mercredi, avril 25, 2018

BITNA, SOUS LE SOLEIL DE SEOUL ( J.M.G. Le Clézio)

"Parce que le conte peut faire reculer la mort, Bitna , étudiante coréenne sans un sou, invente des histoires pour Salomé, immobilisée par une maladie incurable. La première lutte contre la pauvreté, la seconde contre la douleur. Ensemble, elles se sauvent dans des récits quotidiens ou fabuleux, et bientôt la frontière entre réalité et imaginaire disparaît.
Un roman qui souffle ses légendes urbaines sur la rivière Han, les boulevards saturés et les ruelles louches. Sous le ciel de Séoul, se lève "le vent de l'envie  des fleurs".
 
Le libraire , Mr Pack, a ouvert le tiroir de son bureau, et il m'a tendu une lettre. C'était écrit à la machine, et cela disait exactement ceci:
" Je m'appelle Kim Se-Ri, mais je préfère Salomé, je ne peux plus sortir de chez moi à cause de la maladie. J'attends  celui, celle qui viendrait me raconter le monde, j'aime beaucoup les histoires. Ceci est une annonce sérieuse, en échange de vos histoires, je vous donnerai un salaire."
Je n'y ai plus pensé pendant quelques jours, et puis j'ai retrouvé la lettre, j'ai décroché le téléphone et j'ai appelé Salomé.  page 19
 
 
Je m'appelle Bitna. j'ai bientôt dix-huit ans. Je ne peux mentir car j'ai les yeux clairs, et ça se verrait tout de suite dans mes yeux. Mes cheveux sont clairs....Je suis née au sud...Mes parents ne sont pas riches, mais ils ont voulu, quand j'ai terminé mes  études secondaires, me donner la meilleure éducation, et pour cela, ils ont cherché une université du ciel ( Sky University) et fait un emprunt. Pour le logement, je n'ai pas eu de problèmes au début, car ma tante  (la sœur de ma mère) acceptait de me loger dans son minuscule appartement du quartier Yongse, juste à côté de l'université, où je partageais une chambre avec sa fille, Paek Hwa, qui en vérité portait bien mal son nom de fleur immaculée...Paek Hwa  avait quelques années de moins que moi, et je compris très vite que j'avais été invitée dans ce logis afin de m'occuper d'elle. pages 9, 10
 
C'est à cette époque que j'ai commencé à voyager dans la ville. les cours à l'université n'occupaient  qu'une partie de mon temps....La rue, c'était l'aventure. page 12

Je note les noms, les lieux, comme si je devais revoir ces personnes, mais je sais bien que je ne les reverrai jamais, la ville est si grande, on pourrait marcher un million de jours sans rencontrer  deux fois la même personne, même si le proverbe dit: " On se reverra un jour ou l'autre sous le ciel de Séoul".
Ensuite, j'ai trouvé le meilleur endroit pour observer les gens. C'est dans la grande librairie à Jongno. page 16

Comme je venais remettre un livre dans les rayons après l'avoir parcouru, Mr Pak est venu me parler.
" Venez, m'a-t-il dit. J'ai quelque chose à vous montrer. "
je ne savais pas ce qu'il voulait, mais je l'ai suivi docilement. Peut-être que j'ai imaginé un instant  qu'il allait me proposer de travailler dans la librairie, et c'était mon  rêve, parce que j'aime beaucoup lire, et que j'avais besoin d'argent. Ma tante n'arrêtait pas de me dire, pour un oui pour un  non, " Tu nous coûtes cher, il va falloir trouver une solution pour payer tes études, ton logement".
Mr Pak a ouvert le tiroir de son bureau, et il m'a tendu une lettre (voir plus haut) pages 18, 19

Première histoire contée à Salomé, avril 2016
Au printemps, quand les bourgeons commencent à sortir et que le vent souffle de l'envie des fleurs; M. Cho Han-Soo sort les cages  de ses pigeons sur le toit de l'immeuble. M. Cho a le droit de le faire parce qu'il est le concierge, et qu'il est le seul à avoir la clef qui donne accès au toit. page 21
Donc, M. Cho,  ce matin de printemps, a monté les cinq cages sur le toit. Il n' a pas pris l'ascenseur, parce que, en tant que  concierge, il respecte l'accord passé avec le gérant de Good Luck ( le nom de m'immeuble)  de ne pas prendre ses pigeons dans la cabine de l'ascenseur. Il risquerait de recevoir un blâme de la banque qui possède l'immeuble, laquelle serait alertée par un riverain malveillant, qui prétexterait être allergique aux plumes d'oiseau. Cela dégénérerait en dispute et M. Cho n'aime pas les disputes...
M. Cho arrive sur le toit en soufflant parce qu'il a dû monter cinq fois les vingt étages  jusqu'au toit...page 26
C'est le moment. les pigeons l'attendent avec de plus en plus d'impatience, ils tournent sur eux-mêmes dans l'étroit compartiment des cages, ils s'essaient à battre des ailes... M. Cho s'accroupit devant les cages, il parle aux oiseaux, il prononce lentement leurs noms, l'un après l'autre...C'est l'heure .  M. Cho ouvre la cage où se trouve Dragon noir, il le prend délicatement , il le tient dans le creux de ses mains, il sent le cœur qui bat très vite dans la poitrine, la douce chaleur du ventre, et les pattes noires...pages 27, 28
Dragon noir s'est élancé. Page 30
Salomé battait des mains. Ses yeux brillaient. Elle a esquissé des gestes, mais sa main gauche déraillait, et au lieu de toucher son front, sa main a heurté son nez, et elle  a fait une vilaine grimace. page 33

Les choses se sont dégradées à la maison à cette époque-là..." Toi tu n'es rien du tout, tu n'es qu'une fille de la campagne, et parce que tu vas à l'université, tu te crois au-dessus de tout le monde. retourne dans ton Jella-do, va à la pêche aux camars" (la cousine)pages 37, 38
J'ai pris ma décision. Avec l'argent de Salomé, j'ia loué une petite chambre dans un autre quartier. page 39
 
La seule personne que je voulais revoir, c'était Salomé. pas parce qu'elle m'avait engagée pour lui raconter des histoires, mais parce qu'elle avait une façon de m'écouter, comme si toute son énergie impuissante ressortait par ses yeux. C'est elle qui m'a téléphoné, un matin. J'étais en cours....page 40
 
L'infirmière m'a fait entrer, j'ai ôté mes baskets et j'ai enfilé les pantoufles qu'elle me tendait. Elle n'a rien dit, surtout pas : "Mademoiselle Salomé vous attend " - c'étaient  les instructions de Salomé, ne jamais rien dire de ces phrases ordinaires. Le silence. page 43
 
 
Deuxième histoire contée à Salomé, mai 2016
Kitty est arrivée dans le salon de beauté un matin, de bonne heure, alors que Mme Lim était en train de tout préparer pour la clientèle, les fauteuils, les linges propres, les outils de travail, et la grande bouilloire pour le thé vert. Le salon de Mme Lim n'est pas très grand, mais tout est bien organisé pour recevoir les femmes désireuses de se faire coiffer, teindre ou friser. page 45
"Elle est très maigre, elle doit venir du Nord, de la campagne. Non, c'est impossible qu'elle vienne de si loin, moi, je dirais que c'est une citadine, regardez, elle n'a peur de rien, elle vient chez nous comme ça directement, comme si elle connaissait le quartier. page 46...elle s'appelait la Voyageuse. C'était un nom qui lui allait bien. page 46
Une voyageuse ne pouvait pas arriver un beau jour dans son quartier, dans son magasin au pied de l'immeuble Good Luck! sans que cela  signifiât un changement dans l'ordre établi, une sorte de brouillement d'ondes qui aboutirait à quelque chose d'à la fois imprévisible et inquiétant...page 47
 Elle (Salomé) dit : "Parlez-moi de Kitty" Elle ajoute: "Et puis ensuite vous continuerez l'histoire des pigeons de Mr Cho, n'est-ce pas?
Elle boit le thé à petites lampées, sa main gauche tremble, et la main droite reste posée sur son giron, comme si elle ne servait à rien.  Salomé  a surpris mon regard, elle dit simplement: " C'est ça pour moi le plus difficile à accepter, vous savez". Elle fait un peu la grimace parce qu'elle essaie de me dire quelque chose de drôle mais n'y arrive pas: "Partir en petits morceaux, chaque jour, quelque chose qui s'en va, qui s'efface".
Je n'ai rien dit, je crois que quelqu'un comme Salomé n' a pas besoin de mots pour la consoler, ni de pitié. Juste des contes pour la faire voyager. page 55
Puis, les jours qui ont suivi, la vie  a repris mais Mme Lim n'a pas cessé de venir voir Mme Yang. Finalement, elle lui a trouvé un petit travail de couture, non loin de l'immeuble Good Luck! c'était comme si les femmes du quartier avaient passé un serment de ne jamais se laisser sans nouvelles. De rester unies, même si aucune menace ne pesait sur elles. De parler, de s'envoyer de messages sur leurs téléphones portables, ou même de rendre de petites visites à l'improviste. La seule tristesse que Mme Lim  a ressentie, et ce fut partagé par tous les gens du quartier, c'est qu'à partir de ce fameux soir, quand Mme Yang avait décidé de mourir, Melle Kitty a disparu...page 65
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J'avais délaissé Salomé depuis de longues semaines. Elle m'envoyait des messages sur mon téléphone , d'abord légers, pour dire : " J'ai besoin de M. Cho Han Soo et de ses pigeons."..Puis de plus en plus désespérés: " N'oubliez pas votre Kim Se-Ri, elle en mourrait!"...
J'ai répondu à l'appel de Salomé , j'ai choisi un jour où Frederick Pack était absent, et je suis allée au sud de la ville. pages 78, 79

Troisième histoire contée à Salomé, juillet 2016
Dans la grande salle de la maternité, les bouts de chou sont alignés, chacun dans son berceau...Naomi est arrivée ici, un matin de juillet 2008. C'est Hana qui a trouvé Naomi en entrant à la maternité du bon Pasteur. Hana prend son service à six heures du matin...Quand elle est arrivée  devant la porte du Bon Pasteur, la première chose qu'elle a vue c'est ce tas de chiffons posé par terre, elle s'apprêtait  à le pousser du pied vers le caniveau quand le tas de chiffons s'est mis à bouger et qu'elle a entendu de petits cris, assez semblables à ceux que ferait une portée de chatons. Elle s'est penchée  avec précaution sur les linges, elle les a écartés du bout des doigts, au cas où il y aurait un animal prêt à griffer et à mordre et elle l'a vu: un minuscule bébé , la peau bien rose, les yeux fermés, avec une touffe  de cheveux très noirs. C'était Naomi. pages 80, 81
Il y a un mois que Naomi est arrivée....avec les vingt-six autres bébés.... c'est elle la plus belle...Tous ont été abandonnés  par leurs mères, pour diverses raisons.... Chaque jour,  des parents viennent en visite dans la maternité, en vue  d'adopter un bébé....Hana a placé Naomi au centre de la salle, le plus loin possible  de la baie vitrée, dans l'espoir que les parents adoptifs ne la verront pas....page 82

Salomé n'a pas aimé cette histoire. ...Cela lui rappelait sa propre histoire, que ses parents l'ont abandonnée, ils lui ont léguée une fortune considérable, puis ils ont mangé du poison pou rejoindre leurs ancêtres. page 87
" Si vous n'aimez pas mes histoires, nous pouvons arrêter tout de suite." Salomé a baissé la tête. j'étais son seul line avec le monde extérieur."..
- Non,, s'il vous plaît, restez, contez-moi ce que vous voulez." Alors, j'ai continué l'histoire de Naomi page 88

Hana a profité du désordre pour envelopper Naomi dans une couverture, elle a filé en douce, elle a poussé la grande porte, et dehors, elle a vu le taxi noir qui l'attendait, ses feux allumés, elle a ressenti une grande joie. Elle a ouvert la porte de l'auto, elle s'est assise sur la banquette arrière, en serrant dans ses bras la petite Naomi.  "On va où? a demandé le chauffeur. Hana a répondu seulement  : "Tout droit". page 91

Suite de l'histoire de Mr Cho et de ses pigeons. Août 2016
C'était un entraînement presque militaire. Chaque matin à l'aube, M Cho prenait son triporteur, avec deux ou trois cages contenant des couples de pigeons....C'est pour elle (son épouse)  que M. Cho  a commencé son aventure  avec les pigeons. Il se souvient qu' elle lui avait dit, un jour qu'il l'interrogeait sur sa grand-mère: " il faudrait être oiseau pour retourner là-bas". C'est évident. les miradors, les barbelés n'empêchent que les animaux terrestres et les êtres humains. les oiseaux, les insectes, et peut-être même les serpents et les grenouilles ne se laissent pas arrêter aux frontières. page 93, 94
 
Histoire d'un apprenti meurtrier , fin août 2016
En ce temps-là, j'habitais encore le quartier au-dessus d'Ewha..Moi, j'avais droit au demi-sous-sol, avec une seule fenêtre, un vasistas au niveau de la rue, souvent obstrué par des sacs-poubelle...Le rat c'était le début. Parce que après , j'ai été victime d'une attaque plus dramatique. Je dormais  sur mon matelas quand j'ai été réveillée par une présence bizarre. J'ai pensé à un mauvais rêve, mais quand j'ai tourné la tête vers la fenêtre soupirail, j'ai cru que mon cœur allait s'arrêter. De l'autre côté de la vitre, un homme accroupi me regardait....Et puis, ça n'était plus seulement la nuit. Maintenant, quand je sortais de ma cave pour aller aux cours ou pour travailler à la bibliothèque, j'avais l'impression d'être suivie. pages 102, 104
Salomé  écoute mon histoire sans broncher, je crois qu'elle ressent de la peur, elle aussi, peut-être qu'elle n'y avait jamais pensé jusque là que quelqu'un pouvait suivre une fille, dans la rue, sans lui parler, sans l'approcher, juste pour faire naître la peur.
... "C'est une histoire, n'est-ce -pas? ça n'existe pas? "
Un instant, je suis tentée de lui dire:" Qu'Est-ce-que vous croyez, que je suis capable d'inventer un meurtrier?"
Je me reprends: " Non, non Salomé, bien sûr que c'est une histoire, comme celle de Melle Kitty, ...et de Mr Cho avec ses pigeons". Mais j'ai hésité et Salomé a tout de suite comblé le vide entre sa question et ma réponse, peut-être que dans le fond, comme moi, elle voudrait croire que  ce n'est pas vrai et en même temps, elle espère savoir plus, parce qu'il y a toujours une vérité cachée dans un mensonge. pages106, 107
Je n'ai pas revu  Salomé depuis quelque temps, je ne lui ai pas téléphoné...Page 110
J'ai été impressionnée de voir le changement qui avait eu lieu dans le corps de Salomé depuis quelques semaines. C'était comme si le temps qui, pour moi, marchait normalement, heure par heure, jour après jour, nuit par nuit, pour elle , s'était mis  à galoper ...L'expression était étrange, un peu figée, comme si quelque chose d'effrayant guettait, et qu'elle ne pouvait s'en défaire...Elle respirait vite, la bouche entrouverte, et l'ai chaud sifflait ente ses dents. page 113
 
Fin de l'histoire  de M. Cho pour Salomé. Fin août 2016
La vérité ai-je dit ( un peu solennellement, je crois ) , c'est qu'il y a toujours une fin à tout, même aux histoires les plus incroyables. Même M. Cho savait cela. c'est pourquoi  il avait longtemps retardé le moment de laisser partir ses voyageurs, son cher Dragon et sa femme Diamant, vers l'autre côté de la terre...M. Cho a senti que l'heure était  venue...vers la fin des années 60, la guerre était finie depuis longtemps, mais on parlait régulièrement des problèmes aux frontières. Tout cela pouvait recommencer  n'importe quand. page 116, 118
C'est le grand jour du départ pour M. Cho. Il a loué les services d'une camionnette du marché, et lui et ses pigeons ont embarqué pour la dernière aventure, de l'autre côté de la frontière. Il connaît bien l'endroit, c'est là qu'il a grandi avec sa mère, quand ils sont revenus  du Sud après la guerre, en 1956. C'était l'endroit le plus proche de là où il est né. page 121
Ses  yeux se remplissaient de larmes tandis qu'il ouvrait l'une après l'autre, les cages des oiseaux.
"Allez, volez haut dans le ciel jusqu'à mon pays natal, jusqu'à la ferme enfouie dans le creux de la vallée..." page 122
 M. Cho a réalisé son rêve, il est de retour, il ne désire rien d'autre, car pour lui, le monde est parfait. Mais ici, mais pour nous autres qui vivons ailleurs, rien n'est vraiment achevé. Le bonheur n'existe pas. Juste quelques rêves, quelques paroles. Juste le vent de la mer qui bouscule les plumes  des oiseaux pendant qu'ils traversent l'estuaire.
Et la réalité assassine. page 127

Histoire de Nabi, la chanteuse , pour Salomé, septembre 2016
Elle est arrivée très jeune à Séoul, à l'âge de douze ans, je crois, elle était une jolie fille de la province de Gangwon-do, d'une petite ville du nom de  Yeongwool...Elle n'avait jamais rien aimé d'autre que chanter, depuis qu'elle était toute petite. Elle accompagnait sa grand-mère à l'église chrétienne, et très vite, elle a fait partie de la chorale...page 136
Ce qui s'est passé ce jour-là, dans le bureau du pasteur Randall, ç'a été le commencement du naufrage  pour Yang Su. Elle ne l'a dit à personne, surtout pas à sa grand-mère, mais elle a cessé du jour au lendemain d'aller à l'église...Puis elle a commencé à fréquenter un groupe de jeunes musiciens, des garçons plus âgés qu'elle qui jouaient du rock le soir dans les clubs, et elle est devenue chanteuse. page 149
Quand on meurt, dit la rumeur, ce qu'on ressent n'est pas douloureux, bien au contraire, c'est doux comme du miel dans la gorge, c'est enivrant comme la fumée parfumée qui emplit la poitrine, et la porte qui s'ouvre au fond du cerveau est pareille à l'entrée du paradis. Ensuite, l'âme s'échappe du corps par tous les pores de la peau, par les yeux et par les oreilles, par les cheveux et par les narines, pour s'éparpiller dans le vent, voyager  sur les vagues de la mer, à travers les  plaines des eulalies et sur les feuilles des lotus, au milieu des nuages  aussi légers  que les Dragons, jusqu'à ce qu'elle rencontre une forme à laquelle elle pourra se joindre , une forme vivante, une herbe, une libellule, ou un chat. page 170

Histoire des deux dragons, à Salomé, fin octobre 2016
"C'est une histoire sans être une histoire" ai-je commencé. Salomé me regardait de ses grands yeux fiévreux. "oui,, comment une histoire qu'on raconte peut ne pas être une histoire"?
- Si c'est la vérité, a dit Salomé.
- oui, bien sûr, mais même la vérité peut être un mensonge si tu n'y crois pas, et même le mensonge  peut sembler vrai si je le raconte bien" page 172
M. Pak me donne de temps en temps des nouvelles de Salomé - en vérité, elle ne s'appelle pas Salomé, elle s'appelle Kim Se-Ri, et M. Pak en parle si bien que je crois qu'il a été son amoureux autrefois, il y a vingt ans quand il était encore un écolier. C'est ce que j'imagine; mais bien sûr je ne peux pas aborder ce sujet avec lui.
"Elle a beaucoup baissé, dit Frederick. Elle est en train de s'éteindre jour après jour, elle te demande. Et toi, tu refuses de recevoir ses messages." En quoi ça le regarde? Je suis sarcastique: "Tu es son messager maintenant? " Il hausse les épaules. "ça ne te ressemble pas d'être méchante. " Qu'Est-ce -qu'il en sait? D'abord, in ne naît pas méchant, on le devient. C'est un des axiomes que j'ai écrit dans mon carnet. page 196
J'ai compris alors ce qui se passe dans ma vie; je n'y avais vraiment réfléchi, à quel point tout est étrange, incroyable. Lorsque j'y repense, il me semble que tout a été ordonnancé pour accomplir cette histoire, et que j'ai été en quelque sorte la messagère d'un ordre supérieur, céleste, et qu'après cela je ne pourrai jamais être la même personne. Voici, c'est ma dernière histoire, que je raconterai à Salomé avant qu'il ne soit trop tard. C'est pour elle que j'ai envie de l'inventer, pour lui expliquer qu'elle a été la seule personne qui a compté dans ma vie, plus que mes propres parents, plus que Frederik ne le pourra jamais, la seule personne parmi les millions et les millions d'êtres humains qui existent....page 199
 
La traversée du pont de l'arc-en-ciel, pour Salomé, à l'hôpital Severance, avril 2017
Ceci est une histoire vraie, ma seule histoire vraie. Je ne veux pas dire que les autres histoires que j'ai contées à Salomé pour la guérir de sa douleur, étaient  fausses, mais je les ai arrangées pour qu'elles lui plaisent, j'ai ajouté de petits mots doux, des petits mots durs, pour qu'elle comprenne que ça se passe dans le monde qu'elle ne connaît, le monde où l'on bouge, où l'on sent la chaleur du soleil, le froid du vent d'hiver, la pluie, la neige. le monde qui est cruel car il ne s'occupe pas d'elle. le monde auquel elle ne manquera pas quand elle mourra. page 201
Je pensais que sa mort ne me ferait rien, bien au contraire qu'elle me soulagerait, puisqu'elle me libérait de son emprise, de sa méchanceté. Puis, soudain ma rancœur s'est arrêtée, elle s'est retournée comme les pieuvres que mon père renverse quand elles viennent d'être pêchées, chez nous, au Jeolla-do. Salomé aura été la seule personne qui s'est vraiment intéressée à moi dans cette ville de Séoul où personne  ne rencontre personne. Elle a voulu que je vive pour elle, pour lui raconter la vie au-dehors, elle s'est servie de moi mais elle m'a protégée. Alors mes yeux se sont remplis de larmes quand j'ai dû la quitter . page 214
Je suis Bitna, j'ai dix-neuf ans, je suis seule dans cette grande ville de Séoul, sous le ciel....
Je suis seule, je suis libre, ma vie va commencer.   page 216
 
 
 

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