mercredi, janvier 20, 2021

TOUT IRA BIEN ( Damian Barr) 2020

 1901. Afrique du Sud. Une guerre sans merci oppose l'armée britannique et les premiers colons. Sarah vander Watt et son fils sont emmenés de force dans un camp de détention. La dernière chose que voit Sarah, tandis que les soldats anglais mettent le feu à leur ferme, est sa précieuse bibliothèque qui sera réduite en cendres. A leur arrivée dans le camp, le commandant se veut rassurant. C'est pour leur sécurité que les habitants ont été regroupés, on leur assure que "tout ira bien".  Dans les faits, c'est la naissance du premier camp de concentration de l'histoire.

2010. William. 16 ans, ne veut qu'une chose dans la vie, rester seul avec ses livres et ses chiens, et demande qu'on lui fiche la paix. Inquiets pour lui , sa mère et son beau-père Ils l'envoient au camp " Aube Nouvelle" où l'on accueille des garçons pour en faire des hommes. Virils. Ici, lui assure-t-on, "tout ira bien".

Ce qui lie ces deux drames?  Il faudra se plonger dans ces pages bouleversantes, vibrantes de colère et d'espoir, pour le découvrir. 

Tout ira bien, dont le Guardian a loué "la sagesse et l'infinie poésie ", l'un autobiographique sur un adolescent gay en Angleterre dans l'Angleterre thatchérienne. Il vit à Brighton.  Tout ira bien est son premier roman.

"Que jamais, jamais plus, ce beau pays ne connaisse l'oppression d'un homme par un autre." Nelson Mandela . discours d'investiture à la présidence, 10 mai 1994, Prétoria.


QUELQUES NOTES SUR L'HISTOIRE DE L'AFRIQUE DU SUD

 Les Khoisan , 30000 ans avant J.C., les Khoi- Khoi ( les Hottentots) et les San, puis les Bantous, il y a  4000 ans,   les colons hollandais et français protestants qui ont pris le nom de Boers,  au XVII ème siècle et  à partir de 1795,  arrivée des Britanniques , première guerre des Boers ( 1880- 1881) seconde guerre des Boers ( 1899- 1902) ; en 1910 formation de l'Union d'Afrique du Sud, dominion britannique; 1948, installation de l'apartheid; 1991, abolition du système ségrégationniste

Le journal de Sara van der Watt pour son mari , Samuel, parti combattre les Anglais. 

Mardi 1er janvier 1901, juste après le petit déjeuner. Nous savons qu'ils arrivent. Cela deux semaines maintenant que nous regardons la fumée s'élever au loin, conscients qu'ils seront bientôt devant notre portail.....Jour après jour, les Anglais se rapprochent. page 21

Nous nous affairons , nous préparant à la venue de nos non-invités, . page 24

Ton père (celui de son mari qui  était pasteur)  a appris l'anglais en en autodidacte, pour pouvoir prier  avec les Khakis qui mouraient pendant notre première guerre contre eux, celle qui nous a obligés à venir jusqu'ici  pour pouvoir observer nos propres rites. Une langue pauvre et prosaïque  disait ma mère. page 26

Samedi 5 janvier. Ils sont là. Nous sommes saufs....Le premier est arrivé ce matin...." Bonjour " a-t-il lancé d'un ton jovial...." Je suis là pour l'inventaire.  - L'in-ven-taire" ai-je répété...J'en ai saisi lorsqu'il  a englobé la ferme dans un grand geste des deux bras. pages 37, 38, 39

Le Khaki a pris toute la matinée pour procéder à son comptage. J'ai été soulagée de voir qu'il avait apporté  son déjeuner. ...Il a passé toute l'après-midi à vérifier ceci ou cela. page42

Lundi 7 janvier. Nous sommes dans un train qui roule en direction du nord, je crois. ils refusent de nous dire où exactement. ....Cela fait un jour et une nuit que nous sommes enfermés dans cette boîte sans le moindre arrêt, ni eau, ni nourriture. page 43

Jakob (un employé noir) nous a réveillés en criant : " Khakis" avant que  quelqu'un le fasse taire en le frappant. Lettie ( son épouse) a calmé Fred ( le fils de Sara et de Samuel)  . Je suis sortie.  Je les ai trouvés dans la cuisine, au nombre de six, en train de regarder autour d'eux....page 46

Toute la matinée, le général Durham est resté assis à notre table à signer des documents donnant au caporal des ordres qu'il relayait à ses hommes...Ils ont rempli panier après panier...jusqu'à ce que le chariot soit rempli. ..Les poules, ils les ont attrapées une à une méthodiquement.... " Mme van der Watt ...nous sommes sur le point de commencer l'intérieur. Vous avez cinq minutes , si vous le désirez, pour prendre tout ce que vous pourrez emporter. Je vois que votre mari a une bibliothèque bien fournie."...Tout le reste, ils l'ont sorti et empilé avec soin sur le deuxième chariot, tandis que le caporal Johnson cochait gaiement chaque objet sur son inventaire. Dix ans de notre vie ont disparu....page 51

Il ( le général) a fait un signe de tête au caporal qui a sorti une boîte d'allumettes, en a craqué une et l'a jetée sur notre toit.  page 53....Puis, ils ont versé des sacs de sel blanc et brillant sur notre potager désormais vide, le faisant pénétrer à coups de botte. Rien n'y repoussera désormais.  page 54  Au bout d'une centaine de mètres, notre chariot a quitté la piste...Des dizaines de chariots allaient dans la même direction.  page 54

Jeudi 10 janvier  Nous avons passé une éternité dans ce train. page 55 nous avons tous faim....Le train a atteint Bloemfontein au moment où le soleil s'éclipsait. page 60

" Vous êtes au camp de réfugiés de Bloemfontein, a annoncé un autre soldat en anglais. Je suis le capitaine Cooper du régiment du Devonshire. Suivez-moi s'il vous plaît"....Nous étions tous emportés en direction  d'une haute clôture de barbelés.  pages 62, 63

" Vous n'êtes pas des prisonniers ici. Vous êtes des réfugiés...;Soyez assurés que vous serez ici en sécurité. Tout ira bien". Il a répété ces derniers mots.  page 64

Tous les matins, réveil à cinq heures, au son des trompettes; extinction des feux à neuf heures du soir, en toutes circonstances. ...Au-dessus de nous, se dresse une tour de garde couronnée d'un nid de fil de fer où deux soldats sont installés à fumer. Ils grattent leurs allumettes sur ce qui doit être une mitrailleuse. page 68

Notre camp - il y en a d'autres - contient deux cent cinquante tentes. page 70

Toutes les heures d'autres chariots arrivent avec leur cargaison de détresse.  Certains d'entre nous restent à côté du portail dans l'espoir d'obtenir quelques nouvelles. Il y a parfois des retrouvailles, mais c'est essentiellement  de l'attente. page 72

Les enfants de plus de douze ans reçoivent une ration d'adulte. Parce que Fred n'en a que six, il a droit à un seizième d'une boîte de lait par jour. C'est tout. ...On voit peu de mères dodues....Samuel, les enfants ici sont maigres comme des clous, leurs manches battent leurs poignets. C'est affreux à voir. ..Ils ne nous fournissent pas de savon, puis nous traitent de vermine. page 77

A la fin du service (religieux) le révérend Fernie a lu à haute voix  le nom et l'âge de tous ceux qui se  sont éteints cette semaine et à chacun, un sanglot éclate. page 82

- Votre nouvelle carte de rationnement. - Je n'en ai pas besoin. " ai-je répondu..."Le règlement , c'est le règlement. Voici celle réservée aux indésirables.  - Les indésirables?  "Les femmes comme vous - dont le mari persiste à combattre. Des indésirables. Vos époux vous ont abandonnés, vous et vos enfants, nous obligeant à vous nourrir, vous loger et vous donner accès à la médecine moderne et à l'éducation qui vous font si manifestement  défaut. Tout cela aux frais du contribuable britannique...Page 83

Je me couvre la bouche désormais, à cause de tous les gens qui toussent. Tout le monde se gratte. Rougeole,  typhoïde, même suicides, disent certains: le révérend n'arrive pas à suivre. Lui-même semble bon pour la tombe alors qu'il vole éperdument de mourant en défunt. page 90

Savez-vous  comment les choses se passent dans le camp des Noirs? m'a-t-elle dit ( Mrs Kriel qui partage la rente avec Sara)  demandé. - Le quoi? - Le camp des  Noirs, ma chère, de l'autre côté de Bloemfontein. J'ai la chance d'avoir gardé ma servante mais c'est parce que le directeur comprend qu'une femme de ma stature ne peut de passer de domestiques. Les délicates familles de réfugiés blancs doivent être logées avant qu'il soit fait quoi ce soit pour les Kaffirs ( les Noirs) . De toute façon, ils sont habitués à vivre dehors, aussi est-il parfaitement impossible pour eux de bâtir leur propre abri et de se trouver à manger, comme ils le faisaient avant que nous arrivions . ...Je ne peux imaginer que ce soit horrible pour eux....Partout dans la région, les Kaffirs se soulèvent, comme ils ont toujours voulu le faire, maintenant que nous ne sommes plus là pour les civiliser. Nous sommes plus en  sécurité ici...page 96

Ma propre faim est une sorte de vide anxieux....Le pire est e savoir que les vivres ne manquent pas: la seule chose est une simple signature. si je signe le serment, je pourrai acheter à Fred tout ce dont j'ai besoin. page 98

Mercredi 23 janvier. ( Rassemblement au camp)  " Cette nuit, nous avons perdu notre reine., a commencé le révérend Fernie en bredouillant. Et notre famille royale - notre Empire - a perdu une mère et une grand-mère. " Une sorte de frisson nous a traversés page 109

Des caisses sont arrivées d'Angleterre, marquées " Fonds d'aide aux femmes et aux enfants sud-africains en détresse"; nous n'en avons pas vu le contenu. Chaque matin, nous sommes tirés e notre lit par les mains-en- l'air ( ceux qui collaborent) ....Nous mangeons par terre comme les Kaffirs ( les Noirs) : du pain aussi sec et dur que les fourmilières où il est cuit, et parfois, une tranche de pap ( gruau de maïs) moisi. page 116

Jeudi 31 janvier. Le capitaine Hume chef du camp. " Le mois dernier, nous avons eu  vingt-cinq morts de malaria, soixante-deux de typhoïde ainsi que cent cinquante-deux cas de scorbut. page 125

Samedi 2 février. Nous n'avons pas le droit de sortir de nos tentes...Encore une journée sans ration. page 129

Lundi 4 février. Alors que je me penchais en arrière pour maintenir la distance, il ( le caporal Johnson) m'a attrapée pour m'attirer sur ses genoux et a commencé à tirer sur mes jupes.....J'ai repoussée d'une claque. " Voilà qui est mieux. Pas encore tout à fait matée hein? " D'un geste brutal, il m'a fait tomber par terre avant de me coincer la tête entre ses genoux.....  Il s'est affaissé comme un ivrogne...Son oeil gauche était fixé devant lui sans rien voir; le manche de on couteau de petit déjeuner sortait de son oeil droit.  J'ai palpé la poche de mon tablier. Vide... " Allez salopard " a fait Helen en lui donnant un coup de pied.- Où? " ai-je demandé d'une voix enrouée par l'émotion... Helen a pris une grande inspiration , raffermi sa prise sur l'étoffe et tiré de toutes ses forces en direction des latrines.  Alors que nous revenions en pataugeant, la Croix du Sud est apparue au-dessus de nous dans les ténèbres de minuit. L'as-tu vue aussi? Où es-tu Samuel? Où es-tu? page 134

FIN DU JOURNAL. Voir dans ce blog  BLUE BOOK (novembre 2017) Les camps de concentration allemands sans la colonie de Namibie.

DEUXIEME PARTIE. 

Mars 1976. Johannesburg. 

Personnages: Rayna, ses enfants:  Piet et  Irma; Willem , né le 27 avril 1994, est son petit-fils et fils d'Irma. 

27 avril 1994 Les infos du petit déjeuner montraient des gens en train de faire la queue , dès avant l'aube, devant les bureaux de vote de tout le pays: villes , bourgs, townships, fin fond du veld,  dans les églises, le s tribunaux, les cabanes.  Files de Noirs, files de Blancs, files ostensiblement mixtes sur les campus universitaires.....Aux infos , ils montrèrent De Klerk en train de voter, puis Mandela et sa sorcière d'épouse qui saluaient  de la main avec un sourire retors en traversant une foule de partisans  de l'ANC devant un bureau de vote, avec pour seuls Blancs, sur place, des policiers à l'air effaré. Laisser voter, c'était se laisser buter - elle ( Rayna)) fut fière de sa trouvaille page 172....

(Irma est en train d'accoucher) "Où est le docteur Beck" s'écria Irma. - Il est parti.  - Parti? répété-t-elle _ Reparti  En Angleterre, parti!  page 175

Rayna a toujours travaillé ( à la gare) et ses enfants n'ont jamais manqué de rien, personne ne peut dire le contraire...Au cours de  toutes ces années, elle n'a pas vu un Noir s'approcher du guichet  SLEGS BLANKES. Maintenant, cela arrive tout le temps...Elle leur indique leur propre guichet à l'autre bout du hall. Le mois dernier, elle a été briefée par son nouveau patron, noir, sur les nouvelles règles. Les panneaux SLEGS BLANKEES et NIE BLANKEES ont été décrochés. Pourtant, elle remarque les deux queues continuent à se former. ....De prisonnier, Mandela est devenu président et son nouveau drapeau flotte partout mais pas sur les maisons de Brakpan où des barreaux poussent à chaque fenêtre. page 181

Mars 2000. C'est samedi matin et Willem attend...Rayna a été convoquée à un énième formation sue la diversité.. Page 191 Dans la cour de récré, tout le monde parle anglais. L'afrikaans est réservé aux cours et à l'église.

Mars 2000. " Willem"! cria-t-elle( sa mère, Irma) mais il n'entend pas, n'écoute jamais, ce garçon. ...;3 qu'est-ce que c'est que ce boucan?!  Derrière elle, se tient Rick. Willem virevolte, pivote, virevolte à nouveau. ...Irma et Willem  se précipitent vers Rick qui sort à reculons... " Tapette"  (dit Rick) - Non, protesta Irma. .." Une tapette crache Rick, une putain de tapette!"  ..." Si tu touches à un cheveu de cet enfant, tu auras affaire à moi" dit Rayna.  Willem s'est fait traiter de tapette bien des fois, mais jamais encore hors de l'école, dans sa propre maison. page 193.

Novembre 2007. " Ce n'est pas si loin" dit Irma...Benoni Park est à une demi-heure d'ici maximum..; L'école est super.  Tu pourras revenir ici quand tu veux. N'est-ce pas maman?  Rayna est encore entrain de digérer la nouvelle ( Le départ de Willem en pension)  " Bien sûr qu'il pourra, quand il veut".  Willem n'a jamais imaginé vivre ailleurs qu'ici, dans son lit..;Tous ses livres sont ici...page 211

Mars 2009.  ( La classe de Willem se rend au musée de Bloemfontein en car) "Bienvenue tout le monde au musée de la guerre anglo-boer.  page 232 " " combien de civils furent emprisonnés? Cent seize mille, dans quarante camps. Et combien sont morts dans les eux ans qui se sont écoulés avant que la guerre soit perdue et les camps fermés? Vingt-huit mille femmes et enfants - vingt-deux mille avaient moins de seize ans. "...page 234  Chacun de vous a entre les mains la copie d'un extrait du registre officiel des camps...."  Celui de Willem :  Nom : Frederick van der Watt; Né dans le camp: non; Age d'arrivée: six ans; Sexe: masculin: Race: Blanc;  Etat civil: ne s'applique pas;  Nationalité:  Etat libre 'Orange/ Boer.  ; Inscription en tant qu'enfant: oui.  page 235

" Nous savons tout cela grâce au courage d'Emily Hothouse, une Anglaise qui vient ici en 1901 juger par elle-même des conditions  de détention. ...A-t-elle visité les camps de Noirs?  demande Mthunzi. - Non, Il y en a eu bien sûr; autant que de camps de Blancs, mais ils n'étaient pas jugés assez sûrs pour une dame. page 238

" Ceci est le journal de Sara van der Watt, arrivée à Bloemfontein le jeudi 10 janvier 1901. Qui a eu son fils , Fred, déjà?  " Willem lève la main..." comme la plupart des femmes boers, Sara refusa de signer le serment, mais elle le paya très cher.  - Elle est morte là - bas, alors? demanda  Anston en indiquant la maquette du camp. - Non, répond Anna. En fait , Sara fin it par retrouver  son mari. Là, elle regarde  de nouveau Willem, droit dans les yeux . " Samuel  van der Watt vint lui- même au camp, pour se rendre , le 5 avril 1901, blessé mais en voie de guérison. ..Il signa le serment et les archives montrent qu'ile repartirent  ensemble. "  page 241

" C'est toi qui as eu Fred, n'est-ce pas? " Il déplie la dernière page.  " A haute voix s'il te plaît. " dit Anna...;" Date d 'arrivée: 10/02/1901; Date de départ: 04/04/1901; Motif de départ: mort, ( malaria?) ...; Sarah enterra son journal  intime  non loin d'ici, où il fut découvert en 1988....Samuel est arrivé le lendemain de la mort de son fils, conclut Anna. ..;Nous savons que Sarah  et Samuel eurent un autre enfant par la suite - une fille- parce que ses descendants sont venus visiter le musée  et nous ont très gentiment autorisés  à continuer de présenter  le journal de Sarah". page 243

Septembre 2010. ( Willem est renvoyé de son école suite à une rude bagarre et s'en va dans un centre " hautement militaire" . " Nous inculquons et promouvons : loyauté, discipline, règles de vie, éducation à la dure, exercice physique intense, bonne posture,  alphabétisation, compétences de base en calcul, efficacité, fiabilité, travail d'équipe, soins animaliers et protection des espèces, défense de la communauté"  ( blanche) page 250

TROISIEME PARTIE 

1er octobre 2010. Le portail se referme en claquant....Devant lui, se tiennent dix garçons vêtus du même treillis, la tête rasée à l'identique,, tous blancs, et régulièrement espacés comme des quilles. Ils ont tous à peu près son âge. Leurs bottes occupent le petit morceau de monde où ils se dressent avec une assurance acquise et ils regardent droit devant eux. âge 260

" C'est le règlement, répond Volker en afrikaans. Interdit de fumer. Pas de clopes; pas de drogues; pas de portables, pas de.......C'est l'Afrique du Sud ici. Pas d'Angleterre. Pas ton lycée de luxe. On parle afrikaans. ..Zéro alcool...On est des soldats maintenant faut qu'on garde l'esprit clair, qu'on soit prêt. "page 264

( Willem  son prénom est oublié, on l'appelle Brandt, son nom de famille.) Le Général , cela fait plus de quinze ans qu'il le tient ( son discours) devant des centaines de garçons, dans  des dizaines de camps de ce type.  Des garçons qui font désormais un travail honnête en protégeant les femmes blanches du Cap à Johannesburg. ...L'Afrique du sud survivra. page 270 Nous avons apporté la lumière dans les ténèbres, ais maintenant , nous sommes les derniers Blancs d'Afrique. Les Belges ont fui le Congo, les Français ont quitté l'Algérie, les Portugais, les Italiens, même les Allemands sont partis. mais , nous sommes encore là - nous sommes encore là!  Pourquoi Parce que c'est notre pays. ..Donc ici, nous parlons la seule langue que dieu nous a donnée: pas le clic-clic des cafards qu'on a vaincus à la bataille de Blood River, ni les mensonges anglais, mais l'afrikaans. " page 271

Willem est à Aube Nouvelle depuis près de trois semaines. Ce n'est déjà plus le garçon qui s'est laissé prendre en photo à l'entrée avec sa mère. page 294

(Willem et Geldenhuys quittent leur tente, la nuit pour s'enfuir, hors du camp, une femme leur ouvre sa porte et leur offre un petit déjeuner. Willem en profit pour aller aux toilettes et se faire un selfie qu'il expédie à Rayna , sa grand-mère). ' Le Général arrive et enferme les deux garçons dans une cabane  en tôle rouillée après leur avoir demandé de se battre l'un l'autre devant les autres jeunes).Pas de couverture bien sûr. Leur prison est tour à tour un congélateur et un four. Ils transpirent ou frissonnent. L'air est ranci...dans un coin,  se trouvent un seau d'eau et un autre pour tout ce qui sort de leur corps. les mouches font la navette entre les deux.  Willem a la gorge qui brûle et le ventre tordu de spasmes. Gledenhuys évite  de penser à ses parent depuis que sa mère l'a déposé au camp...Il avait été expulsé du pensionnat pour "conduite immorale". Sa mère avait été incapable de le regarder dans les yeux lorsqu'il était arrivé chez eux avec sa malle.. Avec des gémissements de vieillard, il se laisse glisser par terre et passe un bras autour de Willem. Celui-ci le laisse faire un moment. C'est agréable et cela fait longtemps qu'il n' a pas connu autre chose  que la souffrance et la peine. " Lâche-moi s'exclame -t-il...page 328 '( Rayna)  alors qu'elle porte la tasse à ses lèvres, sa messagerie s'ouvre ...Il y a un mail de Willem. Une photo. Sa tasse s'écrase au sol. page 329

QUATRIEME PARTIE.

1er mars 2015. Ventersburg.

Le procès du Général. L'avocat de l'accusé ( son troisième) a déjà dit qu'il ferait appel. Le procureur veut la peine maximale.: la prison à vie.  Maltraitance infantile, négligence et homicide sont les chefs d'accusation. Cela fait quatre ans jour pour jour qu'un enfant est mort. ( Geldenhuys)..Depuis la descente de la police  sur le camp, trois autres corps ont été retrouvés - tous de sexe masculin, tous âgés d'environ seize ans. ...Aujourd'hui, elle ( la juge) doit rendre  son jugement.  En quinze ans de métier,  elle a vu des voleurs, des violeurs et des assassins échapper à la justice, et même à leur conscience. Mais jamais, elle n'a vu  pareilles blessures, n'a jamais pris autant de temps pour lire un rapport d'autopsie, n'a jamais perdu autant le sommeil, même par les nuits de plus en plus rares où la climatisation fonctionne.  page 336

Elle aimerait pouvoir oublier le corps de vieillard brisé du garçon. Le rapport du pathologiste judiciaire: multiples blessures récentes, douze au total. ...Deux poignets cassés, notamment de multiples  contusions et ecchymoses. Diverses infections...malnutrition et une déshydratation sévère. La muqueuse de sa bouche  était brûlée... page 338

" John David Volker  et Samuel Frederick van der Watt, vous êtes inculpés de multiples chefs de maltraitance infantile, de négligence et du meurtre de Victor Geldenhuys". page 348

1er mars 2015. Johannesburg. Willem attend  assis dans son lit,  Sa grand-mère lui a dit qu'elle reviendrait tout de suite du tribunal sitôt le procès terminé....Il se rappelle toutes ces semaines, tous ces mois passés à l'hôpital...Il ne dormait pas vraiment; mais n'était pas réveillé non plus. Il n'était ni vraiment mort. Ni vivant. ..A l'hôpital, il n'était pas vraiment seul.. A longueur de journée et de nuit, , des gens  venaient l'examiner et  le tripoter...Après des jours et des jours d'efforts, il a ouvert les yeux....Il était resté six mois dans un coma artificiel. " Maintenant que tu es réveillé, il faut que tu nous aides...Il n'y a que toi  qui peux répondre  à nos questions.  Qu'est-ce qui s'est passé ce jour-là , petit?  Qu'est-ce qui s'est passé? " Les portes s'ouvrent et tout est si lumineux. Volker les sort un par un en les traînant par les aisselles et les jette par terre....Ils sont si faibles et si légers  tous les deux que le vent pourrait les emporter.......Willem peut à peine bouger la jambe droite. Geldenhuys s'approche en rampant mais il ( le Général) le repousse et il se redresse tout seul, à moitié plié. .... Bien ; les filles, voici ce qui vase passer. Toi, ( il tape la poitrine de Willem du doigt) , tu vas l'attaquer. Et toi, ( il tape celle de Geldenhuys) tu vas te défendre. Et on va voir lequel reste debout.  Facile. On va voir qui est un vrai homme.......Le Général  ordonne aux autres garçons de former un cercle. Geldenhuys s'avance en titubant vers Willem , qui bat en retraite...Willem se jette , moitié titubant, moitié glissant sur Gldenhuys qui n'essaie même pas de l'esquiver. Le cercle se referme autour d'eux..." Finis-en " crie le Général....Une voiture se met à klaxonner sans discontinuer...Puis des sirènes...Alors que le portail s'ouvre, il ( Geldenhuys ) tombe. pages 349, 350, 351, 352


jeudi, janvier 14, 2021

VIRGINIA ( Jens Christian GRONDAHL) 2000

 Nous sommes en 1943,et les bruits de la guerre n'épargnent même pas cette grande demeure bourgeoise, construite à l'écart d'un hameau au bord de la mer du Nord. Ses propriétaires, un couple sans enfants, accueillent leur jeune neveu de quatorze ans mais aussi la fille adolescente de la couturière de Madame, pour la mettre à l'abri des bombardements qui menacent Copenhague. Lorsqu'un avion s'écrase non loin de là, dans les dunes, un drame silencieux va se nouer entre les deux adolescents, un drame silencieux va se nouer entre les deux adolescents et un pilote britannique.

Ce récit, dépouillé et émouvant, sur le thème de l'innocence perdue, marque, sans doute, un tournant dans l'écriture de Jens Christian Grondahl, dont le talent s'affirme de livre en livre. 

Elle ne connaissait pas la région. Elle avait grandi à Copenhague, et aussi loin que remontait son souvenir, elle avait habité avec sa mère dans ce petit appartement près du port. Son père les avait abandonnées quand elle avait cinq mois et elle ne l'avait jamais vu. Sa mère était couturière à domicile.....Et au cours d'un été lointain, la jeune fille était venue dans cette maison au bord de la mer du Nord. Elle écoutait le ressac et les avions anglais.  page 13

Elle avait les épaules larges, de longs bras et des jambes musclées. Elle avait l'air d'une championne de natation. ....L'arrivée de la jeune fille lui avait été annoncée  une semaine plus tôt. ...Elle le trouvait curieux avec son corps osseux, ses yeux rapprochés et ses cheveux raides...IL n'avait encore guère eu de contact avec les filles et il était incapable de les regarder sans se sentir perdu. page 18

Elle se souvenait qu'elle restait éveillée, la nuit, qu'elle pensait à sa mère sans que celle-ci lui manque vraiment.....Elle  entendait les bombardiers qui survolaient la région, elle  se disait qu'ils allaient atteindre la ville et y lâcher leur charge.  page 22

Il avait conscience de chacun des mouvements de la jeune fille dans la maison. Il entendait ses pas dans l'escalier, quand elle refermait la porte  de sa chambre, avec précaution selon lui. Il aurait été faux de dire qu'elle l'évitait, mais elle ne cherchait pas non plus sa présence. Oui, il se dit parfois qu'elle l'accompagnait à la plage ou à la promenade uniquement parce qu'elle était une invitée. Une invitée qui compensant l'hospitalité dont elle jouissait en épluchant les pommes de terre, en mettant le linge à sécher, en causant le moins de bruit possible et en se faisant un devoir de lui tenir compagnie. Mais cela pouvait tout aussi bien être le fruit de son imagination.  page 25

Son oncle expliqua qu'il avait entendu dire qu'un avion anglais s'était écrasé, non loin de la côte, au nord...Un soldat allemand monte la garde près de la carcasse de l'avion abattu....au dîner, le médecin-chef dit qu'on avait trouvé  un parachute qui flottait dans les eaux du fjord. page 29

Elle est éveillée. Elle écoute le silence...Il s'écoule peut-être une demi-heure, voire presque une heure avant qu'elle n'ose s'extirper de son lit avec maintes précautions. Elle se raidit, , se hisse à la force des bras, afin que les ressorts ne la trahissent pas. elle s'habille dans allumer la lumière, elle tourne la poigne à fond et ouvre la porte sans un bruit. Elle sait quelles marchent  grincent sous les pas. Pendant qu'elle aidait à préparer le dîner, elle a rempli un panier et l'a dissimulé dans le bûcher....Elle pousse lentement la porte....Personne ne l'entend quand elle l' (son vélo) enfourche  et se met à pédaler sur le chemin. .....Bientôt, elle aperçoit la remise, là-bas...page 32....Elle ne  le voit pas encore mais elle sait  où il se trouve ( le parachutiste anglais)  Il l'appelle calmement. Il lui parle de sa voix douce , dans cette langue étrangère dont elle comprend quelques mots, mais dans laquelle elle est incapable d'exprimer même les choses les plus simples. Elle n'a plus peur quand il tend la min et touche son bras, et la laisse glisser jusqu'au coude. Elle s'accroupit en face de sa silhouette tapie dans un coin, elle écoute  les bruits affamés qu'il fait lorsqu'il dévore la nourriture. pages 34, 35

La nuit suivante, elle ne dormit pas, elle attendit le silence puis se faufila hors de la maison avec son panier. Elle ne savait pas que quelqu'un l'avait entendue. Il la vit par la fenêtre quand elle prit son vélo. Il s' habilla en hâte et courut jusqu'à une dune d 'où il put la voir au loin, distincte dans la nuit claire. page 35

Les soldats allemands  étaient de l 'autre côté de la cloison. Il ( le garçon) entendait parfaitement leurs voix, mais ne comprenait pas leurs paroles. Quand il releva la tête, le pilote fit un grand mouvement pour le chasser hors de la remise et qu'il retrouve les soldats approchant de la porte.  Il ne bougea pas quand le pilote réitéra son geste silencieux et désespéré. Il ne pensa à rien pendant les quelques secondes suivantes. En revanche, depuis lors, je n'ai pas cessé de me demander si les soldats allemands m'avaient vu pénétrer dans l'abri et si cela aurait fait une différence si j'étais sorti seul au lieu de nous trouver ensemble. ....Mon oncle et ma tante sont venus me chercher après l'interrogatoire. elle était partie quand nous sommes rentrés à la maison. Elle avait laissé une lettre. page 41

Il me fallait trouver une défense quand je n'arrivais pas à dormir. J'énumérais tout ce qui pouvait faire office d'excuse.  Mon jeune âge, la situation désespérée du pilote. L'impossibilité, pour deux jeunes gens , de lui faire traverser le pays et de l'amener à bord d'un de ces cotres de pêche qui passaient des résistants et des juifs en Suède. Je me suis maintes fois répété qu'il a certainement été traité comme un prisonnier de guerre et qu'il a été interné dans un camp  de prisonniers en Allemagne, où la plupart de soldats ont survécu;  Je me suis dit qu'il était rentré en Angleterre, après la guerre..;Mais cela ne changeait rien. A ses yeux à elle, ce regard bleu qui me scrutait , je les avais trahis. Et dans mon for intérieur, je lui donnais raison, car j'aurais pu aisément me tenir à l'écart de la remise.  page 42

Elle a sûrement pensé au pilote anglais. Des années plus tard, elle m'a dit que c'était le premier homme à l'avoir touchée. Il lui avait caressé le visage et les cheveux et avait hésité dans l'obscurité, puis elle avait doucement penché le visage et senti les poils de sa barbe et de ses lèvres.  Un seul baiser lent et tâtonnant; C'était là toute leur histoire d'amour. Il avait sorti quelque chose de sa poche et posé dans sa main un objet plat, froid et métallique. après, elle avait pensé qu'il savait  qu'ils ne se reverraient plus C'était un étui à cigarettes en argent...Les initiales du pilote sont gravées sur le couvercle: " M. W." . .page 43....Elle me l'a envoyé il y a un an.. Lorsque j'ai reçu l'étui et la lettre, cela faisait presque quatre ans que nous ne nous étions vus. ..;Elle avait alors la trentaine. ;page 44

Je n'avais pas escompté la revoir et il s'écoula de nombreuses années avant que je la prenne au mot (aller la voir à Paris). Je venais de prendre ma retraite....C'était début mai, et j'avais décidé de réaliser un vieux rêve: passer un mois à Paris. page 47

Je me suis senti isolé, alors que tous les gens étaient accompagnés. Je me suis senti isolé; j'étais seul, mais c'est différent. J'ai soudain songé au nombre d'années pendant lequel j'avais vécu comme eux. Je travaillais toute la semaine et faisais un boulot que je n'aimais pas afin d'avoir les moyens d'acheter un tas de trucs ont je n'avais pas vraiment besoin. Le dimanche, je faisais une excursion avec ma famille....Je ne l'avais jamais  confié à personne, mais parfois, je trouvais ça totalement vain de bosser la semaine pour pouvoir passer le dimanche en voiture, jouer au ballon avec mon fils, arranger le grillage et déjeuner sous le parasol. page 52

J'ai découvert qu'elle habitait le quartier. je suis rentré dans le café et je l'ai appelée. à ma grande surprise, elle a répondu. ..Cette fois-ci, j'ai eu du mal à le reconnaître, cette femme âgée...Je l'ai reconnue lentement quand elle a ôté ses lunettes noires. J'ai retrouvé son visage large et son sourire. .... Nos vies respectives ne possédaient pas de points communs. ...En quelques minutes, nos retrouvailles nous ont paru  presque évidentes comme si les existences que nous avions menées chacun de notre côté n'avaient duré plus que le temps des grandes vacances....Il y avait un-je-ne-sais-quoi d'intime ou de familier à se retrouver face à face à la terrasse d'un café parisien.   pages 55, 56, 57

Elle m'a demandé si je me rappelais l'abri  abandonné que je lui avais montré, à l'extrémité des près inondés, tout au fond du fjord. me souvenais-je aussi de l'avion anglais qui s'était écrasé au loin, et de ce qui avait été dit au village?  On avait retrouvé un parachute. J'ai acquiescé mais dans la pénombre, elle n'a sûrement pas vu. Elle m'a parlé du pilote anglais qu'elle avait trouvé. je l'ai laissée parler. C'était la première fois qu'elle racontait cette histoire, dit-elle, après un silence.  Elle s'était imaginé qu'on aurait pu le cacher ailleurs. page 64

Je ne l'ai revue que ce jour-là...Il y a environ un an, je suis tombé, par hasard, sur son avis de décès dans le journal: Copenhague  1927- Paris 1999. L'annonce était signée  : " La Famille". page 67

Elle aurait pu essayer de  retrouver sa trace, de découvrir qui s'était caché derrière les initiales  M. W.  sur l'étui de cigarettes. elle n'en avait rien fait. Elle avait laissé passer les années  en pensant à lui lorsque rien d'autre n'occupait son esprit....Il était une pensée  sous toutes les idées fugaces qui lui traversaient la tête. Et il était devenu précisément une pensée plus qu'un souvenir. page 69 Une fois dans l 'ascenseur ( elle l'a invité chez elle) , j'ai eu honte de moi....Mon sentiment de culpabilité avait été vain, mais  il était redoublé maintenant que j'avais omis le lui raconter ma version de notre histoire ( il était coupable de  l'arrestation du pilote) page 70

Je suis allé sur sa tombe. ...Elle était donc là sous la dalle lisse en marbre du Groenland. Un bouquet à moitié fané, était posé sur sa tombe, des roses rouge foncé, presque brun. J'avais  moi aussi un bouquet, des tulipes hollandaises. ...Et pourtant, je suis revenu. On pourrait penser que j'avais d'autres choses à faire, ce qui est vrai, même si je sui prêt à admettre que c'est parfois une corvée de tuer le temps lorsque l'on est à la retraite. ...Même si les années passent plus vite quand on vieillit, les jours paraissent parfois longs et pénibles. avec des ornières qu'il faut contourner. pages 71, 72, 73

Je suis revenu, non pas une fois, mais plusieurs....J'apportais toujours des fleurs et chaque fois, il y avait un bouquet de roses fraîches ou jaunies. page 73....Je me suis préparé à rentrer. Il était là , à deux pas derrière moi. je ne l'avais pas entendu....Le bouquet de roses pendait  au bout de son bras droit...Il s'est accroupi et a posé son bouquet à côté du mien, sur le gravier qui entoure la pierre tombale.  ....Puis, il s'est retourné vivement et m' a tendu la main : " Nous n'avons pas l'honneur de nous connaître." page 75

( Ils vont prendre un verre) Il m'avait demandé qui j'étais et depuis quand j'avais connu son ex-femme. " Cinquante-sept ans?  Cela fait bien longtemps" avait-il répondu en souriant....;" Un amour de jeunesse? " son attitude m'a surpris...Je lui ai expliqué les circonstances...Page 78

Il m'a demandé si j'étais marié. j'ai répondu que j'avais été marié deux fois.;Si le but du mariage n'était pas de dormir ensemble et de se dorloter, il ne savait pas à quoi servait le mariage. page 85

(L'ex-mari du personnage principal invite l'homme qui apporte des fleurs sur la tombe, chez lui) C'est ainsi que, un dimanche, j'ai garé ma voiture devant une villa d'un quartier résidentiel au nord de la ville. ...je ne cessais  de songer aux prés inondés qui donnaient sur le fjord, à la remise aux planches mangées par le soleil et les intempéries, là où le pilote anglais s'était caché. dans mon souvenir, cet abri était comme un écrin fermé. Peut-être avait-il été de même pour elle. Alors que nous contemplions la pluie et les éclairs à Passy, elle m'avait dit qu'elle avait pensé à ce pilote toute sa vie. Cela était la première fois qu'un homme la touchait.  Cela avait été  aussi , pour moi, la première fois, lorsque j'avais tenté de lui faire des  avances, maladroit et craintif  dans la pénombre trouée par les rais de lumière qui s'insinuaient entre les planches. Il y eut d'autres  de femmes depuis, pas beaucoup, mais si peu non plus, et certains ont constitué des rencontres infiniment  plus décisives que le premier objet  de mon désir tâtonnant. De même, il devait exister quantité de raisins pour expliquer qu'elle se soit progressivement détournée de son mariage. elle était devenue silencieuse  et absente  jusqu'à ce que son mari vacille dans le vide et le silence et s'agrippe à la première femme qui, un jour, avait croisé son chemin. pages 91, 92, 93

Mais peut-être ne sont-ce pas les causes que l'on recherche lorsque l'on  tente de débrouiller l'écheveau d'une existence, cet embrouillamini de fils que sont les rencontres, les moments partagés et les adieux, les pactes et les séparations, les rêves enfouis, les promesses rompues ou oubliées et les occasions inattendues. Tout ce que l'on a vécu et  éprouvé, parfois dans la détresse, parfois dans l'allégresse, mais le plus souvent dans l'indifférence....Oui peut-être cherche-t-on autre chose que des explications car comment parviendrait-on à obtenir la célèbre synthèse à partir des dons et des tares innés, à partir de chaos des circonstances et de hasards?   page 93

Je ne sais  si je pensais à tout cela quand j'ai trouvé la maison, quand j'ai franchi l'allée dallée et quand j'ai  tiré la sonnette. page 94

Elle (sa seconde épouse, Française, 15 ans  plus jeune que lui) est passée à la cuisine pour préparer le déjeuner. Il l'a suivie des yeux puis, il s'est tourné vers moi et m'a dévisagé. - Je l'aime" a-t-il dit sans détour, en clignant des yeux. Il s'est tassé  dans son fauteuil de jardin, il a contemplé les nénuphars du bassin  et les branches nues des arbres fruitiers.  " Mais il a fallu d'abord que je me le permette" a-t-il ajouté.  J'ai posé mon verre sur la table qui nous séparait. " Comment cela?  - Oh.....L'heure est venue....mais mon fils...Mon fils est parfois assez dur" ....." J'aurais peut-être dû.. J'ai levé la main pour le rassurer. " Ce n'est pas parce que je me reproche d'avoir été poussé à divorcer, a-t-il ajouté doucement. Non,  ce que je me reproche, encore, c'est de l'avoir épousée.  De l'avoir voulue  absolument, et de l'avoir laissée - cela va paraître surprenant - de l'avoir laissée faire. Bon, je vais te montrer le jardin".  pages 97, 98

...."La vie est étrange, n'est-ce pas? J'ai emmené une Danoise à Paris, uniquement pour la laisser là-bas. C'était son choix. Elle ne voulait pas rentrer. Et ensuite, j'ai ramené une Française au Danemark ,où elle passe toujours pour la méchante sorcière." J'ai eu pitié de lui et de ses remords. page 99

Je lui ai parlé du pilote anglais et de mon rôle honteux dans cette histoire. je l'ai fait autant pour moi que pour rétablir une sorte d'équilibre entre nous. j'ai dit qu'elle avait pensé à lui  chaque jour depuis la guerre. Nous sommes restés silencieux, jusqu'à ce que Denise sorte sur la terrasse pour nous avertir que le déjeuner était servi. J'ai vu que mon récit l'avait impressionné....page 101

(Son fils arrive avec ses deux enfants; ceux-ci se ruent dans le jardin, cassent les roses, jettent des pavés dans le bassin etc....) Le fils m'a regardé sans sourciller... "Alors, comme ça, tu connaissais ma mère?   -  Nous nous sommes connus quand nous étions jeunes. - Mais elle n'a jamais parlé de toi". ..;" Vous ne vous êtes pas vus très souvent toi et ta mère...je veux dire au cours des dernières années....a objecté mon hôte.  - Qu'est-ce que tu racontes?  a expliqué le fils sans le regarder page 105

(L'hôte est allé jouer avec son petit-fils dans le jardin et Denise faire le café) " Cela fait combien de  temps que tu connais mon père? " Cela ressemblait un peu à un interrogatoire. J'ai regardé ses traits amorphes, je ne l'aimais pas et je n'aimais pas ses enfants. Beaucoup de gens ne l'accepteront pas, mais à mon avis, les enfants peuvent être aussi antipathiques que les adultes. En revanche, je me suis rendu compte que j'aimais bien leur grand-père, cet honnête homme courtois qui se ratatinait sous les regards désagréables de son fils. " Pas très longtemps. Nous avons seulement fait connaissance après la mort de ta mère". ..." Mais tu sais tout de même qu'il s'est débarrassé de ma mère au profit de celle-là? " Il a fait un geste en direction de l'entrée. " Cela ne remonte-t-il  pas à longtemps? - ça change quelque chose?  - Elle ne s'en est jamais remis , a-t-il ajouté..... " Mais elle avait son travail, elle a voyagé.... - Oui, mais elle était seule. - Ne l'a-t-elle pas choisi?  - Qu'est - ce que tu en sais? .....- Peut-être que les choses n'étaient pas come tu le crois. " Il m'a lancé un regard méfiant.  " Il y  a quelque  chose que j'aimerais te raconter. Mais je te demanderais de la garder pour toi."  L'histoire a pris forme à mesure que je l'ai racontée . Il y avait  de la place pour celle-ci dans ce que je savais d'elle...Je lui ai donc parlé de ma rencontre avec sa mère, quelques années avant sa mort.... Elle n'avait jamais été  véritablement amoureuse  de  ton père. Et là; à l'étranger...; elle  a eu une relation avec un autre homme. Lui aussi était marié, avec des enfants. Ils s'étaient rencontrés pendant un été, lorsqu'ils étaient  jeunes, mais cela a été bref. Ils n 'avaient jamais pensé qu'ils  se reverraient"  . Il m'a regardé avec un air niais. Je m'imaginais facilement la chose, et je ne doute pas qu'il le pensait aussi. Le oui- dire a toutes les apparences du vrai, que la chose se soit passée ou non. Il est parfois impossible de faire la différence entre un mensonge et ce qui pourrait être vrai....J'ai marqué un silence et l'ai laissé se représenter l'infidélité de sa mère avant  de poursuivre . " Pour finir, il a été clair que son amant n'avait pas l'intention  de quitter sa famille et elle a mis un terme à leur relation....;Leur mariage n'était plus qu'une apparence lorsqu'il a rencontré Denise". Je me suis tu. Il avait les larmes aux yeux, c'était presque trop beau. Il ressemblait à un enfant...Les autres sont revenus et nous avons pris le café. Denise avait fait une tarte. Ils sont partis peu après et mon hôte les a accompagnés dehors. De ma place, je les voyais....Le jeune homme  chauve a hésité un instant, puis, il a serré son père dans ses bras, un peu maladroit et il est monté rapidement dans sa voiture.  Denise l'a vu également....Je ne l'ai jamais rappelé lorsqu'il  a laissé des messages sur mon répondeur. 

Quand je suis rentré chez moi ce soir-là, j'ai sorti l'étui à cigarettes du pilote anglais. Je l'ai ouvert , j'ai pris la cigarette...J'ai cessé de fumer, mais j 'ai allumé la cigarette , tiré une bouffée. .... J'ai tenu la cigarette entre mes doigts et j'ai contemplé la fumée qui montait  dans l'air comme un ruban transparent  er s'enroulait en spirales et en boucles dans les reflets du soleil couchant. pages 108, 109, 110





lundi, janvier 11, 2021

L'OPPOSANTE DE LA PRESQU'ILE ( Lydie Parisse) 2019

 "Une bouleversante adresse aux vivants et un témoignage sidérant sur le 4è âge" Valérie Hernandez ( La Gazette de Montpellier. )

Presqu'île de Crozon. dans un émouvant compte à rebours, cette Bretonne de 97 ans,  prend enfin la parole. Avec lyrisme et poésie, elle évoque, au moment de sa mort, le temps de sa jeunesse, au temps de l'Occupation allemande, celui des derniers jours de sa vie.

Lydie  Parisse est écrivaine, metteuse en scène et maître de conférences  à l'université de Toulouse2, où elle enseigne les ateliers d'écriture dans le master de la création littéraire. Elle publie des fictions dramatiques et des essais  sur la littérature, l'art et le théâtre d'aujourd'hui. Son activité artistique et son activité de chercheuse sont étroitement liées. Née en Lorraine, elle est liée à la Bretagne par sa belle-famille. 

100 pages

En votre absence, c'est pour les fleurs que je vivais, je me baisse, je tire sur la tige, elle vient toute seule, je la mets dans la paume de ma main, j'en arrache d'autres....page 20

Il n'y a pas assez de fleurs dans le jardin, les hortensias , les marguerites, toutes sortes de marguerites, en Bretagne, la vie est plus éphémère qu'ailleurs, surtout en bordures. page 21

Je suis morte ce dimanche et je vous vois dans ma maison Phoenix. Vous avez parlé de ma vie, du passé. Mon fils aîné a lu des pages de son livre sur ma vie. Le mari de ma fille qui est morte a beaucoup parlé, il a dit que j'étais allée à Cologne, que je parlais souvent de Cologne, que ma fille cadette, celle qui est morte, répétait souvent que son père n'était pas son vrai père, que son vrai père était un Allemand. Mon plus jeune fils a dit que j'avais voulu lui  apprendre l'allemand quand il était petit.  Ma belle-fille a dit que quand je faisais la cuisine,  je prononçais des mots d'allemand, je disais  kleine Loffel au lieu de petite cuillère. Ma plus jeune fille a dit qu'elle avait trouvé bizarre que j'accouche en ville de mon fils aîné, on n'accouchait pas en ville  à cette époque, on accouchait chez soi, avec une sage-femme, ma plus jeune fille  a dit qu'elle avait pensé que  j'avais eu un autre bébé avant mon fils aîné, elle a même dit qu'elle avait retrouvé l'acte de naissance de votre demi-soeur, une soeur dont vous n'aviez jamais rien su, l'enfant de votre mère et de son premier amour, pas votre père en tous cas. La partie visible de l'iceberg, vous avez commencé à en faire le tour, mais pas ce qui est sous l'eau! Vous avez parlé de ma vie, vous avez cherché à disséquer mon cadavre, mais , moi, j'ai tenu bon, faut bien, je n'ai rien dit jusqu'à mon dernier souffle, vous cherchez à reconstituer le puzzle mais tout est  au fond de l'eau. Ce que j'ai vécu, je suis seule à l'avoir vécu, je suis seule à l'avoir vécu, et voilà le pire , j'ai tout oublié.  page 28

Je ne suis plus là mais la vie continue. Page 33

Vous allez devoir vivre sans moi maintenant, devenir des adultes. page38

Oui Hans , il est venu me chercher quand il a perdu sa seconde femme, on avait plus de soixante-dix ans. Oui, il est venu  en secret me voir au port, il a voulu me ramener en Allemagne, oui, on s'est vus chez Paulette, la fille de Paulette vous explique tout. ....oui, j'ai décidé de ne pas le suivre. Hans, j'avais encore mon vieux mari à soigner, je ne sais pas ce qui m'a pris, j'ai manqué de courage pour nous deux. page 47

Je regretterai la lumière qui caresse toute forme au lever du jour, ses reflets changeants sur n'importe quelle façade ordinaire, je regretterai  les mouettes qui traversent en diagonale la fenêtre du toit et crient la joie de l'azur. Je regretterai la lande et la plage de Pen Hat près du manoir e Saint Pol Roux, le manoir en ruines avec son poulailler, de sa fenêtre, ce poète aimait contempler l'infini, quand j'étais jeune, tous les lundis, avant la guerre, je faisais le ménage chez lui, tous les lundis, je passais le torchon sur les piles de manuscrits pour qu'ils reluisent, fallait bien avant qu'ils soient dispersés aux quatre vents sur la lande, avant qu'il meure d'abandon et de chagrin, ce poète.....Je regretterai la lande haute, avec ses terriers de lapins, ses nuées de corbeaux qui picorent par groupes de quatre sur l'herbe humide. Je regretterai la brume quand elle noie le port. page 50 ...

.........J'ai peur. Le promeneur me fait signe, je l'ai reconnu dans la brume, c'est bien toi, depuis presque soixante ans tu viens tous les étés ici, avec ta fille Andréa, c'est bien toi, j'ai fait tant de photos de toi, de nous, tous les étés, une photo de nous, tu es parti mais je n'ai pas changé, je ne t'ai pas rejoint quand nous étions vieux, je ne suis pas partie avec toi quand tu es venu me chercher pour m'emmener en Allemagne, deux fois tu es venu me chercher pour m'emmener en Allemagne, je ne t'ai pas suivi, aujourd'hui, c'est différent, nous sommes jeunes de nouveau, je te reconnais, toi et ton rire, et  nos pirouettes dans les dunes, quelle complicité entre nous, toi, tunes un soldat allemand, Hans, c''est la guerre, je m'emmitoufle dans ta redingote militaire, les cheveux au vent, et je ris, je ris devant l'incendie de la maison du poète, je ris devant les dunes détruites, c'est la guerre, et après? L'amour n'a pas de frontières, suis-moi, je connais l'océan, les chemins des dunes, place tes pas dans les miens, nos pas s'impriment sur la page vierge du sable...nous sommes hiver-printemps-été, contre vents et marées, notre ailleurs est ici, notre ici ici est ailleurs, , nous, nous, nous, c'est comme ça et pas autrement...Pages 100, 101

UN MARIAGE AMERICAIN ( Tayari Jones) 2019

 Gelestial et Roy viennent de se marier. Elle est à l'aube d'une carrière artistique prometteuse, il s'apprête à lancer son business. ls sont jeunes et beaux et incarnent le rêve  américain...à ceci près qu'ils sont noirs, dans un Etat sudiste qui fait pas de cadeaux aux gens comme eux. Un matin, Roy est accusé de viol. Gelestial sait qu'il est innocent, mais la justice s'empresse de la condamner. les années passent, et la jeune femme tient son rôle d'épouse modèle jusqu'au jour où cet habit devient trop lourd à porter. Elle trouve alors du réconfort auprès d'André, son ami d'enfance. A sa sortie de prison, Roy retourne à Atlanta, décidé à reprendre le fil de la vie qu'on lui a dérobé. 

Avec  ce portrait de la classe moyenne noire du sud des Etats-Unis, Tayari Jones  radiographie le couple et signe une histoire d'amour tragique et contemporaine qui explore les thèmes de la famille, de la loyauté, du racisme. Caustique et rigoureuse observatrice de son temps, cette auteure reconnue outre- Atlantique s'attaque en femme de lettres aux maux qui rongent la société américaine, et parvient à donner à ce texte fulgurant et âpre tous les atours d'un grand roman. 

AVANT L'AUBE (Alonso Cueto)

 Adrian Ormache, avocat de renom, découvre à la mort de sa  mère, le rôle joué par son père dans la lutte contre le Sentier lumineux. Officier l'armée péruvienne, commandant d'une garnison, dans la région d'Ayaycucho, il faisait arrêter de jeunes Indiennes qu'il violait avant de les remettre à ses hommes, jusqu'au jour où il tomba amoureux de l'une d'elles et décida de la garder prisonnière avec lui, dans la caserne. Mais un matin , avant  l'aube, la jeune fille réussit à s'enfuir. 

Confronté au passé de ce père qu'il a peu connu, Adrian part à ;a recherche de cette jeune fille et entreprend un voyage qui le conduira dans une région des Andes  où la souffrance, la pauvreté et la mémoire des disparus hantent le quotidien. Ce bourgeois liménien , pour qui ne comptent que le succès, l'argent et l'apparence, devra affronter une douloureuse réalité.  Des secrets de famille aux secrets d'Etat, des quartiers résidentiels aux bidonvilles de Lima, il prendra conscience des aspects les plus inavouables de ce conflit qui ensanglanta le Pérou  entre 1980 et 1992.

Basé sur une histoire vraie, construit comme un roman policier, le récit  D'Alonso Cueto  nous entraîne dans une aventure riche en intrigues et en rebondissements. 

(Pendant quelques semaines, j'ai eu un problème de disque dur et n'ai pas pu écrire au jour au jour, mes lectures)