mercredi, avril 25, 2018

BITNA, SOUS LE SOLEIL DE SEOUL ( J.M.G. Le Clézio)

"Parce que le conte peut faire reculer la mort, Bitna , étudiante coréenne sans un sou, invente des histoires pour Salomé, immobilisée par une maladie incurable. La première lutte contre la pauvreté, la seconde contre la douleur. Ensemble, elles se sauvent dans des récits quotidiens ou fabuleux, et bientôt la frontière entre réalité et imaginaire disparaît.
Un roman qui souffle ses légendes urbaines sur la rivière Han, les boulevards saturés et les ruelles louches. Sous le ciel de Séoul, se lève "le vent de l'envie  des fleurs".
 
Le libraire , Mr Pack, a ouvert le tiroir de son bureau, et il m'a tendu une lettre. C'était écrit à la machine, et cela disait exactement ceci:
" Je m'appelle Kim Se-Ri, mais je préfère Salomé, je ne peux plus sortir de chez moi à cause de la maladie. J'attends  celui, celle qui viendrait me raconter le monde, j'aime beaucoup les histoires. Ceci est une annonce sérieuse, en échange de vos histoires, je vous donnerai un salaire."
Je n'y ai plus pensé pendant quelques jours, et puis j'ai retrouvé la lettre, j'ai décroché le téléphone et j'ai appelé Salomé.  page 19
 
 
Je m'appelle Bitna. j'ai bientôt dix-huit ans. Je ne peux mentir car j'ai les yeux clairs, et ça se verrait tout de suite dans mes yeux. Mes cheveux sont clairs....Je suis née au sud...Mes parents ne sont pas riches, mais ils ont voulu, quand j'ai terminé mes  études secondaires, me donner la meilleure éducation, et pour cela, ils ont cherché une université du ciel ( Sky University) et fait un emprunt. Pour le logement, je n'ai pas eu de problèmes au début, car ma tante  (la sœur de ma mère) acceptait de me loger dans son minuscule appartement du quartier Yongse, juste à côté de l'université, où je partageais une chambre avec sa fille, Paek Hwa, qui en vérité portait bien mal son nom de fleur immaculée...Paek Hwa  avait quelques années de moins que moi, et je compris très vite que j'avais été invitée dans ce logis afin de m'occuper d'elle. pages 9, 10
 
C'est à cette époque que j'ai commencé à voyager dans la ville. les cours à l'université n'occupaient  qu'une partie de mon temps....La rue, c'était l'aventure. page 12

Je note les noms, les lieux, comme si je devais revoir ces personnes, mais je sais bien que je ne les reverrai jamais, la ville est si grande, on pourrait marcher un million de jours sans rencontrer  deux fois la même personne, même si le proverbe dit: " On se reverra un jour ou l'autre sous le ciel de Séoul".
Ensuite, j'ai trouvé le meilleur endroit pour observer les gens. C'est dans la grande librairie à Jongno. page 16

Comme je venais remettre un livre dans les rayons après l'avoir parcouru, Mr Pak est venu me parler.
" Venez, m'a-t-il dit. J'ai quelque chose à vous montrer. "
je ne savais pas ce qu'il voulait, mais je l'ai suivi docilement. Peut-être que j'ai imaginé un instant  qu'il allait me proposer de travailler dans la librairie, et c'était mon  rêve, parce que j'aime beaucoup lire, et que j'avais besoin d'argent. Ma tante n'arrêtait pas de me dire, pour un oui pour un  non, " Tu nous coûtes cher, il va falloir trouver une solution pour payer tes études, ton logement".
Mr Pak a ouvert le tiroir de son bureau, et il m'a tendu une lettre (voir plus haut) pages 18, 19

Première histoire contée à Salomé, avril 2016
Au printemps, quand les bourgeons commencent à sortir et que le vent souffle de l'envie des fleurs; M. Cho Han-Soo sort les cages  de ses pigeons sur le toit de l'immeuble. M. Cho a le droit de le faire parce qu'il est le concierge, et qu'il est le seul à avoir la clef qui donne accès au toit. page 21
Donc, M. Cho,  ce matin de printemps, a monté les cinq cages sur le toit. Il n' a pas pris l'ascenseur, parce que, en tant que  concierge, il respecte l'accord passé avec le gérant de Good Luck ( le nom de m'immeuble)  de ne pas prendre ses pigeons dans la cabine de l'ascenseur. Il risquerait de recevoir un blâme de la banque qui possède l'immeuble, laquelle serait alertée par un riverain malveillant, qui prétexterait être allergique aux plumes d'oiseau. Cela dégénérerait en dispute et M. Cho n'aime pas les disputes...
M. Cho arrive sur le toit en soufflant parce qu'il a dû monter cinq fois les vingt étages  jusqu'au toit...page 26
C'est le moment. les pigeons l'attendent avec de plus en plus d'impatience, ils tournent sur eux-mêmes dans l'étroit compartiment des cages, ils s'essaient à battre des ailes... M. Cho s'accroupit devant les cages, il parle aux oiseaux, il prononce lentement leurs noms, l'un après l'autre...C'est l'heure .  M. Cho ouvre la cage où se trouve Dragon noir, il le prend délicatement , il le tient dans le creux de ses mains, il sent le cœur qui bat très vite dans la poitrine, la douce chaleur du ventre, et les pattes noires...pages 27, 28
Dragon noir s'est élancé. Page 30
Salomé battait des mains. Ses yeux brillaient. Elle a esquissé des gestes, mais sa main gauche déraillait, et au lieu de toucher son front, sa main a heurté son nez, et elle  a fait une vilaine grimace. page 33

Les choses se sont dégradées à la maison à cette époque-là..." Toi tu n'es rien du tout, tu n'es qu'une fille de la campagne, et parce que tu vas à l'université, tu te crois au-dessus de tout le monde. retourne dans ton Jella-do, va à la pêche aux camars" (la cousine)pages 37, 38
J'ai pris ma décision. Avec l'argent de Salomé, j'ia loué une petite chambre dans un autre quartier. page 39
 
La seule personne que je voulais revoir, c'était Salomé. pas parce qu'elle m'avait engagée pour lui raconter des histoires, mais parce qu'elle avait une façon de m'écouter, comme si toute son énergie impuissante ressortait par ses yeux. C'est elle qui m'a téléphoné, un matin. J'étais en cours....page 40
 
L'infirmière m'a fait entrer, j'ai ôté mes baskets et j'ai enfilé les pantoufles qu'elle me tendait. Elle n'a rien dit, surtout pas : "Mademoiselle Salomé vous attend " - c'étaient  les instructions de Salomé, ne jamais rien dire de ces phrases ordinaires. Le silence. page 43
 
 
Deuxième histoire contée à Salomé, mai 2016
Kitty est arrivée dans le salon de beauté un matin, de bonne heure, alors que Mme Lim était en train de tout préparer pour la clientèle, les fauteuils, les linges propres, les outils de travail, et la grande bouilloire pour le thé vert. Le salon de Mme Lim n'est pas très grand, mais tout est bien organisé pour recevoir les femmes désireuses de se faire coiffer, teindre ou friser. page 45
"Elle est très maigre, elle doit venir du Nord, de la campagne. Non, c'est impossible qu'elle vienne de si loin, moi, je dirais que c'est une citadine, regardez, elle n'a peur de rien, elle vient chez nous comme ça directement, comme si elle connaissait le quartier. page 46...elle s'appelait la Voyageuse. C'était un nom qui lui allait bien. page 46
Une voyageuse ne pouvait pas arriver un beau jour dans son quartier, dans son magasin au pied de l'immeuble Good Luck! sans que cela  signifiât un changement dans l'ordre établi, une sorte de brouillement d'ondes qui aboutirait à quelque chose d'à la fois imprévisible et inquiétant...page 47
 Elle (Salomé) dit : "Parlez-moi de Kitty" Elle ajoute: "Et puis ensuite vous continuerez l'histoire des pigeons de Mr Cho, n'est-ce pas?
Elle boit le thé à petites lampées, sa main gauche tremble, et la main droite reste posée sur son giron, comme si elle ne servait à rien.  Salomé  a surpris mon regard, elle dit simplement: " C'est ça pour moi le plus difficile à accepter, vous savez". Elle fait un peu la grimace parce qu'elle essaie de me dire quelque chose de drôle mais n'y arrive pas: "Partir en petits morceaux, chaque jour, quelque chose qui s'en va, qui s'efface".
Je n'ai rien dit, je crois que quelqu'un comme Salomé n' a pas besoin de mots pour la consoler, ni de pitié. Juste des contes pour la faire voyager. page 55
Puis, les jours qui ont suivi, la vie  a repris mais Mme Lim n'a pas cessé de venir voir Mme Yang. Finalement, elle lui a trouvé un petit travail de couture, non loin de l'immeuble Good Luck! c'était comme si les femmes du quartier avaient passé un serment de ne jamais se laisser sans nouvelles. De rester unies, même si aucune menace ne pesait sur elles. De parler, de s'envoyer de messages sur leurs téléphones portables, ou même de rendre de petites visites à l'improviste. La seule tristesse que Mme Lim  a ressentie, et ce fut partagé par tous les gens du quartier, c'est qu'à partir de ce fameux soir, quand Mme Yang avait décidé de mourir, Melle Kitty a disparu...page 65
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J'avais délaissé Salomé depuis de longues semaines. Elle m'envoyait des messages sur mon téléphone , d'abord légers, pour dire : " J'ai besoin de M. Cho Han Soo et de ses pigeons."..Puis de plus en plus désespérés: " N'oubliez pas votre Kim Se-Ri, elle en mourrait!"...
J'ai répondu à l'appel de Salomé , j'ai choisi un jour où Frederick Pack était absent, et je suis allée au sud de la ville. pages 78, 79

Troisième histoire contée à Salomé, juillet 2016
Dans la grande salle de la maternité, les bouts de chou sont alignés, chacun dans son berceau...Naomi est arrivée ici, un matin de juillet 2008. C'est Hana qui a trouvé Naomi en entrant à la maternité du bon Pasteur. Hana prend son service à six heures du matin...Quand elle est arrivée  devant la porte du Bon Pasteur, la première chose qu'elle a vue c'est ce tas de chiffons posé par terre, elle s'apprêtait  à le pousser du pied vers le caniveau quand le tas de chiffons s'est mis à bouger et qu'elle a entendu de petits cris, assez semblables à ceux que ferait une portée de chatons. Elle s'est penchée  avec précaution sur les linges, elle les a écartés du bout des doigts, au cas où il y aurait un animal prêt à griffer et à mordre et elle l'a vu: un minuscule bébé , la peau bien rose, les yeux fermés, avec une touffe  de cheveux très noirs. C'était Naomi. pages 80, 81
Il y a un mois que Naomi est arrivée....avec les vingt-six autres bébés.... c'est elle la plus belle...Tous ont été abandonnés  par leurs mères, pour diverses raisons.... Chaque jour,  des parents viennent en visite dans la maternité, en vue  d'adopter un bébé....Hana a placé Naomi au centre de la salle, le plus loin possible  de la baie vitrée, dans l'espoir que les parents adoptifs ne la verront pas....page 82

Salomé n'a pas aimé cette histoire. ...Cela lui rappelait sa propre histoire, que ses parents l'ont abandonnée, ils lui ont léguée une fortune considérable, puis ils ont mangé du poison pou rejoindre leurs ancêtres. page 87
" Si vous n'aimez pas mes histoires, nous pouvons arrêter tout de suite." Salomé a baissé la tête. j'étais son seul line avec le monde extérieur."..
- Non,, s'il vous plaît, restez, contez-moi ce que vous voulez." Alors, j'ai continué l'histoire de Naomi page 88

Hana a profité du désordre pour envelopper Naomi dans une couverture, elle a filé en douce, elle a poussé la grande porte, et dehors, elle a vu le taxi noir qui l'attendait, ses feux allumés, elle a ressenti une grande joie. Elle a ouvert la porte de l'auto, elle s'est assise sur la banquette arrière, en serrant dans ses bras la petite Naomi.  "On va où? a demandé le chauffeur. Hana a répondu seulement  : "Tout droit". page 91

Suite de l'histoire de Mr Cho et de ses pigeons. Août 2016
C'était un entraînement presque militaire. Chaque matin à l'aube, M Cho prenait son triporteur, avec deux ou trois cages contenant des couples de pigeons....C'est pour elle (son épouse)  que M. Cho  a commencé son aventure  avec les pigeons. Il se souvient qu' elle lui avait dit, un jour qu'il l'interrogeait sur sa grand-mère: " il faudrait être oiseau pour retourner là-bas". C'est évident. les miradors, les barbelés n'empêchent que les animaux terrestres et les êtres humains. les oiseaux, les insectes, et peut-être même les serpents et les grenouilles ne se laissent pas arrêter aux frontières. page 93, 94
 
Histoire d'un apprenti meurtrier , fin août 2016
En ce temps-là, j'habitais encore le quartier au-dessus d'Ewha..Moi, j'avais droit au demi-sous-sol, avec une seule fenêtre, un vasistas au niveau de la rue, souvent obstrué par des sacs-poubelle...Le rat c'était le début. Parce que après , j'ai été victime d'une attaque plus dramatique. Je dormais  sur mon matelas quand j'ai été réveillée par une présence bizarre. J'ai pensé à un mauvais rêve, mais quand j'ai tourné la tête vers la fenêtre soupirail, j'ai cru que mon cœur allait s'arrêter. De l'autre côté de la vitre, un homme accroupi me regardait....Et puis, ça n'était plus seulement la nuit. Maintenant, quand je sortais de ma cave pour aller aux cours ou pour travailler à la bibliothèque, j'avais l'impression d'être suivie. pages 102, 104
Salomé  écoute mon histoire sans broncher, je crois qu'elle ressent de la peur, elle aussi, peut-être qu'elle n'y avait jamais pensé jusque là que quelqu'un pouvait suivre une fille, dans la rue, sans lui parler, sans l'approcher, juste pour faire naître la peur.
... "C'est une histoire, n'est-ce -pas? ça n'existe pas? "
Un instant, je suis tentée de lui dire:" Qu'Est-ce-que vous croyez, que je suis capable d'inventer un meurtrier?"
Je me reprends: " Non, non Salomé, bien sûr que c'est une histoire, comme celle de Melle Kitty, ...et de Mr Cho avec ses pigeons". Mais j'ai hésité et Salomé a tout de suite comblé le vide entre sa question et ma réponse, peut-être que dans le fond, comme moi, elle voudrait croire que  ce n'est pas vrai et en même temps, elle espère savoir plus, parce qu'il y a toujours une vérité cachée dans un mensonge. pages106, 107
Je n'ai pas revu  Salomé depuis quelque temps, je ne lui ai pas téléphoné...Page 110
J'ai été impressionnée de voir le changement qui avait eu lieu dans le corps de Salomé depuis quelques semaines. C'était comme si le temps qui, pour moi, marchait normalement, heure par heure, jour après jour, nuit par nuit, pour elle , s'était mis  à galoper ...L'expression était étrange, un peu figée, comme si quelque chose d'effrayant guettait, et qu'elle ne pouvait s'en défaire...Elle respirait vite, la bouche entrouverte, et l'ai chaud sifflait ente ses dents. page 113
 
Fin de l'histoire  de M. Cho pour Salomé. Fin août 2016
La vérité ai-je dit ( un peu solennellement, je crois ) , c'est qu'il y a toujours une fin à tout, même aux histoires les plus incroyables. Même M. Cho savait cela. c'est pourquoi  il avait longtemps retardé le moment de laisser partir ses voyageurs, son cher Dragon et sa femme Diamant, vers l'autre côté de la terre...M. Cho a senti que l'heure était  venue...vers la fin des années 60, la guerre était finie depuis longtemps, mais on parlait régulièrement des problèmes aux frontières. Tout cela pouvait recommencer  n'importe quand. page 116, 118
C'est le grand jour du départ pour M. Cho. Il a loué les services d'une camionnette du marché, et lui et ses pigeons ont embarqué pour la dernière aventure, de l'autre côté de la frontière. Il connaît bien l'endroit, c'est là qu'il a grandi avec sa mère, quand ils sont revenus  du Sud après la guerre, en 1956. C'était l'endroit le plus proche de là où il est né. page 121
Ses  yeux se remplissaient de larmes tandis qu'il ouvrait l'une après l'autre, les cages des oiseaux.
"Allez, volez haut dans le ciel jusqu'à mon pays natal, jusqu'à la ferme enfouie dans le creux de la vallée..." page 122
 M. Cho a réalisé son rêve, il est de retour, il ne désire rien d'autre, car pour lui, le monde est parfait. Mais ici, mais pour nous autres qui vivons ailleurs, rien n'est vraiment achevé. Le bonheur n'existe pas. Juste quelques rêves, quelques paroles. Juste le vent de la mer qui bouscule les plumes  des oiseaux pendant qu'ils traversent l'estuaire.
Et la réalité assassine. page 127

Histoire de Nabi, la chanteuse , pour Salomé, septembre 2016
Elle est arrivée très jeune à Séoul, à l'âge de douze ans, je crois, elle était une jolie fille de la province de Gangwon-do, d'une petite ville du nom de  Yeongwool...Elle n'avait jamais rien aimé d'autre que chanter, depuis qu'elle était toute petite. Elle accompagnait sa grand-mère à l'église chrétienne, et très vite, elle a fait partie de la chorale...page 136
Ce qui s'est passé ce jour-là, dans le bureau du pasteur Randall, ç'a été le commencement du naufrage  pour Yang Su. Elle ne l'a dit à personne, surtout pas à sa grand-mère, mais elle a cessé du jour au lendemain d'aller à l'église...Puis elle a commencé à fréquenter un groupe de jeunes musiciens, des garçons plus âgés qu'elle qui jouaient du rock le soir dans les clubs, et elle est devenue chanteuse. page 149
Quand on meurt, dit la rumeur, ce qu'on ressent n'est pas douloureux, bien au contraire, c'est doux comme du miel dans la gorge, c'est enivrant comme la fumée parfumée qui emplit la poitrine, et la porte qui s'ouvre au fond du cerveau est pareille à l'entrée du paradis. Ensuite, l'âme s'échappe du corps par tous les pores de la peau, par les yeux et par les oreilles, par les cheveux et par les narines, pour s'éparpiller dans le vent, voyager  sur les vagues de la mer, à travers les  plaines des eulalies et sur les feuilles des lotus, au milieu des nuages  aussi légers  que les Dragons, jusqu'à ce qu'elle rencontre une forme à laquelle elle pourra se joindre , une forme vivante, une herbe, une libellule, ou un chat. page 170

Histoire des deux dragons, à Salomé, fin octobre 2016
"C'est une histoire sans être une histoire" ai-je commencé. Salomé me regardait de ses grands yeux fiévreux. "oui,, comment une histoire qu'on raconte peut ne pas être une histoire"?
- Si c'est la vérité, a dit Salomé.
- oui, bien sûr, mais même la vérité peut être un mensonge si tu n'y crois pas, et même le mensonge  peut sembler vrai si je le raconte bien" page 172
M. Pak me donne de temps en temps des nouvelles de Salomé - en vérité, elle ne s'appelle pas Salomé, elle s'appelle Kim Se-Ri, et M. Pak en parle si bien que je crois qu'il a été son amoureux autrefois, il y a vingt ans quand il était encore un écolier. C'est ce que j'imagine; mais bien sûr je ne peux pas aborder ce sujet avec lui.
"Elle a beaucoup baissé, dit Frederick. Elle est en train de s'éteindre jour après jour, elle te demande. Et toi, tu refuses de recevoir ses messages." En quoi ça le regarde? Je suis sarcastique: "Tu es son messager maintenant? " Il hausse les épaules. "ça ne te ressemble pas d'être méchante. " Qu'Est-ce -qu'il en sait? D'abord, in ne naît pas méchant, on le devient. C'est un des axiomes que j'ai écrit dans mon carnet. page 196
J'ai compris alors ce qui se passe dans ma vie; je n'y avais vraiment réfléchi, à quel point tout est étrange, incroyable. Lorsque j'y repense, il me semble que tout a été ordonnancé pour accomplir cette histoire, et que j'ai été en quelque sorte la messagère d'un ordre supérieur, céleste, et qu'après cela je ne pourrai jamais être la même personne. Voici, c'est ma dernière histoire, que je raconterai à Salomé avant qu'il ne soit trop tard. C'est pour elle que j'ai envie de l'inventer, pour lui expliquer qu'elle a été la seule personne qui a compté dans ma vie, plus que mes propres parents, plus que Frederik ne le pourra jamais, la seule personne parmi les millions et les millions d'êtres humains qui existent....page 199
 
La traversée du pont de l'arc-en-ciel, pour Salomé, à l'hôpital Severance, avril 2017
Ceci est une histoire vraie, ma seule histoire vraie. Je ne veux pas dire que les autres histoires que j'ai contées à Salomé pour la guérir de sa douleur, étaient  fausses, mais je les ai arrangées pour qu'elles lui plaisent, j'ai ajouté de petits mots doux, des petits mots durs, pour qu'elle comprenne que ça se passe dans le monde qu'elle ne connaît, le monde où l'on bouge, où l'on sent la chaleur du soleil, le froid du vent d'hiver, la pluie, la neige. le monde qui est cruel car il ne s'occupe pas d'elle. le monde auquel elle ne manquera pas quand elle mourra. page 201
Je pensais que sa mort ne me ferait rien, bien au contraire qu'elle me soulagerait, puisqu'elle me libérait de son emprise, de sa méchanceté. Puis, soudain ma rancœur s'est arrêtée, elle s'est retournée comme les pieuvres que mon père renverse quand elles viennent d'être pêchées, chez nous, au Jeolla-do. Salomé aura été la seule personne qui s'est vraiment intéressée à moi dans cette ville de Séoul où personne  ne rencontre personne. Elle a voulu que je vive pour elle, pour lui raconter la vie au-dehors, elle s'est servie de moi mais elle m'a protégée. Alors mes yeux se sont remplis de larmes quand j'ai dû la quitter . page 214
Je suis Bitna, j'ai dix-neuf ans, je suis seule dans cette grande ville de Séoul, sous le ciel....
Je suis seule, je suis libre, ma vie va commencer.   page 216
 
 
 

vendredi, avril 20, 2018

PETIT PAYS ( Gaël Faye)

 Au temps d'avant, avant tout ça, avant ce que je vais vous raconter   et le reste, c'était le bonheur, la vie sans se l'expliquer. Si l'on me demandait : "comment ça va?", je répondais toujours "ça va" . Du tac au tac. Le bonheur, ça t'évite de réfléchir. C'est par la suite que je me suis mis à considérer la question. A esquiver, à opiner vaguement du chef. D'ailleurs, tout le pays s'y était mis. Les gens ne répondaient plus que par "ça va un peu". parce que la vie ne pouvait plus aller complètement bien après tout ce qui nous est arrivé.
 
 
Je ne sais pas vraiment comment cette histoire a commencé.
Papa nous avait pourtant expliqué , un jour,  dans la camionnette.
-"Vous voyez, au Burundi, c'est comme au Rwanda. Il y a trois groupes différents, on appelle ça les ethnies. Les Hutu sont les plus nombreux, ils sont petits avec un gros nez.
- Comme Donatien? j'avais demandé.
- Non, lui c'est un Zaïrois, c'est pas pareil. Comme Prothé, par exemple, notre cuisinier Il y a les Twa, les pygmées. Eux, passons, ils sont  seulement quelques-uns, on va dire qu'ils ne comptent pas. Et puis, il y a les Tutsi, comme votre maman Ils sont moins nombreux que les Hutu, ils sont grands, maigres avec des nez fins et on ne sait jamais ce qu'ils ont dans la tête. Toi, Gabriel, avait-il dit en me pointant du doigt, tu es un vrai Tutsi, on ne sait jamais ce que tu penses.
Là moi non plus, je ne savais pas ce que je pensais. De toute façon, que peut-on penser de tout ça? Alors, j'ai demandé:
- La guerre entre les Tutsi et les Hutu, c'est parce qu'ils n'ont pas le même territoire?
-Non ce n'est pas ça, ils ont le même pays.
- Alors ils n'ont pas la même langue?
- Si, ils parlent la même langue.
- Alors, ils n'ont pas le même dieu?
- Si, ils ont le même dieu.
- Alors...pourquoi se font -ils la guerre?
- Parce qu'ils n'ont pas le même nez.
La discussion s'est arrêtée là. pages 9 et 10

Je ne connaîtrai jamais les véritables raisons de la séparation de mes parents...Papa était un petit Français du Jura arrivé  en Afrique par hasard pour effectuer son service civil...Seulement mes parents étaient des adolescents paumés  à qui l'on demande subitement de devenir des adultes responsables....Le réel s'est imposé. Rude.  Féroce. ... Ils n'avaient pas partagé  leurs rêves, seulement leurs illusions. Un rêve, ils en avaient eu chacun à soi, égoïste et ils n'étaient pas prêts à combler les attentes de l'autre. pages 17, 18
 
A Bujumbura, Mamie habitait une petite maison au crépi vert, à l'OCAF....A l'OCAF ( Office des cités africaines) , les voisins étaient surtout des Rwandais qui avaient quitté leur pays pour échapper aux tueries, massacres,  guerres, pogroms, épurations,  destructions,  incendies, mouches tsé-tsé, pillages , apartheids, viols, meurtres, règlements de compte  et que sais-je encore. Come Maman et sa famille avaient fui ces problèmes et en avaient rencontré de nouveaux au Burundi - pauvreté, exclusion, quotas, xénophobie, rejet, boucs émissaires, dépression, mal du pays, nostalgie. Des problèmes de réfugiés.
L'année de mes huit ans, la guerre  avait éclaté au Rwanda. C'était au tout début de mon CE2. pages 62, 63
 
Armand habitait la grande maison en brique blanche au fond de l'impasse. Ses deux parents étaient burundais, il était le seul noir de la bande. Son père.... était diplomate pour le Burundi dans les pays arabes et connaissait personnellement beaucoup de chefs d'état...Dans  sa famille, ils étaient coincés et stricts, mais lui avait décidé de danser et de faire le pitre dans la vie. Il craignait son père, qui ne rentrait de voyages que pour affirmer son autorité sur ses enfants. Pas de câlins, pas de mots doux, jamais! Une baffe dans la gueule et il reprenait fissa son avion pour Tripoli ou Carthage. Résultat, Armand avait deux personnalités. Celle de la maison et celle de la rue. Un côté pile, un côté face. page 72

Armand et moi chipions des grappes pendant que Gino  et les jumeaux décrochaient des mangues charnues...Avec le reste de notre récolte, nous sommes retournés dans le Combi Wolkswagen pour nous gaver de mangues. Une orgie. Le jus nous coulait sur le menton, les joues, les bras, les vêtements, les pieds. les noyaux glissants étaient sucés, tondus, rasés. L'envers de la peau raclé, curé, nettoyé. La chair filandreuse nous restait entre les dents. page 76

On écoutait les nouvelles du front sur le petit poste grésillant. Gino ajustait l'antenne pour atténuer la friture. Il me traduisait chaque phrase, y mettait tout son cœur. page 81
Gino, le seul enfant que je connaissais  qui, au petit déjeuner, buvait du café noir sans sucre et écoutait les informations de Radio France International avec le même enthousiasme que j'avais à suivre un match de Vital'O Club. Quand nous étions tous les deux, il insistait pour que j'acquière ce qu'il appelait une "identité". Selon lui, il y avait une manière d'être, de sentir et de penser que je devais avoir. Il avait les mêmes mots que Maman et Pacifique et répétait qu'ici, nous n'étions que des réfugiés , qu'il fallait rentrer  chez nous au Rwanda.
Chez moi? c'était ici. Certes , j'étais le fils d'une Rwandaise, mais ma réalité était le Burundi, l'école française, Kinanira, l'impasse. Le reste n'existait pas... pages 82, 83
 
Des milliers de nos frères ont été en 1972 et pas un seul procès. Si rien n'est fait, les fils finiront par venger leurs pères.
- Balivernes! ...A mort l'ethnisme, le tribalisme, le régionalisme, les antagonismes!
- Et l'alcoolisme!
....Les blancs auront réussi leur plan machiavélique. Ils nous ont refilé leur Dieu, leur langue, leur démocratie. Aujourd'hui, on va se faire soigner chez eux et on envoie nos enfants étudier dans leurs écoles. Les nègres sont tous fous et foutus.... page 88
 
L'autre belle nouvelle de ce début de vacances était que mes parents se parlaient à nouveau, après des mois de guerre froide. Ils m'avaient félicité de conserve pour mon passage en sixième. Ils avaient dit : " Nous sommes fiers de toi". Un "nous" de couple, de réunification. Tous les espoirs sont permis. page 102
 
Les grandes vacances, c'est pire que le chômage.  Nous sommes restés dans le quartier pendant deux mois à glander, à chercher des trucs pour occuper nos mornes journées. Même si parfois on rigolait, il faut bien avouer  que nous nous sommes ennuyés comme des varans crevés....J'étais bien content quand l'école a repris. Papa me déposait maintenant devant l'entrée des grands. J'étais au collège, dans la même classe que les copains et une nouvelle vie commençait. Nous avions certains cours après-midi de la semaine et je découvrais de nouvelles matières comme les sciences naturelles, l'anglais, la chimie, les arts plastiques. Les élèves qui avaient passé leurs vacances  en Europe ou en Amérique, en étaient revenus avec des habits et des  chaussures à la mode. Au début, je n'y prêtais pas attention. Mais Gino et Armand n'arrêtaient pas d'en parler, les yeux brillants. Cette envie a viré à l'obsession et j'ai fini par être contaminé. Désormais, il n'était plus question de billes et de calots , mais de fringues et de marques. pages 111, 112
 
l'école a rouvert la semaine d'après. La ville était étrangement calme... Pour nous, enfants privilégiés du centre-ville et des quartiers résidentiels, la guerre n'était encore qu'un simple mot. Page 122...les jours passaient et la guerre continuait de faire rage dans les campagnes. Des villages étaient ravagés, incendiés, des école attaquées à la grenade, les élèves brûlés vifs à l'intérieur. Des centaines de gens fuyaient vers le Rwanda, le Zaïre ou la Tanzanie.. page 124
 
Cet après-midi là, pour la première fois de ma vie, je suis entré dans la réalité profondes de ce pays. J'ai découvert l'antagonisme hutu et tutsi, infranchissable ligne de démarcation qui obligeait chacun à être d'un camp ou d'un autre...page 133
 
Le matin du 7 avril 1994, la sonnerie du téléphone a retenti dans le vide. Papa n'était pas rentré de la nuit. J'ai fini par décrocher.
- Allo?
- Allo?
- C'est toi maman?
-Gaby, passe-moi ton père.
- Il n'est pas là.
- Comment?
...Comme au lendemain du coup d'Etat, il n'y avait personne dans la parcelle. Ni Prothé, ni Donatien, ni même la sentinelle. Tout le monde avait disparu...
"Le président du Burundi et celui du Rwanda ont été tués cette nuit. L'avion dans lequel ils étaient a été abattu au-dessus de Kigali....page 158, 159

Maman ne mangeait plus, ne dormait plus...Chaque jour, la liste des morts s'allongeait, le Rwanda était devenu un immense terrain de chasse dans lequel le gibier était le Tutsi...page 162
 
Un après-midi, j'ai croisé , par hasard, Mme Economopoulos devant sa haie de bougainvilliers
. On a échangé quelques mots....puis elle m'a invité  à entrer  dans  sa maison pour m'offrir un verre de jus de barbadine. Dans son grand salon, mon regard  a tout de suite  été attiré par la bibliothèque lambrissée qui couvrait entièrement un des murs de la pièce. Je n'avais jamais vu autant de livres en un seul lieu. Du sol au plafond.
- "Vous avez lu tous ces livres? j'ai demandé.
- "Oui. Certains plusieurs fois même. Ce sont les grands amours de ma vie. Ils m'ont fait rire, pleurer, douter, réfléchir . Ils me permettent de m'échapper. Ils m'ont changée, ont fait de moi une autre personne.
- "Un livre peut nous changer?
- "Bien sûr, un livre peut te changer. Et même changer ta vie. Comme un coup de foudre. On ne peut pas savoir quand la rencontre aura lieu. Il faut se méfier des livres, ce sont des génies endormis.
Mes doigts couraient  sur les rayonnages, caressaient les couvertures, leur texture si différente les unes des autres.....pages 168, 169
Chaque fois que je lui rapportais un livre, Mme Economopoulos voulait savoir ce que j'en avais pensé. Je me demandais ce que cela pouvait bien lui faire. Au début, je lui racontais brièvement l'histoire, le nom des lieux et des protagonistes. Je voyais qu'elle était contente et j'avais surtout envie qu'elle me prête à nouveau  un livre pour filer  dans ma chambre le dévorer.
Et puis , j'ai commençai à lui dire ce que je ressentais, les questions que je me posais, mon avis sur  l'auteur ou les personnages. Ainsi je continuais à savourer  mon livre, je prolongeais l'histoire. J'ai pris l'habitude de lui rendre visite tous les après-midi. Grâce à mes lectures, j'ai aboli les limites de l'impasse,, je respirais à nouveau, le monde s'étendait plus loin, au-delà des clôtures qui nous recroquevillaient sur nous-mêmes et sur nos peurs...Sur sa table en fer forgé, elle servait le thé et des biscuits chauds. Nous discutions des heures des livres qu'elle mettait entre mes mains. Je découvrais que je pouvais parler d'une infinité de  choses tapies au fond de moi et que j'ignorais. Dans ce  cadre de verdure, j'apprenais à identifier mes goûts, mes envies, ma manière de voir et de ressentir l'univers. Mme Economopoulos me donnait confiance en moi, ne me jugeait jamais, avait le don de m'écouter  et de me rassurer...page 170

Donatien a tamponné mon pied avec un antiseptique  et Prothé s'est assuré que je n'avais pas d'autres chiques. Je regardais ces deux hommes s'occuper de moi avec la tendresse d'une mère. La guerre ravageait leur quartier page 179, mais ils venaient presque tous les jours au travail et ne laissaient jamais transparaître leurs peines ou leurs angoisses.
- "C'est vrai  que l'armée  a tué des gens chez vous, à Kamenge? j'ai demandé.
Donatien a reposé mon pied sur la tabouret , avec délicatesse. Prothé est venu s'asseoir à côté de lui, il a croisé les bras et a observé des milans noirs tournoyer  dans le ciel. Donatien s'est mis à parler d'une voix lasse.
-" Oui, c'est come ça que ça se passe. Kamenge est le foyer  de toute violence  de cette ville Chaque soir, nous dormons sur des tisons ardents et nus voyons les flammes s'élever au-dessus du pays, des flammes si hautes qu'elles dissimulent les étoiles que nous aimons admirer...page s179, 180
 
 
Je ne suis ni hutu, ni tutsi, ai-je répondu. Ce ne sont pas mes histoires. Vous êtes mes amis parce que je vous aime et pas parce que vous êtes de telle ou telle ethnie, ça, je n'en ai rien à faire. page 183
 
La guerre à Bujumbura s'est intensifiée. Le nombre de victimes était devenu si important que lla situation au Burundi faisait partie désormais de la une de l'actualité internationale.
Un matin  Papa a retrouvé  le corps de Prothé dans le caniveau, devant chez Francis, criblé de cailloux. Gino a dit que ce n'était qu'un boy, il ne comprenait pas pourquoi je pleurais. Quand l'armée a attaqué Kamenge, on a perdu toute trace de Donatien. A-t-il lui aussi été tué? A-t-il fui le pays comme tant d'autres, en file indienne, un matelas sur la tête, un baluchon dans une main, ses enfants de l'autre, simples fourmis humaines qui coulaient le long des routes et des pistes d'Afrique en cette fin du XXè siècle? page 210
 
( Gaby est en France) Je vis depuis des années dans un pays en paix, où chaque ville possède tant de bibliothèques que plus personne ne les remarque. Un pays comme une impasse, où les bruits de la guerre et la fureur du monde nous parviennent de loin. page 212
 

 

lundi, avril 09, 2018

L'HOMME QUI NE MENTAIT JAMAIS ( Lao She)
 
"On retrouve  dans ces histoires toute l'éblouissante verve  mâtinée  d'esprit  critique de Lao She. Certaines ont l'éclat mordant de la face bouffonne; d'autres , ancrées de plus près dans la dramatique histoire de la fin des années trente, assombrissent leurs teintes pour évoquer la résistance contre l'envahisseur japonais. Toutes, cependant, puisent à une veine satirique qui s'étonne  des dérisoires  effort des hommes pour ajuster leurs rêves avec le réel, et leur image  d'eux-mêmes avec les faits."
"On retrouve ici avec joie, l'acidité et les paradoxes  de cet extraordinaire  raconteur d'histoires , cousin chinois de Dickens et de Mark Twain. Petite merveille." (Le Monde )

L'homme qui ne mentait jamais, 1936
Au moment où il allait se diriger vers la glace, il entendit un pas au-dehors. Il savait que c'était sa femme et il ressentit un grand bonheur, non qu'il fût heureux  de voir revenir sa femme, mais bien d'avoir reconnu son pas.  page 15

Partir de bonne heure, rentrer de bonne heure et gagner de l'argent pour subvenir aux besoins de sa famille constituaient son idéal et sa gloire. page 16
 
Lorsqu'il arriva au bureau, la grande pendule marquait huit heures trente-deux. Il était donc en retard de  deux minutes. Dans ses rêves, l'aiguille était toujours du bon côté du cadran. Il lui sembla, soudain, que le temps s'était dilaté de deux graduations. Les choses avaient changé d'aspect Il ne se reconnaissait plus. Jusque là, il était toujours arrivé du bon côté de huit heurs et demie. La vie n'est qu'une accumulation d'habitudes: on s'endort difficilement  dans un nouveau lit. Il se sentait perdu , perdu en dehors de ces deux minutes, comme s'il se fût, tout d'un coup, trouvé transporté sur une plage déserte. page 17
 
Vieille tragédie pour temps modernes. 1936
A ses yeux, son père appartenait au monde des immortels. C'était un immortel avec qui il était en contact  direct. Lorsqu'il vénérait les divinités traditionnelles... il le faisait avec sérieux et respect , mais cela restait un acte machinal. C'était seulement lorsqu'il se prosternait  devant son père qu'il éprouvait ce sentiment de profond respect et de chaleureuse communion. Ce n'était plus un rite  qu'il fallait bâcler. Il se sentait immergé dans le sang de son père et retrouvait l'innocence  du nouveau-né. page 25
 
Avant que Dacheng  (un fils du vieux Chen) eût réalisé qu'on lui avait donné un ordre,  sa mère avait déjà poussé la petite fille dans le salon. Sachant que  pour le vieux Chen, les femmes ne comptaient pas beaucoup, elle attendait la fin de la conversation derrière la porte. page30
Celui-ci (le vieux Chen) regarda sa petite - fille du coin de l'œil mais il ne lui dit pas de s'approcher, car, après tout, une fille emportait toute la richesse de la famille avec elle. Il ne voulait pas trop gâter son petit-fils et il ne pouvait pas, non plus,  aimer sa petite-fille. page 31
 
La neuvième partie (de mahjong) s'engagea. Les joueurs étaient de plus en plus bruyants. Politesse, manières, statut social,  éducation... semblaient avoir disparu et même jamais existé. Plus la nuit avançait, plus la grossièreté régnait. Une seule chose comptait désormais: les pièces qu'ils reposaient et qu'ils ramassaient. les sourires affables  avaient fait place aux regards cupides...page 40
 
Elle savait qu'elle n'était rien., rien d'autre que la femme de Lianbo, quatre syllabes qui la condamnaient à  rester clouée sur sa chaise. page 42
 
Pourtant, c'était un fait: à soixante ans , il (le vieux Chen) avait raté sa vie . Il avait beaucoup lu mais n'avait pas su tirer partie de ses connaissances." Je n'ai point de talents et l'Empereur m'a abandonné". Il ne parvenait pas  à se rappeler la suite. Du Fu, Bai Juyi, Si Dongpo (des poètes célèbres) avaient tous été fonctionnaires. Il éprouvait donc un sentiment de vide et de honte . page 47
 
"Nous ne nous sommes pas disputés. Je suis libre et personne n'a le droit de me dire qui je dois aimer. Pourtant, j'ai une idée. Tu m'appartiens et je veux que tu viennes habiter chez moi. (Lianbo à Xiao Feng)
- Pourquoi pas, dit-elle en baissant la tête.
- Comment? ..En tous cas, je sais que les femmes sont une calamité. Elles dévorent l'homme, elles boivent l'homme et, quand elles sont rassasiées, elles le persécutent....page 69
 
Devenir fonctionnaire avait toujours procuré des avantages. Même à la retraite, un commissaire au transport du sel ou un général avaient des revenus. Les anciens fonctionnaires et les nouveaux se serraient les coudes. Il fallait à tout prix se faire des relations ou épouser une femme qui comptait un fonctionnaire dans la famille. Un  homme qui parvenait à devenir fonctionnaire assurait le bonheur de trois générations. C'était parfaitement évident. page 74
 
Les yeux de ceux qui marchaient seuls semblaient chercher quelque chose et ceux qui marchaient par deux se donnaient la main ou se tenaient par le cou. page 79
 
Le vieux Chen n'avait jamais, jusque là , eu de problème pour pénétrer en taxi dans la cour du bureau de police mais aujourd'hui, l'entrée était gardée, par un homme armé d'un fusil, baïonnette ou canon, qui refusa de le laisser passer. Le vieux Chen exhiba sa carte de visite en demandant à voir le chef de la Sécurité publique. Il lui fut répondu que celui-ci ne recevait personne. Comprenant que la situation était sérieuse, le vieux Chen ne protesta pas et se fit conduire chez le président Qian. Il ne voyait pas quel délit avait pu commettre son fils, qui était forcément innocent. Peut-être avait-il offensé quelqu'un au bureau auquel cas, il suffirait qu'un ami s'entremette pour aplanir les choses. Au pire, on serait obligé de dépenser quelque argent pour acheter un petit cadeau et le malentendu se dissiperait comme une brume matinale. Cette supposition lui remit un peu de baume au cœur. page 107
 
L'ordonnance , 1934
L'un d'eux était accompagné d'un commentaire poli. "En cette période où la liberté de la parole n'existe pas, des mots tels que rouge, jaune, bleu, blanc ou noir risqueraient  de compromettre très rapidement  l'avenir de la publication. Or, les mots  que vous utilisez  semblent tous appartenir à cette catégorie".
La lecture provoqua chez Ru Yin une crise d'hilarité qui dura très longtemps. C'était donc vrai! L'écriture  était un instrument  qui pouvait tromper. L'auteur, le lecteur, le critique et le censeur sortaient tous de la même école. page 127
 
Au cours des vingt années qu'il avait vécues, personne ne lui avait donné un livre. En quoi un livre pouvait le concerner? page 130
 
Le crachoir  de Maître Niu. 1937
"Ne sais-tu pas que les gens d'un certain âge  éprouvent parfois le besoin de cracher?  Cracher dans la voiture est-il conforme aux règles d'hygiène? Alors pourquoi n'a-t-on pas installé un crachoir à l'intérieur? page 141
 
Retiens bien ceci: la décadence de la Chine est due au fait que les jeunes de ton espèce sont incapables d 'en baver un peu ni de faire  marcher leur tête. Ils ne savent que toucher leur salaire, s'amuser avec les filles et dire des idioties. page 142
 
Maître Niu avait fait fabriquer spécialement pour lui au Fujian cinquante crachoirs en laque incrustés d'argent. Ce fut pour lui un immense soulagement, car cela allait lui éviter beaucoup de problèmes. page 145
 
Les lunettes 1934
Song Xiushen faisait des études scientifiques mais, dans la vie de tous les jours, son comportement était tout le contraire de scientifique. Il croyait, par exemple, que les mouches des restaurants étaient désinfectées et lorsqu'il mangeait des nouilles à la sauce de sésame, il ne faisait pas le moindre effort pour les chasser. Il avait une paire d'yeux myopes et une paire de lunettes de myope qu'il ne portait que pour lire, car il ne mettait pas en doute la croyance communément répandue que porter des lunettes fait baisser la vue. Aussi, lorsqu'il marchait dans la rue, ou assistait  à un événement sportif, gardait-il toujours ses lunettes à la main. page 147

Notice nécrologique 1936
"Monsieur, je suis pauvre. Ma femme est morte depuis plusieurs années. j'élève tout seul mon fils Dali qui a huit ans. Je travaille du matin au soir; le reste importe peu. En rentrant, je rapporte à Dali deux mantous à la farine blanche. c'est pour lui que je vis. C'est lui qui représente la famille Feng. Toute la journée, je tire ma voiture. Alors, c'est sa tante, la sœur cadette de ma femme qui le garde. Tous les soirs, ils m'attendent à l'entrée de la hutong.  Dès qu'il me voit arriver de loin, il vient au-devant de moi en courant, en riant et en criant "papa!"  et je lui donne les mantous ou les crêpes que j'ai achetés pour lui....Hier, je suis rentré à quatre heures....Mais en arrivant chez moi, j'ai trouvé la tante en pleurs....Dali avait été enlevé par des gens de la hutong de la Planche. Je ne pouvais pas le croire, je savais qu'ils (les Japonais) kidnappaient  des enfants mais je  n'avais jamais entendu dire  qu'ils pouvaient kidnapper des enfants aussi pauvres que mon Dali, mon pauvre Dali qui n'a sur lui, en tout et pour tout, qu'un pantalon rapiécé. page 168

Un vieillard sentimental 1935
Même enrobées de sucre, les paroles  de consolation sont amères. page 183
 
Dans la pièce du sud, dormait son fils idiot...comment avait-il pu lui donner (la justice divine) un fils idiot?  Il y avait plus idiot que lui et pourtant c'était lui qui avait le fils idiot. Rien ne pouvait justifier une telle chose. Il ne pouvait compter que sur lui-même. Tout idiot qu'il fût,  son fils devait se marier. page 186
 
Ménage à trois. 1934
Après la débâcle qui avait suivi l'enfoncement du front, Ma Desheng et SunZhanyuan s'étaient retrouvés à la tête d'une petite fortune....Ils vivaient heureux. Ils s'étaient tous les deux fait confectionner un costume en tissu étranger ainsi qu'une veste ouatée bleu ciel dans les meilleurs endroits de la ville...jusqu'à ce jour, ils n'avaient rien connu d'autre que l'uniforme militaire  et la baïonnette...Pour être heureux, il ne suffisait pas de se promener toute la journée et de dormir la nuit dans un temple. Il fallait fonder un foyer...Or la situation était telle qu'ils ne pouvaient se marier tous les deux, car il aurait fallu qu'ils dépensent tout leur argent et la zizanie eût risqué de s'installer  entre les époux dès la première nuit dans la chambre nuptiale. Un seul pouvait donc se marier ; l'autre devrait rester donc célibataire. Mais lequel? Pouvait-on teneur compte de l'âge? Ils avaient tous les deux un peu plus de trente ans et n'étaient donc plus des enfants. Etant donné l'amitié qui les unissait et leur indéfectible loyauté, lequel aurait pu consentir à fonder un foyer  et abandonner son frère? Pouvait-on partager l'argent et partir chacun de son côté? La question ne pouvait même pas venir à l'esprit. Se séparer après avoir été amis pendant  dix ans ? C'était absolument impensable. page s203, 204, 205
Ce que nous cherchons pour vous,  c'est une femme qui lave votre linge, fasse la cuisine, ne soit pas trop difficile à nourrir, ne papote pas, ne chaparde pas, ne vous fasse pas cocu et soit de famille pauvre mais honnête.
Combien coûtait une femme de ce genre?  page 212
"Tu es notre femme à tous les deux. Inutile d'avoir peur....page 222

La chenille 1935
Dans notre rue, tout le monde l'appelait la Chenille. Toujours très bien habillé à l'occidentale avec un grand pardessus et des chaussures de cuir, on le remarquait; mais il était plutôt répugnant d'aspect avec sa tête en forme de calebasse et ses gros yeux de mouton qui semblaient ne pas avoir de prunelle. Ce qu'il avait de plus remarquable, toutefois était sa démarche car on ne pouvait pas vraiment dire qu'il marchait. Il se déplaçait en lançant son corps vers l'avant en un mouvement  étrangement saccadé qui n'était pas sans rappeler celui de la chenille. page 225

Li le noir et Li le blanc 1934
Quatrième Maître est jeune et ne me considère pas comme un tireur de pousse-pousse. Ils ont chacun un caractère différent. Quand il fait chaud,  Deuxième Maître me laisse m'arrêter pour souffler, mais Quatrième Maître , même quand il fait très chaud, me fait courir à toute vitesse. Par contre, quand nous bavardons, Quatrième Maître se demande pourquoi, en ce monde, certains sont condamnés à être tireurs de pousse-pousse et il s'indigne de cette injustice. Deuxième Maître  est très bon avec moi, mais il ne pense pas à mes frères. Alors, tu vois,  c'est Quatrième Maître  qui voit loin. Il ne s'occupe pas de mes jambes, mais il s'intéresse à ce qu'il y a en moi. Deuxième Maître s'occupe des petites choses. Il prend soin de mes jambes, mais il ne s'intéresse pas à ce qu'il y a "là-dedans". page 252
 
La mort d'un chien 1939
"c'est un appel à la résistance contre l'envahisseur" (japonais)
La paix, c'est la soumission. Nous ne pouvons plus supporter d'être bernés par quiconque. Nous avons le couteau sur la gorge, c'est d'accord, mais si nous fermons les yeux, la mort est certaine. Si nous ripostons, nous survivrons peut-être. On ne peut vivre qu'en renonçant à la vie, il nous faut verser notre sang. Il n'y a aucune autre voie! Aucune! page 264
Son père ne savait ni lire, ni écrire; il ne pouvait donc se poser de problèmes, ni se résoudre par des faux-fuyants. Sa bravoure devait être innée. Mais son père était-il vraiment ainsi? S'il l'était vraiment, alors il pourrait se pardonner et avoir quelque espoir. Cela voudrait dire  que seuls les illettrés avaient véritablement  du caractère et ils n'avaient pas besoin d'attendre que quelques intellectuels brandissent des banderoles et crient des slogans pour redresser la tête, ce qui était exactement le contraire de ce que pensait l'ennemi. page 288
(Le père de Tu Yifu a été emmené par les Japonais , il est rentré chez lui et raconte à son fils  ce qui lui est arrivé  ) "De toute façon , avec ces salauds, nous devons mener un combat à mort, c'est eux ou nous. Il n'y a pas d'autre solution. Je ne sais ni lire ni écrire mais je sais cela....Le fils de chienne m'a ordonné de m'agenouiller. Je n'ai rien dit, mais je n'ai pas bougé...Le fils de chienne  a repris la parole: "Tu ne perds rien pour attendre. Tôt ou tard, tu vas prendre une balle dans la tête"....Ils m'ont emmené dans une grande salle...Ils m'ont ordonné à nouveau de m'agenouiller et , toujours, sans rien dire, j'ai refusé encore une fois...Ils m'ont présenté  une feuille de papier  sur laquelle il y avait quelque chose d'écrit. Alors, j'ai prononcé les seules paroles que j'ai dites cette nuit-là.: " Je ne sais pas lire"! Ils m'ont demandé ce que ces caractères voulaient dire. Je n'ai rien répondu. Ils m'ont alors demandé  si c'était moi qui les avais écrits et qui avais signé. Je n'ai rien répondu. J'étais sûr cette fois qu'ils allaient me tuer....Je n'avais pas peur du tout, je craignais seulement que mes descendants m'oublient...Ce n'est pas parce que je suis borné, mais l'homme a un squelette et des vertèbres. ...Ils m'ont remis en joue. je les ai regardés, pourquoi avoir  peur d'eux? ...Ils ont gesticulé pendant des heures et ils n'ont jamais tiré...A l'aube, va savoir pourquoi , ils m'ont libéré. et ils ont même été très polis avec moi...;je ne sais ni lire et je sais à peine compter mais je sais une chose en tout cas: si tu te redresses et bombes le torse, personne n'osera te mépriser! Que dirais-tu d'une tasse de thé? Tu Yifu hocha la tête. page 293, 294, 295
 
Buffle en  Fer et Canard Malade 1934
Nul n'aurait pu croire en l( Buffle en Fer )'écoutant qu'il avait étudié hors de Chine et lu des livres dans une autre langue que la sienne, car aucun terme étranger  n'émaillait jamais son discours. Il ne pensait pas grand bien de la cuisine étrangère mais, lorsqu'il invitait,  il n'était pas celui qui mangeait le moins. Il ne portait pas de vêtements étrangers, ne savait danser et ne se bouchait pas le nez  quand ça puait dans la rue. Il ne pensait pas non plus qu'il était indispensable de manger des oranges américaines....S'il avait étudié l'agronomie,  c'était pour accomplir une grande œuvre sans faire de remous. ... Améliorer l'agriculture était une tâche d'importance  primordiale. Lorsqu'il parlait, il n'utilisait jamais  de termes techniques. Puisqu'il faisait des recherches  en agronomie, il ne pouvait oublier que l'agronomie , c'était l'agriculture , et que l'agriculture, c'étaient les paysans. Ainsi, dans son esprit, son travail de laboratoire avait un rapport étroit avec la vie des paysans. Il ne se considérait pas comme un savant... Depuis qu'il était rentré au pays, il travaillait dans une ferme d'Etat  où il faisait des expériences sur la sélection des semences. Page 299

Le nouveau Hamlet. 1936
Quand il se regardait dans la glace, il aimait son long visage maigre, son front blanc et haut, l'expression lasse de ses yeux,  ses lèvres minces et ses longs cheveux clairsemés peignés en arrière. Sa beauté n'était pas celle de monsieur Tout-Le- Monde.
Très sûr de lui, il s'habillait à l'occidentale avec le plus grand soin et accordait la plus extrême attention aux moindres détails de son physique  et de sa personnalité afin de préserver sa supériorité et sa dignité.
La perfection de son visage et de ses vêtements ne lui permettait pas toutefois de trouver la paix car, s'il était sûr qu'on ne pouvait rien trouver à redire à leur sujet, il n'en était pas de même de sa pensée, où régnait la plus grande confusion. On pouvait soigner son visage  et ses vêtements, mais mettre de l'ordre dans sa pensée, était une autre paire de manches. page 318
(Ce sont les vacances et Hamlet est rentré chez lui, son père a fait faillite) Son père ne lui avait pas envoyé d'argent, il pouvait lui pardonner. Son père était un petit marchand de fruits, il pouvait lui pardonner.  Son père radotait, il pouvait  aussi lui pardonner. Mais il y avait une chose qu'il ne pouvait pas pardonner: la phrase que son père avait prononcée : " Tu es étudiant à l'université, tu dois savoir ce qu'il faut faire". Cette phrase lui avait fait très mal. Il comprenait très bien la situation dans laquelle se trouvait  sa famille. Avant de rentrer, il avait un plan brillant, parfaitement au point. Malheureusement, il ne cadrait pas avec la conjoncture et volait en éclats en se heurtant à la réalité comme l'assiette du jongleur lorsqu'il commet une faute.
Après avoir réfléchi, il décida qu'il ne pouvait pas modifier son idéal en fonction de ses sentiments...Ce n'était pas dans les miasmes  des sentiments  qu'on pouvait découvrir la vérité...Il fallait qu'il trouve une solution pratique pour s'extirper de la boue et se retrouver les pieds au sec. Il ne pouvait pas de renier puisqu'il était détenteur de la vérité. Il fallait fuir!  page 341

Le nouvel Emile 1936
 ( Parodiant Jean-Jacques Rousseau, Lao She imagine un programme d'éducation  visant à former le parfait  révolutionnaire)
Bien que mon Emile n'ait vécu que huit ans, trois mois et quatre jours, je demeure persuadé  que ma méthode d'éducation ne comportait pas de grosses erreurs.  page 343
A la naissance, Emile pesait  six livres et demie...A peine né, il pleura. Je commencai à l'éduquer aussitôt.
- "Mon ami,  tais-toi.  La vie est une lutte, un combat.  Pleurer est une marque de faiblesse. Tu le sais bien sûr.  Alors, ne recommence pas!  C'est un ordre! Que ce soit la dernière fois!
Il émit encore quelques gémissements,  et s'arrêta. A partir de ce jour, on ne l'entendit plus pleurer. Mon brave Emile!
  page 344
Quand il eut huit ans, je  commençai à lui inculquer les principes de la politique . hélas , il tomba malade. Je n'aurais jamais pensé qu'il  pût ne pas se remettre  d'une maladie. page 355