; quand ils se furent éloignés, il repartit à grandes enjambées et les suivit. page 26
Le loup se rassit et sembla étudier le panorama. Puis, il souleva son nez et lança un hurlement glaçant face  à la lune et aux étoiles éparpillées autour. C'était un cri aigu et perçant qui amena tous les autres à s'asseoir, les yeux rivés sur le grand disque d'argent. Starlight fit glisser le sac de son dos, en sortit un appareil photo et un téléobjectif, qu'il s'empressa de visser sur le boîtier. Il se dégagea sur le côté de façon à voir les loups de profil. Ils restèrent immobiles. La douzaine qu'ils étaient, comme des condisciples réunis devant un sanctuaire. Il s'agenouilla, fit le point....Quand il ( le loup) ouvrit la gueule pour hurler, il le laissa japper les premières syllabes, puis , appuya sur le déclencheur en cet instant rare et singulier. Les loups se retournèrent au bruit émis par l'appareil. Ils étudiaient Starlight....Ils se mirent à hurler. Il le ressentit dans sa colonne vertébrale,. Il le ressentit dans son ventre.  page 28
Emmy trouva un petit bout de crayon et un sac en papier kraft, sur lequel elle griffonna un mot:
" On est désolées pour les dégâts. On avait juste faim, c'est tout, et on  a pris que la nourriture. pardon" (elles ont pénétré dans une maison) page 36
 
" La terre se traite en égal, finit-il par dire. Si tu passes un peu de temps seul ici, comme je l'ai fait toute ma vie, elle te parle, elle te livre des secrets auxquels la plupart des gens n'ont jamais accès". (Starlight) page 41
 
C'était un homme économe. Son éducation lui avait appris à connaître la valeur des choses, mais aussi à la relativiser en l'aidant à comprendre ce qu'est l'application et avoir conscience que son propre travail lui assurait l'essentiel et le nécessaire. C'était du bon sens paysan et il en était fier. S'il était taciturne, c'était dû aux mots qu'il trouvait en général inadéquats et embarrassants, alors il préférait la réserve. page 56
 
Il aimait venir en ville. Il se réjouissait de connaître les gens avec lesquels il traitait, leurs histoires, leurs familles, leurs visages apparemment taillés dans la même étoffe que la ville elle-même: rougeauds, honnêtes, pas corrompus par des choses comme le progrès et le temps. Les quelques fois où il se rendait à l'église, le dimanche,  étaient des moments d'échanges et il se sentait fier d'être connu et reconnu.  Depuis que le vieil homme était mort et qu'il avait fait ce demi-tour au bout du chemin, l'idée d'aller ailleurs ne l'avait jamais plus effleuré. C'était ici chez lui et tous ces gens étaient sa famille. Il se disait vieux jeu. Si c'était le cas, il pouvait s'en accommoder. Son statut de célibataire lui accordait plus de crédit qu'il ne suscitait de commérages. Même le fait qu'il fût indien n'était qu'un des ingrédients du riche  salmigondis qui constituaient  le mot " terre natale". page 58
 
Eh bien , transcender signifie surpasser, s'élever au-dessus. Ton travail aide les gens à transcender la qualité  de leur vie. Ton travail les élève, les transporte et les emmène littéralement au-delà de ce qu'ils croient reconnaître. C'est la marque d'un véritable artiste. page 362 ( Starlight montre ses photos de loups à un photographe professionnel)

(Emmy et sa fille Winnie ont été prises à voler dans un magasin et sont au commissariat)
" ...Frank, ou Mr Starlight, cherche une gouvernante. Il y a de la place pour vous et votre fille dans sa ferme. Ils sont deux à y vivre. Starlight et Mr Roth....
Elle se tourna vers Frank qui baissa la tête en face de son regard. " Pourquoi faites-vous ça? "
...."Pour la petite" finit-il par dire.
Il observa Emmy.
" Et parce que je crois que les choses sauvages m'attirent". page 93
 
(Jeff et Anderson sont sortis de l'hôpital, Emmy avait mis le feu à la cabane avant de s'enfuir  avec sa fille).
- Mais on va la r'trouver.
- Et comment qu'on va la retrouver. Je vais lui en faire baver à cette salope. Et elle a  cramé ma turne". page 94
 
-Donc, j'aimerais qu'on mette les choses au point, dit Roth. Tu vas en ville chercher du beuure et des œufs et tu reviens avec une femme et une fillette?
- En résumé, c'est ça, répondit Starlight.
- Bon, alors, ça met les choses au point. je ne pourrai plus jamais te laisser partir en ville tout seul.
- Elles avaient besoin d'aide.
- On n'est pas exactement c'que j'appellerai du genre  "dîner à six heures" apporte-moi mes pantoufles."
- ça n'a pas besoin d'être comme ça.
 - Comment tu vois les choses?
- Voilà ce que je pense: elle nettoie, fait la lessive, prépare les repas et nos déjeuners  pendant un temps...Quand elles auront économisé assez d'argent pour déménager et s'installer, elles partiront et rien n'aura changé.  page 97
 
"C'est une maison de célibataire quand le vieil homme habitait ici. C'est encore le cas. On n'a jamais envisagé qu'il y aurait une femme, ajouta Starlight.
- C'est une bonne chose, ce que vous faites. Vous le  savez , non? Là où elles squattent, ça ne pouvait convenir à personne.
- ça m'a paru normal, c'est tout.  page 104
 
...Le plus important, c'est de vous dire merci. Merci de nous avoir amenées ici. Merci de m'aider à mettre les choses en ordre pour ma fille. Nous ne vous  dérangerons pas.
 - Vous ne m'avez pas demandé ce que je vous devais, ajouta Starlight.
- C'est moi qui vous dois quelque chose, répliqua-t-elle. Un salaire?  Bon sang, ce serait génial. page 106 
 
Il conduisait de façon détendue et sans se presser afin que la petite puisse voir le plus possible de paysage. le silence entre eux avait quelque chose d'un être vivant.  page 114
..." Vous n'êtes pas si vieille que ça.
- C'est pas tant d'années. C'est comment on les ressent. page 116
...Moi, je n'arrive pas à imaginer qu'une histoire soit sans aspérités. la mienne ne fait pas exception.
- C'est un bon mot, aspérités.
- Il résume bien les choses en quelque sorte, non?
- D'une certaine façon" répondit-elle.  page 117
 
Il était attiré par les gens. Il (Frank) les trouvait fascinants. Ils étaient aussi particuliers que les créatures sauvages  et il admirait chez eux les germes de sauvagerie qu'ils révélaient lorsqu'ils ne faisaient pas la chose attendue ou appropriée. page 118
 
(Maddie, assistante sociale) ) Ce que je voulais dire, c'est que vous n'êtes pas des hommes typiques. Vous êtes dur et bourru, Eugène, mais vous êtes docile et doux au fond. Et Frank, vous avez toujours été poli, bien élevé et fort. Vous êtes tous les deux des gentlemen. Vous n'avez pas besoin de vous forcer. Vous ne faites pas semblant. Vous êtes juste de bons gars par nature. Je pense que c'est ce qu'elles (Winnie et Emmy) ont besoin de voir au quotidien, parce que, je suis convaincue que ce qu'elles ont vécu est à l'opposé. page 138
 
J'vais vous dire quelque chose à propos de Frank, rétorqua Roth. S'il y a jamais eu un homme qui puisse assurer la sécurité de quelqu'un n'importe où , c'est lui.  page 151

(Emmy embauchée chez Frank lui fait acheter un congélateur, un lave-linge, un sèche-linge, un nouveau réfrigérateur) Il s'était habitué à prendre ou à acheter ce dont il avait besoin quand il avait besoin, si bien que l'idée de conserver et de stocker était nouvelle et étrange pour lui. page 164

- Je ne connais pas les trucs indiens. Je n'ai pas été élevé là-dedans. Mais j'ai appris à connaître la nature et la façon dont elle m'emplit. J'ai appris à connaître le calme. Au bout du compte, je crois que j'ai appris à connaître un peu la paix, la rectitude et à respecter l'ordre des choses. page 167

La  nuit était profonde quand Starlight se leva pour aller dans la forêt.
- Où va - t-il? demanda - t-elle
- Si jamais vous arrivez à le savoir, vous me direz, répliqua Roth. Là-bas; il se retrouve.
- Plus qu'à la ferme?
- La ferme, c'est où il habite. Ici, c'est chez lui.
.... -
 Il n'a jamais raconté ce qu'il faisait tout seul pendant tout ce temps?
-  Non. Mais j'ai entendu un mot quand j'étais jeune et qu'on m'obligeait à aller à l'église. Communion, c'était. ..Il me semble que communion, ça veut dire être en accord avec quelque chose, c'est approcher. Avoir l'impression que chaque partie de vous-même est en harmonie avec tout cela. C'est ce qu'il fait là-bas. Il entre en commun ion. page  184

"Le vieil homme avait l'habitude de dire que la terre nous apprendra toujours ce qu'on doit savoir, commenta -t il.
- Il vous manque?
Starlight l'observa un instant...
"Je ne sais pas si c'est le cas. On venait si souvent ici ensemble que les choses que je connais sont reliées à lui. Je ne peux sentir le vent sur mon visage sans penser que c'est lui qui me touche; Je ne peux pas entendre un orignal au loin sans imaginer qu'il est en train de me parler par le biais de cet hurlement. Ce genre de choses. j'ai toujours l'impression qu'il est dans tout cela. Alor, je viens ici et ça me réconforte.
- Vous donnez l'impression de l'avoir beaucoup aimé.
- Comme je disais, il était mon père, même si ce n'était pas le vrai. page 205
 
On aurait dit qu'il (Starlight) bougeait dans la sérénité. Il y avait une vibration en lui. page 212
 
(Roth à Starlight) La gratitude? C'est longtemps que c'est fini, Frank. Tu lui as donné accès à la nature. Tu as réveillé des choses qu'elle avait toujours ignoré avoir en elle. Tu lui as montré que les hommes ne sont pas tous comme ce à quoi elle s'était habituée. Tu lui as appris que la vie peut être différente. Meilleure. Tu lui as montré comment accéder au possible et tu l'as fait avec la même douceur qu'avec un poulain pas encore débourré. Ouais, la gratitude, elle est partie bien loin , à présent, mon vieux. Et tu portes en toi le même désir et tu ne sais pas quoi en faire non plus.
- Je n'ai jamais eu de femme. Tu le sais .dit Starlight.
- Je sais. ça ne veut pas dire que tu n'as jamais éprouvé de désir pour une femme.
- Avec elle, je me sens maladroit, ça c'est sûr.  page 232
 
"J'ai longtemps gardé le vieil homme ici après sa mort. Ses cendres, je veux dire. J'ai gardé son urne sur une étagère de la sellerie parce que je ne savais pas où il aurait voulu que je les répande. Il m'a fallu deux ans environ pour le déterminer. mais parfois, c'est comme si je le sentais auprès de moi. Rassurant. Vous saisissez?
....Ce qu'il y a de drôle, c'est que l'endroit sur lequel j'ai arrêté mon choix n'était même pas ici, ni nulle part sur la propriété.
- C'était où alors?
 - Un lieu où le vieil homme n'avait jamais été. A deux jours de cheval d'ici. Dans le pays d'en haut où personne ne va jamais. Pas même les quads et les motos....Alors je l'ai emmené là-bas.....J'ai répandu ses cendres dans la brise et je les ai laissées se poser sur toute cette beauté. J'avais l'impression de le sentir à côté de moi quand j'ai fait ça, et je savais que c'était le bon choix. page 235
 
En Cadotte couvait un  copieux venin. Il y avait chez Anderson une part de lui-même qui comprenait et craignait cette noirceur.  page 241
" Tu es violent et de plus en plus.
- Quoi, J'me défoule un peu, c'est tout.
- Non. T'as dépassé ce stade , il y a trois villes. A présent, tu es une vraie brute page 242
 
(Starlight, Roth, Emmie et Winnie sont à Vancouver pour l'exposition des photos de Starlight) Ses photos étaient disposées sur les murs et sur des présentoirs pyramidaux placés stratégiquement autour de la pièce principale afin de favoriser leur observation de près. Il n'en avait jamais vu une telle quantité exposée à la fois et il fut  surpris de constater qu'il avait capté autant de choses.....page 255

Je ne leur demande ( aux bêtes sauvages) pas le moins du monde de poser, de se faire belles, ni de se transformer pour me plaire. Juste me laisser saisir un tout petit peu de ce qu'elles sont vraiment...La récompense c'est de savoir qu'en même temps, je saisis un  petit peu de ce que je suis moi-même...page 260

lundi, août 19, 2019

APRES LA NUIT ( Catherine de Saint-Phalle)

Ce matin-là, Renée s'éveille tôt dans Lyon  encore endormi. Sa décision est prise, elle s'en va. Elle a enfin trouvé le courage  de quitter l'homme aux côté de qui elle ( sur) vit depuis quinze ans, et l'énergie  de brise le maléfice  d'un malheur inavoué. Elle part avec Henri , son fils cadet, alors que Louis, l'aîné, est aux Etats-Unis pour l'été.
Renée veut oser le bonheur: elle était à peine installée avec  André, quand elle a rencontré , à la sortie d'un des concerts européens, Lane Williams, qui allait devenir l'amour de sa vie, et le père de ses enfants. Il est violoncelliste, vit sur une plage, en Floride, dans une étrange solitude habitée par se musique et sa vieille  voisine May.
Pendant quinze ans, Renée et  Lane se sont retrouvés , au gré des récitals. Leur rencontre  improbable, la construction  de leur histoire, la conception de ces deux enfants dont Lane ignore qu'ils sont de lui apparaissent tout au long  du récit comme les nécessaires étapes d'un bonheur futur.
Avec la tranquille certitude  que la lumière  existe, Catherine de Saint-Phalle écrit un livre audacieux et inspiré: par la grâce de ses personnages diablement humains, et la musique d'une écriture  qui nous embarque  dans des contrées familières de nos sentiments et de nos désirs, elle dit avec force, que les gens heureux ont une histoire.

mercredi, août 14, 2019

LE PROMENEUR D'ALEP ( Niroz Malek.) 19

"Assis à ma table, j'ai entendu le bruit des balles provenant du barrage proche. Puis, tous les barrages du quartier se sont mis à tirer. J'ai lâché ce que j'avais en main - un stylo , car j'écrivais. Je me suis précipité vers le couloir pour me mettre à l'abri. j'ai entendu le bruit des roquettes et d'autres armes, des balles et des projectiles qu'on lançait vers le ciel comme pour chasser les étoiles de leur page noire.
J'ai commencé à perdre espoir de voir la fin des tirs. Je me suis servi un verre d'eau et j'ai bu une gorgée. "