mardi, juillet 02, 2019

LES VICTORIEUSES ( Laetitia Colombani, 2019)

Brillante avocate, Solène tente de se reconstruire après un burn out. Acceptant une mission bénévole d'écrivain public, elle est envoyée au Palais de la Femme, vaste foyer au cœur de Paris. Les résidentes s'appellent Binta, Sumeya, Cvetana ou la Renée et viennent du monde entier. Lorsqu'elles voient arriver Solène, elles se montrent méfiantes. Solène vacille mais s'acharne bien décidée à trouver sa place auprès  de ces femmes aux destins tourmentés.
Un siècle plus tôt, Blanche Peyron œuvre en faveur des démunis. Elle a voué sa vie à l'Armée du salut et rêve d'offrir un refuge à toutes les exclues de la société. Le chemin est ardu, mais Blanche ne renonce jamais.
Laetitia Colombani donne vie à ces Victorieuses anonymes , à Blanche  l'oubliée, et à toutes celles qui refusent de se résigner. Un hymne à la solidarité  prodigieusement romanesque.
 
 
Solène avoue au psychiatre qu'elle redoute de quitter la maison de santé. Elle ignore à quoi ressemble une vie sans travail, sans horaires, sans réunions, sans obligations. Sans amarre, elle craint de dériver. "Faîtes quelque chose pour les autres, lui suggère-t-il, pourquoi pas du bénévolat?  Solène ne s'attendait pas à cela. la crise qu'elle traverse est une crise de sens., poursuit-il. Il faut sortir de soi, se tourner vers les autres, retrouver une raison de se lever le matin. Se sentir utile à quelque chose ou à quelqu'un." page 18
 
Du temps, voilà ce que demandent les associations. Sans doute, ce qu'il y a de plus difficile à donner dans une société où chaque seconde est comptée.Offrir son temps, c'est s'engager vraiment. Du temps, Solène en a , mais l'énergie lui manque cruellement. Elle ne se sent pas prête à sauter le pas...La démarche est trop exigeante, nécessite trop d'investissement. Elle préfère donner de l'argent - c'est moins contraignant.  page 21

Mission d'écrivain public. Nous contacter.
A la lecture de l'annonce, Solène est parcourue d'un étrange  frisson. Ecrivain. Un mot seulement, et tout revient.
Avocate, ce n'était pas sa vocation. Enfant,  Solène avait une imagination foisonnante. A l'adolescence, elle avait révélé des dispositions particulières en français. ...
Lorsqu'elle avait révélé son projet à ses parents, ils s'étaient montrés plus que réticents....
"Fais plutôt du droit," avait dit son père....page 22
 
Lui revient cette citation de Marilyn Monroê  qui l'avait marquée: " Une carrière, c'est bien, mais ce n'est pas ce qui vous tient chaud aux pieds la nuit". Les pieds de Solène sont glacés. Son cœur aussi. page 24

Paris 1925.
Blanche ne l'écoute pas. Elle boutonne sa jupe, enfile sa jaquette en jersey bleu marine, sans prêter attention à ses protestations. Albin est inquiet. Son affection des poumons est en train de s'aggraver. page 31
Il la regarde sortir, vaincu. Il sait qu'aucun argument ne la retiendra; Blanche n'a jamais différé quoi que ce soit pour raison de santé. Ce n'est pas à cinquante - huit ans qu'elle va commencer. les trois S à son col sont plus qu'un ornement. Ils sont une mission, une vocation, sa raison d'exister.
Soupe. Savon. Salut. trois mots résumant à eux seuls l'engagement de sa vie: venir en aide aux plus démunis. Tel est le credo de l'organisation qu'elle sert fidèlement depuis quarante ans. page 32.
Blanche naît à Lyon  en 1867....
A dix-sept ans, elle est envoyée en Ecosse dans la famille de sa mère...Elle croise alors Catherine, fille aînée du pasteur anglais William Booth...il rêve de changer le monde, d'en abolir les inégalités. page 33
 
Dès la création de l'Armée, William  Booth  a institué l'égalité absolue des  sexes page 35
 
L'Armée rassasie tous ses instincts: l'empathie pour ce que endurent les autres, l'aptitude au dévouement, le culte de l'héroïsme, le goût de l'aventure. L'uniforme  de blanche lui va bien, il semble taillé à sa mesure. page 37
 
Paris , aujourd'hui. Comme tout le monde, elle connaît le mot "précarité," omniprésent dans les médias, mais ne s'est jamais frottée à sa réalité.  page 41
 
Elle n'a pas envie de céder à la pression de Léonard. ( la personne qui l'a orientée vers le foyer pour femmes en difficulté) Toute sa vie, elle a fait ce qu'on attendait d'elle. Elle est devenue avocate pour satisfaire ses parents. Pour Jérémy, ( son mari) elle a tu son désir d'enfant. Il est  temps de suivre son propre chemin, de se recentrer sur ses aspirations. D'apprendre à dire non, enfin. page 56
 
Enfermée dans sa petit vie et ses problèmes, elle ne voit pas le monde tourner. Certains ont faim et n'ont que deux euros pour manger. Si Solène avait connaissance , intellectuellement, de cette réalité, elle vient de prendre  en pleine face aujourd'hui, au milieu du Palais ( le foyer) page 60
 
Paris  1925.
( Blanche veut apprendre à faire du vélo) Un problème subsiste, cependant: en jupe, Blanche aura du mal à pédaler. le port du pantalon serait plus adapté, mais ce  vêtement est interdit aux femmes. La loi prohibe ce que la société considère comme un travestissement. Toute demande doit fait l'objet d'une dérogation auprès de la préfecture de police;  En cette fin d'année 1888, Albin ( qui deviendra son mari) ignore qu'une circulaire est sur le point d'être votée pour lever partiellement cette interdiction. page 66
Blanche épouse Albin  le 30 avril 1891...
En ce soir de novembre 1925, Blanche a cinquante-huit ans.. Albin pense qu'elle est toujours cette femme libre et volontaire, cette jeune officière obstinée juchée sur le grand bibi. Son entête
ment est un don, un moteur qui la fait avancer. page 71
 
Paris aujourd'hui.
Voilà un mois qu'elle a franchi les portes du Palais pour le première fois.  Elle est en train de  trouver ses marques.  Léonard avait raison:  les résidentes sont méfiantes, il faut les apprivoiser, s'affirmer.  page 74
Le bonheur des autres est cruel. Il vous tend un miroir sans pitié. La solitude de Solène lui revient de plein fouet.  Cet enfant dont il ne voulait pas, il l'a fait à une autre. Voilà la vérité.  Solène se sent flouée, vide de ce  bébé qu'elle n'a jamais porté, de toutes ces choses dont elle ne voulait pas avouer qu'elles lui faisaient envie. Pour être aimée, elle est devenue ce qu'on attendait qu'elle fût. Elle s'est conformée aux désirs des autres en reniant les siens.  En chemin, elle s'est perdue. page 82
 
Paris 1925
Après des années de disette et de récession, l'Armée connaît une flamboyante envole. Sous le règne des Peyron, ( Blanche et Albin)  s'ouvre une ère de grandes constructions, d'ambitieux projets...page 95 
Elle est toujours là l'empathie. Elle ne l'a pas quittée. Blanche est une caisse de résonance pour la souffrance d'autrui. page 96
 
Paris aujourd'hui.
Elle n'avait pas saisi jusqu'alors le sens profond de sa mission: écrivain public. Elle le comprend seulement maintenant. Prêter sa plume, prêter sa main, prêter ses mots à ceux qui en ont besoin, tel un passeur qui transmet sans juger.
Un passeur , voilà ce qu'elle est. page 114
 
Solène regagne son appartement, accablée. Sa tête résonne de ces mots, durement lancés. rentre chez toi.  Elle commençait à prendre ses marques au Palais, à se sentir utile; elle est fauchée par la violence  de Cynthia.
Rentre chez toi, cela signifie: tu n'es pas comme nous. Tu ne ressembles en rien à ces femmes de cet endroit. La vie t'a épargnée, tu ne peux pas nous comprendre, ni nous aider. Tu ne seras jamais l'une des nôtres, et ta bonne conscience, on s'en fout. Tu peux te la garder.  page 134
Solène se sent amère, découragée, pitoyable. Pauvre fille riche. page 135
 
Paris 1926.
Le samedi 9 janvier 1926, Albin se porte officiellement acquéreur du 94, rue de Charonne , pour l'Armée du Salut.  Dans cette opération, Blanche n'apparaît pas. Les femmes n'ayant pas le droit de posséder de compte bancaire. Albin gère seul la transaction. page 149
 
Les yeux levés, Blanche contemple l'inscription gravée sur la façade: Le Palais de la Femme. Elle glisse sa main dans celle d'Albin, à ses côtés. Ils l'ont fait. page 204
Le 7 avril 1931, l'Association des Œuvres françaises de Bienfaisance de l'Armée du salut, est déclarée d'utilité publique. L'organisation de William Booth, longtemps conspuée, est unanimement reconnue. page 207
Blanche s'éteint le 21 mai 1933. Dans son uniforme salutaire, elle part vers d'autres cieux mener d'autres combats. page 208
 
Paris aujourd'hui.
Elle ( Solène) songe à cette phrase d'Yvan Audouard,tracée sur un mur, non loin d'ici: Heureux soient les fêlés car ils laissent passer la lumière. page 216
 
 

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