mercredi, avril 04, 2018

COLETTE ET LES SIENNES (Dominique Bona)
 
 
Août 1914, il n'y a plus d'hommes à Paris. Les femmes s'organisent. dans une jolie maison, à l'orée du bois de Boulogne, Colette, la romancière, la journaliste célèbre, fait venir ses amies les plus proches. Toutes appartiennent au monde de la littérature et  du spectacle. Il y a Marguerite Moreno, la comédienne. Annie de Pène, la chroniqueuse et "presque sœur" . Musidora  dit Musi, bientôt la première vamp du cinéma.
Ces quatre femmes libres s'inventent une vie pleine  de rêves et de douceur: les cheveux courts et sans corsets, elles n'oublient pas le ciel de Paris où passent les dirigeables, ni leur travail, ni les hommes. Elles vont vers l'être aimé, quel qu'il soit. Au cœur de l'histoire, sanglante et sauvage, elles affirment leur personnalité, leur tendresse et leur insoumission.
Avec sensualité et talent, Dominique Bona raconte les passions de ces femmes libres , qui resteront amies jusqu'à la mort.
Marguerite Moreno: 1871-1948, Musidora: 1889-1957; Annie de Pène: 1871- 1918; Colette: 1873 - 1954
 
Paris désert. Paris menacé, Paris sans hommes, c'est une note incongrue  dans le paysage qu'elles finissent par identifier: le parfum de la liberté. Cette liberté, elles en ont eu si peu l'habitude qu'elles ne savent plus très bien quoi en faire, les premiers jours.
" Librement...Etre libre! écrit Colette. Je parle tout haut  pour que ce beau mot décoloré reprenne sa vie, son vol, son vert reflet d'aile sauvage et de forêt". page 15
 
Colette redoute la solitude. Mariée à vingt ans, puis divorcée de son premier mari, après une longue séparation de  corps, elle a déjà habité seule, sans compagnon, ni maître, mais elle n'aime pas ça. Vivre en couple la rassure. Elle a besoin de  se sentir protégée autant qu'aimée....page 18
 
Colette les a fait venir toutes les trois, Musi, Annie et Marguerite. Ses amies , ses presque-sœurs. Elles habitent à deux pas de  chez elle, toutes dans le XVI è arrondissement, mais elles ont préféré se regrouper. page 22
 
La guerre est proche, les Allemands poussent leur avancée jusqu'en Seine et Marne , Paris vit dans la peur d'être assiégé et qui sait envahi?  page 30
 
Les quatre amies ont les cheveux courts: une excentricité , en 1914, que très peu de femmes osent se permettre. ...En coupant ses cheveux, la femme brise  une image que de longs siècles ont forgée, elle s'affranchit du modèle ancestral. page 32
Autre signe d'émancipation et d'avant-garde: les quatre amies fument....
Dernier trait d'originalité ou d'extravagance  chez ces amies  de cœur: habillées normalement, c'est-à-dire en femmes, elles ne portent pas de corset. Ce corset que  le couturier  Paul Poiret  a été le premier à supprimer de l'habillement féminin, dès 1903, entrave encore  la grande majorité  des femmes en 1914..Page 38
Les robes des quatre amies  sont encore longues , leurs chapeaux volumineux, pourvus d'aigrettes et de voilettes. ...leurs jupes commencent cependant à raccourcir irrésistiblement. page 40

Pas plus qu'Annie, Colette n'a pas fait  d'études  ni reçu la moindre formation  universitaire. "Gagner ma vie? Mais comment? En faisant quoi? Je ne sais rien! Je n'ai pas été élevée dans l'idée , qu'un jour, j'aurais besoin de gagner de l'argent! On ne m'a appris aucun métier, je n'ai pas le moindre brevet. ...Annie de Pène , ayant quitté son mari, a dû se trouver un travail pour survivre. ... Annie et  Colette ont appris un métier sur le tas. mais elles étaient douées, au départ: il y avait chez elles deux, une fluidité dans le récit, une  espèce de facilité dans la prose, une aisance à se projeter  dans les paysages ou dans le cœur des êtres qu'elles rencontrent...On ne peut pas s'étonner de ses succès grandissants dans le journalisme, elle (Colette) affectionne les récits courts et sait les rendre efficaces. page 49
 
Les deux hommes auxquels Colette a été mariée, Doucette et Sidi - il y aura plus tard un troisième et dernier - ont en commun d'être des hommes plus féminins qu'il n'y paraît. page 64
 
Leur liberté, les quatre femmes l'ont payée au prix fort.
Elles ont quitté un foyer  pour tenter de vivre par elles-mêmes, hors du joug conjugal que leur semblait être l'ancrage familial ou conjugal.  Ce choix, volontaire ou dû pour une large part aux circonstances, s'accompagne de sacrifices et de souffrances. page 96
 
(Annie) Avec sa haine du mariage, une haine profonde  que rien ne répare - "il y a toujours une  victime dans le mariage, si ce n'est deux" écrit-elle ou bien  encore " le mariage, cette négation de l'amour" " cet asservissement  d'un être à un autre être"- Annie ne peut concevoir les liens maternels que comme une autre entrave. Le ressentiment, la colère lui serrent la gorge, quand elle voit une femme privée de liberté, asservie par l'amour même. page 102

Et puis de quoi vivra-t-on demain?  Car la guerre ne finit pas...et on ne leur rend toujours pas les hommes. page 111
 
Hors  de la maison et du journal pour celles qui travaillent, leur temps libre conduit les femmes au Marché aux Puces , à Saint-Ouen.page 113
 
Phénomène de mode autour de1900, l'amour lesbien inspire la littérature et les autres arts. Alors que l'homosexualité masculine est sévèrement jugée et réprimée, la Belle Epoque se montre plutôt indulgente, dans les hautes sphères de la société, pour les ébats entre femmes, considérés comme un divertissement charmant , un luxe libertin. page 135
 
Jusqu'à la guerre 1914, toute femme qui se produit  en public habillé en homme est punie par la loi. le port du pantalon, strictement prohibé aux femmes dans la vie civile, n'est toléré au-dehors que pour qu'elles puissent enfourcher une bicyclette - cas d'exception. page 154
 
La guerre ne sera pas longue. Elle sera une vraie guerre: les premiers hommes sont tombés. La liste de   ces premiers morts sera rendue publique le  20 août: "Quelle semaine pour les femmes! " écrit Moreno. Les épouses, les mères pleurent d'angoisse. "Colette crâne, remarque-t-elle, elle feint une aisance  qui est pénible". sans doute , préfèrerait-t-elle plus d'abandon.
La vie à l'arrière  s'organise peu à peu, les activités reprennent: le 14 août on a fêté les noces de laine de Sacha Guitry et de Charlote Lysès....le 5 septembre, Charles Péguy est tué, à Villeroy, Le 22, c'est au tour d'Alain Fournier, fauché à Verdun. Pouvoir mettre un nom sur  ces jeunes morts...On commence à voir dans Paris  beaucoup de femmes en noir....page 187

Il faut hélas travailler...Le Matin  attend les articles que  Colette a promis  d'envoyer: ses impressions sur le vif. Le récit de son voyage à Verdun restera  quelque temps dans sa valise , pour éviter d'alerter la censure  sur son séjour en zone militaire. Mais d'autres viennent naturellement  sous sa plume pour nourrir  ses chroniques:. Page 212

 
 


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