mercredi, juillet 31, 2019

CHINA DREAM ( Ma Jian) 2019

"Le rôle de l'écrivain consiste à sonder les ténèbres et par-dessus tout la vérité. J'ai écrit ce roman  motivé par ma colère contre les fausses utopies qui asservissent et infantilisent la Chine depuis 1949".
 
Mélangeant fiction et réalité, le nouveau roman de Ma Jian dresse le portrait de la Chine d'aujourd'hui livrée au "rêve chinois" du président Xi Jinping et à l'amnésie imposée par l'Etat. Sous les allures d'une fable cruelle, l'auteur dévoile l'une des facettes les plus implacables de la tyrannie qui consiste à tenter d'effacer la mémoire, à éradiquer tout événement passé qui pourrait gêner la marche du pouvoir. Un chef - d'oeuvre de subversion et de  drôlerie.
 
Les utopies mènent toujours aux dystopies et les dictateurs finissent invariablement par se changer en dieux exigeant une adoration quotidienne. page 10
L'expression "lavage de cerveau" a été inventée par les communistes de Chine....Des décennies d'endoctrinement, de propagande, de violence et de tromperie ont rendu le peuple si apathique et confus qu'il ne sait plus différencier les faits de la fiction.  Les gens ont fini par gober que le miracle économique national était dû aux chefs du Parti et non aux légions de travailleurs sous-payés.  page 11
 
Maintenant que ses souvenirs d 'enfance refoulés ont commencé  à refaire surface, Ma Daode, qui a grandi pendant la Révolution culturelle, haut fonctionnaire chargé de promouvoir le rêve chinois, qui remplacera tous les rêves privés, a peu que son travail soit mis en péril. Son moi passé et son existence présente sont aussi opposés que l'eau et le feu. page 16
 
Son autre téléphone sonne. "Bonjour Monsieur le directeur Ma. Ceci vient d'apparaître dans la section commentaires du site du rêve chinois: " Pendant la réunion u matin, ils ronflent; le midi, ils rotent, l'après-midi, ils baillent; pendant les heures supplémentaires, ils jouent; le soir, ils couchent avec des putains,; la nuit, ils rentrent et battent leur femme...." page 24
 
Avant la création de la République populaire de Chine, en 1949, nous avons subi cent ans d'humiliations: l'incendie du Palais d'été au viol de Nankin, nous avons été battus, persécutés et massacrés par les impérialistes occidentaux. Puis le Président Mao a pris le pouvoir et proclamé que le peuple chinois ne se laisserait plus faire. Aujourd'hui, après soixante ans sous le régime communiste, le peuple chinois fait la course en tête. page 34
 
La Présidente de la Division des Femmes parle avec un fort accent rural.  Autrefois,  gynécologue au Bureau du Planning Familial,  du comté, elle avait reçu le titre d'"Employée modèle" en réalisant  soixante-quatre avortements le même jour. page 38
 
"Remplacer les rêves personnels par le Rêve Chinois collectif constitue l'objectif principal de notre parti." dit le maire Chen. page 44
 
" C'est moi, Genzai. "dit le jeune homme. Il s'approche de lui. " "Attendez, c'est vous le vieux Ma? Comment avez-vous fait pour engraisser autant? "...
- Ah,  Genzai, c'est toi! dit Ma en adoucissant le son de sa voix dans l'espoir de se faire mieux voir. Ton cher père , le vieux Yang, était comme un père pour moi. Il se porte bien, j'espère.
- Père m'a dit  que depuis que vous êtes devenu fonctionnaire municipal, vous avez oublié  vos vieux amis de Yaobang.....Comme dit le proverbe, :"Quand tu bois de l'eau , n'oublie jamais qui l'a puisée". page 73
 
(Da est dans son village natal, celui-ci doit être rasé et les habitants se rebellent) "Inutile de discuter avec des fonctionnaires corrompus comme vous, dit l'informateur  à la casquette rouge. Vous ne comprenez pas: si nous ne pouvons cultiver nos terres, nos tracteurs et nos charrues vont rouiller jusqu'à l'os;
- Toi, tu te gaves de mets raffinés maintenant, Ma Daode, mais nous ne sommes que de modestes paysans. Si tu confisque notre terre, nous n'auront plus rien. Comment veux-tu que nous achetions des maisons dans le nouveau village avec la maigre compensation que tu nous offres?  page 76
"Arrêtez de vous accrocher à vos pauvres rêves de clans, répond le directeur Ma. Embrassez le Rêve chinois, puis le Rêve Global et le monde sera à nous; Vous pourrez partir en Europe et vivre dans le château ou la propriété de votre choix."
- "Vous croyez que vous pouvez nous avoir avec ces conneries" hurle Genzai.  page 78
"Mes chers compatriotes, je m'appelle  Ma Daode et j'ai passé quatre ans ici durant la Révolution culturelle à travailler dans les champs et enseigner à l'école du village.  Avant cela, durant la Grande Famine, j'ai vécu ici avec mes parents pendant six mois. J'aime ces montagnes et ces rivières autant que vous...Je ne suis pas venu ici pour vous forcer à évacuer, ce n'est pas mon rôle. Non, je suis simplement venu vous prévenir que l'équipe de démolition arrive à midi. Si vous résistez, vous devrez subir les conséquences: la misère, la perte de vos logements, et même la mort. Mais si vous partez sans violence et accepter d'être temporairement relocalisés ailleurs, des centaines de postes vous tendront les bras sur la nouvelle zone industrielle. Le Rêve Chinois de Renouveau National sera en marche! Mes chers compatriotes".
- N'essaie pas  de nous entourlouper!...page 84

(Da rentre chez ses parents: il se souvient). Sur une chaise, dans un coin d e la pièce, se trouvait une  pancarte sur laquelle on pouvait lire: A BAS LE VILAIN DROITIER MA LEI et un grand bonnet d'âne. Mon père assis sur son lit, à la lumière d'une lampe, écrivait une lettre. Ma mère arrive avec une bassine pleine d'eau chaude stérilisée au permanganate de potassium violet. Elle a dit à mon père d' étendre les jambes. Ses rotules ensanglantées étaient criblées d'éclats de charbon. Ma mère m' a murmuré: " Viens m'aider à lui maintenir les genoux, Daode. " mais je l'ai ignorée. Elle a lavé les genoux de Père avec  de l'eau  désinfectée ....Mon père tremblait de douleur, mais il n'a pas laissé échapper le moindre son....Cet après-midi là, les Gardes Rouges l'avaient forcé à s'agenouiller  sur des charbons ardents. j'avais dressé une barrière politique entre ce vieux  droitier du nom de Ma Lei  et moi, et je ne pouvais pas me permettre  d'aider ma mère à panser  ses plaies. page 108 (le lendemain matin , son père et sa mère sont retrouvés suicidés dans le grenier) pages 107, 108

( Des souvenirs lui reviennent) ma famille et moi avons vécu à Yaobang pendant seulement six mois.  durant la Grande Famine et je n'avais que huit ans, mais quelques souvenirs me reviennent encore parfaitement. Je me souviens des villageois qui pelaient l'écorce des arbres et la mangeaient pour ne pas mourir de faim et je me souviens d'avoir vu la mère de Tianmu, la petite fille avec laquelle je me rendais à l'école du village, assise sur le perron  de sa maison , raide morte, les mains encore agrippées à un bol vide  page 120
 
Il (Ma) a besoin de quelques instants de paix pour décider quoi faire au sujet du conflit interne. " Oui, je dois tuer l'un des deux moi. Le moi du passé, bien entendu. Mais comment éradiquer le passé? Mon  Implant du Rêve Chinois ne sera pas fabriqué avant des mois. Je ne peux pas attendre  si longtemps: ces deux Daode se livrent un combat acharné et finiront par se détruire avant que cela arrive. ...." page 134
 
Il ne supporte plus le moi adolescent  qui s'immisce dans ses pensées, car à cause de lui, il a perdu sa voiture avec chauffeur et il a été suspendu. "Si je ne détruis pas mon moi du passé, je vais tout perdre". page 153
"Quand l'Orient Rouge m'a pris sous son aile, j'ai coupé les ponts avec ma famille et j'ai dévoué tout mon être au Président Mao. Même si je rentrais parfois en douce chez moi, pour un repas chaud et une bonne nuit  de sommeil, je n'ai plus adressé la parole à mes parents, même pas le dernier soir qu'on a passé ensemble avant qu'ils se donnent la mort. "page 178
"Mon père a été condamné et roué de coups de nombreuses fois dans les mois qui ont suivi, tout comme des millions d'autres personnes, mais elles ont su garder espoir. Le jour où on m' a demandé de rentrer, pourquoi mes parents  ne nous ont-ils pas prévenus, ma sœur et moi, qu'ils allaient se suicider? Bien sûr, mon père ne s'est jamais remis de ma trahison, lorsque j'ai demandé aux Gardes Rouges  de saccager notre maison.." Ma Daode se  sent pris de remords . Il aimerait s'approcher de ses parents et les serrer dans ses bras. page 185
 

mercredi, juillet 24, 2019

L'ENVOL DU MOINEAU ( Amy Belding Brown) 2019

D'après des faits réels, le superbe  portrait d'une femme découvrant la liberté au milieu des Indiens.
 
Colonie de la baie du Massachusetts, 1672, Mary Roswlandson vit dans une communauté de puritains, venus d'Angleterre. Bonne mère, bonne épouse, elle souffre néanmoins de la rigidité de la morale étouffante qui règne parmi les siens. Si elle essaie d'accomplir tous ses devoirs, elle se sent  de plus en plus comme un oiseau en cage. Celle-ci va être ouverte d'une façon violente lorsque des Indiens attaquent son village et la font prisonnière. Mary doit alors éprouver  le quotidien terrible de  cette tribu en fuite, traquée par l'armée. Contre toute attente, c'est au milieu de ces "sauvages" qu'elle va trouver une liberté qu'elle n'aurait jamais imaginée. les mœurs qu'elle y découvre , que ce soit le rôle des  femmes, l'éducation des enfants, la communion avec la nature, lui font remettre en question tous ses repères. Et pour la première fois, elle va enfin se demander qui elle est et ce qu'elle veut vraiment. Cette renaissance pourra-t-elle s'accoutumer d'un "retour à la normale", dans une société blanche dont l'hypocrisie lui est devenue insupportable?
 
Cette magnifique épopée romanesque, inspirée de la véritable histoire de Mary Roswlandson, est à la fois, un portrait de femme bouleversant et un vibrant hommage à une culture bouillonnante de vie, que la "civilisation"  s'est efforcée d'anéantir.
 
Seize ans durant, Mary s'est efforcée d'être une bonne épouse loyale et pieuse pour Joseph Raswlandson. elle a soumis sa volonté à la sienne, accepté ses corrections et régulièrement uni son corps au sien dans le lit conjugal. Elle avait vingt ans lorsqu'ils se sont mariés, dix-sept lorsqu'elle l'a rencontré pour la première fois; page 28
 
Mary avait deux ans  quand sa famille a quitté l'Angleterre en 1639, lors de la grande migration des puritains en Nouvelle -Angleterre, fuyant l'apostasie du roi Charles. page 28
 
Il ( son mari) lui rappelle qu'une femme doit se soumettre à son mari en toutes choses puis l'avertit que si elle s'avise de lui désobéir de nouveau, il la fera mettre au pilori devant le temple. âge 40 
 
Et puis Mary dit ce qu'elle  n'a jamais osé dire en présence de Joseph (son mari) "Si la menace indienne est effectivement le châtiment divin de Lancaster, je suis convaincue qu'il n'a pas été causé par le péché de  Bess, (elle a eu un enfant dont le père est un esclave noir) ;mais par notre manque de compassion envers elle. page 55
 
( le village a été envahi et brûlé par des Indiens, Mary est capturée)
Son ravisseur l'observe et prononce un torrent de mots incompréhensibles. Elle pose un regard interrogateur sur le grand Indien. " Kehteiyomp dit que vous n'êtes plus importante désormais, lui explique - t-il. Vous ne devez pas oublier que vous êtes une esclave".
Une esclave. Le mot lui fait l'effet d'un coup de fouet.  Elle pense immédiatement à Bess et à son amant, un esclave, à l'enfant qui lui a été arraché. Elle se souvient de Bess affirmant que l'esclavage était un mal terrible aux yeux de Dieu, ce à quoi elle avait répondu que c'était au contraire, la volonté divine. A présent, le jugement de Dieu s'est abattu sur elle avec une punition taillée sur mesure. Elle-même réduite en esclavage; elle s'apprête à découvrir les rigueurs de cette vie. page 80
 
Lorsque Weetamoo a fini d'allaiter, elle place l'enfant sur ses genoux et joue longuement avec lui. Mary est incapable de détourner son regard. Elle n'a jamais vu une femme s'occuper d'un enfant avec une telle tendresse. On lui avait appris, alors qu'elle n'était elle-même encore qu'une enfant, qu'une femme doit se garder de se montrer trop affectueuse envers son bébé, au risque de mettre son âme en péril. Aussi a-t-elle toujours pris soin de limiter les marques de tendresse envers ses enfants en public. Elle se souvient pourtant de nombreuses fois où elle les avait dorlotés en secret, lorsqu'elle était certaine que personne ne la voyait. Elle savait alors qu'elle commettait un péché. ...page 95
 
Mary sait que le chagrin est un péché. Joseph a souvent prêché contre ses dangers, réprimandant les fidèles pour leurs attachements émotionnels. ( Mary  a  vu mourir sa fille Marie dans ses bras). page 105

Mary se lave désormais chaque jour, d'abord à la demande d'Alawa, et finalement de son plein gré, car elle en est venue  à apprécier ce rituel, qui l'apaise et la détend. page 118

Elle est surprise  par la fréquence  à laquelle Weetamoo la laisse vaquer à ses propres occupations Elle doit se douter que Mary  sait qu'elle ne pourra survivre seule dans la forêt assez longtemps pour retrouver le chemin de chez elle. Cette indifférence permet à Mary  de jouir d'une liberté peu commune. Durant toute sa vie, elle a vécu sous une surveillance constante, et l'on attendait d'elle travaille u lever au coucher. On lui a appris que l'oisiveté est un péché, et elle a longtemps résisté à sa tentation . Pourtant, dans sa nouvelle position d'esclave, elle n' souvent autre choix que s'y adonner.
Petit à petit, Mary découvre dans cette oisiveté une  étrange dilatation du temps et une conscience  de plus en plus grande du monde naturel. Elle commence à observer les oiseaux...Elle remarque les changements dans les nuages, l'inclination des rayons du soleil....A présent, elle prend conscience que les arbres, les oiseaux, les nuages et les animaux possèdent un sens qui leur ait propre; qui ne dépend en rien des activités humaines. pages 119, 120
 
Mary remarque que, quelle que soit la nourriture qu'ils dénichent, les hommes et les femmes la partagent généralement avec tout le monde, y compris les captifs. Elle trouve cela curieux, ayant toujours pensé que la loi de la nature fait qu'un homme ou une femme affamés ramasseront autant de nourriture que possible en période de disette. Elle est frappée de constater que, parfois, les Indiens se comportent comme des chrétiens, bien qu'ils n'aient pas baptisés. C'est une énigme troublante à laquelle elle réfléchit souvent en tricotant, sans jamais n'être parvenue à l'élucider. page 149
 
Bien que les Nipmucs m'aient capturé, je peux marcher librement, car ils savent que l'esprit d'un homme est libre et qu'il se flétrira si on l'enferme. ( James) page 163
 
 
Elle sait que Joseph lui dirait que cette nouvelle opportunité ( on lui demande de confectionner une chemise pour un bébé)  est le signe de la grâce divine, mais Mary a si peu senti le soutien de Dieu depuis sa capture, qu'elle en est venue à croire, comme Ann Joslin, qu'Il est absent des terres sauvages. page 174

"Je veux retrouver ma liberté".
- Comme cela, ne jouissez-vous pas d'aucune liberté, ici? ( James)
Il y a une nuance inhabituellement dans  sa voix.
" Réfléchissez. Lorsque vous viviez parmi les Anglais, aviez-vous le droit de vous balader à votre guise dans le village? Aviez-vous assez de temps libre pour bâtir votre propre commerce? N'étiez-vous pas constamment sous surveillance? Ne travailliez-vous pas pour votre mari du lever au coucher? "
Elle ne sut que répondre, car il exprime exactement les pensées qui, depuis des semaines, se bousculent dans son esprit. page 184

Jusqu'à présent, elle n'avait observé que le désordre et la malveillance dans les terres sauvages. Comme sa mère et son père avant elle, elle a toujours cru que c'était un lieu abritant le mal et le danger. Pour la première fois, elle se sent captivée par sa beauté. Elle perçoit quelque chose de mystérieux et de saint  tapi derrière le chaos apparent de la forêt. page 188
 
"La bonté rachète nos cœurs, qu'on nous en soit reconnaissant ou non" (Mary)
- "C'est également ce que je pensais dans ma jeunesse. Mais le chagrin est arrivé avec les Anglais et a contaminé nos terres. Nous devons apprendre de nouvelles vérités ou mourir" Ce disant, il ( James) contemple les arbres bourgeonnants derrière Mary, comme s'il pouvait lire le futur dans leurs branches. page 212

Elle est convaincue d'avoir trop changé pour pouvoir un jour se réadapter à la société anglaise. Le monde sauvage, qui lui semblait une abomination avant sa captivité, est devenue sa maison....Elle appris à vivre une vie nouvelle et libre, à faire preuve d'initiative et vivre en ne comptant que sur elle-même. page 222
 
"Vous ne pouvez pas échapper à votre destin, Chikohtqua" Elle perçoit la gentillesse dans sa voix, la compassion qui y a toujours résidé. " Aucun de nous ne le peut. je sais  que vous voulez rester ici. Mais il n'y a aucune vie possible pour vous ici. Il n'y a pas de nourriture, pas de village où vivre en sécurité. le mode de vie indien est en train de s'évaporer comme la brume matinale".
Elle se tourne face à lui (James)  en hochant la tête pour lui signifier qu'elle ne comprend que trop bien ce qu'il ressent. page 231
 
( Mary a été libérée moyennant une somme de vingt livres) Un Anglais est venu au lieu de rencontre. )Il l'écoute avec un sourire plein de pitié....."Pardonnez-moi, dit-elle. je crains que cela ne fasse trop longtemps que j'ai parlé à un Anglais."
Il hoche la tête puis il dit: "  Vous n'avez pas demandé  de nouvelles de votre mari"
La phrase lui fait l'effet d'une violente gifle.  page 244
 
"Mary, vous devez manger " Les mots de Maria la tirent brusquement de sa rêverie....C'est fini. Vous êtes libre";
Libre, Clignant des paupières, Mary lève les yeux embués de larmes vers elle. Elle ne se sent pas du tout libre. Elle se sent comme un oiseau qui se serait enfui de sa cage pour qu'aussitôt un chasseur l'attrape dans son filet et lui coupe les ailes. Elle se sent doublement prisonnière, ayant à la fois trouvé et perdu un nouveau monde. page 261

Elle (Mary) gagne peu à peu la certitude que si Dieu a laissé ces terribles épreuves s'abattre sur la Nouvelle-Angleterre, c'est parce qu'ils se sont donnés à l'esclavage. Au lieu de s'examiner eux-mêmes, les Anglais, dans leur ignorance et leur stupidité , ont cru que tout ce qu'ils faisaient était approuvé de Dieu. page 295

Une fois de plus, elle constate avec stupeur que Joseph ne voit aucune différence entre la volonté de Dieu et la sienne. page 307

Elle ne voit aucune preuve que les Anglais soient davantage le peuple de Dieu que les Indiens, les Irlandais ou les Espagnols, mais aucune réponse valable ne lui vient  à l'esprit. page 324
 
Mais Mary est incapable d'obéir...." Il n'y aura jamais d'esclave dans ma maison. Pas tant que je vivrai! C'est le plus grand des péchés" page 351
 
"Je m'inquiète, cependant, qu'ils manquent de nourriture et de vêtements. Ils ne semblent pas s'être remis de leur calvaire.
- Quel calvaire?
Joseph fronce les sourcils. " Parles-tu de leur reddition? Ce sont des Indiens, Mary.  S''ils souffrent  de la faim, c'est le moindre mal qu'ils méritent. ...Nous , les Anglais, sommes un peuple pacifique. Nous avons toujours traité les païens d'une manière juste." page 382
 
"Tout n'est pas un signe de Dieu. Certains  événements arrivent sans raison" (Jos le fils de Mary et de Joseph

La vérité, c'est qu'elle éprouve un sentiment de liberté inattendu depuis la disparition de son mari ( Joseph) . A mesure que les jours passent, elle accepte  avec une certaine satisfaction son statut de veuve.  page 424

Mary sait qu'elle ne pourra profiter de son statut de femme seule pendant très longtemps sans éveiller l'inquiétude de ses voisins. Dans la colonie du Connecticut, comme dans la baie du Massachusets, la loi exige que chaque homme, femme et enfant vive au sein d'un foyer bien ordonné, dirigé par un homme.  page b425

lundi, juillet 15, 2019

L'ARCHIPEL FRANCAIS ( Jérôme Fourquet) 2019

En quelques décennies , tout a changé. La France, à l'heure des "gilets jaunes" n'a rien à voir avec cette nation une et indivisible structure par un référendum culturel commun. Et lorsque l'analyste s'essaie à rendre compte de la dynamique de cette métamorphose, c'est un archipel d'îles s'ignorant les unes les autres qui se dessine sous les yeux fascinés du lecteur.
 C'est que le socle de la France d'autrefois, sa matrice catho-républicaine, s'est complètement disloqué.  Jérôme Fourquet envisage d 'abord les conséquences anthropologiques et culturelles de cette érosion et il remarque notamment combien notre relation au corps a changé. (la diffusion du tatouage et de l'incinération en témoigne) ainsi que notre rapport à l'animalité ( le veganisme en donne la mesure) . Mais, plus spectaculaire encore, l'effacement progressif de l'ancienne France , sous la pression de la France nouvelle induit  un effet "d'archipelisation" de la société toute entière: sécession des élites, autonomisation des catégories populaires, formation d'un réduit catholique, instauration d'une société multiculturelle de fait, dislocation des références culturelles communes (comme l'illustre , par exemple, la spectaculaire diversité des prénoms.
 
A la lumière de ce bouleversement sans précédent, on comprend mieux la crise que traverse notre  système politique : dans ce contexte de fragmentation, l'agrégation des intérêts particuliers au sein de coalitions larges est tout simplement devenue impossible. En témoignent, bien sûr, l'élection présidentielle de 2017 et les suites que l'on sait....
 
Avec de nombreuses cartes, tableaux et graphiques réalisés par Sylvain Manternach, géographe et cartographe.
 
Je vais noter les têtes de chapîtres.
 Première partie.
 
1- Dislocation de la matrice catholique.
 
                       Le déclin de la pratique religieuse
                       Les Marie s'en vont.
 
2- Vers un basculement anthropologique.
 
                       La reconfiguration des structures familiales.
                       L'IVG entre dans les mœurs.
                       Une décrispation rapide de la société sur l'homosexualité.
                       Incinération,  tatouage, sexualité.
                       Un nouveau rapport au corps.
                       Quand la hiérarchie  des espèces  est mise en cause.
                       Les catholiques: une île désormais minoritaire dans l'archipel français.
 
Deuxième partie.
 
L'"archipelisation de la société française."
3- Fragmentation.
 
                     L'effondrement de l'église rouge.
                     Fragmentation de l'information et remise en cause des grands médias.
                     La distinction à tout prix. Montée en puissance de l'individualisme et dislocation de la matrice culturelle commune.
                    
4- Une société-archipel.
 
                    La sécession des élites.
                    L'affranchissement culturel et idéologique des catégories populaires.
                    Persistance et regain  de certaines identités régionales: les cas breton et corse.
                    Le poids démographique croissant des populations issues de l'émigration arabo-musulmane.
                    Géographie de l'implantation des populations issues de l'émigration arabo-musulmane.
                    Diagnostic sur le processus d'intégration des populations issues de l'immigration arabo-musulmane.
                   Les musulmans s'engagent-ils à leur tour dans un processus de sortie de la religion?
                   Le choix du prénom et l'exogamie comme marqueurs du degré d'assimilation: le cas des communautés turque, africaine, asiatique, polonaise et portugaise.
 
5- Lignes de fracture.
 
                 Toulouse/Ozanam/ Aulnay-sous-Bois: radiographies parcellaires du tissu sociologique français
                 Le trafic de cannabis comme accélérateur de la sécession de certains quartiers.
                 L'école, plaque sensible et catalyseur de la fragmentation.
 
Troisième partie:
 
Recomposition du paysage  idéologique et électoral.
 
6 - 1983 -_2015: retour sur trois secousses sismiques.
 
                 1983: l'année où les immigrés sont devenus pleinement visibles et où le Front national a émergé.
                 2005: la double fracture.
                 2015: tout le monde n'a pas été Charlie.
 
7 -2017: le point de bascule.
 
               Les aspects contingents de la percée d' Emmanuel Macron.
               Sur la nécessité d'entreprendre une analyse en 3 D du corps électoral.
               La logique de fond: un clivage. Gagnants/ouverts - perdants - fermés de plus en plus prégnant.
              La dimension éminemment géographique du nouveau clivage.
 
8 -Après le big-bang: un nouveau paysage politique.
 
             La ligne Siegfried a disparu.
             Les Insoumis: une coalition électorale durable?
             Solferino ne répond plus.
             Une droite amputée.
 
9- Les résultats électoraux comme révélateurs de la fragmentation.
 
              Midi rouge et Midi bleu marine: l'altitude comme ligne de partage des raisins de la colère.
              Calvados utile versus bocages périphériques.
              Stations balnéaires pour personnes âgées et Bretagne centrale: les points de résistance à la vague macronienne.
              La mosaïque alsacienne;
 
10 - De quoi le macronisme est-il le nom?
 
             Emmanuel Macron, candidat de la diaspora française.
             Retour du clivage de classe et constitution d'un bloc libéral-élitaire.
             LREM, la victoire du parti des premiers de corde.
 
Conclusion.
             
 
          
 
 
 
 
                   
 
                    
 
 

dimanche, juillet 07, 2019

DES JOURS SANS FIN ( Sébastien Barry) 2016

Chassé de son pays d'origine par la Grande Famine, Thomas McNulty, jeune émigré irlandais, vient tenter sa chance en Amérique. Sa destinée se liera à celle de John Cole, l'ami et amour de sa vie.
Dans le récit de Thomas, la violence de l'Histoire se fait profondément ressentir dans le corps humain, livré à la faim, au froid, et parfois à une peur abjecte. Tour à tour, Thomas et John combattent les Indiens des grandes plaines de l'Ouest, se travestissent en femmes pour des spectacles, et s'engagent du côté de l'Union dans la guerre de Sécession.
Malgré la violence de ces fresques, se dessine cependant le portrait d'une famille aussi étrange que touchante, composée de ce couple inséparable, de Winona leur fille adoptive sioux bien-aimée et du vieux poète noir McSweny comme grand-père.
Sébastien Barry offre dans ce roman une réflexion sur ce qui vaut la peine d'être vécu dans une existence souvent âpre, entrecoupée d'un bonheur qui donne l'impression que le jour sera sans fin.
 
L'auteur s'est inspiré de l'histoire de son arrière grand oncle dont la photo orne la couverture du livre.
 
Jamais deux vauriens tirés de la poussière s'étaient autant amusés. ( Thomas et son ami John sont employés dans un saloon , ils dansent , déguisés en femmes etc...) page 22
 
(Ils s'engagent dans l'armée)  Au fond de nous, on savait que la mission serait les Indiens. Les colons de Californie voulaient qu'on les en débarrasse. Ils ne les voulaient plus en travers de leur chemin.  page 26
Le major disait qu'il  appréciait ces Indiens, qu'il ne voyait pas le problème avec ces pauvres hères, comme il les appelait. C'est pas les Indiens des plaines, il disait. ...Le major avait l'air mélancolique en disant ça, comme s'il en avait trop dit, ou bien en savait trop. page 27
 
Des vieux bateaux se sont mis à embarquer des gens ruinés ( en Irlande) à destination du canada, des gens qui avaient si faim qu'ils auraient été capables de se dévorer les uns les autres dans les cales. J'avais à peu près treize ans, mais au fond de moi, je savais que je devais partir. Alors, à la faveur de l'obscurité, je me suis glissé dans l'un de ces bateaux. C'était il y a longtemps, avant l'Amérique. j'ai passé six semaines parmi les d"chus, les ruinés, les affamés. Beaucoup ont fini par dessus bord, c'est comme ça que ça se passait. page 34
 
Vivre, c'est pas juste prendre et agir, c'est aussi réfléchir. Mais mon cerveau est fait pour englober le monde. Page 216
 
La vie n'est qu'une succession de moments difficiles en alternance avec des longues périodes où il ne se passe rien, à part boire de la chicorée, du whisky et jouer aux cartes.  page 155
 
Le visage de John Cole est si maigre qu'on voit à quoi il ressemblera dans  sa tombe. On est des morts qui tentent de revenir à la vie. page 175
 
Il faut avoir une bonne dose d'absurde en soi pour s'en sortir dans la vie.
 
Mais la fierté, c'est le petit déjeuner des imbéciles.
 
 Le major est un homme neuf, il a l'air aussi heureux qu'un canard sous la pluie. c'est bon de constater l'effet du mariage sur un homme comme lui, qui voit le monde comme un fardeau qu'il doit porter seul. page 80
Mme Neale est vraiment merveilleuse ( la femme du major) Chaque chose qu'elle dit contient de la grammaire. Elle s'exprime comme un évêque. Page 80
 
Notre chagrin s'élève vers les cieux en volutes; notre courage s'élève vers les cieux en volutes. De la honte s'y mêle, car le chagrin et le courage sont comme des ronces. page 92
 
(La guerre de Sécession commence.)
On  a une nouvelle mission à honorer en ce monde, nos cœurs en sont comblés.  page 127
" Ce qu'on vous demande, dit le capitaine, c'est de garder l'union dans votre cœur, et que son étoile guide vos pas. Votre pays attend  de vous quelque chose qui dépasse les capacités terrestres.  Il exige votre courage, votre force, votre dévotion et tout ce qu'il risque de vous offrir en retour, c'est la mort. " page 129
 
Cette fois, c'est pas courir vers les Indiens qui sont pas de votre espèce, c'est courir comme après un miroir de vous-même. page 136 (Les Confédérés)
 
"T'as pas envie d'aider les Noirs? Aider les  Noirs à obtenir leur liberté et consolider l'Union, mon gars? demande Dan Fitz Gerald.  C'est quoi ce truc de nègres? dit  Starling Carlton, je travaille pas pour les nègres, moi. Mais on voit qu'il plaisante. page 143
 
(lors d'un massacre de Sioux) Tout à coup, je ressens des chagrins de différentes sortes. La perte de certains camarades. Les morts dans les guerres. Le meurtre de Madame Neale, une femme si douce. Et quelque part derrière, d'autres encore. Les fantômes de ma famille disparue il y a si longtemps à Sligo. Un n om que j'ai à peine prononcé, même tout seul, en une décennie. La robe salie de ma mère surgit toit à coup devant mes yeux. La chasuble  de ma soeur abimée par la mort. Ces visages , maigres et froids. Mon père aussi fin qu'une traînée de beurre. Presque sans tache. Son grand chapeau noir écrasé à la manière d'un accordéon. Parfois, on sait qu'on est pas  très  intelligent. Pourtant, parfois, le brouillard de nos pensées se lève, et on comprend tout, comme si le paysage venait de se dégager. On se trompe en appelant ça sagesse, c'en  est pas. Il paraît qu'on est des chrétiens ou chose comme ça, mais c'est pas vrai. On nous raconte qu'on est des créatures de Dieu supérieures aux animaux, mais tout homme qui a vécu sait que ce sont des conneries. page 215
Vivre, c'est pas juste prendre et agir,  c'est aussi réfléchir. page 216
 
 
 

mardi, juillet 02, 2019

LES VICTORIEUSES ( Laetitia Colombani, 2019)

Brillante avocate, Solène tente de se reconstruire après un burn out. Acceptant une mission bénévole d'écrivain public, elle est envoyée au Palais de la Femme, vaste foyer au cœur de Paris. Les résidentes s'appellent Binta, Sumeya, Cvetana ou la Renée et viennent du monde entier. Lorsqu'elles voient arriver Solène, elles se montrent méfiantes. Solène vacille mais s'acharne bien décidée à trouver sa place auprès  de ces femmes aux destins tourmentés.
Un siècle plus tôt, Blanche Peyron œuvre en faveur des démunis. Elle a voué sa vie à l'Armée du salut et rêve d'offrir un refuge à toutes les exclues de la société. Le chemin est ardu, mais Blanche ne renonce jamais.
Laetitia Colombani donne vie à ces Victorieuses anonymes , à Blanche  l'oubliée, et à toutes celles qui refusent de se résigner. Un hymne à la solidarité  prodigieusement romanesque.
 
 
Solène avoue au psychiatre qu'elle redoute de quitter la maison de santé. Elle ignore à quoi ressemble une vie sans travail, sans horaires, sans réunions, sans obligations. Sans amarre, elle craint de dériver. "Faîtes quelque chose pour les autres, lui suggère-t-il, pourquoi pas du bénévolat?  Solène ne s'attendait pas à cela. la crise qu'elle traverse est une crise de sens., poursuit-il. Il faut sortir de soi, se tourner vers les autres, retrouver une raison de se lever le matin. Se sentir utile à quelque chose ou à quelqu'un." page 18
 
Du temps, voilà ce que demandent les associations. Sans doute, ce qu'il y a de plus difficile à donner dans une société où chaque seconde est comptée.Offrir son temps, c'est s'engager vraiment. Du temps, Solène en a , mais l'énergie lui manque cruellement. Elle ne se sent pas prête à sauter le pas...La démarche est trop exigeante, nécessite trop d'investissement. Elle préfère donner de l'argent - c'est moins contraignant.  page 21

Mission d'écrivain public. Nous contacter.
A la lecture de l'annonce, Solène est parcourue d'un étrange  frisson. Ecrivain. Un mot seulement, et tout revient.
Avocate, ce n'était pas sa vocation. Enfant,  Solène avait une imagination foisonnante. A l'adolescence, elle avait révélé des dispositions particulières en français. ...
Lorsqu'elle avait révélé son projet à ses parents, ils s'étaient montrés plus que réticents....
"Fais plutôt du droit," avait dit son père....page 22
 
Lui revient cette citation de Marilyn Monroê  qui l'avait marquée: " Une carrière, c'est bien, mais ce n'est pas ce qui vous tient chaud aux pieds la nuit". Les pieds de Solène sont glacés. Son cœur aussi. page 24

Paris 1925.
Blanche ne l'écoute pas. Elle boutonne sa jupe, enfile sa jaquette en jersey bleu marine, sans prêter attention à ses protestations. Albin est inquiet. Son affection des poumons est en train de s'aggraver. page 31
Il la regarde sortir, vaincu. Il sait qu'aucun argument ne la retiendra; Blanche n'a jamais différé quoi que ce soit pour raison de santé. Ce n'est pas à cinquante - huit ans qu'elle va commencer. les trois S à son col sont plus qu'un ornement. Ils sont une mission, une vocation, sa raison d'exister.
Soupe. Savon. Salut. trois mots résumant à eux seuls l'engagement de sa vie: venir en aide aux plus démunis. Tel est le credo de l'organisation qu'elle sert fidèlement depuis quarante ans. page 32.
Blanche naît à Lyon  en 1867....
A dix-sept ans, elle est envoyée en Ecosse dans la famille de sa mère...Elle croise alors Catherine, fille aînée du pasteur anglais William Booth...il rêve de changer le monde, d'en abolir les inégalités. page 33
 
Dès la création de l'Armée, William  Booth  a institué l'égalité absolue des  sexes page 35
 
L'Armée rassasie tous ses instincts: l'empathie pour ce que endurent les autres, l'aptitude au dévouement, le culte de l'héroïsme, le goût de l'aventure. L'uniforme  de blanche lui va bien, il semble taillé à sa mesure. page 37
 
Paris , aujourd'hui. Comme tout le monde, elle connaît le mot "précarité," omniprésent dans les médias, mais ne s'est jamais frottée à sa réalité.  page 41
 
Elle n'a pas envie de céder à la pression de Léonard. ( la personne qui l'a orientée vers le foyer pour femmes en difficulté) Toute sa vie, elle a fait ce qu'on attendait d'elle. Elle est devenue avocate pour satisfaire ses parents. Pour Jérémy, ( son mari) elle a tu son désir d'enfant. Il est  temps de suivre son propre chemin, de se recentrer sur ses aspirations. D'apprendre à dire non, enfin. page 56
 
Enfermée dans sa petit vie et ses problèmes, elle ne voit pas le monde tourner. Certains ont faim et n'ont que deux euros pour manger. Si Solène avait connaissance , intellectuellement, de cette réalité, elle vient de prendre  en pleine face aujourd'hui, au milieu du Palais ( le foyer) page 60
 
Paris  1925.
( Blanche veut apprendre à faire du vélo) Un problème subsiste, cependant: en jupe, Blanche aura du mal à pédaler. le port du pantalon serait plus adapté, mais ce  vêtement est interdit aux femmes. La loi prohibe ce que la société considère comme un travestissement. Toute demande doit fait l'objet d'une dérogation auprès de la préfecture de police;  En cette fin d'année 1888, Albin ( qui deviendra son mari) ignore qu'une circulaire est sur le point d'être votée pour lever partiellement cette interdiction. page 66
Blanche épouse Albin  le 30 avril 1891...
En ce soir de novembre 1925, Blanche a cinquante-huit ans.. Albin pense qu'elle est toujours cette femme libre et volontaire, cette jeune officière obstinée juchée sur le grand bibi. Son entête
ment est un don, un moteur qui la fait avancer. page 71
 
Paris aujourd'hui.
Voilà un mois qu'elle a franchi les portes du Palais pour le première fois.  Elle est en train de  trouver ses marques.  Léonard avait raison:  les résidentes sont méfiantes, il faut les apprivoiser, s'affirmer.  page 74
Le bonheur des autres est cruel. Il vous tend un miroir sans pitié. La solitude de Solène lui revient de plein fouet.  Cet enfant dont il ne voulait pas, il l'a fait à une autre. Voilà la vérité.  Solène se sent flouée, vide de ce  bébé qu'elle n'a jamais porté, de toutes ces choses dont elle ne voulait pas avouer qu'elles lui faisaient envie. Pour être aimée, elle est devenue ce qu'on attendait qu'elle fût. Elle s'est conformée aux désirs des autres en reniant les siens.  En chemin, elle s'est perdue. page 82
 
Paris 1925
Après des années de disette et de récession, l'Armée connaît une flamboyante envole. Sous le règne des Peyron, ( Blanche et Albin)  s'ouvre une ère de grandes constructions, d'ambitieux projets...page 95 
Elle est toujours là l'empathie. Elle ne l'a pas quittée. Blanche est une caisse de résonance pour la souffrance d'autrui. page 96
 
Paris aujourd'hui.
Elle n'avait pas saisi jusqu'alors le sens profond de sa mission: écrivain public. Elle le comprend seulement maintenant. Prêter sa plume, prêter sa main, prêter ses mots à ceux qui en ont besoin, tel un passeur qui transmet sans juger.
Un passeur , voilà ce qu'elle est. page 114
 
Solène regagne son appartement, accablée. Sa tête résonne de ces mots, durement lancés. rentre chez toi.  Elle commençait à prendre ses marques au Palais, à se sentir utile; elle est fauchée par la violence  de Cynthia.
Rentre chez toi, cela signifie: tu n'es pas comme nous. Tu ne ressembles en rien à ces femmes de cet endroit. La vie t'a épargnée, tu ne peux pas nous comprendre, ni nous aider. Tu ne seras jamais l'une des nôtres, et ta bonne conscience, on s'en fout. Tu peux te la garder.  page 134
Solène se sent amère, découragée, pitoyable. Pauvre fille riche. page 135
 
Paris 1926.
Le samedi 9 janvier 1926, Albin se porte officiellement acquéreur du 94, rue de Charonne , pour l'Armée du Salut.  Dans cette opération, Blanche n'apparaît pas. Les femmes n'ayant pas le droit de posséder de compte bancaire. Albin gère seul la transaction. page 149
 
Les yeux levés, Blanche contemple l'inscription gravée sur la façade: Le Palais de la Femme. Elle glisse sa main dans celle d'Albin, à ses côtés. Ils l'ont fait. page 204
Le 7 avril 1931, l'Association des Œuvres françaises de Bienfaisance de l'Armée du salut, est déclarée d'utilité publique. L'organisation de William Booth, longtemps conspuée, est unanimement reconnue. page 207
Blanche s'éteint le 21 mai 1933. Dans son uniforme salutaire, elle part vers d'autres cieux mener d'autres combats. page 208
 
Paris aujourd'hui.
Elle ( Solène) songe à cette phrase d'Yvan Audouard,tracée sur un mur, non loin d'ici: Heureux soient les fêlés car ils laissent passer la lumière. page 216