mardi, mai 05, 2009

LES PLAINES DE L'ESPOIR (Alexis Wright)

Quelque part, dans le Nord de l'Australie, une jeune Aborigène est un jour arrachée à sa mère pour, comme tant d'autres, être placée à l'orphelinat d'une mission religieuse qui se chargera de lui "blanchir" l'âme. Folle de douleur, la mère se suicide; dès lors, plane, sur la mission une sorte de malédiction, symbolisée par l'inquiétante présence de corbeaux sur un arbre.
Au début, la mère d'Ivy avait été placée dans le quartier des hangars de tôle ondulée qui abritaient plusieurs familles entassées, ainsi que des femmes seules, avec ou sans enfants. C'est là qu'Ivy lui avait été enlevée. L'enfant avait été classée parmi les "métis" par les patrons de la Mission, et à ce titre, ne pouvait rester avec les autres. Leur raisonnement était le suivant: "Ce serait une mauvaise influence sur ces enfants. Nous devrions être en mesure de les sauver de leurs semblables. Si nous réussissons, nous pourrons les placer dans le monde extérieur, afin qu'ils fassent quelque chose de leur vie. Et il va de soi qu'ils choisiront d'épouser des Blancs. Le Ciel soit loué. Car leurs enfants seront plus Blancs qu'eux et par là même davantage susceptibles d'être rachetés à l'image de Dieu le Père Tout Puissant. page20
Beverley, la femme de Jipp (le pasteur) se prélassait à l'ombre de son jardin., dans le décor enchanteur des violes et des roses obtenus, au prix de durs efforts, par ses pétunias et ses dahlias boutons. Elle n'imaginait pas devoir quitter la Mission définitivement. Que feraient les habitants s'ils s'en allaient? Ces gens étaient entre leurs mains: pour des hommes tels qu' Errol, (le pasteur, son mari) servir Dieu en sauvant ses âmes noires d'elles-mêmes, en les sauvant du paganisme, était la plus sublime des vocations...La preuve en était faite. Il suffisait de voir tous les fidèles se presser le dimanche et les mines pieuses des enfants. page 25
"On respecte la loi...on respecte toujours la loi...seulement, on fait plus comme avant...c'est tout." déclara-t-il (Elloit, un Aborigène de la Mission)aux femmes silencieuses. page 65
Une bonne correction de temps à autre, voilà ce qui ferait le plus grand bien à cette gamine, se disait-elle. Mais personne n'avait plus le droit de fouetter les enfants. C'était les missionnaires qui s'en chargeaient. Avec une lanière de cuir. Instruction et punitions sous toutes leurs formes relevaient de leur domaine. page 67
La nuit se décompose en différents stades de chaleur. Au début, la terre retient l'énergie du soleil, irradiant une chaleur inconfortable.- il est impossible de dormir sur ce sol brûlant. Des heures plus tard, il se rafraîchit: la terre sèche, friable, soupire et s'étire en immenses bâillements. C'est le moment qu'attendent les créatures et les hommes, ces grands diables de pierre rouge, pour s'étendre sur la mère endormie. L'heure où résonnent les craquements et les gémissements des grands esprits qui s'éveillent. Rochers, arbres, collines et rivières- tous sont éveillés à cette heure-là. Délivrés de leur torpeur de la journée, les esprits de la terre circulent d'un endroit à un autre. L'air, le ciel s'animent de ces esprits ancestraux. Tout en supportant patiemment une nouvelle nuit de veille, Elliot savait qu'il valait mieux chanter leurs chants et implorer leur bienveillance. Personne n'était plus capable de veiller sur la terre, pas en permanence du moins, comme cela se faisait autrefois. La vie avait tellement changé depuis que les Blancs s'étaient tout approprié. C'était comme une guerre, une guerre non déclarée. Et les Aborigènes étaient enfermés dans leurs camps d'internement, comme des prisonniers des deux guerres mondiales. Mais personne ne parlait de guerre: c'était comme ça, un point c'est tout. Protection, assimilation...autant de mots différents qui tous équivalaient à l'annihilation. L'homme blanc était disposé à payer pour avoir le tout. Mais il ne voulait pas payer pour la culture de l'homme noir, pour sa pensée. Ni pour la lente disparition de la langue de l'homme noir qui avait perdu tout lien à son pays traditionnel...devenu une terre d'élevage de bétail ou une mine prospère. Les Blancs voulaient que tout le monde devienne blanc, pense blanc. De peau, tout. Et ils étaient prêts à promettre des dédommagements, même s'ils estimaient que le préjudice était négligeable. Ils n'avaient pas l'impression d'en avoir pour leur argent- c'était autre chose que d'acheter des graines ou du bétail. Mais personne ne pouvait changer la loi...- aucun étranger ne pouvait changer l'essence de la terre. Aucun Blanc n'en avait le pouvoir. pages96, 97
Elliot sentait chez ces gens (lors de son voyage) une autorité qui exigeait de lui une forme de politesse qu'il réservait d'ordinaire aux missionnaires. page 132

lundi, mai 04, 2009

LES MAREES DU FAOU (Philippe LE GUILLOU)

Le regard que l'on porte sur l'enfance est ce qu'il y a dans l'être de plus intime, de plus révélateur et de plus secret aussi que le désir, la quête spirituelle ou les failles et les mystères qui nous poussent à créer. page 20
Il (Gabriel, le grand'père maternel de l'auteur) s'installait sur un banc, il regardait le large, seul ou en compagnie de quelques anciens de la Marine qu'il trouvait là, cette petite société parlait peu, elle contemplait, jusqu'à l'hébétude, les rouleaux d'écume et les courants qui ridaient le flot. Rien ne valait pour lui ces instants d'adoration muette. La mer, en fin de journée, était blonde, presque dorée, c'était d ela bière ou une émulsion d'or qui arrivait des lointains de Camaret et de la Pointe des Espagnols, elle remplissait le port, la saignée de la rivière, elle venait lècher les assises de l'église, dont elle inondait régulièrement les fondations. Gabriel n'avait pas besoin de parler. Les cochou ne l'intéressaient plus. Il retrouvait la prégnance de ce mouvement mystérieux, les cadences de cette horloge marine qui avait rythmé sa vie tout au long des longues missions. Il ne savait plus où il était, mais une certitude l'éperonnait: il n'était pas au Faou, sur le môle de l'église, entouré de vieux ivrognes ressassant. Il était ailleurs, très loin, très en amont, auprès d'une eau blonde et mousseuse, dans les ports de l'ancienne Chine peut-être. Des femmes aux yeux verts et au corps de soie l'attendaient .Il était bien loin de ce Finistère où il avait souffert, où on l'avait désigné du doigt parce qu'il n'était pas tout à fait comme les autres. page 70